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Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 9 décembre 1997, n° ECOC9710433X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Ordre des avocats au barreau de Tarascon-sur-Rhône, Confédération syndicale du cadre de vie, Ministre de l'Économie, des Finances et du Budget

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Premier président :

M. Canivet

Présidents :

M. Bargue, Mme Pinot

Avocat général :

M. Salvat

Conseillers :

Mme Beauquis, M. Carre-Pierrat

Avoué :

SCP Bourdais Virenque

Avocats :

Mes Monestier, Valette, Viallard, Franck.

CA Paris n° ECOC9710433X

9 décembre 1997

L'Ordre des avocats du barreau de Tarascon-sur-Rhône (l'Ordre) a formé un recours contre une décision du Conseil de la concurrence (le Conseil) n° 96-D-78 du 3 décembre 1996, qui :

- a estimé établi que, en élaborant et en diffusant parmi ses membres un document intitulé " Charte des avocats au barreau de Tarascon en matière d'honoraires ", il avait enfreint les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

- lui a enjoint, d'une part, de ne plus élaborer ni diffuser de tels documents, d'autre part, d'adresser, dans un délai de deux mois à compter de sa notification, la copie de la présente décision, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, à l'ensemble des avocats constituant son barreau ;

- lui a infligé une sanction pécuniaire de 80 000 F.

Au soutien de son recours, l'Ordre prétend :

Aux fins d'annulation de la décision contestée :

1. Que, dès lors que les faits invoqués n'étaient pas étayés d'éléments suffisamment probants, la saisine du Conseil était irrecevable par application de l'article 19 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et que, conformément à l'article 20, le Conseil aurait dû dire n'y avoir lieu à poursuivre la procédure ;

2. Que la " charte " litigieuse qui, selon le requérant, n'est ni un barème ni une mercuriale, devait permettre de satisfaire à des obligations légales en matière de contestation et d'évaluation d'honoraires comme en matière d'aide juridique et visait à permettre la transparence des honoraires dans les relations entre les avocats, et leurs clients; qu'en conséquence il n'a jamais eu d'objet anticoncurrentiel ;

3. Que le barème incriminé, qui n'était qu'indicatif et n'a, en outre, pas été appliqué, n'a eu aucun effet, même potentiellement anticoncurrentiel ;

4. Que les pratiques visées n'ayant eu aucun effet sensible sur le marché.

Aux fins d'annulation de la sanction prononcée :

1. Que son montant n'est pas motivé ;

2. Que les pratiques sanctionnées n'ont eu aucun effet sensible sur la concurrence et n'ont causé aucun dommage à l'économie ;

3. Que l'injonction, qui édicte une interdiction générale d'établissement de méthode d'évaluation des honoraires, est illégale ;

Aux fins de réformation de la décision: que le montant de la sanction est sans proportion avec le nombre des avocats concernés, leur situation économique et le montant de leurs revenus; qu'elle doit, en conséquence, être supprimée ou réduite en son montant.

La Confédération syndicale du cadre de vie, auteur de la saisine du Conseil, s'est jointe à l'instance devant la cour, par application de l'article 7 du décret du 19 octobre 1987, pour demander le rejet du recours.

Le Conseil ainsi que le ministre de l'économie et des finances ont déposé des observations écrites visant aux mêmes fins.

Le 4 septembre 1997, l'ordre a produit un mémoire soutenant que, établie dans le cadre de la mission de service public dont il est investi, la " Charte " litigieuse relève d'une prérogative de puissance publique et ne constitue pas une activité de production de distribution et de service soumise aux règles de l'ordonnance du 1er décembre 1986. Il a en conséquence demandé à la cour d'examiner ce moyen qualifié "d'ordre public" et de se déclarer incompétente au profit du Tribunal administratif de Paris.

A l'audience, l'Ordre requérant a été invité à s'expliquer sur la recevabilité des moyens contenus dans son mémoire du 4 septembre 1997 au regard des dispositions de l'article 2 du décret du 19 octobre 1987.

Le ministre de l'économie et des finances a, comme le ministère public, présenté, à l'audience, des observations orales tendant au rejet du recours et à l'irrecevabilité du moyen dit d'incompétence soulevé par le requérant.

L'Ordre requérant, qui a eu la parole en dernier, a pu répliquer à l'ensemble de ces observations écrites et orales.

Sur quoi, LA COUR :

1. Sur la recevabilité du mémoire déposé par l'Ordre le 4 septembre 1997 :

Considérant qu'aux termes de l'article 2 du décret du 19 octobre 1987 lorsque la déclaration de recours ne contient pas l'exposé des moyens invoqués, le demandeur doit déposer cet exposé au greffe dans les deux mois qui suivent la notification de la décision du Conseil ; qu'il en résulte que, passé ce délai, le demandeur est irrecevable à invoquer de nouveaux moyens sans qu'il y ait lieu de distinguer entre ceux qui seraient d'ordre public et les autres ;

Considérant que la décision du Conseil ayant été notifiée à l'Ordre le 7 janvier 1997, ce dernier n'a soulevé le moyen tiré tout à la fois de l'inapplicabilité des dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986 aux faits litigieux et de l'incompétence de la Cour d'appel de Paris au profit des juridictions administratives que par un mémoire du 4 septembre 1997; qu'il s'ensuit que, présenté hors le délai prescrit, ce moyen, que la cour n'estime pas devoir soulever elle-même, doit, d'office, être déclaré irrecevable ;

2. Sur le recours en nullité :

a) Sur la régularité de la procédure devant le Conseil de la concurrence :

Considérant qu'aux termes de l'article 19 de l'ordonnance du la décembre 1986 le Conseil peut déclarer, par décision motivée, la saisine irrecevable s'il estime que les faits invoqués n'entrent pas dans le champ de sa compétence ou ne sont pas étayés d'éléments suffisamment probants;qu'il peut, à l'inverse, par une décision non susceptible de recours, engager une procédure de sanction dans les conditions prévues par les articles 21 et suivants de l'ordonnance précitée;qu'il s'ensuit que le moyen visant à contester la légalité ou le bien-fondé de l'ouverture de la procédure de sanction est irrecevable;qu'il est, en outre, sans objet, dès lors que le Conseil s'est prononcé par une décision au fond dont la cour a à apprécier la validité, notamment au regard de la preuve des pratiques constatées ;

b) Sur le fond :

Considérant que l'Ordre des avocats du barreau de Tarascon a, le 11 avril 1994, établi un document intitulé " Charte des avocats du barreau de Tarascon en matière d'honoraires " précisant, dans son préambule, que " les avocats du barreau de Tarascon, conscients de l'évolution de la rémunération de l'avocat, ont recherché, dans l'intérêt de leurs clients, à rendre leurs honoraires clairs, explicables et prévisibles " et qu'en publiant ce barème indicatif d'honoraires l'Ordre "entend répondre aux souhaits des usagers du droit et des pouvoirs publics qui veulent davantage de transparence " ;

Qu'il y est rappelé " que les honoraires de l'avocat sont libres, qu'ils sont fixés d'un commun accord entre l'avocat et son client, que cet accord prendra de préférence la forme d'une convention écrite, qu'en cas de contestations d'honoraires le litige est soumis, conformément aux textes en vigueur, au bâtonnier de l'Ordre" et que " les honoraires de l'avocat s 'apprécient en fonction des éléments suivants : la notoriété, l'expérience ou la spécialisation de l'avocat, la nature et la complexité de l'affaire, l'importance du travail de recherche et de synthèse, le résultat obtenu et les services rendus, le coût de fonctionnement du cabinet, la valeur des sommes en litige, la rapidité d'intervention, la situation économique du client" ;

Que, sous la rubrique " Les modalités de calcul de l'honoraire ", il est indiqué que, " selon l'accord des parties et la nature du dossier, l'honoraire peut être calculé suivant les méthodes suivantes: la convention d'honoraires en fonction du temps passé, la convention d'honoraires sur forfait, l'honoraire de résultat "; que, s'agissant de la convention d'honoraires sur forfait, il est précisé que " l'avocat et son client conviennent d'un honoraire fixe et définitif", que " les diligences couvertes par cet honoraire doivent être précisément indiquées dans la convention ", enfin que " l'Ordre... publie à cet effet le montant des honoraires usuellement pratiqués après délibération du Conseil de l'Ordre " ;

Que, sous l'intitulé " Le barème indicatif du barreau de Tarascon ", concernant une quarantaine de prestations de services juridiques, le document propos à soit des fourchettes, soit ces montants minimaux d'honoraires, soit, enfin, exceptionnellement, un montant unitaire, sans maximum, ni minimum; que, dans cette rubrique, il est par exemple indiqué :

Cour d'appel :

- affaires civiles : de 4 000 F (HT) à 10 000 F (HT) ;

- affaires sociales : de 3 000 F (HT) à 10 000 F (HT) ;

- affaires pénales: de 4 000 F (HT) à 10 000 F (HT) ;

- affaires commerciales: de 4 000 F (HT) à 10 000 F (HT) ;

Tribunal de grande instance :

- affaires d'Etat : de 5 500 F (HT) à 10 000 F (HT) ;

- chambre du conseil : de 4 500 F (HT) à 9 000 F (HT) ;

- divorce : de 7 000 F (HT) à 15 000 F (HT) ;

Pénal :

- instructions : à partir de 3 000 F (HT) ;

- assises : à partir de 9 000 F (HT) la journée ;

Tribunal de commerce :

- de 2 500 F (HT) à 14 000 F (HT) ;

- procédures collectives : à partir de 8 000 F (HT) ;

Conseil de prud'hommes :

- de 4 000 F (HT) à 10 000 F (HT) ;

Tribunal d'instance :

- loyers et baux ruraux (minimum): 3 500 F (HT) ;

- loyers et baux ruraux (maximum): 8 000 F (HT) ;

Tribunal administratif :

- action devant le tribunal administratif : à partir de 4 500 F (HT) ;

- commission de retrait de permis de conduire : de 3 000 F (HT) à 4 500 F (HT) ;

Rédaction d'actes :

- vente de fonds de commerce : à partir de 8 000 F (HT) ;

- constitution de sociétés : à partir de 5 000 F (HT) ;

- rédaction de baux : à partir de 3 000 F (HT) ;

Assistance à expertise :

- 1 000 F (HT) de l'heure + frais de déplacement ;

Consultations toutes matières :

- orales : à partir de 400 F (HT) ;

- écrites : à partir de 1 500 F (HT).

Qu'il est précisé que, " en matière de transaction réalisée avec le concours de l'avocat, les honoraires sont dus selon le barème indicatif", que " le barème sera révisé avant le 31 décembre de chaque année " et que " le présent barème sera porté à la connaissance de M. le procureur général, à toutes les autorités judiciaires qu'il appartiendra, aux avocats du barreau de Tarascon-sur-Rhône ainsi qu'à toutes les personnes intéressées "

Considérant que, par une exacte analyse de ce document, le Conseil a relevé que, présenté comme un barème indicatif, il comporte une liste de prestations juridiques ou judiciaires susceptibles d'être fournies par les avocats pour lesquelles sont indiqués soit des fourchettes d'honoraires, soit des montants minimums, soit, même, un montant déterminé d'honoraires ;

Que la Cour retient, en outre, que les chiffres mentionnés ne sont, dans le document lui-même, étayés par aucune étude explicite des frais et charges supportés par les cabinets d'avocats ;

Considérant que le Conseil a estimé que ledit document établi par l'Ordre des avocats au barreau de Tarascon, et par lui diffusé à ses membres, est constitutif d'une action concertée ayant eu pour objet et ayant pu avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence, de ce fait prohibée par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

1° Sur le caractère anticoncurrentiel des pratiques examinées :

Considérant que, comme le constatait déjà la commission de la concurrence dans son avis du 19 novembre 1981 concernant des recommandations publiées par le conseil de l'Ordre des avocats du barreau de Paris et relatives à leurs honoraires, le " juste montant de l'honoraire " et son explication sont l'objet des préoccupations actuelles de la profession; que les consommateurs de prestations juridiques ou judiciaires admettent de plus en plus difficilement de ne pas savoir, lorsqu'ils vont voir un avocat pour une consultation ou pour un procès, quel sera le montant de la rétribution de l'auxiliaire de justice ;

Considérant toutefois que cette recherche nécessaire de transparence et de prévisibilité du coût d'accès au droit ne saurait conduire à des pratiques faisant obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse;

Considérant, en l'espèce, que, pour contester l'existence de l'infraction retenue par le Conseil, l'Ordre requérant soutient, en premier lieu, que le document litigieux n'est ni un barème ni une mercuriale mais un document établi en référence aux honoraires habituellement pratiqués par ses membres; qu'il allègue à cette fin avoir nommé deux rapporteurs qui ont procédé à un examen de la situation en matière d'honoraires, ont interrogé différents cabinets d'avocats et que, après enquête, il a, en son Conseil, arrêté un barème indicatif constatant l'usage de son barreau en matière d'honoraires ;

Mais considérant qu'il n'est produit aucun document justifiant que le document litigieux a été préparé par des études sérieuses et objectives sur le coût des prestations et des charges des cabinets d'avocats ni des éléments fournis par ces derniers quant à leurs pratiques tarifaires habituelles propres à établir la réalité de l'usage invoqué; que la décision relève, au contraire, que le représentant et la secrétaire de l'Ordre, entendus lors de l'enquête, ont déclaré ou attesté que les montants d'honoraires pratiqués par les avocats du barreau de Tarascon étaient très généralement inférieurs à ceux proposés dans la " Charte " ;

Considérant qu'il est soutenu, en second lieu, que la " Charte ", qui rappelait en préliminaire le principe de liberté des honoraires et les critères de détermination édictés par la loi, ne visait pas à inciter les avocats concernés à normaliser ou augmenter leurs tarifs ;

Mais considérant que le Conseil a justement estimé que,nonobstant le rappel des dispositions légales; relatives à la fixation des honoraires et de son caractère indicatif, un tel document émanant de l'organe investi de l'autorité réglementaire et disciplinaire sur les membres de la profession, dont le représentant dispose, en outre, du pouvoir de se prononcer sur les réclamations formées sur les honoraires qu'ils facturent et proposant aux membres du barreau des prix praticables de leurs prestations (de ce fait assimilable à un barème, et se présentant comme tel) était de nature à inciter ceux-ci à fixer leurs honoraires selon les tarifs suggérés plutôt qu'en tenant compte des critères objectifs de gestion propres à leur cabinet ;

Qu'il est ainsi établi que le document en cause a un objet anti-concurrentiel ;

Considérant que, pour contester l'effet anticoncurrentiel du document en cause, l'ordre requérant se fonde sur le caractère indicatif du "barème" proposé à ses membres et prétend que, en réalité, il n'a pas été suivi ;

Mais considérant que, selon les motifs sus-énoncés, les indications de prix portées dans la " Charte " proposées par l'organe exerçant une autorité sur la profession, pouvaient inciter les avocats à s'y reporter pour fixer le montant des honoraires facturés à leurs clients; qu'il a donc pu avoir pour effet de limiter la libre fixation desdits honoraires en les incitant à ne pas les déterminer individuellement mais en se reportant aux indications chiffrées mentionnées dans la " Charte " ;

Qu'il n'est pas contesté que ledit document a été diffusé à l'ensemble des avocats du barreau de Tarascon et que deux d'entre eux (cote 83 à 85 et 92 à 94, auditions du 27 mai 1994) ont déclaré s'y référer, au moins partiellement, entre autres éléments d'appréciation, pour la fixation de leurs honoraires ;

Que l'effet potentiellement anticoncurrentiel des pratiques litigieuses est ainsi avéré ;

2° Sur l'application de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 :

Considérant, en troisième lieu, que, pour prétendre que les pratiques examinées ne sont pas soumises aux dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, l'Ordre requérant soutient qu'en établissant la " Charte" litigieuse, il a voulu satisfaire à une obligation légale prévue par l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971 qui lui impose d'établir les usages de son barreau en matière de fixation des honoraires; que, par application de l'article 35 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, ladite " Charte " était une méthode d'évaluation pour le calcul de l'honoraire complémentaire librement négocié entre l'avocat et son client bénéficiaire de l'aide juridictionnelle partielle; qu'elle devait, encore, permettre au bâtonnier et à ses délégataires de remplir la mission de règlement des litiges portant sur les honoraires entre les avocats et leurs clients, qui lui est dévolue par les articles 174 et suivants du décret du 29 novembre 1991, en disposant des usages tarifaires des membres du barreau; qu'enfin, ladite " Charte " avait été établie dans l'intérêt des clients, afin de rendre les honoraires clairs, explicables et prévisibles ;

Considérant qu'aux termes de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, ne sont pas soumises aux dispositions des articles 7 et 8 les pratiques :

1. Qui résultent de l'application d'un texte législatif ou d'un texte réglementaire pris pour son application ;

2. Dont les auteurs peuvent justifier qu'elles ont pour effet d'assurer un progrès économique et qu'elles réservent aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, sans donner aux entreprises intéressées la possibilité d'éliminer de la concurrence une partie substantielle des produits en cause ;

Considérant que l'Ordre requérant ne justifie pas en quoi l'entente tarifaire examinée résulte d'un texte législatif ou d'un texte réglementaire pris pour son application ;

Que l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971, qui dispose qu'à défaut de convention entre l'avocat et son client, l'honoraire est fixé selon les usages en fonction de la situation de fortune du client, de la difficulté de l'affaire, des frais exposés par l'avocat, de sa notoriété et des diligences de celui-ci, n'impose, ni n'autorise l'établissement et la diffusion d'un barème des honoraires; que s'il peut être admis ou recommandé, notamment pour le calcul de la partie librement négociée de l'honoraire perçu du client bénéficiaire de l'aide juridictionnelle partielle, l'élaboration, par les ordres, de méthodologie de calcul, la définition de tels principes d'évaluation des honoraires, si elle peut prendre en considération les paramètres intervenant dans la détermination des coûts de revient des prestations, ne peut se réduire à un tarif, fût-il indicatif ;

Qu'en outre, ainsi qu'il a été ci-dessus établi, il n'apparaît pas que le document litigieux soit fondé sur une étude sérieuse et objective du coût de revient des prestations concernées ou qu'il reproduise les usages du barreau de Tarascon en matière d'honoraires mais que, au contraire, il suggère des prix sensiblement supérieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués ;

Qu'il n'est pas davantage justifié que les pouvoirs conférés au bâtonnier, par application des articles 174 et suivant du décret du 27 novembre 1991, de se prononcer sur les réclamations en matière d'honoraires et de débours imposent ou même autorisent qu'il le fasse à partir d'éléments chiffrés préétablis et, a fortiori, contrairement à ce que soutient l'Ordre requérant, qu'un document comportant de telles normes soit diffusé à tous les membres du barreau, en tant que futurs bâtonniers ou délégataires ;

Considérant que, s'agissant du point 2 du texte précité, l'Ordre requérant ne propose pas de justifier que la " Charte " en cause a pour effet d'assurer un progrès économique et qu'elle réserve aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, sans lui donner la possibilité d'éliminer de la concurrence une partie substantielle des produits en cause ;

Que, fût-il réel, l'objectif invoqué de transparence dans les rapports entre l'avocat et son client n'a pu produire aucun effet dès lors que, ainsi que l'a constaté le Conseil, la " Charte " n'était pas à la disposition des justiciables ni par publication, affichage ou diffusion, ni même par communication au secrétariat de l'ordre ;

3° Sur l'effet sensible des pratiques examinées :

Considérant, en quatrième lieu, que l'Ordre requérant soutient que, à défaut d'effet sensible sur la concurrence, la " Charte " litigieuse ne tombe pas sous le coup de la prohibition édictée par l'article 7 de l'ordonnance du la décembre 1986 ;

Mais considérant que,dès lors qu'il est établi que la pratique examinée avait un objet anticoncurrentiel, le Conseil avait le pouvoir de l'interdire et de la sanctionner ;

Qu'en outre, une telle pratique concertée dans le montant des honoraires d'avocats et concernant l'essentiel de leur activité, impliquant par sa diffusion à l'initiative de l'autorité ordinale tous les membres du barreau de Tarascon, a nécessairement pu avoir un effet sensible sur le marché local des prestations juridiques et judiciaires relevant, au surplus, du monopole édicté par l'article 4 de la loi du 31 décembre 1971 ;

3. Sur les injonction et sanction :

1° Sur la légalité de l'injonction :

Considérant que l'ordre requérant prétend que telle qu'elle est formulée, est illégale l'injonction édictée par le Conseil, qui lui interdirait, en général, l'établissement de méthodes d'évaluation d'honoraires ;

Considérant qu'ayant relevé que la " Charte " portait, en ses dispositions finales que le barème, serait révisé avant le 31 décembre de chaque année, le Conseil a pu interdire l'établissement et la diffusion de toute nouvelle édition d'une " Charte " au contenu identique à celui du document regardé comme illicite; que toutefois, pour répondre au grief de généralité et d'imprécision que l'ordre requérant entend déduire de la formulation de l'injonction, celle-ci sera, par voie de réformation, modifiée conformément au dispositif du présent arrêt ;

2° Sur la légalité de la sanction :

Considérant que, pour contester la légalité de la sanction pécuniaire prononcée à son encontre, l'ordre requérant soutient, d'abord, que la " Charte " n'a eu aucun effet sensible sur le marché ;

Mais considérant que l'appréciation concrète de la portée de l'accord examiné dans le marché pertinent et de l'atteinte sensible au jeu de la concurrence n'est pas une condition de prononcé de la sanction mais de l'existence de l'infraction aux articles 85 et 86 du traité instituant la Communauté économique européenne comme aux articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986;

Considérant que l'ordre requérant soutient, ensuite, que le Conseil, qui n'a pas motivé le prononcé de la sanction, n'a pas caractérisé le dommage causé à l'économie et que son montant est sans proportion avec sa situation et les ressources de son barreau ;

Considérant qu'aux termes de l'article 13, alinéa 3, de l'ordonnance du 1er décembre 1986, les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné; qu'elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction; que selon l'alinéa 4, le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise; de 5 % du montant du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos; que si le contrevenant n'est pas une entreprise, le maximum est de dix millions de francs ;

Considérant que, pour apprécier la proportionnalité de la sanction prononcée, le Conseil a retenu que le document en cause donnait des indications d'honoraires, comportant notamment des montants minimums, pour une liste d'une quarantaine de prestations concernant de nombreuses procédures devant les différentes juridictions; que la gravité des pratiques doit s'apprécier en tenant compte de la circonstance que ledit document a été diffusé à l'ensemble des membres du barreau concerné; que le ministère d'avocat est, s'agissant de différentes procédures, obligatoire; qu'en outre, le Conseil de l'Ordre des avocats du barreau de Tarascon ne pouvait ignorer les dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986; qu'enfin, pour l'année 1995, les ressources de l'ordre des avocats du barreau de Tarascon se sont élevées à 580 000 F ;

Le Conseil a ainsi, par une décision motivée, apprécié, d'une part, le dommage causé à l'économie en référence à l'ampleur des prestations concernées par le barème examiné et à la généralité de sa diffusion sur le marché local relativement étroit des prestations judiciaires et juridiques; qu'il a, d'autre part, examiné la gravité relative des pratiques en fonction du monopole légal dont disposent les avocats pour la fourniture des prestations visées par la pratique concertée et de leur connaissance nécessaire de l'illicéité des pratiques tarifaires mises en œuvre, en raison des décisions déjà prises par l'autorité de la concurrence en matière d'honoraires, en particulier, de l'avis de la Commission de la concurrence, du 19 novembre 1981, concernant des recommandations publiées par le Conseil de l'Ordre des avocats du barreau de Paris en janvier 1977 et en janvier 1979 et relatives à leurs honoraires ;

Que s'agissant de sa situation, l'Ordre requérant soutient que le montant de la sanction représente 13,79 % de ses ressources annuelles (de 580 000 F) et qu'il ne compte qu'une soixantaine d'avocats qui, du fait de la crise économique, n'ont que de faibles revenus ;

Considérant que s'agissant d'un organisme, et non d'une entreprise, le quantum de la sanction ne s'apprécie pas en proportion de ressources annuelles qui n'ont pas le caractère d'un chiffre d'affaires mais au regard du montant maximum fixé par le texte précité ;

3° Sur le montant de la sanction :

Considérant que le montant modéré de la sanction prononcée (80 000 F) tient exactement compte du nombre restreint des membres du barreau concerné et du montant moyen justifié de leurs facultés contributives à l'ordre(la moyenne pondérée du bénéfice annuel par avocat est de 268 931 F) ;

Par ces motifs : Déclare irrecevable les moyens contenus dans le mémoire déposé le 4 septembre 1997 par l'Ordre des avocats du barreau de Tarascon-sur-Rhône ; Réformant la décision attaquée quant au libellé de la première partie de l'injonction édictée par la décision attaquée, enjoint à l'Ordre des avocats du barreau de Tarascon-sur-Rhône de ne plus diffuser de " Charte en matière d'honoraires " contenant l'indication de montants, de minimum ou de fourchette d'honoraires ; Rejette le recours pour le surplus ; Condamne l'Ordre des avocats du barreau de Tarascon-sur-Rhône aux dépens.