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Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 29 juin 1999, n° ECOC9910194X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Union nationale patronale des prothésistes dentaires

Défendeur :

Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes, Conseil départemental de l'ordre des chirurgiens-dentistes de Maine-et-Loire, Confédération nationale des syndicats dentaires, Syndicat des chirurgiens-dentistes du Rhône, Syndicat des chirurgiens-dentistes du Var, Union des jeunes chirurgiens-dentistes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pinot

Avocat général :

M. Woirhaye

Conseillers :

Mmes Bregeon, Deurbergue

Avocats :

Mes Weber, Bocquillon, Houdart, Chocque, SCP Adamas.

CA Paris n° ECOC9910194X

29 juin 1999

LA COUR,

Par lettre du 6 octobre 1998, l'Union nationale patronale des prothésistes dentaires (ci-après UNPPD) a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques imputées au Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes (CNOCD), le conseil départemental de l'ordre des chirurgiens-dentistes de Maine-et-Loire (CDOCD de Maine-et-Loire), la Confédération nationale des syndicats dentaires (CNSD), le Syndicat des chirurgiens-dentistes du Rhône (SCD du Rhône) et l'Union des jeunes chirurgiens-dentistes (UJCD) dans le secteur des prothèses dentaires.

Par une décision n° 98-D-73 du 25 novembre 1998, le Conseil de la concurrence (le Conseil) a déclaré irrecevable la saisine de l'UNPPD et a rejeté, par voie de conséquence, la demande de mesures conservatoires, en l'absence d'élément suffisamment probant propre à établir l'existence des pratiques anticoncurrentielles au sens des articles 7 et 8 de l'ordonnance alléguée.

Le 23 février 1999, l'UNPPD a formé un recours en réformation contre cette décision et demande à la cour de dire que les parties défenderesses devant le Conseil ont enfreint les dispositions des articles 7 et 8 de l'ordonnance, de leur infliger la sanction pécuniaire adéquate, d'ordonner la publication de la décision dans un délai de trois mois suivant sa notification, aux frais de celles-ci dans la revue Le Chirurgien-dentiste de France et dans le bulletin La Lettre du Conseil national, précédée de la mention "Arrêt de la Cour d'appel de Paris, section Concurrence, relative à des pratiques mises en œuvre par le Conseil national des chirurgiens-dentistes, la CNSD et autres", et de dire encore que la présente décision pourra être publiée aux frais des parties défenderesses dans la limite de 30 000 F dans sa propre revue RFPD Actualités au motif :

- que l'action concertée visant à placer les prothésistes dentaires hors du cadre légal dans des conditions propres à gêner leur activité émanant des instances ordinales et des organisations professionnelles des chirurgiens-dentistes en cause se trouverait démontrée par les documents produits ;

- que le Conseil aurait manqué à son devoir de statuer pour avoir tout à la fois évité de constater l'opposabilité à toutes les parties de la réglementation sur les prothèses dentaires et restreint le débat à une divergence d'interprétation de cette réglementation entre professionnels.

Aux termes de leur mémoire déposé le 28 avril 1999, le Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes (le CNOCD) et le conseil départemental de l'ordre des chirurgiens-dentistes (le CDOCD) demandent à la cour de constater l'absence d'infraction aux dispositions des articles 7 et 8 de l'ordonnance dont les conditions d'application ne seraient pas réunies et, en conséquence, de rejeter le recours.

Par leur mémoire déposé également le 28 avril 1998, la Confédération nationale des syndicats dentaires (la CNSD), le Syndicat des chirurgiens-dentistes du Rhône (le SCD du Rhône) et le Syndicat des chirurgiens- dentistes du Var (le SCD du Var) concluent au rejet du recours et sollicitent l'allocation de la somme de 10 000 F au profit de chacun d'eux en application de l'article 700 du NCPC, en faisant observer que les documents sur lesquels s'appuie la requérante ne sauraient constituer la preuve ni d'une entente illicite ni d'un abus de position dominante, et en précisant encore que la demande de sanction comme celle relative à la publication de la décision à intervenir ne sauraient prospérer, le débat se trouvant limité à la question de la recevabilité de la saisine du Conseil.

Aux termes de son mémoire déposé le 7 mai 1999, l'Union des jeunes chirurgiens-dentistes demande également à la cour de constater l'absence d'infraction aux dispositions susvisées et de rejeter le recours en s'associant expressément aux moyens développés par le CNOCD.

Le ministre chargé de l'Economie et des Finances demande à la cour de confirmer la décision déférée en rappelant que le Conseil a justement retenu qu'il n'était pas compétent pour statuer sur un litige d'interprétation d'un texte législatif ou réglementaire, et que le grief tenant au déni de justice imputable au Conseil ne serait pas fondé et enfin que les demandes de sanction, au demeurant non définies, et de publication sont inopérantes, seule la question de la recevabilité pouvant être en l'état débattue devant la cour.

Le Ministère public a présenté à l'audience ses observations orales tendant au rejet du recours.

La requérante a pu répliquer à l'ensemble des observations écrites et orales en précisant à nouveau ses moyens ;

Sur quoi, LA COUR :

Considérant que la directive 93-42-CEE du Conseil en date du 14 juin 1993 relative aux dispositifs médicaux a pour objet d'harmoniser les dispositions nationales assurant la sécurité et la protection de la santé des utilisateurs afin de garantir la libre circulation de ces dispositifs sur le marché intérieur ; que le "fabricant" est défini comme étant la "personne physique ou morale responsable de la conception, de la fabrication, du conditionnement et de l'étiquetage d'un dispositif en vue de sa mise sur le marché en son propre nom, que ces opérations soient effectuées par cette même personne ou pour son compte par une tierce personne" ; que cette directive a été transposée en droit interne par la loi n° 94-43 du 18 janvier 1994 relative à la santé publique et la protection sociale qui a inséré dans le Code de la santé publique un livre V bis intitulé "Dispositions relatives aux dispositifs médicaux" et créé les articles L. 665-3 à L. 665-9 du Code de la santé publique ; que cette loi a donné lieu à deux décrets d'application n° 95-292 du 16 mars 1995 relatif aux dispositifs médicaux, pris en application de l'article L. 665-3 du Code de la santé publique qui reprend in extenso le contenu de la directive européenne, notamment en son article R. 665-5 la définition du fabricant précitée, et le décret n° 96-32 du 15 janvier 1996 relatif à la matério-vigilance des dispositifs médicaux ;

Considérant que, dans sa réponse du 5 novembre 1997, la Commission européenne, interrogée par la direction des hôpitaux du ministère de l'emploi et de la solidarité, a précisé que les chirurgiens-dentistes ou stomatologistes sont les prescripteurs et que le fait que ceux-ci adaptent la prothèse pour un patient déterminé ne leur confère pas la qualité de fabricant ; les prothésistes dentaires répondent, en général, à la définition de "fabricant" donnée par la directive ; cependant, rien n'empêche, le cas échéant, qu'un prescripteur puisse endosser les responsabilités du fabricant. Dans ce cas, il doit effectivement pouvoir en assurer toutes les responsabilités... depuis la conception jusqu'à la fabrication... il s'agit alors d'une configuration de sous-traitance, telle qu'envisagée dans la définition du fabricant' ;

Que cette réponse a été transmise dans l'intégralité de ces termes au président de l'UNPPD ;

Considérant que la direction des hôpitaux a élaboré depuis le mois de décembre 1997 plusieurs documents d'étude relatifs à la mise sur le marché des dispositifs médicaux, documents présentant un caractère évolutif et prévoyant l'élaboration de fiches types, en particulier une fiche navette de liaison entre le prescripteur et le fabricant de prothèses dentaires et une fiche de suivi ou de traçabilité pour les dispositifs sur mesure ;

Que l'UNPPD, à compter du mois de juin 1998, a diffusé auprès des prothésistes dentaires un modèle de fiche navette reprenant les éléments figurant dans les fiches annexées au document émanant du ministère de la Santé à l'attention des prothésistes et des chirurgiens-dentistes ;

Considérant que, pour caractériser l'action concertée prétendument commise par le CNOCD, le CDOCD de Maine-et-Loire, la CNSD et le SCD du Rhône, l'UNPPD se prévaut de divers documents mettant en évidence leur opposition à la mise en œuvre du dispositif légal, contenant des menaces de représailles à l'encontre des prothésistes dentaires se présentant comme des fabricants au sens du Code de la santé publique, qualification revendiquée au seul bénéfice des chirurgiens-dentistes, et qui tendraient à placer les prothésistes dentaires en dehors du cadre légal ;

Considérant qu'il est constant que le CNOCD a fait paraître dans la Lettre du Conseil national d'août 1998, diffusée à 46 000 exemplaires, en première page et sous la mention "dernière minute" une mise en garde demandant impérativement aux chirurgiens-dentistes de refuser "les fiches de présentation prothétique" ou "fiche navette" et rappelant que "... seuls les chirurgiens-dentistes sont les fabricants de prothèses dentaires et non pas de simples prescripteurs qui confient la conception et la réalisation des prothèses aux laboratoires" ;

Que, par lettre-circulaire du 3 septembre 1998, le président du CDOCD de Maine-et-Loire a adressé aux membres de la profession de chirurgiens-dentistes copie du texte publié dans le bulletin susvisé ;

Que ce même discours concernant la qualité de fabricant réservée aux seuls chirurgiens-dentistes a été repris dans l'éditorial de l'organe de presse, Le Chirurgien-Dentiste de France du 17 septembre 1997 de la CNSD dans la circulaire 98-7 du 7 septembre 1998 que le SCD du Rhône a adressée à ses membres ainsi que dans la circulaire du 7 juillet 1998 adressée par le SCD du Var ;

Que l'UJCD a précisé dans sa revue Union dentaire qu'elle partageait la position de fermeté manifestée par le CNOCD en ajoutant qu'elle invitait ses adhérents à éclairer "nos collaborateurs prothésistes dentaires sur les conséquences que pourrait avoir une telle interprétation (sur la qualité de fabricant) de la directive européenne. D'ailleurs les prothésistes dentaires sont-ils prêts à assumer une responsabilité qui ne peut leur apporter que des ennuis ?" ;

Mais considérant qu'il ressort de la teneur des documents ci-dessus reproduits que les initiatives prises par les instances ordinales et les organisations professionnelles des chirurgiens-dentistes en cause ne tendent qu'à inciter ces professionnels à refuser d'utiliser la fiche navette ou fiche de présentation prothétique, cela en raison d'une interprétation divergente entre professionnels des textes législatifs ou réglementaires concernant la notion de fabricant;

Que ces mises en garde sont sans incidence sur la poursuite des relations entre prothésistes dentaires et chirurgiens-dentistes, sans qu'aucune menace d'un éventuel boycottage ne soit proférée;

Qu'il s'ensuit que ces seuls éléments sur lesquels s'appuie l'UNPPD sont insuffisants à caractériser une concertation ou position commune ayant un objet ou un effet anticoncurrentiel au sens des dispositions du titre III de l'ordonnance, étant précisé que le grief fondé sur un prétendu déni de justice du Conseil n'est pas établi dès lors que n'entre pas dans le champ de compétence du Conseil de "constater le caractère opposable à toutes les parties de la réglementation en cause" ;

Considérant que les demandes de sanction et de publication sont inopérantes, seule la question de la recevabilité de la saisine du Conseil pouvant être débattue dès lors que la décision contestée est fondée sur l'article 19 de l'ordonnance ;

Considérant qu'aucune circonstance d'équité ne commande de faire bénéficier les parties qui en ont fait la demande des dispositions de l'article du 700 du NCPC,

Par ces motifs : Rejette le recours ; Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du NCPC ; Condamne l'Union nationale patronale des prothésistes dentaires (UNPPD) aux dépens.