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Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 24 mars 1998, n° ECOC9810096X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

CEP Exposium (SA), Reed-Oip (SA)

Défendeur :

Syndicat national de la publicité sur le lieu de vente, Institut français de la communication et de la publicité sur le lieu de vente, Popai Europe (Association)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pinot

Avocat général :

M. Salvat

Conseillers :

Mme Beauquis, M. Carre Pierrat

Avoués :

SCP Taze-Bernard-Belfayol-Broquet, SCP Duboscq-Pellerin

Avocats :

Mes Beauront, Medrjevetzki Bensahel, Moirat.

CA Paris n° ECOC9810096X

24 mars 1998

Le 19 juin 1997, la société CEP Exposium, organisatrice de salons professionnels et de manifestations économiques, a saisi le Conseil de la concurrence (le conseil) de pratiques anticoncurrentielles prétendument mises en œuvre par le Syndicat national de la publicité sur le lieu de vente (SNPLV), l'Institut français de la communication et de la publicité sur le lieu de vente (IFCPLV) et l'association Popai Europe à l'occasion de l'organisation du salon de la publicité sur le lieu de vente (PLV) devant se tenir du 7 au 10 octobre 1997, et a sollicité le prononcé de mesures conservatoires.

Par décision n° 97-D-38 du 16 juillet 1997, le conseil, estimant que les éléments soumis à son appréciation n'étaient pas suffisamment probants, a déclaré, par application de l'article 19 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, la saisine irrecevable.

La société CEP Exposium a formé un recours visant à la réformation de cette décision en faisant valoir :

- que le SNPLV, l'IFCPLV et l'association Popai Europe, qui constituent les trois organismes professionnels représentant la profession, auraient usé de pratiques caractérisant une exploitation abusive de la position dominante détenue sur le marché de la PLV par incitation au boycott de ce salon, par dénigrement de son organisateur et par entente, lesquelles pratiques avaient pour objet et ont eu pour effet d'entraîner un comportement collectif d'abstention des professionnels de la PLV concernant la tenue dudit salon, et de favoriser, par leur entente, un salon concurrent, organisé sous leur égide, par la société Reed Oip;

- que le dénigrement apparaîtrait dans deux publications adressées par l'IFLPLV - Popai Europe à ses adhérents mettant en doute ses capacités professionnelles et contenant des énonciations de nature à porter atteinte à l'image, à la réputation et à l'intégrité de l'organisateur;

- que l'appel constant de la solidarité des professionnels de la PLV contre elle résulterait de courriers, de diverses publications, des propos tenus par le président et par les membres du conseil d'administration de l'IFSPLV - Popai Europe lors de l'assemblée générale ordinaire du 27 février 1997, ainsi que de la publication de la liste des sociétés de PLV ayant décidé de ne pas participer aux manifestations par elle organisées, ce qui a suscité le désistement de deux sociétés pré-inscrites;

- que les pratiques incriminées auraient eu sur le marché et à l'égard de la société CEP Exposium des effets immédiats et prévisibles puisque, en dépit des efforts déployés, la diminution du chiffre d'affaires serait significative et qu'elles seraient susceptibles de compromettre les conditions de la concurrence " dans l'accès et la participation au salon " ainsi que son propre maintien, la valeur d'acquisition du fonds de commerce de ce salon se trouvant fortement dépréciée;

- que les sanctions pécuniaires devraient être appréciées au regard de la gravité des pratiques mises en œuvre manifestant la volonté supposée de ces trois organismes professionnels de détourner le salon de la PLV à leur compte, d'une part, de l'importance prétendue du dommage causé à l'égard de la concurrence au sein du salon en cause et sur le marché de la PLV, d'autre part, et encore de la disparition alléguée d'une partie importante de son fonds de commerce;

- que la société Reed-Oip, qui ne pouvait ignorer que le salon PLV appartenait à la société CEP Exposium, aurait soutenu les organismes professionnels, notamment à l'occasion de la mise en place du boycott et la promotion du nouveau salon, devrait être également sanctionnée.

La société CEP Exposium demande en conséquence à la Cour :

- de dire établi l'abus de position dominante par " dénigrement, appel au boycott et par entente " imputables à la SNPLV, l'IFCPLV, l'association Popai Europe et la société Reed-Oip;

- de condamner ceux-ci au paiement des plus lourdes amendes pécuniaires;

- d'ordonner à la SNPLV, l'IFCPLV et l'association Popai Europe de cesser toute incitation au boycott du salon de la PLV organisé par la société CEP Exposium, par appel à la solidarité ou sous toute autre forme et de cesser toute entente entre eux, et d'adresser à leurs membres et à tous autres destinataires éventuels du documents intitulé La lettre de l'IFSPLV - Popai Europe dans les huit jours de la notification du présent arrêt, annulant expressément les termes :

-- du supplément de la lettre n° 16 de l'IFSPLV - Popai Europe intitulée Dernière minute du 28 février 1997,

-- de la lettre du 7 mai 1997, intitulée Spécial Salon;

-- du numéro Spécial salon de la PLV de La lettre de l'IFSPLV - Popai Europe;

- d'ordonner la publication du présent arrêt, aux frais de ceux-ci, dans les trois mois de sa notification, dans les journaux et publications suivants : Europv, LSA, Stratégie.

Défendeurs au recours, le SNPLV, l'IFCPLV et l'association Popai Europe soutiennent :

- que l'abus de position dominante ne serait pas établi dans la mesure où sur le marché pertinent à retenir, à savoir le marché des salons en général, et celui des exposants de PLV au sein d'un salon plus particulièrement, les trois associations concernées, d'une part, n'auraient pas la qualité d'entreprise pour n'avoir aucune activité commerciale, d'autre part, ne seraient pas susceptibles d'occuper une position dominante, elles-mêmes n'exerçant pas d'activité d'exposant et leurs adhérents, eux-mêmes rassemblés, n'occupant pas sur ce marché une telle position et enfin en l'absence de domination du marché;

- que la preuve de l'atteinte prétendue à la concurrence sur le marché pertinent ne serait pas rapportée, la création d'un nouveau salon concurrent constituant une ouverture à la concurrence mettant fin à la situation monopolistique détenue par la société CEP Exposium, et alors qu'aucune critique sérieuse ne pourrait être formulée sur les conditions de la rémunération sollicitée au titre du parrainage, pas plus que sur le caractère prétendument discriminatoire de la future tarification adoptée par les organisateurs du nouveau salon;

- que le parallélisme de comportement des adhérents de la SNPLV, invoqué par la société CEP Exposium pour établir l'entente alléguée entre les organisations professionnelles et leurs membres ne procéderait nullement d'une entente prohibée mais serait exclusivement dicté par l'intérêt de la profession et s'expliquerait par les caractéristiques du marché;

- que le dénigrement allégué ne saurait résulter des écrits incriminés, lesquels traduisent la défense des intérêts individuels et collectifs de la profession et des membres la composant;

- que l'incitation au boycott, alléguée mais non établie, ne traduirait que la crainte ressentie par la société CEP Exposium d'une concurrence entre les organisateurs de salons et sa volonté de conserver une situation de monopole de fait, alors que l'appel à la solidarité entre les organisations professionnelles et leurs membres ne traduirait que la convergence des objectifs professionnels à atteindre et la promotion de ceux-ci;

- que les mesures sollicitées par la société CEP Exposium seraient dénuées de fondement, le salon en cause étant terminé, que ni l'économie du secteur concerné, ni l'intérêt des consommateurs ne subiraient d'atteinte grave et immédiate en raison du comportement allégué, et alors que la requérante ne serait pas fondée, sauf à opérer un amalgame entre sa qualité de propriétaire d'une marque et celle d'organisateur de salon, à se prévaloir de la dépréciation de la valeur de son fonds de commerce en raison du manque à gagner enregistré à l'occasion de la tenue du salon de l'année 1997.

Ils demandent de dire que les pratiques alléguées n'entrent pas dans le champ d'application des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, et, en tout état de cause seraient justifiées au regard de l'article 30 de ladite ordonnance, de débouter la société CEP Exposium de l'ensemble de ses prétentions, et en conséquence de confirmer la décision entreprise, sollicitant en outre le bénéfice des dispositions de l'article 700 du NCPC.

Également défenderesse au recours, la société Reed Oip conclut à la confirmation de cette décision en faisant observer que la demande de condamnation formée par la société CEP Exposium à son encontre reposerait sur sa solvabilité ou sa capacité financière sans justifier en quoi son comportement révélerait une pratique anticoncurrentielle qui lui soit imputable.

Le ministre chargé de l'économie conclut à l'annulation de la décision du Conseil de la concurrence en ce que l'irrecevabilité de la demande de la société CEP Exposium a été prononcée et au renvoi de l'affaire devant le conseil pour instruction en faisant valoir que les écrits incriminés seraient susceptibles de caractériser un dénigrement à l'encontre de la société CEP Exposium et que plusieurs documents produits à l'appui du moyen tenant à l'incitation au boycott pourraient revêtir le caractère d'une pratique concertée ayant pour objet et pour effet de diminuer de manière notable le nombre des entreprises participant au salon de la société CEP Exposium, susceptible de constituer une tentative d'éviction de ce marché.

Le ministère public conclut oralement à la confirmation de la décision.

Sur quoi LA COUR,

Considérant que la société CEP Exposium rappelle dans ses écritures qu'elle ne remet en cause ni le choix d'un nouvel organisateur, ni la création d'un nouveau salon par l'association Popai Europe, mais le comportement adopté par ces organismes professionnels à l'occasion de la décision de créer leur propre salon et précise que son action est exclusivement fondée sur le dénigrement commis à son endroit et sur l'appel au boycott solidaire du salon PLV 1997;

Considérant que, pour caractériser le dénigrement allégué, la société CEP Exposium s'appuie, d'une part, sur la lettre émanant de l'IFSPLV Popai Europe du 7 mai 1997 intitulée Spécial Salon aux termes de laquelle il était rendu compte aux adhérents de la situation concernant le futur salon parrainé par (notre) organisation en précisant que celle-ci a décidé de mettre fin à toute relation avec l'ancien salon et son organisateur, d'autre part, sur le numéro spécial de la lettre diffusée par l'IFSPLV Popai Europe relatant tes conditions dans lesquelles le SNPLV, l'IFCPLV et l'association Popai Europe avaient décidé d'interrompre leur collaboration avec la société CEP Exposium et de ne plus lui accorder aucun soutien ni parrainage au salon de la PLV du 7 au 10 octobre 1997 en énonçant qu'il appartenait dorénavant à l'association de rendre leur principal moyen de promotion et de commerce puissant, international, attirant et intéressant pour un maximum de clients et de prospects, de choisir son nom, son positionnement, ses axes de développement, sa signalétique et ses actions de promotion, et en précisant encore que, " une part équitable des profits résultant de l'exploitation du salon de notre profession retournera à notre métier, au lieu d'aller comme auparavant en quasi-totalité dans les caisses de l'organisateur ";

Mais considérant que le premier de ces documents ne contient aucune énonciation de nature à porter atteinte au crédit de la SNPLV;

Que le second ne comporte pas de critiques " sournoisement induites " comme le prétend la requérante sur sa capacité à organiser le salon en cause dès lors que se trouvent seulement arrêtées les orientations susceptibles de rendre plus attractive et plus conforme aux intérêts des membres des organismes professionnels la nouvelle manifestation mise en place sous leur parrainage;

Que la simple référence au profit que pouvait obtenir la société CEP Exposium de l'exploitation du salon est insuffisante à caractériser un acte de dénigrement;

Que la preuve d'un abus n'étant pas établie, il n'y a pas lieu d'examiner la position dominante prétendument occupée par le SNPLV, l'IFCPLV et l'association Popai Europe sur le marché de la publicité sur le lieu de vente;

Considérant que le grief d'incitation au boycott implique que soit caractérisée la mise en œuvre de pratiques concertées tendant à évincer du marché pertinent;

Que, pour soutenir que les organismes professionnels en cause n'ont cessé de formuler des appels constants à la solidarité de leurs membres entraînant un comportement collectif d'abstention portant une atteinte grave et immédiate à l'économie de ce secteur d'activité puisque son chiffre d'affaires, à la fin de la période de commercialisation, a marqué une diminution très importante 10 MF à 3,5 MF, de sorte que, si cette situation devait perdurer, son maintien sur le marché serait compromis, tandis que serait recréé un monopole au profit des trois organisations concernées, la société CEP Exposium fait état de divers documents tantôt exprimant l'appel au boycott et à la solidarité, tantôt marquant l'effet d'entraînement;

Considérant que la lettre du 16 janvier 1997, émanant de l'IFSPLV Popai Europe se borne à exprimer sa sympathie à l'égard de la société CEP Exposium à l'occasion du non-renouvellement du contrat de collaboration la liant à l'association Popai Europe;

Que si le procès-verbal de l'assemblée générale de l'IFCPLV tenue le 27 février 1997, fait état, après avoir pris acte de l'échec des négociations menées entre la société CEP Exposium et l'association Popai Europe de l'engagement des membres du conseil d'administration, lesquels occupaient lors du salon précédent des surfaces de stands significatives, il reste que la décision adoptée par les vingt-neuf sociétés de PLV présentes et les quatre sociétés membres partenaires de ne pas participer au salon en cause exprime l'intérêt de la profession pour la tenue d'un nouveau salon répondant de manière plus adaptée à leur attente;

Que le supplément de la lettre n° 16 de l'IFSPLV Popai Europe comporte la liste des sociétés de PLV ayant décidé de ne participer ni à la manifestation dite " les Oscars européens de la PLV " ni au " Salon PLV 1997 " et ont exprimé leur souhait de participer à un concours et à un salon à Paris, début 1998, sous l'égide de l'association Popai Europe, il reste que la manifestation organisée par la société CEP Exposium est rappelée;

Que le supplément Spécial Salon ne remet pas en cause cette manifestation et, de plus, annonce la convocation à une prochaine assemblée générale;

Que, lors de la tenue de cette assemblée générale de l'IFCPLV, le 11 juin 1997, il a été précisé que " chaque membre de l'association garde individuellement son pouvoir de décision et notamment son droit de participer également à d'autres manifestations professionnelles ", et en outre que le choix de la date de septembre permettrait une alternance avec le Salon PLV et conviendrait aux sociétés souhaitant participer aux deux manifestations;

Que c'est donc improprement que la requérante qualifie de parallélisme de comportement la position adoptée par les organisations professionnelles et leurs membres;

Qu'il n'est pas davantage établi que l'appel à la solidarité, réitéré dans les documents susvisés, ait eu un effet d'entraînement en l'absence de tout élément probant manifestant une quelconque pression sur les entreprises de la profession les ayant conduites à ne pas participer au salon 1997 ou à renoncer, pour deux d'entre elles à leur participation alors que leur liberté de décision a été clairement rappelée;

Qu'il s'ensuit que le recours sera rejeté, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens discutés;

Considérant qu'aucune circonstance d'équité ne commande de faire application en l'espèce des dispositions de l'article 700 du NCPC.

Par ces motifs : Rejette le recours; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du NCPC; Condamne la société CEP Exposium aux dépens.