Livv
Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 1 juillet 1997, n° ECOC9710248X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Laboratoires pharmaceutiques de La Roche Posay (SA)

Défendeur :

Ministre de l'Economie

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Thin

Avocat général :

M. Woirhaye

Conseillers :

Mmes Mandel, Deurbergue

Avoué :

SCP Taze Bernard

Avocat :

Me Bellargent.

CA Paris n° ECOC9710248X

1 juillet 1997

LA COUR statue sur le recours en annulation et subsidiairement en réformation, formé par la société Laboratoires pharmaceutiques La Roche Posay contre la décision n° 96-D-57 du Conseil de la concurrence rendue le 1er octobre 1996, relative à certaines pratiques mises en œuvre dans le secteur des produits cosmétiques et d'hygiène corporelle, qui, constatant que cette société a enfreint les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, lui a enjoint de cesser d'opérer des discriminations dans l'agrément de ses distributeurs.

Référence faite à cette décision pour l'énoncé des faits et de la procédure, il suffit de rappeler que, par arrêt du 28 janvier 1988, confirmant la décision du Conseil de la concurrence n° 87-D-15 du 9 juin 1987, la cour d'appel de Paris avait enjoint à plusieurs sociétés de cesser de subordonner l'agrément de leurs distributeurs à la qualité de pharmacien d'officine.

Les sociétés concernées par cet arrêt, d'autres qui ne l'étaient pas, ont réorganisé le mode de distribution de leurs produits en mettant en place de nouveaux contrats et conditions de vente.

C'est dans ces circonstances qu'une seconde décision a été rendue, aux termes de laquelle, après avoir relevé que l'instruction faisait ressortir qu'au moment des investigations la société La Roche Posay réservait la distribution de ses produits aux seuls pharmaciens d'officine en invoquant comme motif que ses produits ne sont pas des cosmétiques classiques, et qu'elle en avait refusé la vente à plusieurs distributeurs non officinaux, le Conseil de la concurrence a estimé :

1. A propos de la vente des produits réservés au seul circuit officinal :

- que le grief maintenu à l'encontre de cette société ne porte pas sur le principe de la distribution en officine, mais sur la discrimination qu'elle opère entre les diverses formes de distribution ;

- que le fait de réserver au seul circuit officinal la distribution des produits qu'elle fabrique n'entrant pas dans la catégorie des médicaments ou produits assimilés peut avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence ;

- qu'en conséquence elle s'est livrée à des pratiques discriminatoires ayant eu pour objet et ayant pu avoir pour effet de créer une entrave à l'accès au marché en cause pour les distributeurs non officinaux ;

2. Concernant l'application de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 :

- que, s'il ne peut être exclu que la mise en place d'un système de distribution sélective puisse contribuer à assurer un progrès économique, il n'est pas établi que l'amélioration de la production alléguée aurait nécessité la mise en œuvre des discriminations introduites par cette société dans son réseau de distribution.

Au soutien de son recours, la société La Roche Posay prétend :

- que le grief qui lui a été notifié - la mise en œuvre discriminatoire de son système de distribution ne correspond pas au grief réel qui lui a été fait - le caractère illicite de ce système -, que la décision présente une contradiction manifeste, qu'il en résulte que les droits de la défense ont été violés ;

- que la décision, particulièrement succincte, n'est pas motivée et qu'il n'a pas été répondu à ses moyens sur l'absence d'objet ou d'effet anticoncurrentiel de son système de distribution, notamment eu égard à la spécificité de la gamme de ses produits destinés à des consommateurs souffrant d'affections cutanées, à la situation juridique différente de celle des autres laboratoires, au contexte économique modifié depuis les injonctions données à ces laboratoires, et en raison du développement de la commercialisation de ce type de produits par des distributeurs non officinaux ;

- que son système de distribution sélective, qu'elle qualifie d'accord vertical, est licite, et correspond à une stratégie qu'elle a mise en œuvre de manière unilatérale, et qui ne préjudicie pas au consommateur ;

- qu'elle est victime d'un traitement discriminatoire par rapport aux laboratoires placés dans une situation identique ;

- qu'enfin le système de distribution de ses produits en officine contribue au progrès économique et doit en conséquence bénéficier des dispositions de l'article 10-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Elle requiert en conséquence, à titre principal, l'annulation de la décision entreprise, en tant que de besoin le renvoi de l'affaire devant le conseil pour parfaire l'instruction du dossier, à titre subsidiaire, la réformation de cette décision.

Plus subsidiairement, elle demande à la cour d'ordonner un supplément d'information pour examen de la situation des laboratoires placés dans une situation identique.

Très subsidiairement, elle sollicite un délai pour lui permettre de définir et mettre en œuvre une nouvelle politique commerciale.

Présentant des observations écrites, le conseil expose :

- que le grief notifié est identique à celui retenu, qu'il n'y a donc pas eu violation des droits de la défense ;

- que sa décision a été prise au regard des principes posés par sa décision précédente, n° 87-D-15, confirmés par l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 28 janvier 1988, en tenant compte de la nature des produits qui ne sont pas des médicaments ou assimilés à eux et de leur utilisation par les consommateurs ;

- que le système de distribution exclusive adopté par la requérante enfreint les dispositions de l'article 85 du traité de Rome et de l'article 50 de l'ordonnance du 30 janvier 1945 ;

- qu'il suffit, pour être prohibées, que les pratiques d'entente aient une potentialité d'effet anticoncurrentiel ;

- qu'enfin la société La Roche Posay ne peut se prévaloir de l'absence d'effet de sa pratique de distribution exclusive sur le marché, alors que les autres laboratoires ont mis en place des modes de distribution respectant les règles de la concurrence en la matière.

Le ministre de l'économie prie la cour de confirmer la décision déférée.

Il estime qu'il n'y a pas eu de violation des droits de la défense parce que le grief notifié est celui retenu, que la requérante a été en mesure de faire valoir ses arguments devant le rapporteur du conseil et qu'il y a été répondu.

Il soutient que la décision du conseil est conforme à celle rendue précédemment sous le numéro 87-D-15, que la nature des produits ne justifie pas une distribution exclusive de fait en pharmacie d'officine qui ne satisfait pas aux principes fondamentaux de nécessité et proportionnalité visés à l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Il ne conteste pas qu'il y a une modification du contexte économique, mais soutient que la concurrence intra-marque entre les réseaux de distribution d'une même marque, garantie d'une concurrence sur les prix, est profitable au consommateur.

Il souligne que la pratique relevée contient un objet anticoncurrentiel et a un effet anticoncurrentiel.

Il ajoute que la requérante n'apporte pas la preuve qu'elle serait victime d'une discrimination par rapport à d'autres laboratoires qui sont d'ailleurs soumis aux mêmes règles.

Sur la demande de délai, il fait remarquer que la société La Roche Posay a déjà obtenu un sursis à exécution de quatre mois, qu'elle fait partie du groupe L'Oréal et qu'elle ne peut donc alléguer son inexpérience, d'autant que la jurisprudence en la matière est ancienne.

Le ministère public conclut à la recevabilité du recours de la société La Roche Posay, mais au rejet de ses prétentions, faisant valoir que les droits de la défense ont été respectés, que la décision du conseil est motivée, qu'enfin le bien-fondé du système de distribution exclusivement en pharmacie des produits dermocosmétiques fabriqués par cette société n'est pas démontré.

Sur ce, LA COUR :

Considérant que la société La Roche Posay réserve au circuit officinal l'ensemble de la distribution de la gamme de ses produits comprenant des médicaments, des excipients ainsi que des produits qu'elle qualifie " d'hygiène et de soins complémentaires ", ne nécessitant pas d'autorisation de mise sur le marché (AMM) et qui sont concernés par la décision attaquée; que le conseil lui a enjoint de cesser d'opérer une discrimination dans l'agrément de ses distributeurs ;

Sur la violation des droits de la défense :

Considérant que cette société fait valoir que le conseil ne peut se prononcer que sur des griefs soumis à la discussion des parties et qu'il ne peut donc retenir des pratiques qui n'ont pas fait l'objet d'une notification de grief; qu'elle prétend que le rapporteur de cette instance lui a notifié un grief sans rapport avec les faits reprochés (la mise en œuvre discriminatoire de son système de distribution), qu'il a estimé à tort qu'il résulte de la décision n° 87-D-15 du conseil, confirmé par la cour d'appel de Paris, que ce système est illicite sans rechercher si cela est juridiquement et économiquement le cas; qu'ainsi l'injonction qu'elle a reçue n'est pas de se conformer au principe de " non-discrimination " mais de modifier radicalement le système de distribution de ses produits exclusivement en pharmacie, ce qui a pour conséquence de faire éclater leur gamme; qu'elle soutient qu'il aurait fallu lui notifier un nouveau grief portant sur le fait qu'elle subordonne son agrément pour leur vente à la qualité de pharmacien d'officine; qu'elle n'a pas été en mesure de faire valoir ses droits dans le cadre d'un débat contradictoire; qu'il en résulte que la décision du conseil doit être annulée ;

Considérant toutefois, d'une part, que le grief notifié figurant à la page 144 de la notification des griefs, au sous-titre " les sociétés qui ont mis en place une sélectivité de fait ", est formulé ainsi :

" Au moment de l'enquête, ce laboratoire réservait la distribution de ses produits aux seuls pharmaciens d'officine. Il faisait valoir que ses produits ne sont pas des cosmétiques classiques seuls visés par la décision du Conseil de la concurrence.

" Il est évident qu'en agissant de la sorte ce laboratoire, en contradiction avec la décision n° 87-D-15 du Conseil de la concurrence confirmée par la cour d'appel, opère un traitement discriminatoire entre les distributeurs et crée une entrave à l'accès au marché pour les non-officinaux. Il lui est par conséquent fait grief de se livrer à une pratique ayant pour objet et pouvant avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence, tombant sous le coup des dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 " ;

Que ce grief concorde avec l'injonction adressée à la requérante, qui est de " cesser d'opérer des discriminations dans l'agrément de (ses) distributeurs " ;

Considérant, d'autre part, que cette société a fait valoir ses arguments auprès du rapporteur du conseil, qui a procédé à leur examen et y a répondu dans son rapport ;

Considérant que, pour le reste, le moyen soulevé est une critique de la décision, qui touche au fond du litige avec lequel il sera examiné et qui ne peut aboutir à l'annulation de celle-ci ; qu'il n'y a pas eu de violation des droits de la défense ;

Sur la contradiction interne de la décision, l'absence de motivation et de réponse aux moyens soulevés :

Considérant que la société La Roche Posay critique la motivation de la décision du conseil, qu'elle qualifie de " particulièrement succincte, voire inexistante " ; qu'elle prétend qu'elle ne répond pas aux moyens qu'elle avait soulevés et qu'elle comporte une contradiction manifeste, puisqu'on ne peut lui reprocher une application discriminatoire de son système de distribution sans remettre en cause le principe même de la distribution de l'ensemble de la gamme de ses produits ;

Mais considérant que cette dernière critique n'est pas justifiée dès lors qu'il est précisé que le grief ne porte pas sur le principe même de la distribution des produits dermocosmétiques en officine, mais sur la discrimination opérée par la requérante entre les divers réseaux de distribution et l'atteinte à la concurrence qui en résulte ; que contrairement à ce que soutient l'appelante il a été répondu à ses moyens ; que la qualité d'une argumentation ne dépend pas nécessairement de la longueur du raisonnement qui est exposé, mais de sa pertinence ;

Considérant qu' il y a lieu de rechercher si le système de distribution adopté par la société La Roche Posay crée une entrave à l'accès au marché des produits dermocosmétiques pour les distributeurs non officinaux, en examinant préalablement la place de cette société sur ce marché eu égard à la gamme des produits qu'elle commercialise et à la situation des autres laboratoires ;

I. - Sur l'application de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 :

Le marché :

Considérant que les produits cosmétiques et d'hygiène corporelle sont définis par l'article 658-1 du Code de la santé publique comme étant les substances ou préparations autres que les médicaments destinées à être mises en contact avec les diverses parties superficielles du corps humain ou avec les dents et les muqueuses, en vue de les nettoyer, de les protéger, de les maintenir en bon état, d'en modifier l'aspect, de les parfumer ou d'en corriger l'odeur; que leur mise sur le marché n'est pas soumise à autorisation, mais fait l'objet de la réglementation édictée par les articles L. 658-1 à L. 658-10 du Code de la santé publique ;

Considérant que le marché à prendre en considération est celui de ces produits vendus par des formes de commerce variées : grandes surfaces, magasins spécialisés, pharmacies d'officine ..., et pour certains d'entre eux dans le cadre d'un système de distribution sélective ;

Considérant, à titre liminaire, qu'il n'est pas contesté que la société La Roche Posay n'est pas concernée par la décision n° 87-D-15 du Conseil de la concurrence confirmée par l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 28 janvier 1988, à laquelle elle n'était pas partie; que, toutefois, la référence aux décisions précitées se justifie dès lors que le grief qui lui a été notifié est identique à celui précédemment retenu contre d'autres laboratoires ;

Considérant, sur la portée de cette décision, que l'appelante soutient qu'elle concerne des sociétés choisissant le circuit officinal pour son image de marque et ne commercialisant pas à la fois des médicaments et des produits de soins, mais des produits d'agrément et de confort; que, selon elle, le conseil n'a pas estimé que toute distribution sélective de même nature que celle qu'elle a adoptée enfreindrait l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Mais considérant que si le conseil n'a pas examiné sa situation en 1987, il apparaît que l'injonction qu'il lui a donnée est identique à celle faite alors à d'autres sociétés qui, pour certaines d'entre elles, diffusaient, comme la requérante, à la fois des médicaments et des produits cosmétiques ; que le conseil n'a donc pas considéré qu'elle était dans une situation juridique différente de celle de ces laboratoires ;

Considérant que la société La Roche Posay met ensuite l'accent sur l'excellente image de marque dont elle bénéficie et sur la particularité de la gamme de ses produits comprenant des médicaments, des excipients ainsi que des produits dermocosmétiques dont ils sont le complément; qu'elle affirme que ces derniers sont conçus et destinés à soulager les personnes souffrant d'affections cutanées, qu'il ne s'agit pas de produits d'agrément ou de confort et qu'ils font l'objet d'un nombre important de prescriptions médicales; qu'elle fait valoir que leurs caractéristiques ne doivent pas être appréciées de façon abstraite mais en tenant compte de l'attente spécifique des consommateurs concernant leur action curative ou préventive démontrée par les trois attestations de médecins dermatologues qu'elle communique; qu'elle estime en conséquence que sa situation n'est pas assimilable à celle des autres laboratoires ;

Mais considérant que, par leur nature, ces produits ne sont pas assimilables à des médicaments, même s'ils sont prescrits ou recommandés par le corps médical ; que s'agissant de crèmes, lotions, gels, huiles, eau thermale, laits pour la peau et le visage, savons, produits solaires, ils peuvent être utilisés par des consommateurs ne souffrant pas d'affections cutanées; que le caractère indissociable des trente-cinq produits sans AMM avec les neuf autres sous AMM n'est pas démontré; qu'il n'est pas établi non plus que leur distribution par le circuit non officinal nuirait à leur prescription par des médecins; qu'enfin d'autres laboratoires commercialisent à la fois des médicaments et des produits sans AMM ;

Considérant que la société La Roche Posay soutient encore que le contexte économique, depuis les injonctions données aux autres laboratoires, a notablement changé parce qu'ils ont modifié leurs modes de distribution, qu'ensuite les ventes de ces produits ont fortement progressé dans les magasins populaires et dans les grandes surfaces, ainsi que dans les centres de parapharmacie dont le nombre a augmenté, tandis qu'elles stagnaient dans les pharmacies; qu'il en résulte que le consommateur risque de ne plus trouver ces produits dans ce dernier circuit qualifié " de proximité ", ce qui serait contraire au rééquilibrage des relations entre les PME et la grande distribution, voulue par le législateur; que l'appelante reproche au conseil de ne pas avoir tenu compte de cette évolution et du fait que la concurrence existe entre les différents réseaux de distribution ;

Considérant, toutefois, que l'appelante ne saurait revendiquer un traitement d'exception, en tirant parti du respect par les autres laboratoires d'une libre concurrence entre les différents réseaux de distribution ; qu'ensuite les pharmacies continuent à diffuser ces produits; que le développement de leur vente dans d'autres circuits constitue une évolution normale du marché, sans que la preuve d'un déséquilibre soit apportée; que l'intérêt du consommateur commande une concurrence intra-marque entre les réseaux de distribution d'une même marque, garante elle-même d'une concurrence par les prix ;

La pratique mise en œuvre :

Considérant que selon l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, sont prohibées les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions, ayant pour objet ou pouvant avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, notamment en limitant l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises ;

Considérant que la société La Roche Posay ne conteste pas qu'elle applique de fait une distribution sélective en faveur des pharmacies d'officine, mais qu'elle la justifie en affirmant qu'il s'agit d'un choix unilatéral ne constituant pas une entente au sens des textes précités ;

Considérant toutefois que l'agrément qu'elle donne exclusivement aux pharmaciens d'officine se fonde sur leur acceptation tacite, qu'il est donc de nature contractuelle au sens de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Considérant que si les systèmes de distribution sélective entraînent par eux-mêmes une certaine restriction de la concurrence, ils sont néanmoins admissibles à condition que le choix des revendeurs s'opère en fonction de critères objectifs de caractère qualitatif, relatifs à la qualification professionnelle du revendeur, de son personnel, de ses installations ; que ces critères doivent être justifiés par les nécessités d'une distribution adéquate des produits et ne pas avoir pour objet ou pour effet d'exclure par nature une ou des formes déterminées de commerce qui seraient aptes à cette distribution; qu'ils doivent être appliqués de manière non discriminatoire ;

Considérant que la société La Roche Posay prétend que seul le circuit officinal est en mesure d'assurer une distribution adéquate de ses produits, d'abord en raison de l'organisation de ce réseau, de son importance (22 000 pharmacies en France), ensuite parce que le consommateur trouve en un même lieu l'ensemble de la gamme de ses produits et bénéficie de conseils et d'informations par une personne qualifiée, présentant une garantie d'indépendance et d'éthique ; que cette société craint une altération de son image de marque en diffusant hors de ce circuit; qu'elle affirme enfin qu'elle n'opère aucune restriction quantitative ;

Considérant que, certes les fabricants peuvent légitimement, pour ceux de leurs produits contenant une certaine proportion d'éléments actifs, pour ceux destinés à des peaux fragiles ou accompagnant un traitement, exiger de leurs distributeurs la présence sur le point de vente de personnes spécialement qualifiées par leur formation pour les fonctions de conseil au client et de liaison avec le fabricant, notamment celle d'un titulaire d'un diplôme de pharmacien, cette exigence n'étant pas interdite par les textes en vigueur; que toutefois, l'exclusion de toute forme de commercialisation, même répondant à ce critère, autre que la pharmacie d'officine, constitue une restriction discriminatoire et non proportionnée aux nécessités de la distribution des produits en cause; que cette seule exigence peut à l'évidence être satisfaite dans les autres réseaux de distribution sans que l'image de marque de la requérante ait à en souffrir et que cela préjudicie au consommateur, protégé par une législation applicable à tous les revendeurs ;

Considérant que la société La Roche Posay soutient encore qu'en raison de la très faible part qu'elle détient sur le marché des cosmétiques (0,33 %), la pratique qu'elle a mise en œuvre n'a pas d'effet sensible sur ce marché, que la jurisprudence décide dans ce cas que l'entente ne doit pas être interdite; qu'elle fait valoir en outre que le marché a évolué, faisant coexister différents réseaux de distribution et intensifiant la concurrence sur les prix ;

Mais considérant que dès lors que la pratique en cause a un objet anti-concurrentiel, la démonstration de son effet anticoncurrentiel n'est pas nécessaire ;

Considérant ensuite que l'appelante ne peut se prévaloir d'une absence d'effet cumulé, alors que la restriction qu'elle opère sur le marché est la plus radicale et qu'elle a le même but que celles d'autres natures, mais qui tendent toutes à exclure les circuits de distribution réputés pour leurs pratiques de prix dynamiques ;

II. - Sur l'application de l'article 10-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 :

Considérant que la société La Roche Posay fait valoir que son système de distribution en officine contribue au progrès économique par l'amélioration de la production et qu'elle ne saurait, sans préjudice, scinder sa gamme de produits en deux groupes, dont certains seraient diffusés dans le circuit officinal et d'autres dans toutes les formes de distribution; que, par ailleurs, ce système n'introduit pas de restriction de concurrence qui ne soit indispensable ; qu'enfin le progrès économique qui en découle est suffisamment important pour compenser les atteintes portées à la concurrence sur un marché fortement concurrentiel ;

Mais considérant que le conseil a exactement relevé que s'il ne peut être exclu que la mise en place d'un système de distribution sélective puisse contribuer à assurer un progrès économique, il n'est pas établi que l'amélioration de la production alléguée aurait nécessité la mise en œuvre de cette pratique discriminatoire; que la finalité des produits commercialisés sous AMM et sans AMM est en effet différente; que la remontée de l'information de l'utilisateur au fabricant, ainsi que la fonction de conseil peuvent être organisées de manière adéquate en dehors de l'officine; qu'il n'est pas établi que la distribution dans les autres réseaux empêcherait la mise au point de nouveaux produits; que les conditions d'application de l'article 10-2 de l'ordonnance du la décembre 1986 ne sont donc pas remplies ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'est établie à l'encontre de la requérante une entrave importante à l'accès au marché des produits dermocosmétiques non compensée par d'autres facteurs de concurrence ;

Sur le traitement discriminatoire :

Considérant que l'appelante prétend être victime d'un traitement discriminatoire par rapport à d'autres laboratoires placés dans la même situation ;

Mais considérant qu'elle n'apporte nullement la preuve de ce traitement discriminatoire; que le conseil et la cour ne peuvent statuer que dans les limites de la saisine du conseil; qu'il appartient aux autorités chargées d'assurer la surveillance des marchés d'enquêter sur les éventuelles atteintes à la concurrence émanant d'autres entreprises; que le moyen n'est pas fondé; qu'il n'y a pas lieu d'ordonner une mesure d'instruction à ce sujet ;

Sur les mesures à prendre :

Considérant que le conseil a justement estimé que la société La Roche Posay avait enfreint l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et enjoint à cette société de cesser d'opérer une discrimination dans l'agrément de ses distributeurs; que sa décision doit être confirmée ;

Considérant qu'il convient cependant, en vue de permettre à l'appelante de mettre en place une nouvelle politique de distribution, selon les critères ci-dessus définis, de lui accorder un délai conformément à l'article 13 de l'ordonnance précitée ;

Par ces motifs : Rejette le recours de la société Laboratoires pharmaceutiques La Roche Posay contre la décision n° 96-D-57 du Conseil de la concurrence, lui ayant enjoint de cesser de subordonner l'agrément de ses distributeurs à la qualité de pharmacien d'officine ; Accorde à cette société un délai expirant le 31 décembre 1997 pour l'application de cette injonction ; Condamne la société Laboratoires pharmaceutiques La Roche Posay aux dépens.