Cass. com., 21 octobre 1997, n° 95-20.118
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Laboratoires pharmaceutiques de La Roche Posay (SA)
Défendeur :
Parasanté (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bézard
Rapporteur :
M. Léonnet
Avocat général :
Mme Piniot
Avocats :
SCP Piwnica, Molinié, SCP Waquet, Farge, Hazan.
LA COUR : - Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué (Poitiers, 19 septembre 1995) que la société des Laboratoires pharmaceutiques de La Roche Posay (société La Roche Posay) fabrique des médicaments ainsi que des produits cosmétiques et d'hygiène corporelle qu'elle distribue exclusivement en pharmacie ; qu'en 1990, la société Parasanté, qui commercialise des produits parapharmaceutiques, hygiéniques et diététiques, a demandé à la société La Roche Posay de lui fournir ses produits à l'exclusion de ceux faisant l'objet d'autorisations de mise sur le marché, en vue de les revendre ; que, n'obtenant pas satisfaction et considérant que l'attitude de la société La Roche Posay constituait un refus de vente, la société Parasanté a saisi le tribunal de commerce sur le fondement de l'article 36-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, alors en vigueur, pour obtenir le paiement de dommages-intérêts ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux branches : - Attendu que la société La Roche Posay fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer à la société Parasanté la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts, alors, selon le pourvoi, d'une part, que le refus de vente opposé par le fabricant de produits faisant l'objet d'une distribution sélective ne constitue par une faute civile dès lors que le système de distribution sélective est licite, soit que les restrictions de concurrence inhérentes à ce mode de distribution n'affectent pas de manière sensible le marché pertinent, soit que cette pratique se trouve justifiée conformément aux dispositions de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; qu'en affirmant que le débat était limité aux dispositions des articles 36-2 et 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et qu'il n'y avait pas lieu d'y introduire la notion de seuil de sensibilité, la Cour d'appel de Poitiers s'est refusée à vérifier si le système de distribution sélective appliqué par la société Les Laboratoires pharmaceutiques de La Roche Posay, eu égard aux caractéristiques du marché de référence qu'il lui appartenait de définir, avait pour objet ou pour effet de porter atteinte à la concurrence sur le marché considéré et a ainsi violé les dispositions susvisées, ensemble les articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; alors, d'autre part, qu'en statuant ainsi, sans rechercher si les acheteurs des produits Roche Posay n'étaient pas principalement des malades atteints d'affections cutanées, qui achètent les produits de la gamme Roche Posay, souvent prescrits par leur médecin, dans un souci curatif ou préventif, même si ces produits ne sont pas tous qualifiés de médicaments au sens de l'article L. 511 du Code de la santé publique et si la distribution en pharmacie des produits de soin Roche Posay, qui ne pouvaient, dès lors, être assimilés à des produits cosmétiques ou d'hygiène corporelle destinés à satisfaire des besoins esthétiques ou d' agrément, portait atteinte à la concurrence au préjudice de la société Parasanté, dont l'activité est limitée au marché des produits cosmétiques ou d'hygiène, la Cour d'appel de Poitiers a privé sa décision de base légale au regard des articles 36-2 et 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Mais attendu, d'une part, ainsi que l'arrêt le constate, que l'argumentation de la société La Roche Posay tendant à démontrer la licéité de son réseau de distribution sélective du fait que ce mode de distribution n'affectait pas de manière sensible le marché pertinent, n'avait pas à être retenue " puisque, si effectivement, son mode de distribution exclusivement en pharmacie est aujourd'hui très isolé, c'est essentiellement parce que plusieurs de ses concurrents qui le pratiquaient - et qui, pour beaucoup, le justifiaient par les mêmes arguments - ont été sanctionnés par le Conseil de la concurrence et la Cour d'appel de Paris " ; qu'en l'état de ces constatations et énonciations, la cour d'appel a pu statuer ainsi qu'elle l'a fait sans encourir le grief de la première branche du premier moyen ;
Attendu, d'autre part, que l'arrêt ayant constaté que, sur les 44 produits de la gamme La Roche Posay, 9 seulement faisaient l'objet d'une autorisation de mise sur le marché, les autres n'étant que des produits cosmétiques et d'hygiène corporelle, la cour d'appel n'avait pas à rechercher si les acheteurs des produits cosmétiques La Roche Posay n'étaient pas des malades s'adressant essentiellement à des pharmacies pour acheter ces produits à titre curatif ou préventif ; - Que le moyen n'est fondé en aucune de ses deux branches ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses trois branches : - Attendu que la société La Roche Posay fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'un système de distribution sélective est licite dès lors que le choix des revendeurs est justifié par la nécessité d'une distribution adéquate des produits en cause ; - qu'en déclarant "inopérant" le moyen faisant valoir que les produits de soin Roche Posay étaient complémentaires des médicaments et en se bornant à affirmer que la délivrance par un pharmacien d'officine ne serait exigée par " aucun texte ", sans rechercher si la distribution en pharmacie d'officine n'était pas seule susceptible d'offrir au consommateur l'accès simultané aux médicaments et aux produits de soin complémentaires Roche Posay, destinés - comme les médicaments - aux personnes atteintes d'affections cutanées, la Cour d'appel de Poitiers a privé sa décision de base légale au regard des articles 7, 10 et 36-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; - alors, d'autre part, qu'en se bornant à affirmer que la vente en pharmacie ne s'impose nullement dès lors que rien n'empêche le fabricant de soumettre ses produits à des conditions d'agrément " justifiées par la nature des produits ", sans rechercher si, précisément, la nature de la gamme Roche Posay, composée de médicaments d'excipients servant aux préparations magistrales et de produits de soin complémentaires, destinés aux personnes atteintes d'affections cutanées, ne rendait pas nécessaire leur distribution en pharmacie, où l'ensemble de ces produits sont simultanément accessibles à ces consommateurs, tandis que la distribution des seuls produits de soin complémentaires par des vendeurs de produits cosmétiques et de produits d'hygiène destinés à des peaux saines nuirait à la cohérence de la gamme et de la marque Roche Posay comme aux intérêts des consommateurs, la Cour d'appel de Poitiers a privé sa décision de base légale au regard des articles 7, 10 et 36-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; et alors, enfin, que la circonstance selon laquelle des distributeurs non agréés commercialisent les produits en cause ne rend pas illicite le système de distribution sélective appliqué par le fabricant ; qu'en retenant, pour estimer que la société Les Laboratoires pharmaceutiques de La Roche Posay ne justifiait pas d'un système de distribution sélective licite, que la société Parasanté, qui affirme vendre elle-même des produits Roche Posay qu'elle se procure par d'autres moyens, prouve que d'autres entreprises de parapharmacie vendent ouvertement les mêmes produits, la Cour d'appel de Poitiers a violé les articles 7, 10 et 36-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Mais attendu que c'est à bon droit que l'arrêt énonce que si la spécificité ou les propriétés particulières de certains produits cosmétiques ou d'hygiène de la peau peuvent amener des médecins à les prescrire à des malades, aucun texte n'exige leur délivrance par un pharmacien d'officine; qu'ayant, en outre, exactement relevé que le fabricant de ces mêmes produits peut les commercialiser au moyen d'un réseau de distribution sélective lui permettant de vérifier que les revendeurs ont la compétence nécessaire pour effectuer cette commercialisation et conseiller les clients, la cour d'appel, qui n'avait pas à effectuer d'autres recherches, abstraction faite d'un motif surabondant concernant le fait que la société Parasanté pouvait se procurer les produits Roche Posay en s'adressant à d'autres commerçants, n'encourt pas les griefs du moyen ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le troisième moyen, pris en ses deux branches : - Attendu que la société La Roche Posay fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'en estimant que la société Parasanté avait subi un préjudice résultant, sur le plan financier, de la perte de chance des gains qu'elle aurait pu réaliser en vendant des produits Roche Posay acquis dans des conditions normales, sans préciser en quoi la société Parasanté s'approvisionnerait en produits Roche Posay à des conditions contraignantes ou plus onéreuses que si elle les avait acquis directement auprès de la société Les Laboratoires pharmaceutiques de La Roche Posay, la Cour d'appel de Poitiers a privé sa décision de base légale au regard des dispositions des articles 36-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et 1382 du Code civil ; alors, d'autre part, qu'en estimant que la société Parasanté avait subi un préjudice résultant, sur le plan commercial, de ce que d'autres entreprises du même type proposaient à leur clientèle les produits Roche Posay, tout en constatant que la société Parasanté " affirme vendre elle-même des produits Roche Posay qu'elle se procure par ses propres moyens ", la Cour d'appel de Poitiers n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations dont il résultait que la société Parasanté n'avait subi aucun préjudice dans la concurrence avec les autres parapharmacies qui, comme elles, vendaient des produits Roche Posay, et a ainsi violé les articles 36-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et 1382 du Code civil ;
Mais attendu qu'ayant constaté que le refus de vente opposé à la société Parasanté était illicite et qu'ainsi, la société La Roche Posay avait rompu l'égalité qui devait exister entre les intervenants sur le marché des produits cosmétiques et d'hygiène corporelle et, sans avoir à rechercher si la société Parasanté avait eu la possibilité de se fournir en produits La Roche Posay en dépit du refus du fabricant, la cour d'appel a caractérisé le préjudice découlant de ces actes déloyaux, sans encourir les griefs du moyen ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Par ces motifs : rejette le pourvoi.