CA Paris, 1re ch. H, 13 janvier 1998, n° ECOC9810160X
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Fougerolle Ballot (SA), Entreprise Morillon Corvol Courbot (SA), Quillery et Compagnie (SNC), Gascheau (SA), Le Foll TP (SA), Marcombe, Etpo (SA)
Défendeur :
Ministre de l'Économie et des Finances
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Thin
Avocat général :
M. Salvat
Conseillers :
Mmes Mandel, Deurbergue
Avoués :
SCP Narrat-Peytavi, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, SCP Gaultier-Kistner-Gaultier, Mes Cordeau, Salaün
Avocats :
Mes Delattre, Maître-Devallon, Brunois, Debroux, Boniface, Ducable
Par décision n° 97-D-11 du 25 février 1997 relative à des pratiques relevées lors de passation de marchés d'aménagement des berges de la Seine, le Conseil de la concurrence (ci-après le conseil) a constaté que 11 entreprises avaient enfreint les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et a infligé à 8 d'entre elles des sanctions pécuniaires d'un montant compris entre 4 000 et 2 230 000 F.
Il est fait référence, pour l'exposé des éléments de la cause, à cette décision et rappelé seulement que le conseil a été saisi des pratiques qui viennent d'être rappelées par une lettre du ministre de l'économie en date du 26 avril 1994.
Cinq des entreprises sanctionnées Fougerolle Ballot, EMCC, Gascheau, Le Foll et Quillery ont introduit un recours contre cette décision dont elles poursuivent l'annulation ou la réformation en soutenant ensemble, pour partie d'entre elles, ou individuellement, un certain nombre de moyens critiquant tant la procédure suivie devant le conseil que le fond de la décision.
M. Marcombe liquidateur de la société Cogere à l'égard de laquelle le conseil n'a pas prononcé de sanction pécuniaire est intervenu le 3 novembre 1997 aux fins qu'il lui soit donné acte de ce qu'il sollicite la confirmation de la décision du conseil.
La société ETPO a déposé le 24 juillet 1994 un mémoire par lequel elle demande à la cour de constater que la décision du conseil qui l'a mise hors de cause est définitive à son égard.
La société EMCC soutient que les procès verbaux de déclaration de MM. Cayet et Chalandon sont irréguliers et doivent être écartés du dossier au motif que les enquêteurs n'ont pas fait connaître clairement l'objet de leur enquête avant de recueillir leurs déclarations.
Les sociétés EMCC et Quillery font grief au conseil d'avoir méconnu tant les dispositions de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et notamment le principe du délai raisonnable que l'obligation de loyauté dans la recherche des preuves.
Sur le fond les entreprises requérantes soutiennent les moyens d'annulation ou de réformation suivants :
- le conseil a ignoré les caractéristiques du marché et notamment le fait que les matériaux de carrière, pour lesquels les deux seuls fournisseurs possibles étaient Hayet et Somaco, y tiennent une place prépondérante ;
- le conseil ne pouvait se fonder sur un document unique et isolé (document coté 158) pour retenir qu'aurait été conclue une entente en ce qui concerne les lots n° 7 et 8 des marchés d'Anneville et Ambourville et les deux marchés du port autonome de Rouen (poste 27 et poste dégagement amont) ;
- les indices retenus par le conseil ne sont ni graves, ni précis, ni concordants et ne peuvent constituer un faisceau accusatoire.
Par ailleurs, chacune des entreprises requérantes, se fondant sur des éléments de fait relatifs à sa situation particulière, développe individuellement des moyens qui lui sont propres pour contester l'existence ou l'illicéité des pratiques qui leur sont reprochées. Certaines d'entre elles, notamment Le Foll et Ballot, soutiennent qu'elles ont présenté des offres "carte de visite" lesquelles n'ont pu avoir pour objet ou pour effet de fausser le jeu de la concurrence.
Qu'EMCC allègue, quant à elle, que les spécificités des appels d'offres pour les marchés de Sahurs 4 et Rouen Ile Lacroix justifiaient les échanges d'informations avec les entreprises spécialisées dans les travaux d'enrochement et la nécessité de faire appel à des sous-traitants.
En ce qui concerne les sanctions pécuniaires qui leur ont été infligées, les requérantes soutiennent que :
- le conseil a méconnu le principe de proportionnalité,
- les pratiques n'ont pas eu d'effet sensible sur le jeu de la concurrence ;
- pour Fougerolle Ballot, le conseil a pris en compte le chiffre d'affaires de l'exercice 1995 alors que l'exercice 1996 fait apparaître une perte de 38 485 116,72 F ;
- pour Quillery, le conseil n'a pas tenu compte du fait que le montant du chiffre d'affaires hors taxes réalisé par elle en France au cours de l'exercice clos le 31 décembre 1996 était nul.
Le ministre de l'économie conclut au rejet des recours. Il fait essentiellement valoir que:
- les procès verbaux ne sauraient être annulés dès lors qu'il résulte de leur contenu que MM. Cayet et Chalandon ne pouvaient ignorer l'objet de l'enquête et qu'en conséquence le principe de loyauté et les droits de la défense ont été respectés ;
- EMCC ne démontre pas en quoi l'irrégularité des procès verbaux, à la supposer établie, affecterait ses droits à la défense ;
- EMCC et Quillery ne prouvent pas en quoi l'ancienneté des faits porterait atteinte à leur droit à la défense et il doit être tenu compte de la complexité de la procédure ;
- pour retenir l'existence de pratiques anticoncurrentielles le conseil s'est fondé non seulement sur le compte rendu d'une réunion commerciale qui s'est tenue le 25 avril 1988 (cote 158) mais aussi sur un certain nombre d'autres documents saisis et ces éléments de preuve sont corroborés par l'analyse du contenu des offres et les résultats des appels d'offres ;
- pour le marché de Sahurs lot 4, les sociétés n'apportent aucune preuve permettant d'établir qu'elles aient engagé une réelle négociation en vue d'organiser une collaboration industrielle effective et elles n'ont pas mentionné dans leurs offres le fait qu'elles avaient échangé des informations.
- pour le marché d'Anneville de 1992, l'identité du montant global des offres des sociétés Gascheau et Nouvelle Duflot, qui recouvre des prix unitaires erratiques, ne peut être que le résultat d'un échange d'informations et ce d'autant plus que les travaux présentaient une certaine complexité ;
- en s'abstenant d'informer le maître de l'ouvrage de leurs échanges d'informations sur les prix et sur d'éventuels liens de sous-traitance et en s'entendant préalablement au dépôt de leurs offres, les entreprises EMCC, Le Foll et Ballot ont trompé le maître d'ouvrage sur l'intensité de la concurrence.
En ce qui concerne les sanctions, le ministre de l'économie soutient que le conseil a tenu compte du montant relativement important des travaux pour lesquels la mise en concurrence a été entravée par les pratiques retenues et qu'il a clairement individualisé les responsabilités.
Il ajoute que le conseil n'a fait qu'appliquer sa jurisprudence constante en prenant en compte le chiffre d'affaires général de la société Le Foll et non pas seulement son chiffre d'affaires dans le secteur des travaux publics.
Le Conseil de la concurrence, usant de la faculté de présenter des observations écrites, réfute chacun des moyens relatifs à la durée de la procédure et à la régularité des procès-verbaux d'audition.
Sur le fond, il fait observer qu'il s'est fondé sur un ensemble d'indices précis, graves et concordants, pour caractériser chaque grief, qu'il est sans effet pour qualifier une pratique au sens de l'article 7 de l'ordonnance que le maître de l'ouvrage ait été ou non trompé, que la pratique des offres de couverture en matière de soumission à des marchés publics est en soi anticoncurrentielle, que ni le comportement du maître de l'ouvrage ni celui d'autres entreprises candidates à un appel d'offres n'est de nature à influer sur la qualification de pratiques anticoncurrentielles.
En ce qui concerne les sanctions, il expose qu'elles ont été déterminées en respectant les termes de l'alinéa 3 de l'article 13 de l'ordonnance.
Le ministère public, dans ses observations orales, a conclu au mal fondé des moyens tant de procédure que de fond.
En ce qui concerne le montant des sanctions, il a simplement fait observer qu'aucune sanction pécuniaire ne pouvait être infligée à Quillery dès lors que le chiffre d'affaires de son dernier exercice clos était nul.
Sur ce, LA COUR :
Sur la procédure :
Considérant qu'il convient tout d'abord de relever que la société ETPO et M. Marcombe, liquidateur de la société Cogere, n'ayant pas formé de recours principal ou incident dans les formes prévues aux articles 2 et 6 du décret n° 87-849 du 19 octobre 1987, leurs demandes sont irrecevables.
A. - Sur le moyen tiré de l'irrégularité des procès-verbaux de déclaration de MM. Cayet et Chalandon :
Considérant que EMCC soutient que le procès-verbal de déclaration de M. Cayet est irrégulier au motif qu'il ne mentionne ni l'objet de l'enquête, ni que cet objet aurait été porté à sa connaissance, et ajoute que plus de vingt mois séparent la saisie des documents de son audition par les enquêteurs de la DGCCRF ;
Que s'agissant du procès-verbal de M. Chalandon, elle allègue que la simple référence à l'article 47 de l'ordonnance ne peut suffire à établir que les enquêteurs lui auraient fait connaître clairement l'objet de leur enquête et fait observer que les documents sur lesquels il a été interrogé avaient été saisis près de deux ans auparavant dans une entreprise tierce ;
Considérant que si les fonctionnaires habilités par le ministre chargé de l'économie à procéder aux enquêtes nécessaires à l'application de l'ordonnance du 1er décembre 1986 peuvent procéder à toutes recherches et vérifications sur les pratiques incriminées sans communication de la procédure aux personnes entendues, il demeure que l'enquête préalable à laquelle ils se livrent ne peut avoir pour effet de compromettre irrémédiablement l'exercice des droits de la défense ;
Que même si l'enquête administrative n'est pas soumise au principe de la contradiction, l'obligation de loyauté qui doit présider à la recherche des preuves implique que les enquêteurs fassent connaître clairement aux personnes interrogées l'objet de l'enquête et limitent les demandes d'explications aux pratiques anticoncurrentielles visées par leurs investigations ;
Or considérant qu'il est constant que le procès-verbal de déclaration de M. Cayet du 27 octobre 1992 ne porte ni la mention de l'objet du contrôle ni l'indication que celui-ci a été indiqué à l'intéressé ;
Qu'il ne peut être déduit, comme le soutient le ministre de l'économie, du fait que M. Cayet a été interrogé sur les documents saisis dans son propre bureau, qu'il connaissait l'objet de l'enquête ;
Considérant en effet qu'outre la circonstance que ces documents avaient été saisis le 19 février 1991, soit vingt mois plus tôt, il convient de relever qu'ils étaient particulièrement nombreux (l'annexe 26 comporte 34 pages) et relatifs à des travaux de nature différente et à des chantiers situés sur tout le territoire national ;
Que, le 27 octobre 1992, M. Cayet n'a pas fait uniquement des déclarations relatives aux berges de la Seine, mais a donné des indications sur les documents relatifs à de nombreuses autres affaires telles que le pont de Rochefort, les quais de Gennevilliers, le pont de Normandie, voire des chantiers en Corse, à Saint-Pierre-et-Miquelon, à Mayotte ou aux Antilles (documents cotés 161, 187, 202, 224), observation étant faite que l'enquêteur de la DGCCRF lui a présenté la presque totalité des documents saisis ;
Que, dans ces circonstances, même si M. Cayet était directeur général de EMCC, il pouvait légitimement se méprendre sur l'objet de l'enquête et rien ne pouvait l'amener à penser que l'enquête était circonscrite aux marchés relatifs aux travaux d'aménagement des berges de la Seine ;
Considérant, s'agissant du procès-verbal de déclaration de M. Chalandon, qu'il convient de relever que, s'il porte la mention de l'article 47 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, il ne comporte aucune information permettant à M. Chalandon de connaître l'objet de l'enquête ;
Qu'outre le fait que celui-ci a été interrogé sur des documents saisis non pas dans son entreprise mais chez un tiers, la société EMCC, le contenu du procès-verbal démontre que, tout comme M. Cayet, il a donné des explications sur de nombreux autres chantiers en Corse, à Sète ou relatifs aux ponts de Rochefort et de Normandie et n'a pas limité ses déclarations aux travaux relatifs aux berges de la Seine ;
Qu'en conséquence la cour n'étant pas en mesure de s'assurer qu'il a été satisfait à l'obligation de loyauté devant présider à la recherche des preuves, il y a lieu d'écarter du dossier lesdits procès-verbaux.
B. - Sur le moyen tiré de l'ancienneté des faits :
Considérant que Quillery critique la procédure suivie devant le conseil au regard des dispositions de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme en faisant valoir que le principe du délai raisonnable a été méconnu, près de huit ans s'étant écoulés entre les faits et la notification des griefs ;
Qu'elle ajoute qu'elle se trouve en 1997 dans l'impossibilité d'exercer pleinement ses droits de la défense puisque la "mémoire" de son entreprise a disparu ;
Considérant que EMCC soutient également que le délai extrêmement long qui s'est écoulé entre les faits et le début de la procédure devant le conseil constitue non seulement une atteinte aux dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme mais également une violation de l'obligation de loyauté devant présider à la recherche des preuves et au principe selon lequel les enquêtes préalables ne peuvent avoir pour effet de compromettre irrémédiablement les droits de la défense ;
Mais considérant que le délai raisonnable prescrit par la convention précitée doit s'apprécier au regard de l'ampleur et de la complexité de la procédure;
Considérant que,certes, en l'espèce, s'est écoulé un délai, d'une part, de sept ans entre une partie des faits litigieux qui remontent à l'année 1988 et la première notification des griefs, notamment à EMCC, le 31 août 1995, et, d'autre part, de près de huit ans entre les faits reprochés à la société Quillery et la notification de griefs qui lui a été adressée le 5 mars 1996;
Maisconsidérant que les pratiques incriminées concernaient la passation de 10 marchés mettant en cause 11 entreprises et relatifs à l'aménagement des berges de la Seine;
Que, par ailleurs, si certaines des pratiques dénoncées se rapportent à des marchés passés en 1988, d'autres se situent en 1990, 1991 et 1992 ;
Quecompte tenu de la complexité de l'enquête, le délai écoulé doit être considéré comme répondant aux exigences de la Convention européenne des droits de l'Homme.
Qu'EMCC qui a fait l'objet d'une saisie de documents le 19 février 1991 était à même dès cette date de sauvegarder toutes pièces utiles ;
Qu'à supposer même que M. Cayet, qui était son directeur général à la date des faits, n'ait plus fait partie de l'entreprise au moment de la notification des griefs, ce qui n'est pas justifié, elle ne démontre pas qu'elle était dans l'impossibilité de recueillir des explications de sa part ;
Considérant en conséquence qu'EMCC est mal fondée à soutenir qu'il a été porté atteinte à l'exercice des droits de la défense ;
Considérant par ailleurs que le temps écoulé entre la saisine du conseil, le 26 avril 1994, et la notification des griefs à Quillery, le 5 mars 1996, étant inférieur au délai de prescription, cette société ne peut tirer profit de la circonstance que, contrairement à d'autres entreprises concernées, elle n'a pas fait l'objet de saisie et que ses dirigeants n'ont pas été interrogés par les enquêteurs de la DGCCRF ;
Que, d'autre part, Quillery qui a été en mesure à compter de la notification des griefs de faire valoir ses moyens de défense sur les pratiques qui lui sont reprochées et de s'expliquer sur le document coté 158, ne saurait valablement prétendre que l'exercice des droits de la défense a été entravé, observation étant faite qu'elle ne justifie pas selon quelle périodicité elle détruit ses archives ;
Que ce moyen n'est donc pas fondé.
Sur le fond :
A.- Marché d'Anneville-Ambourville lot n° 7 (sociétés Hayet, EMCC et groupement Somaco/BOS (sociétés Cogère et Bouygues Offshore)) :
Considérant que l'entreprise EMCC conteste la valeur probante du document coté 158 saisi dans ses locaux le 21 février 1991 et retenu par le conseil pour établir que les offres déposées par les sociétés Hayet, EMCC et Bouygues comme moins disant, les sociétés Hayet et EMCC déposant des offres de couverture ;
Qu'elle soutient que le conseil ne pouvait se fonder sur un document isolé et unique et que rien ne permet de penser que celui-ci résulte d'une concertation entre EMCC et les autres sociétés, notamment Bouygues ;
Qu'elle prétend également qu'il s'agit d'un document interne qui ne comporte que de simples estimations établies par M. Cayet en dehors de tout échange d'informations avec les sociétés en cause, les montants indiqués ne correspondant pas aux véritables offres ;
Considérant que ce document porte la date du 25 avril 1988 soit une date antérieure à la date limite de remise des offres, 26 avril 1988 et à celle à laquelle la commission d'ouverture des plis pour ce marché s'est réunie (9 mai 1988) et a déclaré attributaire de ce lot le groupement constitué par les sociétés Somaco et Bouygues pour un montant de 1 350 870 F hors taxes dont 688 500 F de fourniture de palplanches et 176 750 F de battage de palplanches, observation étant faite que Bouygues Offshore ne s'intéressait qu'à la fourniture et au battage des palplanches, les travaux d'enrochement étant dévolus à Somaco ;
Considérant que si la pièce cotée 158 comporte notamment les mentions :
"Ambourville lot 7 BOS 1 M et BOS Ambourville 7 1,0"
et s'il est constant que les lettres BOS se réfèrent à Bouygues Offshore, il convient de relever que ce chiffre ne correspond pas au montant de l'offre déposée par Bouygues (875 250 F) une différence de plus de 120 000 F soit près de 15 % ne pouvant être considérée comme négligeable ;
Que, d'autre part, si le conseil a relevé qu'il existait une stricte proportionnalité entre l'offre du groupement Somaco Bouygues Offshore et celle de Hayet alors que les structures de coût de ces entreprises sont différentes et s'il a pu en conclure que cela ne pouvait s'expliquer que par un échange d'informations préalablement à la remise des plis, aucune observation de cet ordre ne peut être retenue à l'encontre d'EMCC dont l'offre présentait avec celle de Somaco-BOS des écarts allant de 1 à 80 % ;
Que, à défaut d'autres indices, le conseil ne pouvait déduire du seul document coté 158 la preuve de l'existence d'une concertation entre les sociétés Somaco-BOS, EMCC et Hayet en ce qui concerne ce marché ;
Que la décision sera donc annulée en ce qu'elle a retenu que pour ce marché EMCC avait participé à une entente avec les sociétés Somaco-BOS et Hayet ;
B. - Marché d'Ambourville n° 8 (sociétés EMCC et Somaco-BOS)
Considérant que EMCC formule les mêmes arguments que ci-dessus ;
Considérant que sept entreprises ont présenté des offres et que c'est celle du groupement Somaco-BOS s'élevant à la somme totale hors taxe de 2 861 560 F qui a été retenue, observation étant faite qu'elle comprenait des travaux de fourniture et battage de palplanches pour 1 083 850 F (selon les chiffres figurant à l'annexe 38), part qui a été dévoluée à Bouygues Offshore ;
Considérant que le document 158 est daté du 25 avril 1988, soit une date antérieure à la date limite de remise des plis, 2 mai 1988, et à celle à laquelle la commission s'est réunie (9 mai 1988), et a déclaré attributaire de ce lot le groupement constitué par les sociétés Somaco et Bouygues Offshore, moins-disant ;
Considérant que la pièce susvisée comporte la mention :
"Ambourville lot 7 BOS 1 M lot 8 1 M" ;
Que, plus bas, au regard des lettres BOS, il est notamment mentionné :
"Ambourville 8 1, O" ;
Qu'il est constant que ces lettres désignent Bouygues Offshore ;
Considérant que si ce chiffre est proche de celui de l'offre faite par BOS il demeure que la preuve d'un échange d'informations entre BOS et EMCC avant la remise des offres ne peut être déduite du seul document coté 158 ;
Que les procès-verbaux de MM. Cayet et Chalandon étant écartés des débats et aucun élément ne permettant de retenir qu'un responsable de la société Bouygues Offshore était présent à la réunion qui s'est tenue le 25 avril 1988 dans les locaux d'EMCC à Villeneuve-le-Roi, il apparaît que le chiffre de 1 M résulte davantage d'une estimation de M. Cayet ;
Que ceci se trouve confirmé par les inexactitudes que comporte le document 158 ;
Qu'ainsi, pour le marché Sahurs 4, dans la première partie du document, c'est le nom d'EMCC qui est indiqué alors que dans la deuxième partie il est mentionné qu'il aurait été ou du moins devait être attribué à Bouygues Offshore alors qu'il l'a été à Hayet et que l'annexe 39 montre que seule Somaco a soumissionné, aucune référence n'étant faite au groupement Somaco-BOS comme pour d'autres marchés ;
Que, de même, il est mentionné au regard de BOS les marchés Alma, Arles (siphon), péage du Roussillon, Canteleu, Saint-Michel, Ajaccio, Mole, quai Sête, balises Rhône, alors que Bouygues Offshore a déclaré dans ses observations relatives à la notification des griefs que ces marchés étaient inconnus d'elle, affirmation non contestée par le ministre de l'économie ;
Considérant enfin que si ce document avait été établi à la suite d'un échange d'informations entre, notamment, EMCC et BOS, le chiffre de 2,5 porté au regard de la mention "poste amont BOS ETPO" ne s'explique pas dans la mesure où il correspond davantage à l'offre d'EMCC (2 565 000 F HT) qu'à celle de Bouygues Offshore (2 308 900) ;
Que dans ces conditions c'est à tort que le conseil a retenu que pour le marché d'Ambourville lot 8, il y avait eu une concertation préalable à la remise des offres entre EMCC et Bouygues Offshore de nature à tromper le département de la Seine-Maritime sur la réalité de l'étendue de la concurrence ;
Que la décision sera donc annulée de ce chef.
C.- Marchés d'aménagement du poste 27 et du poste de dégagement amont du port autonome de Rouen (sociétés EMCC, Quillery, Bouygues Offshore) :
Considérant qu'EMCC développe également la même argumentation que ci-dessus à savoir que le conseil s'est fondé sur un document unique qui comporte des inexactitudes et qui n'est corroboré par aucun autre élément ;
Considérant que la société Quillery fait valoir que le conseil s'est livré à une mauvaise interprétation du document coté 158 et expose notamment que le chiffre 2 M se rattache à l'évaluation du marché et non à l'offre de Quillery, que la mention Quillery EMCC signifie qu'il existait deux concurrents potentiels, qu'il n'y a eu aucune offre conjointe de ces deux sociétés ;
Qu'elle ajoute que le chiffre de 2 M ne correspond pas au montant de son offre de base qui était supérieure de 1,5 % et que son offre efficiente s'est élevée à 1 888 523 F soit une somme extrêmement éloignée de 2 M ;
Considérant enfin qu'elle soutient que le fait qu'elle ait présenté une solution variante nettement inférieure à son offre principale prouve qu'il n'y a pas eu entente entre les entreprises ;
Que tout comme EMCC elle en conclut que les indications portées sur le document 158 ne sont que des estimations voire des prévisions établies par des concurrents mais ne peuvent être assimilées à des informations délibérément données pour fausser le jeu de la concurrence ;
Considérant que pour le marché d'aménagement du poste 27, dix entreprises ont remis des offres à la date limite fixée au 26 avril 1988 dont les sociétés Quillery, Bouygues Offshore, EMCC et ETPO ;
Que la commission d'ouverture des plis qui s'est réunie le 27 avril 1988 a déclaré attributaire la société Quillery pour un montant de 1 888 523,50 F (solution variante) après correction d'erreur ;
Que pour le marché d'aménagement du poste de dégagement amont douze entreprises ont soumissionné et remis des offres à la date limite fixée au 24 mai 1988, dont les entreprises EMCC, Bouygues Offshore et Quillery ;
Que la commission d'ouverture des plis qui s'est réunie le 25 mai 1988 a déclaré attributaire de ce marché la société Bouygues Offshore pour un montant de 2 308 000 F hors taxes ;
Considérant que le conseil a retenu que les sociétés Bouygues Offshore, EMCC et Quillery s'étaient concertées en vue de se répartir ces deux marchés, en déposant des offres de couverture ;
Mais considérant, d'une part, que le conseil pour estimer qu'il y avait eu échange préalable d'informations entre Bouygues Offshore, EMCC et Quillery ne s'est fondé que sur le document coté 158 dont le caractère probant est contestable pour les motifs ci-dessus énoncés ;
Considérant, d'autre part, s'agissant du poste 27, que le chiffre de 2 M étant placé entre parenthèses juste après le nom Rouen et non après les noms de Quillery et EMCC contrairement à ce qui est indiqué pour tous les autres marchés, Quillery fait à juste titre valoir qu'il s'agit manifestement d'une estimation de la valeur du marché faite par M. Cayet et non des offres potentielles de Quillery et EMCC ;
Considérant enfin que si EMCC, Bouygues Offshore et Quillery s'étaient concertées avant la remise des offres pour que ce marché soit selon le conseil attribué à "Quillery et Bouygues Offshore" (p 24 de la décision), ni les propositions de solution variante par EMCC et Quillery ni l'offre moins disante d'EMCC par rapport à celle de Bouygues Offshore n'auraient de justification ;
Considérant s'agissant du poste de dégagement amont, qu'il convient de relever que l'appel d'offres n'ayant été lancé que le 3 mai 1988, les trois sociétés en cause ne pouvaient à la date du 25 avril 1988 (date du document coté 158) connaître les montants respectifs de leur offre ;
Considérant par ailleurs que si ce document désignait, comme l'a retenu le conseil, les sociétés attributaires du marché après échange d'informations, la mention du nom d'ETPO sur cette pièce ne s'expliquerait pas, dans la mesure où elle a déposé une offre plus élevée que celle des sociétés Quillery et EMCC ;
Qu'en outre l'ordre des soumissions qui aurait été fixé après concertation, à savoir BOS et ETPO, ne correspond pas aux montants des offres déposées ;
Qu'en effet si BOS a déposé l'offre la plus basse, EMCC et Quillery étaient également moins disantes qu'ETPO ;
Considérant dans ces conditions que ces éléments ne permettent pas de retenir l'existence d'une concertation entre BOS, Quillery et EMCC en vue de se répartir ces deux marchés du port autonome de Rouen ;
Que la décision du conseil sera donc également annulée en ce qu'elle a retenu que pour ces deux marchés du port autonome de Rouen les sociétés EMCC et Quillery s'étaient livrées à des pratiques prohibées par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.
D. - Marché de Sahurs, lot n° 4, de 1988 (sociétés EMCC, Nouvelle Leduc et Nouvelle Voltaire) :
Considérant que la société EMCC fait tout d'abord valoir que l'affirmation du conseil selon laquelle elle aurait su avant la date de remise des plis qu'elle était assurée de réaliser des travaux de vannage d'un montant de 0,5 million de F ne repose que sur le document 158 dont le caractère probant est contestable ;
Que par ailleurs sans dénier avoir échangé des informations avec les sociétés Hayet et SNV, elle prétend que cet échange était licite car justifié par un projet d'accord de sous-traitance, mentionné dans son acte d'engagement, elle-même ne pouvant pas assurer les travaux d'enrochement ;
Qu'elle ajoute que l'absence de l'indication du nom de l'entreprise choisie comme sous-traitant ne peut être considérée comme établissant l'existence d'une pratique anticoncurrentielle dès lors que celle-ci étant une société de carrière n'était pas réellement en concurrence avec elle ;
Considérant que le marché de Sahurs a été attribué le 9 mai 1988 à la société Hayet dont la proposition d'un montant de 910 750 F (HT) prévoyait une sous-traitance à EMCC pour le vannage métallique d'un coût de 551 250 F ;
Considérant que les documents saisis au siège de la société Nouvelle Voltaire (cotes 129, 131 et 132) et les déclarations de son président-directeur général, M. Duwelz, établissent sans contestation possible que cette société a, avant la date de remise des offres fixée au 2 mai 1988, échangé des informations avec d'une part la société EMCC, d'autre part la société Nouvelle Leduc ce qu'au demeurant a reconnu le dirigeant de la société Nouvelle Leduc ;
Considérant que la société EMCC qui connaissait les prix de la société Nouvelle Voltaire, a présenté une offre identique à celle-ci sauf en ce qui concerne le poste "vannage métallique", pour lequel elle était légèrement moins disante ;
Considérant que la société EMCC soutient dans son mémoire qu'elle a consulté les sociétés Hayet et Nouvelle Voltaire pour connaître le montant des travaux d'enrochement qu'elle ne pouvait pas réaliser elle-même et en conclut que les éléments recueillis auprès de ces sociétés lui ont permis de retenir les montants les moins élevés à savoir ceux de la société Nouvelle Voltaire.
Mais considérant que cet argument ne saurait jouer en sa faveur dans la mesure où d'une part les déclarations de M. Duwelz démontrent qu'aucun projet de sous-traitance n'avait été négocié entre les sociétés EMCC et Nouvelle Voltaire, et où d'autre part la société EMCC a déposé une offre en son nom propre sans indiquer le nom de son sous-traitant, et où enfin elle avait manifestement conclu un accord de sous-traitance pour les travaux de vannage avec la société Hayet qui dans son acte d'engagement l'avait désignée en qualité de sous-traitant ;
Considérant que s'il est loisible à une société qui n'est pas en mesure d'assurer seule l'ensemble des travaux concernés par un appel d'offres, d'échanger des informations avec un éventuel sous-traitant, il demeure qu'elle doit le faire en respectant les règles de la concurrence;
Quetel n'est pas le cas lorsque, comme en l'espèce, EMCC échange des informations avec deux entreprises, Hayet et Nouvelle Voltaire et qu'ensuite ces trois sociétés présentent des offres séparées sans mentionner qu'elles se sont consultées préalablement, EMCC s'abstenant au surplus d'indiquer le nom de l'entreprise avec laquelle elle entendrait sous-traiter ;
Considérant que le conseil en a exactement déduit que des échanges d'informations dans de telles conditions étaient de nature à tromper le département de la Seine-Maritime sur la réalité de l'étendue de la concurrence et pouvaient avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur ce marché et constituaient par voie de conséquence une pratique prohibée par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.
E. - Marché d'Anneville de 1992 (sociétés Gascheau et SN Duflot) :
Considérant que la société Gascheau fait valoir que les considérations statistiques contenues dans le rapport et sur lesquelles le conseil s'est fondé sont viciées par plusieurs approximations et entachées d'erreurs ;
Qu'elle prétend que son offre repose sur une étude sérieuse et que les prix qui lui ont été attribués pour 1993 dans la feuille de calcul établie par la DGCCRF ne sont par ceux qu'elle a soumis ;
Qu'elle ajoute par ailleurs que contrairement à ce qu'affirme le conseil, les travaux réalisés ne sont guère complexes et en conséquence l'identité des offres des sociétés Gascheau et Duflot peut être due au seul hasard ;
Considérant enfin qu'elle expose que la preuve d'une pratique anticoncurrentielle doit reposer sur un faisceau d'indices et qu'en l'espèce le conseil ne s'est fondé que sur un seul élément, à savoir le constat d'une identité entre les montants des offres remises par les sociétés Gascheau et Duflot, lequel est au surplus contestable ;
Considérant que, pour ce marché, dix entreprises ont présenté une offre et que la commission d'ouverture des plis qui s'est réunie le 25 mai 1992 a déclaré attributaire de ce marché la société Gascheau pour un montant de 3 066 500 F hors taxes sous réserve de vérifications matérielles ;
Considérant qu'il est constant que les sociétés Duflot et Gascheau ont déposé une offre identique à partir de montants de composants différents ;
Considérant que même si la société Gascheau rapporte la preuve que les prix de détail pour 1993 indiqués sur la feuille de calcul de la DGCCRF sont en ce qui la concerne inexacts, il demeure que si on les remplace par ceux annexés à son mémoire du 16 juin 1997, on constate, comme l'a relevé le ministre, que l'évolution des prix offerts pour six postes sur onze par les deux entreprises est totalement erratique par rapport à l'évolution normale telle qu'estimée par le maître de l'ouvrage ;
Considérant par ailleurs que sans qu'il soit besoin d'apprécier la pertinence de l'étude statistique menée par la DGCCRF de Haute-Normandie et des critiques formulées à son encontre par la société Gascheau, il suffit de relever que celle-ci, contrairement à ce qu'elle soutient, ne démontre pas qu'elle s'est fondée sur une étude sérieuse pour établir ses calculs ;
Que la pièce 3, feuille de calcul manuscrite que rien ne permet d'identifier et de dater, n'a pas été remise aux enquêteurs lors de l'audition de M. Magoarou le 28 septembre 1993 ;
Qu'au surplus il y a lieu d'observer relativement à certains des postes y figurant que si les montants entourés correspondent à ceux indiqués dans l'offre, ils ne paraissent pas en revanche être le résultat des calculs auxquels l'entreprise Gascheau se serait livrée ;
Qu'il en est ainsi pour les postes 1, 2, 4, 8 ;
Considérant par ailleurs qu'il convient de relever qu'alors que l'offre comporte un poste "remblais crayeux" et un poste "fourniture de palplanches", la société Gascheau, qui n'exploite pas de carrière et qui déclare elle-même que les palplanches lui sont fournies par Unimétal, ne fournit pour ce marché aucune donnée chiffrée préalable relative à ces matériaux émanant d'Unimétal ou de la société Hayet alors que la quantité prévue de palplanches était de 2 450 mètres carrés et celle de crayeux de 1 500 mètres cubes ;
Que la proposition d'Unimétal concerne un chantier de Sahurs ;
Que les allégations de Gascheau selon lesquelles elle se serait livrée à une étude précise pour établir ses prix de détail ne sont donc confortées par aucun élément sérieux ;
Considérant que l'entreprise Nouvelle Duflot n'a pas davantage fourni devant le conseil d'explications précises et étayées sur le mode calcul des prix des différents postes ;
Considérant enfin que la société Gascheau ne peut valablement soutenir que la pratique qui lui est imputée n'a pas porté atteinte de façon sensible au jeu de la concurrence alors que l'identité de son offre avec celle de la société Nouvelle Duflot a nécessairement trompé le maître de l'ouvrage sur la réalité de la concurrence ;
Considérant qu'en l'état de ces énonciations il existe un faisceau d'indices graves, précis et concordants établissant que l'identité parfaite du montant global des offres des sociétés Gascheau et Nouvelle Duflot à partir de montants de composants différents ne trouve pas d'explication logique et ne peut être le résultat que d'un échange d'informations préalable à la remise des plis entre les sociétés Gascheau et Nouvelle Duflot ;
Qu'à juste titre le conseil a retenu que la société Gascheau s'était livrée à une pratique qui, ayant pour objet et pourtant avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence, était prohibée par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.
F. - Lot n° 1 du marché de Rouen Ile Lacroix (sociétés EMCC, Ballot et Le Foll) :
Considérant qu'en vue de ce marché, pour lequel neuf entreprises ont présenté une offre, les sociétés EMCC, Ballot et Le Foll ont déposé une offre d'un montant total identique de 2 940 470 F HT dont les quatorze composantes étaient également identiques ;
Que l'offre la moins disante d'un montant de 1 938 950 F HT a été remise par la société Nouvelle Voltaire, les sociétés Hayet et Somaco étant classées deuxième et troisième avec des offres s'élevant à 2 007 925 et 2 104 385 F HT ;
Considérant que ces trois sociétés ne contestent pas avoir échangé des informations avec un concurrent mais soutiennent qu'elles ont simplement voulu remettre une offre carte de visite, laquelle n'était pas, selon elles, de nature à tromper le maître de l'ouvrage sur l'étendue de la concurrence et n'a pas eu d'effet anticoncurrentiel dès lors que celui-ci savait que la compétition ne se déroulait véritablement qu'entre Hayet et Somaco ;
Que la société Fougerolle Ballot fait observer que la fourniture de crayeux, que les sociétés Hayet et Somaco pouvaient seules assurer, représentait près de 25 % du montant du marché et qu'en conséquence elle était nécessairement exclue de la compétition ;
Qu'elle soutient également que Somaco et Hayet pratiquant des prix exorbitants avec les entreprises ont limité la concurrence à eux deux et à SNV, petite entreprise locale avec laquelle des accords avaient sans doute été passés ;
Considérant que la société EMCC ajoute qu'ayant été retenue et qualifiée par le maître d'ouvrage pour répondre sur une offre relative à chacun des onze lots que comportait ce marché elle se devait de formuler au lot n° 1, sous peine de ne plus être ultérieurement consultée pour d'autres marchés relevant de sa spécialité et que pour ce faire elle a demandé ses prix à la société Hayet dans le cadre d'une sous-traitance ;
Qu'elle fait également valoir que la reprise pure et simple dans son offre du montant indiqué par la société Hayet révèle sa bonne foi ;
Considérant que les sociétés EMCC et Fougerolle Ballot ne contestent pas avoir noué des contacts avec la société Hayet et avoir repris à l'identique les prix donnés par cette société pour les travaux d'enrochement ;
Que la société Le Foll, qui soutient également avoir souhaité répondre par une offre carte de visite, admet s'être concertée avec les sociétés Ballot et EMCC ;
Considérant que la pratique de l'offre "carte de visite" permettant à une entreprise de se faire connaître du maître de l'ouvrage, sans chercher à obtenir le marché, aussi fréquente soit-elle et provoquée par le comportement de donneurs d'ordres publics quant à l'exigence d'une participation habituelle des entreprises intéressées à leurs appels d'offres, ne peut être tenue pour licite dès lors que, par les échanges d'informations sur les prix, elle trompe le maître de l'ouvrage sur la réalité de la concurrence ;
Considérant qu'il ne peut être invoqué pour réfuter l'effet anticoncurrentiel d'une entente, que les trois entreprises impliquées n'avaient aucune chance d'obtenir le marché puisqu'une telle circonstance n'est pas de nature à écarter l'objet anticoncurrentiel de la concertation;
Considérant qu'il ne peut davantage être soutenu pour contester l'atteinte portée à la concurrence par la pratique incriminée ou en nier l'effet sensible, que le marché de par sa nature ne pouvait échapper à un carrier, dès lors que précisément il a été obtenu par la société Nouvelle Voltaire et non par les sociétés Hayet et Somaco, et qu'il n'est pas démontré que celles-ci se soient concertées avec celle-là ;
Considérant enfin que le ministre fait justement observer que même si les trois entreprises en cause étaient tenues de demander à l'entreprise Hayet le coût des matériaux nécessaires à la réalisation des travaux, elles se devaient de tenir compte de leurs paramètres personnels dans la fixation des prix ;
Que la reprise pure et simple des montants indiqués par la société Hayet sans mentionner au maître de l'ouvrage qu'il s'agissait de l'une des sociétés soumissionnaires ne pouvait qu'induire celui-ci en erreur sur la réalité et l'étendue de la concurrence sur le marché concerné ;
Considérant en conséquence qu'à bon droit le Conseil de la concurrence a retenu que ces pratiques qui étaient de nature à tromper le maître de l'ouvrage, ont eu pour effet de fausser le jeu de la concurrence.
Sur les sanctions :
Considérant que les sociétés restant en cause soutiennent que les sanctions infligées par le conseil sont disproportionnées au regard de la gravité des faits et du dommage causé à l'économie ;
Considérant que la société Fougerolle Ballot expose qu'à l'époque des faits, elle était une entreprise moyenne et que ce n'est qu'en 1992 que la société Ballot a intégré "ce groupe important du secteur du bâtiment et des travaux publics" visé par le conseil ;
Qu'en outre elle fait état de ce que son exercice 1996 fait apparaître un chiffre d'affaires de 196 287 238,38 F et une perte de 38 435 116,72 F ;
Considérant que la société EMCC fait valoir que la sanction qui lui a été infligée est excessive en ce qu'elle n'a pas pris en compte le comportement du maître de l'ouvrage qui est à l'origine même des échanges d'informations relatifs aux marchés "Sahurs" et "Rouen Ile Lacroix" ;
Qu'enfin elle fait observer qu'elle n'a été attributaire d'aucun des marchés en cause ;
Considérant que la société Le Foll soutient quant à elle que la sanction est "inique" comme se fondant sur le chiffre d'affaires général de la société et précise que son chiffre d'affaires "travaux publics" s'est élevé en 1995 à 188 893 099 F et en 1996 à 190 427 616 F ;
Considérant qu'aux termes de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : "Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise de 5 % du montant du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos."
En ce qui concerne la gravité des faits et le dommage à l'économie :
Considérant que le conseil a justement relevé que le dommage causé à l'économie procède suffisamment du fait que les échanges d'informations portant sur des marchés relatifs aux infrastructures d'aménagement des berges de la Seine, indispensables au trafic maritime et fluvial et présentant un caractère d'utilité publique ;
Considérant en outre que sur les marchés de travaux publics, le dommage causé à l'économie est indépendant du dommage souffert par le maître d'ouvrage en raison de la collusion entre plusieurs entreprises soumissionnaires et s'apprécie en fonction de l'entrave directe portée au libre jeu de la concurrence par la généralisation et le caractère systématique des ententes ;
Considérant sur la gravité des faits reprochés que le conseil a à bon droit retenu que les pratiques mises en œuvres par les sociétés qui y sont parties tendaient à évincer des entreprises n'y ayant pas pris part et pouvaient conduire ces dernières à renoncer à faire des offres sur les marchés qu'elles seraient cependant aptes à réaliser ;
Que cette gravité résulte également du caractère systématique desdites pratiques étendues dans le temps et de leur mise en œuvre à l'occasion de marchés publics en violation des règles dont le respect seul garantit à l'acheteur public la loyauté des transactions et le préserve de la spoliation des deniers publics ;
Considérant que la société EMCC ne saurait soutenir que le maître de l'ouvrage aurait eu pour les marchés de Sahurs et Rouen Ile Lacroix un comportement incitant à une entente ;
Qu'en effet si le premier de ces marchés comprend à la fois des travaux d'enrochement et des travaux de vannage métallique, il demeure que le vannage métallique relevant de la spécialité d'EMCC représentait environ 50 % du marché ;
Qu'en outre pour ce marché la remise en état des berges impliquant des travaux de vannage, de rempiètement et de surélévation, l'appel d'offres tel que formulé était parfaitement rationnel ;
Considérant que le second marché ne comportant pas de travaux de vannage métallique, ne peut être qualifié d'appel d'offre mixte ;
En ce qui concerne l'assiette et le montant des sanctions :
Société EMCC
Considérant que la société EMCC a participé aux échanges d'informations concernant les marchés "Sahurs lot 4" et "Rouen Ile Lacroix" d'un montant total de 2 849 700 F HT, la décision du conseil étant annulée en ce qui concerne les quatre autres marchés d'Anneville-Ambouvile lot n° 7, Ambouville lot n° 8 et les deux postes d'aménagement du port autonome de Rouen ;
Qu'elle appartient à un groupe important du secteur du bâtiment et des travaux publics ;
Considérant que le chiffre d'affaire en France étant pour l'année 1995, dernier exercice clos, de 222 758 939 F HT, le montant de la sanction pécuniaire doit, en fonction des éléments d'appréciation généraux et individuels ci-dessus indiqués, être fixée à la somme de 850 000 F.
Société Gascheau
Considérant que la société Gascheau a participé aux échanges d'informations concernant le marché d'Anneville de 1992 d'un montant de 3 066 500 F HT dont elle a été attributaire ;
Considérant que le chiffre d'affaires en France étant pour 1995, dernier exercice clos, de 124 471 806 F HT, la société requérante ne saurait soutenir que le montant de la sanction infligée par le conseil (250 000 F), qui prend en compte le dommage causé à l'économie, la gravité de la faute et les éléments individuels ci-dessus rappelés est excessif ;
Que le montant de la sanction pécuniaire prononcée par le conseil, étant proportionné aux critères de référence, le recours de cette société sera rejeté.
Société Fougerolle-Ballot
Considérant que la société Fougerolle-Ballot a participé aux échanges d'informations concernant le marché de "Rouen Ile Lacroix" d'un montant de 1 938 950 F ;
Considérant qu'il convient de prendre en compte, pour apprécier sa situation propre et la gravité des faits qui lui sont reprochés, le fait qu'elle était à l'époque une PME et que ce n'est qu'en 1992 qu'elle a intégré un groupe important du secteur du bâtiment et des travaux publics ;
Considérant que le chiffre d'affaires en France étant pour l'année 1996 de 196 287 238,38 F, le montant de la sanction doit, en fonction des éléments d'appréciation généraux et individuels ci-dessus indiqués, être fixé à la somme de 400 000 F.
Société Le Foll
Considérant que la société Le Foll a participé aux échanges d'informations concernant le marché de "Rouen Ile Lacroix" d'un montant de 1 938 950 F ;
Considérant que la société requérante ne saurait valablement soutenir que le chiffre d'affaires à prendre en considération pour la détermination de la sanction est le chiffre d'affaires réalisé dans le secteur des "travaux publics" dès lors que l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, applicable en l'espèce, selon lequel : "le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 5 % du montant de son chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos" n'opère aucune distinction en fonction du secteur d'activité ;
Considérant que le chiffre d'affaires en France étant pour 1996, dernier exercice clos, de 294 707 984 F HT, la société requérante ne saurait soutenir que le montant de la sanction infligée par le conseil (590 000 F), qui prend en compte le dommage causé à l'économie, la gravité de la faute et les éléments individuels ci-dessus rappelés, est excessif ;
Que son recours sera donc rejeté.
Société Quillery
Considérant qu'aucune pratique prohibée n'étant retenue à l'encontre de cette société, il n'y a pas lieu de prononcer de sanction à son encontre ;
Considérant qu'il y a lieu d'accorder à la société EMCC qui en fait la demande le paiement des intérêts de la somme restituée à compter de la notification du présent arrêt valant commandement de payer et la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 du Code civil ;
Considérant que l'équipe commande qu'il ne soit pas fait application au profit de la société Gascheau des dispositions de l'article 700 NCPC ;
Par ces motifs : Ordonne la jonction des différents recours formés contre la décision du Conseil de la concurrence en date du 25 février 1997 ; Dit irrecevables les demandes formées par la société Cogere représentée par son liquidateur et par la société ETPO ; Ecarte des débats les procès-verbaux de MM. Cayet et Chalandon établis respectivement les 27 octobre et 19 novembre 1992 ; Annule la décision attaquée en ce qu'elle a retenu que les sociétés EMCC et Quillery et Cie s'étaient livrées à des pratiques prohibées par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 pour les marchés : lot n° 7 d'Anneville-Ambouville de 1988, lot n° 8 du marché d'Ambouville de 1988, l'aménagement du poste 27 à Val-de-La Haye et aménagement du poste de dégagement amont du Port autonome de Rouen (Quillery n'étant concernée que pour les deux marchés du Port autonome de Rouen) ; Annule en conséquence la décision en ce qu'elle a prononcé une sanction pécuniaire à l'encontre de la société Quillery et Cie et dit n'y avoir lieu à sanction à son encontre ; Rejette les recours formés par les sociétés Gascheau et Le Foll et dit qu'en conséquence sont maintenues les sanctions prononcées à leur encontre par le conseil ; Réformant pour le surplus la décision attaquée, fixe aux montants suivants les sanctions pécuniaires infligées à: - la société EMCC : 850 000 F ; - la société Fougerolle-Ballot : 400 000 F ; Dit que le Trésor public restituera aux sociétés concernées le trop-perçu des sanctions prononcées et que les intérêts des sommes restituées à la société EMCC seront dus à compter de la notification du présent arrêt et porteront intérêts dans les conditions de l'article 1154 du Code civil ; Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Laisse les dépens à la charge des sociétés requérantes.