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Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 20 octobre 1998, n° ECOC9810373X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Ministre de l'économie, des finances et de l'industrie

Défendeur :

Fédération Française de Sport Boules, La Boule Intégrale (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pinot

Avocat général :

M. Woirhaye.

CA Paris n° ECOC9810373X

20 octobre 1998

Saisi le 27 mai 1994 par le ministre de l'économie de pratiques anticoncurrentielles dans le secteur de la distribution des boules lyonnaises, le Conseil de la concurrence, par décision n° 97-D-90 du 9 décembre 1997, a infligé à la SA La Boule Intégrale et à la Fédération Française de Sport Boules (FFSB) des sanctions pécuniaires respectivement de 50 000 F et de 30 000 F, a enjoint à la société La Boule Intégrale et à la FFSB de mettre fin aux clauses des conventions conclues entre elles, qui accordent à la première une exclusivité, un droit de préemption ou un droit de regard s'agissant des publicités sur les lieux de compétition et dans la revue Sport Boules Magazine, et a ordonné la publication intégrale de sa décision dans la revue Sport Boules Magazine.

Les faits sanctionnés sont relatifs, d'une part, à la convention de partenariat signée entre la société La Boule Intégrale et la FFSB, visant à préserver la part du marché des boules lyonnaises et des accessoires détenue par la société La Boule Intégrale en lui accordant diverses exclusivités et, d'autre part, à la politique tarifaire pratiquée par la société La Boule Intégrale.

Le conseil a estimé en effet que cette convention de partenariat reconduite annuellement depuis 1991, accordant à la société, contre le versement par celle-ci de 90 000 F à la FFSB, une exclusivité de publicité et de promotion sur toutes les compétitions nationales officielles organisées en France dans ce secteur d'activité, exclusivité étendue en fait à de nombreuses autres compétitions, ainsi qu'une exclusivité de publier des messages publicitaires dans la revue officielle de la fédération, avait eu pour objet et pouvait avoir eu pour effet de restreindre le jeu de la concurrence entre les sociétés La Boule Intégrale et les autres offreurs ; le conseil a également considéré que la nouvelle rédaction de ce contrat, intervenue postérieurement à la saisine du conseil, n'avait pas supprimé la situation privilégiée conférée à la société La Boule Intégrale par rapport à ses concurrents.

S'agissant de la politique tarifaire appliquée par la société La Boule Intégrale, le conseil a estimé que l'établissement et la diffusion par la société La Boule Intégrale et l'application par ses revendeurs, d'une part, d'un barème de remises maximales et, d'autre part, lors d'une opération publicitaire d'avril-mai 1993, d'un prix uniforme à pratiquer par les quarante et un distributeurs associés à cette opération, constituaient une pratique concertée visant à faire obstacle à la fixation des prix de vente au détail des boules lyonnaises et des accessoires nécessaires à la pratique du sport-boules par le jeu du marché, cette pratique étant d'autant plus susceptible d'entraîner des effets anticoncurrentiels sur ce marché que la société La Boule Intégrale y occupe une place prééminente.

La société La Boule Intégrale et la FFSB ont formé contre cette décision des recours en réformation, enregistrés sous les numéros 98-05087 et 98-04584, qu'il convient de joindre en raison de leur connexité.

La société La Boule Intégrale fait valoir que cet accord de partenariat exclusif n'a pas faussé le jeu de la concurrence, puisqu'elle est le seul et unique fabricant de boules lyonnaises, que l'insuffisance du développement des ventes de ses concurrents est la conséquence de l'étroitesse du marché (attesté par le petit nombre des licenciés et le faible tirage de la revue). Elle ajoute que le prétendu refus de publicité dans la revue Sport Boules Magazine signifié par la FFSB à la SARL Fantaisie Distribution repose sur un témoignage peu sérieux.

En ce qui concerne le grief tenant à sa politique tarifaire, la société La Boule Intégrale soutient qu'il ne s'agit pas de prix imposés ou conseillés, mais de conseils techniques de vente et d'éléments d'appréciation fournis par elle à ses distributeurs à leur demande, puisqu' elle-même dispose d'un magasin de vente au détail au siège de son entreprise à Lyon. Elle ajoute enfin que le tarif spécial pratiqué lors de la période du 20 avril au 28 mai 1993 avec quarante et un dépositaires, qui résultait d'un accord unanime, avait permis à tous de bénéficier d'une publicité commune et de faire aux consommateurs une offre avantageuse.

La fédération française sport boules (FFSB) fait valoir qu'elle n'a jamais eu l'intention de nuire aux intérêts de revendeurs de boules lyonnaises de fabrication étrangère, et que l'exclusivité d'exposition consentie à la société La Boule Intégrale lors des compétitions officielles ne vise qu'une infime partie de l'activité sportive déployée au sein de la FFSB.

L'une et l'autre demandent à la cour de constater que le contrat exclusif signé entre la FFSB et la société La Boule Intégrale l'a été pour des raisons historiques, en toute bonne foi, et qu'il n'a pas enfreint les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, et à tout le moins de prononcer à leur encontre une condamnation symbolique.

Le ministre de l'économie conclut au rejet des recours en observant que les griefs sont établis, que le prononcé de sanctions pécuniaires en application des dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986 n'est pas conditionné à la démonstration d'un élément intentionnel, et que les sanctions sont justifiées.

Le ministère public a conclu oralement au rejet des recours.

Sur quoi, LA COUR :

Sur l'accord de partenariat conclu entre la FFSB et la société La Boule Intégrale :

Considérant que la Fédération française de sport boules (FFSB) et la société La Boule Intégrale ont conclu, le 14 mai 1991, un accord .de partenariat reconduit depuis annuellement, aux termes duquel, en contrepartie du versement de la somme de 90 000 F à la FFSB, La société La Boule Intégrale dispose des exclusivités suivantes :

- exclusivité de l'insertion des annonces publicitaires comprenant les boules et accessoires (sacs, chaussures, buts mesureurs) dans l'unique revue consacrée à cette activité, la revue Sport Boules Magazine gérée par la FFSB (27 500 exemplaires) ;

- exclusivité pour effectuer des publicités lors de toutes les compétitions sportives (locales ou nationales) et pour présenter et commercialiser les produits sur un stand d'exposition lors des manifestations nationales ;

Qu'il résulte des déclarations du président de la FFSB que " cet accord de partenariat a été mis en place à la demande de La Boule Intégrale, seul fabricant français, qui subissait la concurrence de boules en provenance de l'étranger, afin de l'aider à poursuivre son exploitation ", et qu'il était " normal de privilégier un fabricant français à une époque où se développe un marché parallèle de vente de boules étrangères, qui nuit au bon fonctionnement du réseau de distribution traditionnel " ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier et notamment des déclarations du gérant de la SARL Fantaisie Distribution et de celui de la SARL Alchriss que l'exclusivité d'accès aux compétitions nationales, étendue dans les faits à d'autres compétitions organisées au niveau local, s'est exercée au détriment de concurrents déjà actifs sur le marché français ;

Qu'en tout état de cause,l'exclusivité d'accès aux compétitions nationales produit, à elle seule, un effet anticoncurrentiel significatif, s'agissant des compétitions les plus importantes et de celles qui drainent le plus grand nombre de clients potentiels ;

Considérant que l'exclusivité de publication de messages publicitaires dans la revue Sport Boules Magazine a été appliquée par la FFSB de façon rigoureuse et systématique, ainsi qu'en témoigne son refus opposé à la société Fantaisie Distribution qu'elle a justifié en faisant état de la clause d'exclusivité consentie à la société La Boule Intégrale, qui " lui interdit toutes insertions concurrentes pour 1993 " ; que cette exclusivité de publication des messages publicitaires a été maintenue dans les contrats de partenariat signés pour les années 1995 et 1996 ;

Sur la politique tarifaire de La Boule Intégrale :

Considérant qu'il ressort des pièces de la procédure que la société La Boule Intégrale communiquait à chaque revendeur un barème comportant également les remises maximales que les revendeurs pouvaient appliquer ; que l'enquête administrative a mis en évidence que les prix de vente pratiqués par l'ensemble des distributeurs des produits de La Boule Intégrale sont identiques à ceux figurant sur ces tarifs ;

Qu'il apparaît ainsi que, contrairement aux moyens développés dans son mémoire, la société La Boule Intégrale ne se bornait pas à donner des conseils techniques à ses revendeurs, mais leur recommandait une politique tarifaire commune, faisant ainsi obstacle à la libre fixation des prix de vente au détail des boules lyonnaises et de leurs accessoires par les distributeurs, en fonction des caractéristiques propres à leur entreprise ;

Que l'annonce publicitaire diffusée dans la revue Sport Boules Magazine d'avril 1993, relative à une offre spéciale disponible chez quarante et un distributeurs cités nominativement, indiquait le prix du tarif TTC 1993 soit 1 250 F par achat de quatre boules Trace (port gratuit) ;

Qu'il s'ensuit que La Boule Intégrale a utilisé l'exclusivité publicitaire qu'elle détenait dans la revue Sport Boules Magazine pour renforcer sa maîtrise des prix pratiqués par ses revendeurs, cette politique tarifaire restreignant la concurrence que pouvaient se faire entre eux ses distributeurs ;

Que cette pratique a donc eu pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence entre ces entreprises ;

Sur l'injonction de mettre fin aux clauses des conventions accordant à La Boule Intégrale une exclusivité, un droit de préemption ou un droit de regard :

Considérant que nonobstant la procédure administrative ouverte à l'encontre des requérantes, les termes des contrats de partenariat valables pour les années 1995 et 1996 n'ont pas été sensiblement modifiés ;

Que la décision d'injonction prise à leur encontre par le Conseil de la concurrence doit être approuvée ;

Sur les sanctions :

Considérant que le conseil a exactement et complètement motivé sa décision en ce qui concerne les sanctions pécuniaires infligées à la FFSB et à la société La Boule Intégrale, qui s'élèvent respectivement à 30 000 F et à 50 000 F ;

Considérant que ces sanctions sont proportionnées aux dommages causés à l'économie et à la gravité des faits reprochés aux requérantes, et en rapport, pour chacune d'elles, avec leur chiffre d'affaires pour le dernier exercice ;

Considérant qu'en l'espèce, les pratiques en cause, qui ont eu pour objet et pouvaient avoir pour effet de limiter l'accès au marché d'autres compétiteurs et de restreindre la concurrence entre les distributeurs, ont été mises en œuvre sur un marché où la société La Boule Intégrale occupe une place prééminente et se sont poursuivies pendant plusieurs années jusqu'à l'été 1997 ;

Que la demande subsidiaire de la société La Boule Intégrale tendant à lui modérer le montant de la sanction mise à sa charge n'est pas fondée eu égard à la modicité de cette sanction par rapport au chiffre d'affaires de 6 955 855 F au titre du dernier exercice clos ;

Considérant que la FFSB fait valoir que son compte d'exploitation pour l'exercice 1997 était certes positif de 84 211 F, mais ajoute qu'il convient de tenir compte de ce qu'une reprise de 300 000 F sur la provision avait été créée en 1996 ;

Considérant cependant que le conseil a exactement retenu le montant des recettes de l'exercice clos, le 30 septembre 1996, s'élevant à 9 238 149 F, et tenu compte de la structure duale des recettes d'une fédération (subventions et cotisations) ainsi que des éléments généraux et individuels de cette dernière, la reprise sur provision invoquée par, la requérante n'affectant pas cet exercice,

Par ces motifs : Joint les recours formés par la Fédération française du sport boules et par la société La Boule Intégrale contre la décision n° 97-D-90 du 9 décembre 1997 du Conseil de la concurrence, vu leur connexité ; Rejette ces recours ; Condamne les sociétés requérantes aux dépens.