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Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 3 décembre 1998, n° ECOC9810409X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Frerot, Marcelis, Perraudeau, Noly

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pinot

Avocat général :

M. Woirhaye

CA Paris n° ECOC9810409X

3 décembre 1998

La cour statue sur le recours formé par la société civile professionnelle Frerot-Marcelis-Perraudeau et Noly (ci-après la société Frerot), exploitant, à Agen, un laboratoire d'analyses de biologie médicale, contre la décision du Conseil de la concurrence n° 98-D-25 du 17 mars 1998 qui lui a infligé une sanction pécuniaire de 20 000 F à raison de pratiques relevées dans le secteur des analyses de biologie médicale.

Référence étant faite à la décision du conseil pour l'exposé des faits, il suffit de mentionner ici qu'à la suite de la communication, le 27 septembre 1989, d'un projet d'arrêté ministériel modifiant, dans un sens défavorable aux laboratoires d'analyses de biologie médicales, la nomenclature des actes de biologie médicale, plusieurs organisations professionnelles de biologistes ont organisé des réunions au cours desquelles furent adoptées des mesures de boycott à l'égard de certains fabricants de produits dits réactifs, utilisés pour effectuer certaines analyses, parmi lesquels la société Oris, et de certains laboratoires pratiquant des analyses très spécialisées.

Saisi le 31 décembre 1991 par le ministre de l'Economie, le conseil, considérant qu'il était établi que plusieurs organisations professionnelles et laboratoires d'analyses de biologie médicale, dont la société Frerot, avaient enfreint les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, leur a infligé des sanctions pécuniaires.

La société Frerot a formé un recours contre cette décision.

Concluant à sa réformation, elle demande à la cour de constater que les éléments constitutifs de la pratique anticoncurrentielle qui lui est imputée ne sont pas réunis et de dire, en conséquence, qu'il n'y a pas lieu au prononcé d'une sanction pécuniaire à son encontre.

La requérante fait essentiellement valoir, au soutien de sa déclaration de recours du 10 juillet 1998 :

- qu'échappe à la qualification d'entente illicite et par voie de conséquence à toute sanction le comportement de celui qui, après avoir formé le projet de s'associer à une mesure de boycott, est revenu spontanément sur sa décision avant de lui avoir donné le moindre effet ;

- qu'en l'occurrence, si elle a effectivement formé le projet de boycotter l'un de ses fournisseurs de réactifs, et le lui a même fait savoir, elle a finalement choisi, sans y avoir été le moins du monde contrainte, de ne donner aucune suite à son projet.

La société Frerot précise, à cet égard, que les commandes de produits réactifs CA 15.3, qui faisaient le fond de ses relations avec la société Oris, ont été maintenues, sans restriction aucune en 1990, 1991 et 1992 et que la disparition en 1990 des analyses de PSA et de CA 19.9 dans la nomenclature de celles confiées à la société Oris est sans rapport avec la prétendue mesure de boycott ; qu'en effet, après avoir, en 1989, confié à Oris, à titre de simple essai, la fourniture de quelques-unes de ces analyses, qu'elle achetait auparavant à la société Biotrol, elle a fait, en 1990, l'acquisition auprès de la société Abbott d'un appareil automatique adapté à son volume d'examens et permettant de faire le dosage des réactifs PSA et CA 19.9, de sorte qu'elle n'a plus eu besoin des services de ses précédents fournisseurs.

Le ministre chargé de l'Economie relève, dans ses observations écrites tendant au rejet du recours, que la SCP Frerot et les autres laboratoires d'analyses médicales sanctionnés par le Conseil de la concurrence ont décidé une action concertée ayant pour objet le boycott de certains fabricants de produits réactifs et que cette société a effectivement mis en œuvre, même si c'est de manière partielle, le boycott ainsi organisé.

Il note, sur ce point, que l'explication de la disparition en 1990 des analyses PSA et CA 19.9 dans la liste de celles confiées à la société Oris, avancée par la SCP Frerot, à savoir l'acquisition d'un appareil lui permettant de faire le dosage de ces réactifs, est inopérante puisque le contrat de crédit-bail conclu avec la société Abbott relativement audit appareil est daté du 8 octobre 1990, soit bien après la cessation des commandes de produits PSA et CA 19.9 par le laboratoire d'analyses Frerot à la société Oris.

Le Conseil de la concurrence a également présenté des observations écrites tendant au rejet du recours de la SCP Frerot.

Aux termes de ses conclusions en réplique du 8 octobre 1998, cette dernière réaffirme qu'elle s'est bornée à annoncer son intention de boycotter la société Oris, sans avoir mis cette intention à exécution.

La société requérante ajoute qu'infondé au regard du volume global des affaires réalisé avec la société Oris, puisque celui-ci représentait, en 1989, le double de celui réalisé en 1988, le grief de boycott formulé à son encontre n'est pas davantage justifié au regard des commandes spécifiques de produits PSA et CA 19.9 pour lesquelles elle n'a fait qu'exercer sa liberté de choix de ses fournisseurs.

Elle fait valoir, s'agissant du PSA, qu'elle a pour fournisseur habituel la société Biotrol et qu'après avoir fait l'essai, en 1989, d'un coffret PSA fourni par la société Oris, elle a de nouveau passé commande à Biotrol dans la mesure où ce dernier produit ne lui a pas convenu et, s'agissant du réactif CA 19.9, que le produit de la société Oris était nouveau en 1989 et qu'après avoir passé quelques commandes au cours de cette année, elle s'est aperçue qu'elle n'avait pas un nombre suffisant d'analyses de ce type pour le rentabiliser et a donc décidé, une fois son stock épuisé, en août 1990, de cesser d'effectuer elle-même ces analyses et de les sous-traiter auprès d'un laboratoire de Bordeaux et de celui du centre hospitalier d'Agen.

Le Ministère Public, dans ses observations orales, a conclu à la recevabilité du recours de la SCP Frerot et au rejet dudit recours.

Le représentant de la SCP Frerot, qui a eu la parole en dernier, a pu répondre à l'ensemble des observations écrites et orales.

Sur quoi, LA COUR :

Considérant que le 27 septembre 1989 un projet d'arrêté modifiant la nomenclature des analyses de biologie médicale et révisant à la baisse les coefficients affectés à un certain nombre de ces actes, en particulier au chapitre "chimie biologique", correspondant aux analyses les plus courantes, a été présenté aux organisations représentatives des directeurs de laboratoires ;

Considérant que l'instruction a mis en évidence que plusieurs de ces organisations ont alors manifesté leur désaccord en organisant, à l'échelon national ou régional, des réunions à l'occasion desquelles a été décidée la mise en œuvre d'une politique de boycottage à l'égard des fabricants français de produits réactifs et de certains laboratoires effectuant des analyses spécialisées ;

Que c'est ainsi que s'est tenue, à Bordeaux, le 9 octobre 1989, à l'initiative de l'association des biologistes d'Aquitaine, une réunion au cours de laquelle a, notamment, été proposé le boycott de certains fournisseurs de réactifs, et plus particulièrement de la société Oris, ainsi que ses filiales, et que le 11 octobre 1989, lors d'une assemblée générale extraordinaire, le groupement des biologistes de la Dordogne a décidé d'engager un boycott des fabricants français de réactifs et de matériels de laboratoire ;

Considérant que, par lettre du 13 octobre 1989, la société Frerot informait la société Oris qu'à dater du 16 octobre 1989, elle ne lui passerait plus commande "d'aucun réactif étant donné votre collusion avec les représentants du ministère dans le but de diminuer les actes de biologie" ;

Considérant qu'il résulte des termes mêmes de ce courrier, éclairés par le contexte dans lequel il a été adressé à la société Oris, que la requérante s'est associée aux consignes de boycottage émises lors de réunions professionnelles par certaines assemblées de biologistes à l'encontre de fabricants de réactifs ;

Que cette pratique, constitutive d'action concertée et anticoncurrentielle par son objet, est prohibée par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, peu important qu'elle n'ait eu qu'un impact limité, voire très limité, en termes de chiffre d'affaires, sur le marché, du moins sur celui des réactifs de laboratoires, distinct du marché des analyses spécialisées ;

Considérant que le conseil, après avoir relevé que certains exploitants de laboratoires d'analyses de biologie médicale avaient exprimé leur volonté de participer à l'action de boycottage, a toutefois estimé qu'il n'y avait pas lieu de prononcer une sanction pécuniaire à l'encontre de ces entreprises dès lors qu'il n'était pas établi qu'elles avaient mis leurs menaces à exécution ; que la société Frerot soutenant qu'elle s'est, elle aussi, bornée à annoncer son intention de boycotter la société Oris sans donner aucune suite à ce projet, fait grief au conseil de lui avoir infligé une sanction pécuniaire ;

Mais considérant que s'il est vrai que la société requérante n'a pas cessé de s'approvisionner auprès de la société Oris postérieurement au 13 octobre 1989 puisqu'elle a maintenu ses commandes de produits réactifs dénommés CA 15.3, lesquelles représentaient l'essentiel de ses relations avec ce fournisseur, il n'en est pas moins vrai que les analyses PSA et CA 19.9 ont disparu, après cette date, de la liste des produits livrés par ce dernier ;

Considérant que ni les explications de l'arrêt des commandes successivement avancées par la société Frerot, à savoir l'acquisition d'un appareil auprès de la société Abbott et le simple exercice de sa liberté de choix de ses fournisseurs, ni les pièces produites visant à accréditer cette dernière thèse n'emportent la conviction ; que cette argumentation est, au demeurant, en contradiction avec les déclarations faites le 7 septembre 1990, au cours de l'enquête, par MM. Marcelis et Noly, cogérants de la société requérante, selon lesquelles, face à la situation créée par la baisse importante du chiffre d'affaires (-10 %) et du résultat (- 30 %) devant résulter de l'entrée en vigueur de l'arrêté ministériel et devant le peu d'efficacité des organisations professionnelles, ils ont eu une "réaction de défense qui a consisté à stopper partiellement nos achats à un laboratoire soupçonné d'avoir joué un rôle négatif", à savoir Oris, filiale du CEA ;

Considérant qu'aux termes de l'article 13, alinéa 3, de l'ordonnance précitée, les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné ;

Considérant que le boycott constitue une pratique grave par nature:

qu'il convient toutefois de tenir compte, pour mesurer l'importance du dommage causé à l'économie de la circonstance que cette pratique n'a pas eu de conséquences appréciables sur l'activité des fabricants de produits réactifs, et en particulier de la société Oris ; qu'il y a lieu, en outre, de relever que la société Frerot n'a que partiellement mis en œuvre la mesure de rétorsion collective à laquelle elle avait adhéré ;

Qu'il résulte de ce qui précède que la sanction pécuniaire prononcée par le conseil satisfait à l'exigence de proportionnalité formulée par le texte précité,

Par ces motifs : Rejette le recours ; Condamne la société civile professionnelle Frerot-Marcelis-Perraudeau et Noly aux dépens.