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Décisions

Cass. com., 4 mai 1993, n° 91-17.937

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Rocamat (Sté)

Défendeur :

Sogepierre (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bézard

Rapporteur :

M. Léonnet

Avocat général :

M. Curti

Avocats :

SCP Delaporte, Briard, SCP Célice, Blancpain, Me Ricard.

T. com. Dijon, du 23 oct. 1990

23 octobre 1990

LA COUR : - Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué (Dijon, 28 mai 1991) que le 22 mars 1979 les sociétés Rocamat et Huguenin exerçant l'activité de production et de transformation de pierres de carrière ont signé un accord destiné à rationaliser leur production et à améliorer leur productivité ; qu'entre autres mesures les articles 2 et 9 du contrat prévoyaient que la société Huguenin s'engageait à ne plus exploiter de carrières dans le bassin de Saint-Maximin dans l'Oise, la société Rocamat prenant le même engagement dans le bassin du Châtillonnais ; que le 19 octobre 1987 la société Rocamat a dénoncé l'accord en invoquant sa nullité au regard des dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence ; que la société Sogepierre, aux droits de la société Huguenin, a alors assigné la société Rocamat devant le tribunal de commerce pour faire constater la licéité du contrat et lui voir interdire l'exploitation de carrières de pierres sur le territoire du Châtillonnais ;

Sur le premier moyen, pris en sa première branche : - Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir accueilli cette demande alors, selon le pourvoi, que l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 prohibe les ententes ayant un objet anticoncurrentiel ou une potentialité d'atteinte à la concurrence, même si leurs effets anticoncurrentiels sont de faible importance ; que dès lors, en l'espèce, en validant l'accord litigieux au motif que l'activité de Sogepierre dans le Châtillonnais représentait 34 MF sur un marché de la pierre calcaire de 880 MF, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Mais attendu que c'est à bon droit que la cour d'appel, faisant application des dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 qui prohibe les ententes ayant un objet anticoncurrentiel et, en se référant à l'interprétation donnée en droit communautaire à l'article 85-1 du traité, a, par une appréciation concrète, décidé qu'en l'espèce cette prohibition ne pouvait être relevée, l'accord dénoncé n'ayant qu'une portée limitée dans le marché pertinent considéré et ne pouvant porter atteinte de façon sensible au jeu de la concurrence; que le moyen, pris en sa première branche, n'est pas fondé ;

Sur le premier moyen, pris en ses autres branches : - Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré licite le protocole signé entre les sociétés Rocamat et Huguenin, alors, d'une part, selon le pourvoi, que l'article 85, paragraphe 1er, du traité de Rome interdit tout accord entre entreprises qui a pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun ; qu'une telle entente n'est toutefois prohibée que si elle a un effet sensible sur le marché ; que tel n'est pas le cas des accords qui ne concernent pas plus de 5 % du volume d'affaires réalisé dans la partie de la CEE où l'accord produit son effet avec des produits similaires pour les utilisateurs; que dès lors, en l'espèce, en décidant que l'accord n'affectait pas de manière sensible la concurrence parce que l'activité de la société Sogepierre dans le Châtillonnais représentait 34 MF sur un marché de la pierre calvaire de 880 MF, la cour d'appel qui n'a pas recherché quel était le volume d'affaires effectif et potentiel, concerné par toutes les stipulations de l'accord, tant celles relatives à la pierre du Châtillonnais que celles relatives à la pierre de Saint-Maximin, et à la création d'une filiale commune pour l'exploitation des carrières de Bremur et Vaurois, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 85, paragraphe 1er, du traité de Rome ; et subsidiairement au regard de l'article 7 du 1er décembre 1986, s'il était interprété comme exigeant un effet sensible de l'entente sur le marché ; alors, d'autre part, que les effets restrictifs d'une entente doivent s'observer dans le cadre réel où ils se produisent, c'est-à-dire dans le contexte économique et juridique au sein duquel ces accords se situent et où ils peuvent avec d'autres conduire à un effet cumulatif sur le jeu de la concurrence ; que dès lors, en l'espèce, ayant relevé que la société Sogepierre avait conclu parallèlement un accord de même nature avec une autre société du Châtillonnais, les carrières d'Etrochey, la cour d'appel ne pouvait pas admettre la validité de l'accord litigieux, sans rechercher l'effet anticoncurrentiel cumulé des deux accords conclus par Sogepierre ; qu'en n'effectuant pas cette recherche essentielle, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 85, paragraphe 1er, du traité de Rome et subsidiairement de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 s'il était interprété comme exigeant un effet sensible de l'entente sur le marché ; alors encore que l'article 85, paragraphe 1er, du traité de Rome prohibe les ententes qui ont un effet sensible sur un marché pertinent, qui est constitué du produit en cause, et de tous les produits que le client concerné au stade de production où intervient l'accord perçoit comme interchangeables en raison de leurs propriétés, de leur prix et de leur usage ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a décidé que le marché des producteurs de pierre du Châtillonnais n'était pas un marché spécifique et donc pertinent, car certains cahiers des charges de grands travaux présentent les différentes pierres calcaires comme des variantes égales ; qu'en ne recherchant pas concrètement si ces produits étaient interchangeables techniquement et commercialement, aux yeux des clients directs des producteurs de pierre, et non aux yeux des utilisateurs finaux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 85, paragraphe 1er, précité, et subsidiairement de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 s'il était interprété comme exigeant un effet sensible de l'entente sur le marché ; alors enfin qu'en tout état de cause, la cour d'appel a constaté que l'accord litigieux interdisait à Rocamat d'acheter des terrains en vue d'exploiter une carrière ou d'acquérir des droits d'exploitation de carrière dans le Châtillonnais ; qu'il résulte de cette constatation que l'entente litigieuse ne produisait pas ses effets uniquement sur le marché des terrains ou des droits d'exploitation de carrière ; qu'en effet, en interdisant à Rocamat d'acquérir des terrains ou des droits d'exploitation de carrière dans le Châtillonnais, l'accord limitait la liberté des propriétaires de carrières ou des titulaires du droit d'exploiter une carrière, de céder leur droit à l'acquéreur de leur choix ; qu'après avoir évincé ainsi deux producteurs de pierre, acquéreurs potentiels des terrains ou des droits d'exploitation, la société Sogepierre aurait été en mesure de traiter à ses propres conditions avec les propriétaires des terrains ou les titulaires de droits d'exploitation ; que dès lors ayant ainsi constaté que l'entente avait un effet sur le marché des carrières ou des droits d'exploiter une carrière, la cour d'appel qui a refusé d'annuler ledit accord a méconnu l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Mais attendu, en premier lieu, que c'est après une analyse concrète des éléments techniques et économiques du dossier que la cour d'appel a relevé que le marché de référence était celui des pierres calcaires destinées à la construction et non celui de la pierre du Châtillonnais, dont les caractéristiques n'étaient pas suffisantes pour définir un marché spécifique, et qui pouvaient être substituées par celles d'autres pierres produites ailleurs ;

Attendu, en second lieu, que l'arrêt a, par une décision motivée et souveraine relevé que " s'il n'est pas contesté que Rocamat détient 38 % du marché français des pierres calcaires, et le groupe Hansez dont fait partie Sogepierre, 8 %, il est faux d'affirmer que l'entente porte sur 46 % du marché alors que les clauses litigieuses ne concernent que deux sources d'extraction qui à elles seules ne peuvent influencer le libre jeu de la concurrence ; qu'en effet sur un marché de la pierre calcaire de 880 MF l'activité de Sogepierre dans le Châtillonnais représente 34 MF " ; qu'ainsi la cour d'appel, qui n'avait pas à effectuer d'autres recherches, a légalement justifié sa décision ;

Attendu, enfin, qu'il ne résulte ni des conclusions ni de l'arrêt qu'il ait été soutenu que l'entente litigieuse ait concerné le marché des terrains ou des droits d'exploitation de carrières; que la cinquième branche du moyen est donc nouvelle ; D'où il suit que le moyen, irrecevable en sa cinquième branche comme mélange de fait et de droit, n'est fondé en aucune de ses autres branches ;

Sur le second moyen, pris en ses deux branches : - Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir interdit à la société Rocamat de produire des pierres de taille en Châtillonnais, alors, d'une part, selon le pourvoi, qu'à supposer même que l'entente litigieuse ait été licite, la clause de non-concurrence qui en est l'accessoire ne doit emporter que des restrictions proportionnées à la fonction qu'elle remplit, ce qui impose une double limitation dans le temps et dans l'espace ; que dès lors, en l'espèce, en admettant la validité de la clause de non-concurrence litigieuse de durée illimitée, au motif qu'elle était limitée dans l'espace, la cour d'appel a méconnu l'article 6 du Code civil ; alors, d'autre part, que les articles 686 et 1780 du Code civil prohibent l'engagement perpétuel ; que dès lors en l'espèce, en refusant à Rocamat le droit fondamental de résilier unilatéralement le contrat litigieux, ce dont il résultait que pour la cour d'appel, l'intention des parties avait été de conclure un engagement à durée illimitée et non un contrat à durée indéterminée, résiliable ad nutum, la cour d'appel, qui a ainsi donné effet à un engagement perpétuel, a violé les textes susvisés ;

Mais attendu, d'une part, que la cour d'appel a énoncé à bon droit que l'interdiction apportée par une clause de non-concurrence doit s'apprécier concrètementet que son ajustement doit être contrôlé dans le temps et dans l'espace par rapport à la fonction qu'elle remplit; qu'après avoir relevé la régularité de huit clauses du protocole, non contestées par les parties, " par lesquelles chacune des sociétés s'engageait à prendre les mesures de rationalisation de la production ", elle a constaté l'adéquation des deux clauses critiquées en relevant que chacune des sociétés s'était interdit réciproquement l'exploitation de carrières exploitables à Saint-Maximin et Gouvieux (Oise), pour l'une, et dans le Châtillonnais, pour l'autre, en relevant toutefois que dans ce dernier secteur Rocamat pouvait " faire jouer la concurrence en s'adressant aux autres producteurs du Châtillonnais, soit Etrochy (45 %) ou Degaux (5,3 %) ";

Attendu, d'autre part, que saisie du problème de la licéité de l'accord litigieux, la cour d'appel n'a jamais refusé à la société Rocamat le droit de le résilier unilatéralement, en reconnaissant fût-ce implicitement que ce contrat avait été conclu pour une durée illimitée dans le temps; d'où il suit que le moyen qui manque en fait en sa seconde branche, n'est pas fondé en sa première branche ;

Par ces motifs: rejette le pourvoi.