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Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 31 mai 1989, n° ECOC8910082X

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

SMAC Acieroid (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Présidents :

M. Gelineau-Larrivet, Mme Montanier, M. Borra

Conseillers :

Mme Hannoun, M. Gourlet

Avoué :

SCP Barrier Monin

Avocat :

Me Bousquet.

CA Paris n° ECOC8910082X

31 mai 1989

LA COUR,

Statue sur le recours formé par la SMAC Acieroid contre la décision 88-D-49 relative à des pratiques relevées sur le marché de l'étanchéité par asphalte coulé dans la région lyonnaise, par laquelle le Conseil de la concurrence a infligé à cette société ainsi qu'à la SPAPA et à la CLGB des sanctions pécuniaires assorties d'une mesure de publication dans la presse.

Il convient de se reporter à cette décision pour un exposé détaillé de la procédure antérieure et des motifs retenus par le Conseil de la concurrence.

Les faits peuvent être résumés ainsi :

La société stéphanoise d'étanchéité (SSE), spécialisée dans les travaux d'étanchéité et de couverture, dans la zone Lyon-Saint-Etienne, exerçait une grande partie de son activité en utilisant la technique de l'asphalte coulé. L'asphalte en fusion lui était fourni par la société rhodanienne de produits asphaltiques (RPA), société filiale dont le capital social est détenu par la SMAC et les deux autres sociétés, objet de la décision entreprise.

A la suite d'une hausse importante du prix de vente, de retards et d'incidents de livraison, enfin de la suppression de délais de paiement, la SSE, puis le ministère de l'Economie ont saisi le Conseil de la concurrence en accusant la RPA d'abus de position dominante.

Estimant que la RPA ne jouissait d'aucune autonomie, le Conseil de la concurrence a jugé que les pratiques dénoncées devaient être imputées aux trois associés, coupables d'une action concertée prohibée par les articles 50 (alinéa 1) de l'ordonnance n° 45-1463 et 7 de l'ordonnance n° 86-1243.

Les premières critiques formulées par la SMAC à l'appui de son recours portent sur cette qualification ainsi que sur les définitions et analyses de marchés adoptés par le Conseil de la concurrence.

Pour cette société, la fabrication de l'asphalte n'est pas séparable des opérations suivantes et il n'existe qu'un seul marché de l'étanchéité proposant plusieurs techniques, parmi lesquelles celle de l'asphalte coulé, toutes substituables entre elles.

Quant à l'asphalte coulé, la qualité de celui produit par un pétrin fixe est comparable à celle du matériau obtenu au moyen d'un pétrin mobile, procédé peu onéreux, utilisé avec succès par de nombreuses entreprises ne possédant pas d'installation fixe comme celle dont dispose la RPA.

Par ailleurs, la SMAC affirme que les entrepreneurs d'étanchéité doivent assurer eux-mêmes la production qui leur est nécessaire, à partir d'un produit de base librement commercialisé. Elle dénonce ainsi la situation particulière de la SSE qui, grâce aux relations personnelles de son dirigeant, a réussi à se procurer, sans aucun investissement, l'asphalte en fusion qui lui permet de satisfaire ses clients.

Rappelant qu'il était loisible à la RPA de réserver l'intégralité de sa production aux trois sociétés la constituant, la SMAC prétend donc qu'une action concertée n'est ni démontrée, ni même concevable en l'espèce, et que les pratiques qui lui sont reprochées rentreraient, si elles étaient établies, dans le cadre défini par l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, ce qui exclurait la compétence du Conseil de la concurrence.

La SMAC conclut en définitive à sa mise hors de cause et sollicite, dans l'hypothèse où le principe de sa condamnation serait maintenue, la réduction du montant de la pénalité infligée.

Sur quoi, LA COUR :

Considérant qu'il convient d'observer, pour répondre à une première objection de la SMAC, que le Conseil de la concurrence qualifie les faits soumis à son examen sans être lié par les qualifications figurant dans l'acte de saisine ;

Qu'il lui était donc loisible, les faits dénoncés pouvant être examinés sous divers aspects, d'écarter les dispositions de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, notamment celles du 8-2 applicables seulement aux faits postérieurs à l'entrée en vigueur du texte, et de rechercher si la SMAC et ses associés avaient, ou non, contrevenu aux dispositions des articles 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945 et 7 de l'ordonnance susvisée ;

Considérant que l'existence du marché spécifique de l'asphalte coulé, défini par le Conseil de la concurrence, ne peut être contestée dès lors que les documents versés aux débats démontrent que certains maîtres d'ouvrage, loin de tenir pour substituables les différents procédés d'étanchéité, imposent, en raison de ses qualités de plasticité et d'imperméabilité jugées supérieures à celles des autres procédés, la technique de l'étanchéité par asphalte coulé ;

Considérant qu'il est également établi, grâce aux avis des techniciens recueillis au cours de l'enquête, que l'asphalte en fusion provenant d'une installation fixe est d'une qualité supérieure à celle provenant du produit provenant d'un pétrin mobile et que son coût est moins élevé, ce qui confirme le responsable local de la SPAPA lorsqu'il déclare que "la constitution de l'usine (de la RPA) était de "rationaliser la production en donnant une meilleure qualité et de meilleurs prix" ;

Considérant enfin que le président de la chambre nationale de l'étanchéité, dont la compétence ne peut être mise en doute, a spécifié, lors de son audition, que "la fabrication dans les malaxeurs de transport a pratiquement disparu pour trois raisons... Le personnel compétent qui n'existe plus... le prix de revient très cher... la qualité... qui est incertaine" (procès-verbal 1er décembre 1987) ;

Considérant qu'ainsi que le rappelle le Conseil de la concurrence, en opérant une distinction pertinente entre la fabrication de l'asphalte coulé et la réalisation des travaux accomplis avec ce produit, aucun texte, législatif ou réglementaire n'impose aux entreprises utilisant ce système de fabriquer l'asphalte coulé dans leurs propres installations ;

Que le président de la chambre nationale de l'étanchéité, déjà cité, précise à ce sujet qu'il "existe autant d'utilisateurs d'asphalte coulé que de fabricants (utilisateurs différents de producteurs)" ;

Considérant que la SMAC prétend vainement que la qualification "Etanchéité asphalte", créée début 1987 par l'OPQCB, obligerait désormais les entrepreneurs à assurer fabrication et transport de l'asphalte en fusion ;

Qu'en réalité cette qualification, du reste détenue par la SSE, n'est qu'un élément d'appréciation permettant au maître de l'ouvrage d'apprécier la qualité technique de l'entreprise ;

Que la SMAC a elle-même admis, dans ses écritures antérieures, qu'en matière de marché public l'admission d'une entreprise à une consultation ne peut être subordonnée à l'existence d'un certificat de qualification ;

Considérant que le Conseil de la concurrence a exactement défini, en fonction des caractéristiques et des contraintes du produit, et exactement décrit la zone dans laquelle la SSE pouvait s'approvisionner et exercer son activité ;

Qu'il suffit d'ajouter que la SSE n'était pas le seul client de l'usine, en dehors des trois associés, puisque, selon le directeur régional de la SPAPA (procès-verbal du 19 novembre 1987), cette usine consacrait une autre petite partie de son activité aux commandes, effectuées à titre de dépannage, par les Asphalteurs réunis, une entreprise installée à Vénissieux ;

Considérant, sur les pratiques retenues, qu'est intervenue en janvier 1986, après d'autres hausses répétées, l'application à la SSE d'une hausse de 20 p. 100 ayant pour effet de porter à environ 70 p. 100 l'écart entre le prix de cession aux associés et le prix de vente à SSE ;

Que cette hausse n'est assortie d'aucune justification plausible ;

Qu'il convient, en revanche, de noter que le représentant de la chambre syndicale nationale de l'étanchéité a clairement indiqué au rapporteur que "en ce qui concerne la commercialisation de l'asphalte coulé, les prix généralement rencontrés se situent à environ 25 à 35 p. 100 au-dessus des prix de cession aux partenaires qui exploitent en commun des centrales de fabrication" ;

Considérant que les incidents de livraison des 9 juin 1986 et 20 mai 1987 ne peuvent s'expliquer par une modification des délais de commandes également imposée aux associés ;

Qu'en effet il n'est pas établi que cette modification a été effectivement portée à la connaissance de la SSE en temps utile avant le 9 juin 1986 ;

Qu'il est en outre constant qu'elle n'a pas été invoquée auparavant pour rendre compte des derniers faits, le responsable de la SMAC se bornant (audition du 4 décembre 1987) à mentionner une autre règle à laquelle son caractère illogique ôte toute vraisemblance : "Le camion arrivé le premier est servi le premier. La priorité étant donnée aux associés" ;

Considérant, au demeurant, que l'allongement considérable des délais et prises de commande au préjudice de la seule SSE, ces délais étant portés à trois semaines par les cogérants en octobre 1986, est démontré par les déclarations de MM. Muther et Forien, lors de leurs auditions en novembre et décembre 1987, et révèle, une fois encore, la mauvaise volonté permanente des associés de la RPA à l'égard de leur client ;

Considérant qu'en ce qui concerne plus particulièrement les incidents d'octobre 1986, liés au marché public de Monistrol-sur-Loire, obtenu à la suite d'un appel d'offres auquel participaient la SMAC et la SPAPA, il y a lieu de retenir que le planning de livraison proposé par la RPA, avec, contrairement à l'ordre normal, des livraisons d'asphalte sablé avant celles d'asphalte pur était inapplicable et qu'en outre les cogérants ont délibérément décidé de ne pas mettre en marché un pétrin qu'ils avaient la possibilité matérielle de faire fonctionner ;

Qu'un tel comportement ne peut donc être imputé qu'à la mauvaise volonté de ces cogérants et non à des difficultés techniques insurmontables de l'existence desquelles la SMAC n'est pas en état de rapporter la preuve de façon convaincante ;

Considérant enfin que la raison avancée pour justifier la suppression, en juin 1987, de tout délai de paiement, à savoir de prétendues difficultés financières de la SSE, n'est pas davantage étayée d'éléments de preuve ;

Que l'exigence formulée à cette époque par les responsables de la RPA ne fait que mettre en évidence la volonté persistante des associés de nuire à un concurrent et illustre une nouvelle fois le caractère brutal et imprévisible des obstacles auxquels la SSE se trouvait confrontée ;

Considérant que, contrairement à ce que prétend la SMAC, ces pratiques, destinées à évincer la SSE du marché des travaux d'étanchéité par asphalte coulé, relèvent des dispositions des articles 50 de l'ordonnance n° 45-1483 et 7 de l'ordonnance n° 86-1243 ;

Que, sur ce point encore, la cour fait siens les motifs du Conseil de la concurrence qui a aussi justement observé que les circonstances de l'espèce n'avaient laissé à la SSE aucun délai raisonnable pour trouver une solution de remplacement ;

Considérant qu'il suffit de souligner que si la mise en commun par la SMAC, la SPAPA et CGLB de leurs moyens de production d'asphalte coulé dans une structure commune, formée par la RPA et une société en participation, ne constitue pas une entente visée par les textes précités, cette structure commune, exactement analysée dans la décision entreprise, a été utilisée par les trois sociétés, seules détentrices du pouvoir de décision et véritables responsables des entraves multiples imposées à la SSE, pour mettre en œuvre une action concertée ayant eu pour objet et pouvant avoir pour effet de limiter l'exercice de la concurrence sur le marché concerné ;

Considérant qu'il est constant et non contesté que les actions dont il s'agit ne peuvent se justifier au regard des dispositions des articles 51 de l'ordonnance du 15 juin 1945 et 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Considérant que la décision entreprise doit donc être confirmée en son principe ;

Qu'il convient toutefois, compte tenu des circonstances particulières à l'affaire et eu égard aux éléments d'appréciation fournis à la cour, de réduire la pénalité infligée à la SMAC,

Par ces motifs, et ceux non contraires du Conseil de la concurrence : Confirme la décision entreprise, sauf en ce qui concerne la pénalité infligée à la SMAC qui est ramenée à 200 000 F. Condamne la SMAC aux dépens.