CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 3 juin 1993, n° ECOC9310095X
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Digne-les-Bains (Commune), Comps-sur-Artuby (Commune), Limans (Commune), Pierrefeu-du-Var (Commune), Union régionale PACA de la CFDT, Confédération paysanne 04
Défendeur :
Matra-Hachette (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Canivet
Conseillers :
MM. Guerin, Jacomet, Mmes Nerondat, Kamara
Avocats :
Mes Bihl, Simonel.
Par décision n° 92-D-54 du 6 octobre 1992, le Conseil de la concurrence (le conseil) a déclaré irrecevable la saisine des communes de Digne-les-Bains, Comps-sur-Artuby, Limans, Pierrefeu-du-Var, de l'Union Régionale PACA, de la CFDT et de la Confédération paysanne 04, reprochant au groupe Hachette de s'être fait attribuer par le Conseil supérieur de l'audiovisuel, au mois de janvier 1991, des fréquences radio dans la région Provence-Alpes- Côte-d'Azur, en violation des articles 1er, 29 et 41-2 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 et du principe de libre concurrence qu'ils énoncent.
Aux motifs de sa décision le Conseil a estimé :
- d'une part, que le contrôle des décisions par lesquelles le Conseil supérieur de l'audiovisuel accorde ou renouvelle les autorisations d'usage de fréquences hertziennes, au regard des dispositions de la loi du 30 septembre 1986 susvisée, n'entre pas dans son champ de compétence ;
- d'autre part, que, si les parties saisissantes soutiennent que l'attribution de fréquences a placé le groupe Hachette en position dominante dans la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur, ces affirmations ne sont assorties d'aucun élément de nature à prouver l'existence d'action concertée ou d'abus de la part de ce groupe.
Ayant formé un recours contre cette décision, les communes et organisations susnommées prétendent que :
- l'ordonnance du 1er décembre 1986 confère au conseil une compétence générale pour connaître des pratiques prohibées par ses articles 7 et 8 et qu'au surplus l'article 41-4 de la loi du 30 septembre 1986 lui prescrit de veiller au respect du principe de liberté de la concurrence dans le secteur de la communication audiovisuelle;
- les demandes d'attribution de fréquences radio du groupe Hachette dans la région Provence- Alpes-Côte-d'Azur violent les dispositions des articles 1er, 29 et 41-2 de la loi du 30 septembre 1986 susvisée et caractérisent de ce fait un abus de position dominante.
Les requérantes prient en conséquence la Cour de réformer la décision du conseil, de dire que l'attribution de 45 fréquences au groupe Hachette constitue une violation de l'article 41-2 de la loi du 30 septembre 1986 et porte atteinte à la libre concurrence ainsi qu'à l'égalité de traitement garanti par l'article 1er de ladite loi.
Mise en cause d'office par application de l'article 7, alinéa 2, du décret n° 87-849 du 19 octobre 1987, la société Matra-Hachette soutient pour conclure au rejet du recours :
- que les requérantes n'ont ni qualité ni droit à agir ;
- que le conseil est incompétent pour juger des décisions d'attribution de fréquence rendues par le Conseil supérieur de l'audiovisuel ;
- qu'elle ne bénéficie que de quatre attributions de fréquence dans la région concernée par la société Europe 1 dont elle contrôle 39,79 p. 100 du capital et ne peut par conséquent se trouver en position dominante.
Le conseil n'a pas usé de la faculté de déposer des observations écrites.
Le ministre de l'économie et des finances estime que le conseil a déclaré à bon droit la saisine irrecevable.
Le Ministère Public a oralement conclu au rejet du recours.
Sur quoi, LA COUR,
Considérant que les règles définies par l'ordonnance du 1er décembre 1986 précitée s'appliquent sans restrictions à toutes les activités de production, de distribution et de service; qu'aucune des dispositions du titre III n'exclut de la compétence du conseil les pratiques anticoncurrentielles commises dans le secteur de la communication audiovisuelle, mais qu'au contraire l'article 41-4 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de la communication lui donne mission de veiller à la liberté de la concurrence dans ce secteur selon les règles et conditions prévues par l'ordonnance précitée;
Considérant que, si l'alinéa 3 de l'article 41-4 de la loi du 30 septembre 1986 permet au Conseil supérieur de l'audiovisuel de saisir le Conseil de la concurrence des abus de position dominante et des pratiques entravant le libre exercice de la concurrence dont il pourrait avoir connaissance dans le secteur de la communication audiovisuelle, ce texte ne réserve pas pour autant à cette seule autorité le pouvoir de mettre en œuvre les dispositions des articles 11 et suivants de l'ordonnance du 1er décembre 1986 dans ce secteur économique;
Considérant qu'aux termes des articles 5 et 11 de ladite ordonnance le conseil peut notamment être saisi par les collectivités territoriales et les organisations professionnelles et syndicales pour toute affaire qui concerne les intérêts dont elles ont la charge ;
Considérant que la situation locale de la communication audiovisuelle entre dans les intérêts dont les communes ont la charge ;qu'en conséquence la saisine et le recours des collectivités publiques ci-dessus citées sont recevables ;
Considérant qu'aux termes de l'article 19 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 le conseil peut déclarer la saisine irrecevable s'il estime que les faits invoqués n'entrent pas dans le champ de sa compétence ou ne sont pas appuyés d'éléments suffisamment probants ;
Considérant que les requérantes estiment que l'attribution de fréquences hertziennes au groupe Hachette, selon elles en violation des dispositions de la loi du 30 septembre 1986, constitue de sa part l'exploitation abusive d'une position dominante ;
Mais considérant que les documents qu'elles versent aux débats ne relèvent ni même ne laissent supposer que ce groupe occupe une position dominante sur le marché des programmes radiophoniques dans la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur ; qu'une telle situation ne peut en tout cas se déduire de l'attribution, le 18 janvier 1991, de quatre fréquences locales sur les sites d'Aix-en-Provence, Avignon, Gap et Nice à la société Europe 1, la seule société du groupe concernée, ni des parts d'autres filiales sur le marché de la presse quotidienne ; que c'est, par conséquent à bon droit que le conseil a déclaré le recours irrecevable ;
Qu'il s'ensuit que le recours doit être rejeté ;
Considérant que le montant des frais non compris dans les dépens exposés par la société Matra-Hachette doit être fixé à la somme de 10.000 F.
Par ces motifs, Rejette le recours ; Condamne les communes de Digne-les-Bains, Comps-sur- Artuby, Limans, Pierrefeu-du-Var, l'Union régionale PACA de la CFDT et la Confédération paysanne 04 à payer à la société Matra-Hachette une somme de 10.000 F par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; Les condamne aux dépens.