CA Rouen, 1re et 2e ch. civ. réunies, 9 décembre 1997, n° 9600797
ROUEN
ARRET
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Cachia Holding (SA), Cachia (SA)
Défendeur :
Fiat Auto France (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Brocart
Conseillers :
M. Grandpierre, Mme Le Carpentier, M. Gallais
Avoués :
SCP Colin-Voinchet-Radiguet, SCP Galliere-Lejeune
Avocats :
Mes Bourgeon, Briere, Triet.
La société Les Garages Cachia à Bondy (93) était de 1963 à 1984 concessionnaire exclusif de la vente des automobiles Fiat pour la Seine Saint-Denis en exécution de contrats successifs d'une durée d'un an sans possibilité de tacite reconduction ;
Le 25 juin 1984, Fiat Auto (France) informait son concessionnaire de son intention de ne pas lui proposer de nouveaux contrats pour l'année 85 et lui rappelait " que les contrats en cours prendront fin, ainsi que prévu, le 31 décembre 1984 " ;
La société Fiat refusait le 6 décembre 1984 d'agréer la société Cachia comme distributeur ; à une commande de neuf véhicules du 4 février 1995, elle répondait en la renvoyant à s'adresser à l'une de ses deux nouveaux concessionnaires pour la Seine Saint-Denis, les Etablissements Prault ;
Le 15 juillet 1987, la société Cachia saisissait le Directeur Général de la Concurrence et de la Consommation d'une demande d'enquête ;
Faisant état de ce que la société Fiat avait commis des fautes en s'abstenant de motiver son éviction du réseau de distribution et en leur refusant la vente de ses produits en 1985, les demanderesses introduisaient une action en paiement de dommages et intérêts ;
Sur renvoi, après cassation d'un arrêt de la Cour d'appel de Paris rendu le 13 mai 1991, la Cour est saisie de l'appel formé par les sociétés Cachia à l'encontre du jugement auquel il est renvoyé pour exposé, rendu le 23 avril 1990 par le Tribunal de commerce de Paris, qui a rejeté leurs demandes ;
Les sociétés Cachia concluent à l'infirmation et demandent à la Cour de :
- dire et juger que la société Fiat Auto France SA a indûment refusé la vente de ses produits à la société Cachia en 1985, alors que le contrat-type qui la liait à ses distributeurs français ne pouvait justifier l'exclusivité territoriale qu'elle leur a réservée ;
- dire et juger que la société Fiat Auto France a abusé de son droit de ne pas renouveler, en 1985, le contrat de concession qui la liait à la société Cachia jusqu'au 31 décembre 1984 ;
- condamner en conséquence la société Fiat Auto France SA à payer à la société Cachia :
* 4 700 00 F (Quatre millions sept cent mille francs),
* 132 023 F (Cent trente deux mille vingt trois francs),
* 1 653 000 F (Un million six cent cinquante trois mille francs),
* 89 244 F (Quatre vingt neuf mille deux cent quarante quatre francs),
* 131 126 F (Cent trente et un mille cent vingt six francs),
- condamner la société Fiat Auto France SA à payer à la société Cachia à titre de complément de dommages et intérêts, les intérêts au taux légal desdites sommes à compter du 28 décembre 1988, avec capitalisation des intérêts à compter du 15 février 1991 ;
- condamner la société Fiat Auto France SA au paiement de la somme de 100 000 F HT sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
La société Fiat conclut à la confirmation, à l'exclusion des débats des pièces transmises par la Direction Nationale des Enquêtes de Concurrence, subsidiairement à la réduction des dommages et intérêts réclamés et en tout état de cause à la condamnation des demanderesses à lui verser 100 000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Sur ce
Attendu qu'à juste titre la société Fiat réclame que les procès-verbaux et le rapport d'enquête établis par la Direction Nationale de Enquêtes de Concurrence soient écartés des débats dès lors qu'un double n'a pas été remis aux personnes concernées, comme prévu à l'article 46 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Attendu que la lettre recommandée du 25 juin 1984 de la société Fiat était dépourvue d'équivoque quant à la volonté exprimée par elle de ne pas proposer de nouveaux contrats à la société Cachia pour l'année 1985, que l'envoi - après le délai de prévenance fixé au 1er octobre - d'une circulaire pour les contrats 1985 et de programmes de formation pour la même année n'a pas privé d'effet l'expression de volonté clairement manifestée plusieurs mois auparavant par le concédant, ni induit la société Cachia en erreur quant à la cessation des relations contractuelles à l'expiration du contrat de concession en cours ;
Attendu qu'afin de bénéficier de la " faculté exceptionnelle " en sa " faveur " pour la représentation des marques distribuées par le groupe Chardonnet (lettre de la société Fiat du 27 septembre 1982), la société Cachia a effectué en 1983 des travaux d'un montant de l'ordre de 6 000 000 F afin de mettre en place deux organisations commerciales séparées, mais que le concédant n'avait pas à tenir compte des investissements réalisés par le concessionnaire pour s'astreindre à conclure un nouveau contrat de concession.
Attendu, de même, que le concédant n'était pas tenu de motiver sa décision de ne pas conclure un nouveau contrat de concession, que, de plus, le motif avancé par les sociétés Cachia, à savoir le grief d'exportation de véhicules neuf en Italie, n'est pas établi par les pièces versées aux débats ;
Attendu, en effet, que le traitement des informations par la presse automobile, dans des conditions invérifiables, ne peut constituer un élément de preuve,
que si le témoin Laffite évoque des exportations vers l'Italie, Jean Gangloff n'emploie que les termes " sautait en tant que concessionnaire Fiat à cause des exportations " sans préciser la destination de celles-ci,
qu'au contraire l'expert comptable Villaume et le directeur Foramger, directement témoins d'une conversation téléphonique, rapportent bien que Joly, représentant de Fiat, a donné comme motif du refus de conclure de nouvaux contrats la présence en Italie de véhicules neufs, vendus par la société Cachia, mais après exportation en Algérie, soit hors de la CEE ;
Attendu ainsi que le refus de conclure de nouveaux contrats pour l'année 1985 n'était pas abusif ;
Attendu que l'article X du contrat passé entre Fiat et les Etablissements Prault pour l'année 1985 comportait une clause selon laquelle " le concessionnaire n'est pas autorisé à vendre les véhicules neufs de marque Fiat qui font l'objet du présent contrat, à des personnes physiques ou morales ne faisant pas partie du réseau Fiat, qui achèteraient lesdits véhicules dans le but de les revendre " ;
Attendu que le réseau de distribution exclusive mis en place par la société Fiat France constitue un accord entre entreprises susceptibles d'affecter le commerce entre les Etats membres de la CEE et qui a pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché Commun en ce qu'il consiste notamment à répartir géographiquement les marchés ;
Attendu, en application de l'article 85 paragraphe 1 et 2 du Traité instituant la CEE, que de tels accords sont interdits et nuls de plein droit, sauf s'ils sont exemptés (paragraphe 3) par une disposition individuelle - ce qui n'est pas le cas en l'espèce- ou catégorielle de la Commission de la CEE ;
Attendu que le règlement CEE d'exemption 1983-83 du 22 juin 1983, relatif aux accords de distribution exclusive, exclut du champ de l'exemption " les accords par lesquels les parties ou l'une d'entre elles restreignent la possibilité pour les intermédiaires ou utilisateurs d'acheter les produits visés au contrat auprès d'autres revendeurs à l'intérieur du marché commun ", que les parties s'opposent quant à la définition du terme " intermédiaires " ;
Attendu que le dix septième rapport sur la politique de concurrence de la Commission des Communautés Européennes précise que la Commission a adressé une lettre aux entreprises du secteur automobile attirant leur attention sur le fait que leurs accords ne relèvent de l'application ni du règlement CEE 1983-83 ni du règlement 1984-83 " étant donné qu'ils comportent une interdiction de vendre des véhicules à des revendeurs n'appartenant pas aux réseaux de distribution ", que les " intermédiaires " visés n'étaient donc pas exclusivement ceux préalablement mandatés par des utilisateurs pour acheter des véhicules en leur nom mais pouvaient être aussi les revendeurs qualifiés ;
Attendu, cependant, que le règlement CEE 123-85 admet au bénéfice de l'exemption les contrats imposant de ne livrer à un revendeur que si ce revendeur est une entreprise du réseau de distribution, que la clause litigieuse figurant aux contrats de concessionnaires Prault et Cromier a ainsi été reconnue comme ne s'opposant pas au bénéfice de l'exemption catégorielle, que sa nullité, à sa date et au regard des dispositions du règlement 1983-83, n'a pu affecter la validité des contrats de concession ni celle de l'exclusivité accordée pour 1985 aux concessionnaires Prault et Cromier dont la société Fiat s'est prévalue pour refuser de vendre neuf véhicules à la société Cachia;
Attendu, par ailleurs, que la société Cachia ne s'est pas adressée au concessionnaire Prault pour obtenir des véhicules Fiat, ce qui démontre qu'il n'était pas dans ses intentions de devenir, le cas échéant, revendeur d'un concessionnaire ;
Attendu que même, si les sociétés Cachia exposent que les contrats de concession exclusive conclus entre Fiat et ses deux concessionnaires exclusifs pour l'année 1985 n'étaient pas non plus conformes au règlement 123-85 s'agissant d'autres clauses, le refus de vente illicite allégué par les sociétés Cachia n'est pas établi ;
Attendu, en effet, que les contrats de concession exclusive pour 1985 envisageant bien la possibilité d'utiliser des pièces autres que d' " origine " pour l'entretien et la réparation (article XIIb),
que par ailleurs s'agissant de :
a) la possibilité de représenter une autre marque en cas de " justifications objectives ",
b) la clause de pénétration,
c) la possibilité de s'approvisionner en véhicules neufs auprès d'autres concessionnaires dans l'ensemble du marché commun,
d) l'obligation de détenir un stock,
un accord de concession exclusive n'est pas nécessairement nul s'il ne remplit pas toutes les conditions posées par le règlement d'exemption et les sociétés Cachia n'allèguent, dans leurs conclusions du 3 octobre 1997, aucun élément de preuve démontrant que les quatre clauses ci-dessus avaient pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché ;
Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la société Fiat la charge de ses frais irrépétibles de procédure à concurrence de 10 000 F ;
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement, après débats en audience publique, Reçoit l'appel, Réformant, écarte des débats les pièces transmises par la Direction Nationale des Enquêtes de Concurrence, Confirme le jugement dont appel en ce qu'il a débouté les sociétés Cachia Holding et Cachia SA de leurs demandes, Déboute les sociétés Cachia Holding et Cachia SA de leurs demandes, Condamne in solidum les sociétés Cachia Holding et Cachia SA à payer Dix mille francs (10 000 F) à la société Fiat Auto France SA en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure civiles, Condamne les sociétés Cachia Holding et Cachia SA aux entiers dépens de première instance et d'appel, y compris ceux afférents à l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 13 mai 1991 et autorise la SCP Galliere-Lejeune, Avoués, à recouvrer directement contre elles ceux des dépens dont elle aurait fait l'avance sans recevoir provision.