Cass. com., 7 avril 1998, n° 96-14.955
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Laboratoires pharmaceutiques de La Roche Posay (SA)
Défendeur :
La Forme et la santé (SARL), Direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes de Haute-Savoie
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bézard
Rapporteur :
M. Léonnet
Avocat général :
M. Raynaud
Avocats :
SCP Piwnica, Molinié, SCP Waquet, Farge, Hazan, Me Ricard.
LA COUR : - Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué (Chambéry, 5 mars 1996) que, le 8 septembre 1989, la société La Forme et la santé, qui exploite à Annecy un fonds de commerce de produits diététiques et cosmétiques, a demandé à la société des Laboratoires pharmaceutiques de La Roche Posay (société La Roche Posay) de lui adresser les conditions de vente de ses produits ainsi qu'un éventuel contrat de sélectivité ; - qu'en réponse, cette dernière lui a fait connaître qu'elle ne donnerait pas suite à sa demande, car elle estimait que ses produits ne pouvaient être commercialisés que par des officines pharmaceutiques ; - que la société La Forme et la santé a alors saisi le tribunal de grande instance, statuant en matière commerciale, pour que soit constaté le refus de vente qui lui avait été opposé en violation des dispositions de l'article 36-2° de l'ordonnance du 1er décembre 1986, alors en vigueur, et que la société La Roche Posay soit condamnée à lui payer des dommages-intérêts ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux branches : - Attendu que la société La Roche Posay fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée, alors, selon le pourvoi, d'une part, que le refus de vente opposé par le fabricant de produits faisant l'objet d'une distribution sélective ne constitue pas une faute civile dès lors que le système de distribution sélective est licite, soit que les restrictions de concurrence inhérentes à ce mode de distribution n'affectent pas de manière sensible le marché pertinent, soit que cette pratique se trouve justifiée conformément aux dispositions de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; - qu'en affirmant au contraire qu'à supposer que le système de distribution de la société Les Laboratoires pharmaceutiques de La Roche Posay ne puisse être considéré comme constitutif de pratiques anticoncurrentielles au sens des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, en ce qu'il n'aurait pas d'effet sensible sur la concurrence, le refus de vente ne serait alors pas susceptible d'être justifié et demeurait fautif, la cour d'appel a violé les dispositions susvisées, ensemble l'article 36-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; - et alors, d'autre part, que le marché se définit comme le lieu où se rencontrent l'offre et la demande portant sur des produits et services considérés comme substituables entre eux, mais non substituables à d'autres ; - qu'en se bornant à déclarer, pour affirmer que la distribution des produits La Roche Posay en pharmacie constituait une pratique anticoncurrentielle, que ce circuit de distribution rendait insubstituables aux yeux des consommateurs les produits vendus exclusivement en pharmacie et ceux vendus dans le cadre d'autres circuits de distribution, sans rechercher si les produits La Roche Posay n'étaient pas, principalement, destinés à des malades atteints d'affections cutanées, dans un souci curatif ou préventif, même si ces produits ne sont pas tous qualifiés de médicaments au sens de l'article L. 511 du Code de la santé publique, de sorte que la distribution en pharmacie des produits de soin La Roche Posay, irréductibles à des produits cosmétiques ou d'hygiène corporelle destinés à satisfaire des besoins esthétiques ou d'agrément, ne portait pas atteinte à la concurrence au préjudice de la société La Forme et la santé, dont l'activité est limitée au marché des produits cosmétiques ou d'hygiène, la Cour d'appel de Chambéry a privé sa décision de base légale au regard des articles 36-2 et 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Mais attendu, d'une part, ainsi que l'arrêt le constate, que l'argumentation de la société La Roche Posay tendant à démontrer la licéité de son réseau de distribution sélective, du fait que ce mode de distribution n'affecte pas de manière sensible le marché pertinent, n'a pas à être retenue " l'insubstituabilité dans l'esprit du consommateur des produits, hors autorisation de mise sur le marché, vendus exclusivement en pharmacie, par des produits similaires d'autres marques vendus en dehors des pharmacies et de la rigidité des prix pratiqués par les officines de pharmacie, ne pouvant avoir un effet sensible sur la concurrence, et ce quelque soit sa part de marché, alors surtout qu'il ne peut être fait abstraction de ce que ce système s'intégrait à l'origine dans une politique plus généralisée adoptée par de nombreux fabricants " ; - qu'en l'état de ces constatations, la cour d'appel a pu statuer ainsi qu'elle l'a fait sans encourir le grief de la première branche du moyen ;
Attendu, d'autre part, que l'arrêt ayant relevé que les produits La Roche Posay soumis à l'autorisation de mise sur le marché " sont minoritaires par rapport " aux autres produits cosmétiques et d'hygiène corporelle qu'elle commercialise, la cour d'appel n'avait pas à rechercher si les acheteurs de ces types de produits n'étaient pas des malades s'adressant essentiellement à des pharmacies pour acheter ces produits à titre curatif ou préventif ; - Que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses deux branches : - Attendu que la société La Roche Posay fait encore grief à l'arrêt de l'avoir condamnée, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'un système de distribution sélective est licite dès lors que le choix des revendeurs est justifié par la nécessité d'une distribution adéquate des produits en cause ; - qu'en déclarant " inopérant " le moyen faisant valoir que les produits de soin La Roche Posay étaient complémentaires des médicaments, et en se bornant à affirmer que la délivrance par un pharmacien d'officine ne serait exigée par " aucun texte ", sans rechercher si la distribution en pharmacie d'officine n'était pas seule susceptible d'offrir au consommateur l'accès simultané aux médicaments et aux produits de soin complémentaires La Roche Posay, destinés - comme les médicaments- aux personnes atteintes d'affections cutanées, la Cour d'appel de Chambéry a privé sa décision de base légale au regard des articles 7, 10 et 36-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; - et alors, d'autre part, qu'en se bornant à affirmer que la vente en pharmacie ne s'impose nullement dès lors que rien n'empêche le fabricant de soumettre ses revendeurs à des conditions d'agrément " nécessaire à une distribution adéquate de leurs produits ", sans rechercher si, précisément, la nature de la gamme La Roche Posay, composée de médicaments, d'excipients servant aux préparations magistrales et de produits de soin complémentaires, destinés aux personnes atteintes d'affections cutanées, ne rendait pas nécessaire leur distribution en pharmacie, où l'ensemble de ces produits sont simultanément accessibles à ces consommateurs, tandis que la distribution des seuls produits de soin complémentaires La Roche Posay par des vendeurs de produits cosmétiques et de produits d'hygiène destinés à des peaux saines nuirait à la cohérence de la gamme et de la marque La Roche Posay, comme aux intérêts des consommateurs, la Cour d'appel de Chambéry a privé sa décision de base légale au regard des articles 7, 10 et 36-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Mais attendu que l'arrêt relève que l'argument selon lequel les produits hors autorisation de mise sur le marché commercialisés par la société La Roche Posay seraient complémentaires des médicaments qu'elle diffuse n'est pas démontré et qu'aucun texte n'exige leur délivrance par des pharmaciens d'officine; - qu'ayant, en outre, exactement relevé que le fabricant de ces mêmes produits peut les commercialiser au moyen d'un réseau de distribution sélective, lui permettant de vérifier que les revendeurs ont la compétence nécessaire pour effectuer cette commercialisation et conseiller les clients, la cour d'appel, qui n'avait pas à effectuer d'autres recherches, n'encourt pas les griefs du moyen ; - que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Et sur le troisième moyen, pris en ses deux branches : - Attendu que la société La Roche Posay fait enfin grief à l'arrêt de l'avoir condamnée, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'en estimant que la société La Forme et la santé avait subi un préjudice résultant de la perte de chance de gains qu'elle aurait pu réaliser en vendant des produits La Roche Posay acquis dans des conditions normales, sans préciser en quoi la société La Forme et la santé s'approvisionnerait en produits La Roche Posay à des conditions plus contraignantes ou plus onéreuses que si elle les avait acquis directement auprès de la société Les Laboratoires pharmaceutiques de La Roche Posay, la Cour d'appel de Chambéry a privé sa décision de base légale au regard des dispositions des articles 36-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et 1382 du Code civil ; - et alors, d'autre part, qu'en estimant que la société La Forme et la santé avait subi un préjudice évalué à 30 000 F, tout en constatant que " les chiffres qu'elle avance ne sont étayés d'aucune pièce justificative ", ce dont il résultait que le préjudice allégué n'était pas établi, la cour d'appel a violé les articles 36-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et 1382 du Code civil ;
Mais attendu que si la cour d'appel a relevé que le montant de la demande de la société La Forme et la santé n'était étayé d'aucune pièce justificative, elle a constaté que le refus de vente opposé par la société La Roche Posay avait rompu l'égalité qui devait exister entre les intervenants sur le marché des produits cosmétiques et d'hygiène corporelle et l'avait obligée à " se heurter aux difficultés du recours à des voies parallèles pour obtenir " les produits litigieux en dehors du fabricant ; - qu'en l'état de ces constatations et en se fondant " sur les éléments du dossier ", la cour d'appel a pu statuer ainsi qu'elle l'a fait sans encourir les griefs du moyen ; - que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Par ces motifs : rejette le pourvoi.