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Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 28 octobre 1997, n° ECOC9710394X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Autodesk (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Renard-Payen

Avocat général :

M. Woirhaye

Conseillers :

M. Perie, Mme Kamara

Avocat :

Me de Montalembert

CA Paris n° ECOC9710394X

28 octobre 1997

LA COUR statue sur le recours en annulation et en réformation formé par la société Autodesk SA contre une décision du Conseil de la concurrence (le conseil) n° 96-D-76 du 26 novembre 1996 qui, estimant qu'elle avait enfreint les dispositions des articles 85, paragraphe 1, du traité de Rome et 7 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 à raison de pratiques mises en œuvre dans le secteur des logiciels de conception assistée par ordinateur (CAO) et de dessin assisté par ordinateur (DAO), lui a enjoint de modifier les clauses du contrat de distributeur agréé Autodesk (RAA) et lui a infligé une sanction pécuniaire de 200 000 F.

Référence étant faite à cette décision pour l'énoncé des faits, il convient de rappeler les éléments suivants, nécessaires à la solution du litige :

La société Autodesk SA, filiale du groupe américain Autodesk, a pour activité la commercialisation en France des logiciels de conception et fabrication par ordinateur (CFAO), qui recouvrent la conception assistée par ordinateur (CAO) et le dessin assisté par ordinateur (DAO) ;

Les versions concernées par la saisine sont les versions 11 et 12 du logiciel Autocad ;

Depuis la mise sur le marché en 1991 de la version 11 en trois dimensions de ces logiciels, la société Autodesk a mis en place un contrat de distribution sélective dénommé " Autocad Authorized Dealer " (AAD) ;

C'est dans ces conditions que, saisi le 5 avril 1993 par la société Techno Direct de pratiques mises en œuvre par la société Autodesk, le conseil, aux termes de la décision entreprise, a estimé qu'en insérant certaines clauses qu'il qualifie d'anticoncurrentielles dans son contrat de distribution sélective appliqué en France en 1992 et 1993, la société Autodesk a pu favoriser la limitation de la concurrence non seulement entre revendeurs de logiciels de la marque Autocad, mais également se prémunir contre la concurrence intra-marque au stade de la distribution.

La société Autodesk poursuit la " réformation et l'annulation " de cette décision et fait, en substance, valoir :

- qu'une contradiction risque d'exister entre les injonctions prononcées par le conseil et la future décision d'exemption de la Commission des Communautés européennes à laquelle elle a notifié en novembre 1992 son système de distribution sélective ;

- que le principe du contradictoire n'a pas été respecté dans la mesure où le conseil a ajouté aux griefs qui lui avaient été notifiés sur le seul fondement de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 concernant les clauses du contrat relatives à l'interdiction de vente par correspondance, de pratique de prix d'appel et de vente de produits concurrents en les examinant également au regard de l'article 85, paragraphe 1, du traité de Rome ;

- au fond, que le contrat de revendeur agréé Autodesk met en place un système de distribution sélective licite au regard de la jurisprudence, que la sélection des revendeurs est fonction de critères qualitatifs tels que leur aptitude professionnelle, leur personnel et leurs conditions d'installation et que l'application de ces critères de sélection, visés revendeurs au regard de l'article 85-1 du traité de Rome, alors qu'aucun grief n'avait été notifié à cet égard par le rapporteur, seule la clause relative au cloisonnement des marchés nationaux ayant fait l'objet d'une notification de grief sous une qualification au regard du droit national et communautaire ;

- que, sur le fond, il a déjà été amené à préciser dans quelle mesure l'interdiction de la vente par correspondance pouvait être admise dans le cadre de la distribution sélective et que l'analyse à laquelle il a procédé sur la pratique du prix d'appel est confortée par la réponse du directeur général de la direction générale IV de la commission au président du conseil ;

- que les modifications des clauses à la suite des rencontres entre la société Autodesk et les services de la Commission des Communautés européennes sont sans incidence sur les injonctions prononcées par la décision et ne peuvent avoir d'effet rétroactif et exonérer les clauses en cause de leur qualification de pratiques anticoncurrentielles du fait de leur objet et/ou de leur effet.

Le ministère public a conclu oralement à la réformation, pour partie, de la décision en ce que, eu égard au contenu de la notification de griefs, le conseil ne pouvait retenir que les pratiques en cause avaient aussi enfreint les dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité de Rome et au rejet des autres prétentions formées par la société Autodesk.

Sur quoi, LA COUR,

Sur la demande de sursis à statuer :

Considérant que la société Autodesk soutient qu'en novembre 1992 elle a notifié à la Commission des Communautés européennes son système de distribution sélective en vue d'obtenir une attestation négative ou, à défaut, une exemption individuelle et que l'autorité communautaire serait sur le point de prendre une décision favorable; que, dès lors, afin d'éviter tout risque de contradiction entre la décision à intervenir et les injonctions prononcées par le conseil, il conviendrait à la cour de surseoir à statuer ;

Considérant toutefois qu'en l'absence de procédure contentieuse engagée par la Commission à l'égard du contrat notifié par la société Autodesk, comme il ressort des deux lettres des 5 janvier et 7 février 1995 du directeur général de la direction IV de la Commission adressées au président du conseil, celui-ci, puis la cour, ont compétence, pour examiner les dispositions du contrat tel qu'appliqué en France au cours des années 1992 et 1993, au regard des articles 85, paragraphe 1, du traité de Rome et 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986;

Qu'en tout état de cause la lettre type susceptible d'intervenir de la part de la Commission, laquelle n'est pas encore intervenue, n'aurait pas un effet rétroactif et ne serait susceptible de concerner que les clauses modifiées du contrat de distributeur agréé et non celles en vigueur au cours des années 1992 et 1993, soumises à l'examen de la cour ;

Sur le non-respect du principe du contradictoire :

Considérant qu'il est constant, comme le conseil l'admet lui-même, qu'il a dépassé le cadre de la notification de griefs en estimant que les pratiques retenues au titre des clauses visant l'interdiction de vente par correspondance ou du prix d'appel et de vente de produits concurrents avaient aussi enfreint les dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité instituant la Communauté économique européenne, alors que les griefs notifiés relativement à ces clauses visaient uniquement le non-respect des dispositions de l'article 7 de l'ordonnance ;

Qu'il convient en conséquence de réformer la décision déférée sur ce point ;

Sur le fond :

Considérant que la société Autodesk soutient que le contrat de distributeur agréé qu'elle a mis en place est licite et que la sélection des revendeurs y est fonction de critères qualitatifs en rapport avec la nature des produits et nécessaire à une distribution efficace et adéquate de ceux-ci; qu'ils sont appliqués de manière objective ;

Mais considérant que ce souci légitime ne saurait justifier l'insertion dans son contrat type de distribution dénommé " Accord d'agrément revendeur Autocad agréé ", appliqué en 1992 et 1993, des clauses restrictives de concurrence entre revendeurs de logiciels Autocad et lui permettant de se prémunir contre la concurrence intra-marque au niveau de la distribution ;

Sur la clause interdisant la vente par correspondance et comme produit d'appel :

Considérant que le contrat de distributeur agréé (point 2 a) des conditions générales A prévoit qu'aucun " site " ne peut offrir un programme logiciel comme " produit d'appel " ou par " vente par correspondance " ;

Considérant que la requérante prétend que l'interdiction de vente par correspondance insérée dans son contrat, mise en place en 1992, était conforme à la jurisprudence en vigueur à l'époque et justifiée dans la mesure où ce mode de vente prive l'utilisateur final d'un service personnel de démonstration, d'installation ou de maintenance ;

Mais considérant qu'en l'espèce, le contrat de distributeur agréé de la société Autodesk excluait a priori un mode de distribution ; que dans la mesure où une société de vente par correspondance prend les dispositions nécessaires afin de fournir les prestations de conseil et le suivi de la clientèle imposés par le contrat, son mode de distribution ne doit pas l'exclure par nature du réseau de distribution sélective ;

Que cette pratique, qui a pour effet de limiter artificiellement la concurrence à l'intérieur de la marque, est prohibée par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Considérant que la société Autodesk a d'ailleurs admis qu'il est possible qu'une société de vente par correspondance puisse fournir les prestations complémentaires et ce, pour justifier de l'agrément de la CAMIF dans son réseau ;

Que, cependant, le responsable informatique de la CAMIF ayant reconnu que l'information du client était effectuée au téléphone par une personne spécialement formée qui ne se déplaçait pas, l'admission de celle-ci comme revendeur agréé, alors qu'elle ne remplissait pas l'ensemble des critères du contrat de distribution sélective, constitue une application discriminatoire de ce contrat ;

Considérant que la disposition interdisant de vendre les logiciels comme produit d'appel, qui s'entend aux termes du contrat comme une offre de programmes logiciels non dans le but de réaliser un profit mais dans le but d'attirer des clients susceptibles d'acquérir d'autres produits ou services ou de faire la promotion de votre activité, excédait le champ d'application de cette notion, tel que défini notamment par la circulaire du 22 décembre 1980 invoquée par la requérante ; qu'au surplus, la société Autodesk a expliqué en séance qu'elle ne voulait pas que ses logiciels soient vendus à un prix inférieur à leur coût d'achat augmenté du coût de commercialisation ;

Que dans ces conditions,cette clause qui avait pour objet et pour effet d'interdire à ses revendeurs de revendre ses produits à des prix que l'éditeur des logiciels estimait incompatibles avec sa propre politique commerciale, doit être considérée comme anticoncurrentielle au regard de l'article 7 de l'ordonnance susvisée ;

Sur la limitation de la liberté commerciale des revendeurs :

Considérant que le contrat de distributeur agréé (point 2 k) interdisait au revendeur de développer, commercialiser ou distribuer tout produit lorsque cela portera atteinte de manière significative à sa capacité de remplir les conditions d'agrément du RAA ;

Que le contrat imposait également au revendeur d'acheter chaque année à un distributeur Autocad au moins huit copies de licences Autocad destinées à l'utilisateur individuel ;

Quecontrairement à ce que prétend la requérante, le conseil n'a pas sanctionné la clause d'approvisionnement minimum qui n'est pas en soi illicite, mais la combinaison de cette clause avec celle interdisant la vente des produits concurrents rédigée en des termes vagues et imprécis, de nature à dissuader ses revendeurs de commercialiser des produits concurrents ;

Qu'ainsi c'est à bon droit que le conseil a retenu que cette clause qui donnait la possibilité à la société Autodesk d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des logiciels de CFAO est par là même prohibée par l'article 7 de l'ordonnance susvisée ;

Sur le cloisonnement des marchés nationaux :

Considérant que le contrat autorisait le revendeur agréé à commercialiser les logiciels à l'extérieur du territoire national sous deux conditions :

- qu'il couvre toutes les réclamations ;

- que, dans l'hypothèse où il ne puisse assurer la maintenance des logiciels, il obtienne une renonciation écrite et une décharge de responsabilité du client pour toute réclamation résultant de son impossibilité à assurer la maintenance et que cette renonciation soit transmise à Autodesk ;

Que le contrat interdisait également au distributeur de " promouvoir, faire la publicité, commercialiser ou solliciter des commandes de programmes logiciels ou ouvrir des agences ou maintenir des entrepôts de distribution pour la fourniture et la maintenance des programmes logiciels à l'extérieur du territoire " ;

Considérant que la société Autodesk ne peut valablement soutenir que ces conditions avaient pour objet d'éviter les déficiences dans la maintenance et les prestations de garantie de bon fonctionnement du logiciel qui peuvent résulter des barrières linguistiques ou de la méconnaissance de l'environnement informatique du client ;

Qu'outre que les consommateurs et les revendeurs sont tout à fait capables par eux-mêmes d'apprécier s'ils ont besoin de conseils dans leur propre langue, le moyen tiré de la barrière linguistique est en tout état de cause injustifié dans la mesure où cette clause s'applique également dans le cas où la même langue est utilisée dans deux pays de l'Union européenne ;

Que, dès lors, cette clause qui a pu avoir pour effet de restreindre la concurrence entre distributeurs agréés par la société Autodesk établis dans différents pays de l'Union européenne et de cloisonner les marchés nationaux, est prohibée par les dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité de Rome ;

Sur les sanctions :

Considérant que la société Autodesk conteste la sanction pécuniaire qui lui a été infligée par le conseil, en soutenant essentiellement que les pratiques en cause n'ont eu aucun effet sensible sur le jeu de la concurrence et n'ont causé aucun dommage à l'économie et qu'elles ne sont au surplus pas établies ;

Mais considérant que contrairement à ce qu'elle soutient, il a été amplement démontré que les pratiques qui lui ont été reprochées sont établies et qu'elles avaient un objet et un effet potentiel anticoncurrentiel ; qu'elles ont limité non seulement la concurrence entre les membres du réseau Autodesk, mais également la concurrence sur le marché des logiciels de conception et fabrication (CFAO) ;

Considérant que ces pratiques ont été dès lors justement sanctionnées par le conseil sur le fondement de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 qui prévoit notamment que la sanction doit être proportionnée à la gravité des faits et au dommage causé à l'économie ;

Considérant en effet que le conseil a justement relevé que le dommage causé à l'économie devait s'apprécier en tenant compte de la situation occupée par la société Autodesk dans le secteur des logiciels CAO et notamment par le fait que le logiciel Autocad qui existe en sa version " école ", fait l'objet d'une utilisation dans les établissements techniques et universitaires de technologie, situation qui assure à la société Autodesk des débouchés futurs importants en créant une clientèle incitée à travailler sur les logiciels sur lesquels elle a été formée ;

Qu'au surplus, c'est également à juste titre que le conseil a pu retenir que pour apprécier le degré de gravité des pratiques retenues, il convenait de tenir compte de la puissance de négociation dont disposait l'opérateur en cause, compte tenu de sa notoriété;

Considérant qu'au regard de l'ensemble de ces éléments, c'est à bon droit que le conseil a infligé à la société Autodesk une sanction pécuniaire de 200 000 F eu égard au chiffre d'affaires par elle réalisé au cours de l'exercice 1995-1996 ;

Par ces motifs : Réforme la décision déférée en ce qu'elle a sanctionné les pratiques relatives à l'interdiction de vente par correspondance et à la pratique de prix d'appel ainsi que la vente de produits concurrents au regard de l'article 85, paragraphe 1, du traité de Rome ; Rejette pour le surplus le recours ; Laisse les dépens à la charge de la société Autodesk.