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Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 15 mars 1999, n° ECOC9910153K

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

France Télécom (SA)

Défendeur :

NC NumériCâble (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Favre

Avoués :

SCP Valdelievre-Garnier, SCP Fisselier Chiloux Boulay

Avocats :

Mes De La Laurencie, Montravers, Cot, De Roux.

CA Paris n° ECOC9910153K

15 mars 1999

Saisi le 18 novembre 1998, par la société NC NumériCâble, de faits, de la part de la société France Télécom, susceptibles d'entrer dans le champ d'application de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, concernant la situation de la concurrence dans le secteur du transport de signal audiovisuel par câble, le conseil de la concurrence (le conseil) a, par décision n° 99-MC-01 du 12 janvier 1999, sur la demande de mesures conservatoires présentée par la plaignante : enjoint à la société France Télécom, jusqu'à ce que le conseil ait statué sur le fond, de ne pas mettre en œuvre les dispositions de l'article 29 des conventions d'établissement, conclues en 1986 et 1987 avec la Compagnie générale de vidéocommunications devenue depuis NC NumériCâble, dès lors que la société NC NumériCâble lui versera mensuellement une provision égale au montant de la redevance mensuelle qui serait due si cette redevance était déterminée selon le même mode de calcul que celui utilisé en 1998.

Aux termes d'assignations délivrées le 15 février 1999, la société France Télécom a formé un recours tendant à l'annulation de cette décision au motif que :

- le conseil n'était pas compétent pour examiner les pratiques reprochées dans la mesure où elles relèvent d'un simple litige commercial et ne sont pas susceptibles de constituer des infractions aux articles 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et 86 du traité de Rome ;

- elle-même n'occupe pas une position dominante sur le marché de l'accès aux infrastructures de transport de signaux audiovisuels par câble ;

- les conditions de l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ne sont pas réunies car il n'y a pas atteinte grave et immédiate à l'économie du secteur intéressé ni même à la société NC NumériCâble.

La société NC NumériCâble, auteur de la saisine du conseil, conclut au rejet du recours et sollicite la condamnation de la requérante à lui verser la somme de 150 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Le conseil de la concurrence et le ministère public ont déposé des observations écrites tendant au rejet du recours.

Le ministre de l'économie et des finances a présenté à l'audience des observations orales tendant également au rejet du recours.

La société requérante a pu répliquer à l'ensemble des observations écrites et orales.

Sur ce, LA COUR :

Considérant que le tarif de la redevance due par la société NC NumériCâble à la requérante a été révisé à plusieurs reprises depuis les conventions d'établissement et d'exploitation du réseau de vidéocommunication ; que, par protocole du 15 octobre 1996, les parties l'ont fixé jusqu'au 31 décembre 1998 ;

Qu'au soutien de sa demande de mesures conservatoires, la société NC NumériCâble fait notamment valoir, dans sa saisine, que le réseau câblé appartenant à la société France Télécom constitue une infrastructure essentielle pour l'acheminement des signaux vidéo sur les 18 sites du plan câble dont elle est l'opérateur commercial, que l'importance de l'augmentation du montant de la redevance que la société France Télécom veut lui imposer pour 1999 constitue un abus et que sa pratique tarifaire serait discriminatoire ;

Qu'elle se dit contrainte d'accepter cette augmentation de 70 % par rapport au mode de calcul retenu en 1998, pour éviter l'interruption de la prestation de transport du signal qui entraînerait la cessation de son activité sur l'ensemble des sites qu'elle exploite ;

Qu'elle indique avoir accumulé plus de trois milliards et demi de francs de pertes et avoir mise en œuvre un plan de restructuration depuis le 1er janvier 1998, incluant la baisse de ses effectifs et de ses prix de vente ; qu'elle fait valoir qu'elle a réduit ses pertes à 180 000 000 F en 1998 et prévoit de les ramener à 120 000 000 F en 1999 mais que l'augmentation de la redevance, telle que décidée par la société France Télécom, compromettra définitivement, et à très court terme, sa viabilité ;

Que la société NC NumériCâble précise ne disposer d'aucune alternative à l'utilisation du réseau câblé dont elle a installé les prises d'accès chez ses clients ;

Qu'elle prétend que la requérante a, aux termes de l'article 29 de la convention d'établissement, la possibilité d'interrompre le signal en cas de défaut de paiement et qu'un autre câblo-opérateur pourrait lui être substitué, les trois principaux câblo-opérateurs ayant des offres de programme semblables à plus de 90 % ; que, d'ailleurs, l'article 31-1 de la même convention prévoit cette possibilité avec l'obligation pour la société France Télécom de proposer un nouvel exploitant ;

Que la société NC NumériCâble note que cette substitution a été réalisée à Metz et Biarritz au profit de la société France Télécom Câble (filiale de la société France Télécom) ;

Que la société NC NumériCâble en déduit que les mesures ordonnées sont nécessaires pour empêcher la requérante d'abuser de sa position dominante par des actes irrévocables qui la mettraient en péril ;

Considérant que la société France Télécom soutient que la société NC NumériCâble ne dénonce pas des pratiques révélées à l'occasion d'un litige contractuel mais conteste les termes mêmes du contrat qui la lie à elle ;

Que la requérante fait grief au conseil d'avoir ignoré les caractéristiques du litige, à savoir :

- une relation contractuelle tripartite, imposée par la loi, entre elle-même (propriétaire du réseau), la collectivité locale (titulaire des droits d'exploitation du réseau) et la société NC NumériCâble (exploitante désignée par la ville titulaire du droit) ;

- une chaîne de contrats contenant tous les éléments de fixation du niveau de redevance dû par l'exploitante pour l'utilisation de son réseau câblé à partir du 1er janvier 1999 ainsi qu'un mode de règlement des conflits ;

Qu'elle prétend que le conseil s'est substitué à la volonté des parties, ainsi qu'au juge du contrat, pour fixer d'office le tarif de la redevance, à compter de cette dernière date, alors que les accords contractuels prévoyaient un retour aux conditions de 1992 avec, en cas de désaccord, un mécanisme de règlement amiable par un collège d'experts ;

Qu'elle affirme, d'une part, que la mesure conservatoire décidée par le conseil privera d'effet la décision du collège d'experts dont elle a demandé la réunion par courrier du 1er février 1999 et, d'autre part, que les griefs de la société NC NumériCâble sont de pure opportunité et tendent seulement à influencer la détermination du prix des réseaux dont elle a annoncé la mise en vente ;

Que la requérante soutient encore ne pouvoir juridiquement interrompre le signal de transmission des signaux audiovisuels sur le réseau en raison :

- du principe de la liberté de réception fondé sur les dispositions des articles 19 de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme et 10 de la Convention européenne des Droits de l'Homme ;

- du droit au câble instauré par la loi du 2 juillet 1966 modifiée par celle du 29 décembre 1990 et celle n° 92-653 du 13 juillet 1992, inséparable du droit de réception des abonnés de la société NC NumériCâble ;

- des articles 29 et 31-1 de la convention d'établissement prévoyant un préavis d'un mois avant toute coupure effective avec l'intervention de la ville pour éviter l'interruption de l'exploitation commerciale ;

Considérant, cependant, que la société France Télécom précise, dans son courrier du 8 décembre 1998 à la société NC NumériCâble, que, " dans l'hypothèse où la négociation actuelle n'aboutirait pas et tant que les procédures prévues par les accords n'auront pas débouché sur une décision de justice ou arbitrale définitive, France Télécom facturera à votre société les redevances prévues par les accords de 1992 auxquelles s'ajouteront les minima de perception qui redeviennent exigibles à compter du 1er janvier 1999 " ;

Considérant que, saisi de pratiques entrant dans le champ d'application de l'article 53 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, le conseil a, par des motifs pertinents que la cour adopte, répondu à l'ensemble des moyens et arguments que la société France Télécom reprend dans le cadre du présent recours;

Qu'après avoir justement retenu l'existence actuelle d'un seul réseau câblé sur lequel la société NC NumériCâble peut faire transporter ses programmes audiovisuels et dont la requérante est propriétaire, il en déduit exactement que cette dernière s'avère seule susceptible de fournir la prestation de transport des signaux audiovisuels sur chacun des sites concernés;

Qu'en l'état du caractère déficitaire du marché de l'exploitation commerciale des réseaux câblés, seul en cause, le conseil énonce avec pertinence qu'il ne peut être exclu que la société NC NumériCâble ne dispose d'aucune autre solution que d'utiliser ceux de la société France Télécom pour l'exploitation de ses sites et que ces infrastructures revêtent pour elle un caractère essentiel;

Considérant que la société NC NumériCâble se trouve ainsi en situation de dépendance économique à l'égard de la société France Télécom : qu'elle est dans une situation financière difficile de sorte que l'augmentation immédiate et injustifiée de la redevance, de 70 % du montant actuel, ne peut qu'accroître ses difficultés; que l'aggravation de ses pertes est susceptible d'avoir pour effet de l'éliminer du marché;

Considérant que, faisant l'exacte analyse des faits soumis à son appréciation, le conseil relève en outre que la reprise de l'exploitation commerciale du réseau par un concurrent est possible ; qu'il en déduit à juste titre qu'il est loisible à la société France Télécom de mettre en œuvre les dispositions de l'article 29 précité, lui permettant de suspendre la mise à disposition des capacités de transport et de distribution des signaux de radiotélévision par câble, en cas de défaut de paiement des redevances ;

Considérant, dès lors, qu'il ne peut être exclu que la société France Télécom ait mis en œuvre une pratique prohibée par les dispositions de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Considérant que l'ampleur de la hausse de la redevance que la requérante entend imposer est de nature à mettre immédiatement en péril l'existence de la société NC NumériCâble; que l'interruption du signal en cas de non-paiement de la redevance porterait une atteinte grave et immédiate aux intérêts commerciaux de l'entreprise plaignante;

Qu'il s'ensuit que les conditions d'application de l'article 12 de l'ordonnance précitée sont réunies et que le recours doit être rejeté;

Considérant que l'équité commande l'attribution de la somme de 80 000 F au titre des frais non compris dans les dépens en faveur de la société NC NumériCâble ;

Par ces motifs : Rejette le recours ; Condamne la société France Télécom à payer à la société NC NumériCâble la somme de 80 000 F au titre des frais non compris dans les dépens ; Condamne la société France Télécom aux dépens.