Livv
Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 24 février 1993, n° ECOC9310034R

PARIS

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

Elf Antar France (SA)

Défendeur :

Siplec (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Canivet

Avoués :

SCP Fisselier Chiloux Boulay, Me Lagourgue

Avocats :

Mes Lazarus, Amadio.

CA Paris n° ECOC9310034R

24 février 1993

Attendu que par décision n° 92-D-56 en date du 13 octobre 1992, relative aux conditions de commercialisation du supercarburant sans plomb à indice d'Octane recherche 98 (SP 98), le Conseil de la concurrence a notamment :

- enjoint à la société Elf Antar France de ne pas subordonner la fourniture de son "SP 98" aux distributeurs n'appartenant pas à son réseau de marque à la commande de l'ensemble de sa gamme Optane,

- infligé une sanction pécuniaire de 30 millions de francs à la société Elf Antar France,

Attendu que la société Elf Antar France, qui a formé un recours incident contre cette décision, demande, par application de l'article 15 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, qu'il soit sursis à l'exécution des injonctions et sanctions susvisées en faisant valoir que :

- dans sa motivation, la décision est entachée d'une grossière irrégularité, en ce qu'elle se fonde sur les stipulations de contrats qu'elle ne désigne pas, qui ne sont pas joints au rapport et ne se trouvent pas au dossier d'instruction du Conseil ;

- une telle irrégularité étant de nature à faire encourir à la décision déférée un risque sérieux d'annulation, il serait manifestement excessif de laisser s'en poursuivre l'exécution, dès lors, d'une part, qu'elle l'oblige sans raison apparente à payer une somme de 30 millions de francs, d'autre part, qu'elle lui enjoint de mettre fin à une pratique contractuelle qu'elle n'a jamais mise en œuvre et ne peut même identifier ;

Attendu que la Société d'importation pétrolière Leclerc (Siplec), ayant saisi le Conseil des pratiques examinées dans la décision contre laquelle elle a formé un recours, conclut au rejet de la demande en faisant valoir que :

- l'injonction s'applique à une pratique commerciale unilatérale de la société Elf Antar France, décrite dans les pratiques constatées par le Conseil ;

- la demande de sursis vise à faire juger des questions de fond concernant l'interprétation d'un "contrat-test" conclu par la société Elf Antar France et la définition de sa politique commerciale qui échappent aux pouvoirs du premier président statuant par application du texte susvisé ;

- la requérante ne démontre pas en quoi l'interdiction d'une pratique qu'elle prétend n'avoir pas suivie et le paiement d'une sanction qui ne représente qu'une part infime de son chiffre d'affaires emporteraient des conséquences manifestement excessives ;

Attendu que le commissaire du Gouvernement comme le ministère public concluent au rejet de la demande ;

Sur quoi ;

Attendu qu'aux termes de l'article 15 alinéa 3 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, les recours formés contre les décisions du Conseil ne sont pas suspensifs mais que, toutefois, le premier président de la Cour d'appel de Paris peut ordonner qu'il soit sursis à leur exécution si elles sont susceptibles d'entraîner des conséquences manifestement excessives ou s'il est intervenu, postérieurement à leur notification, des faits nouveaux d'une exceptionnelle gravité ;

Attendu que la requérante déduit les conséquences manifestement excessives alléguées de l'irrégularité des motifs de la décision ;

Attendu que dans la première partie de sa motivation relative à la constatation des pratiques examinées (c) le Conseil relève que :

"La société Elf Antar France n'a proposé de SP 98 que dans sa gamme de marque Optane qui comprend des produits avec additif et qu'elle réserve à son réseau lié ; elle propose par ailleurs de l'essence, du supercarburant plombé et du supercarburant sans additifs à tout revendeur qui lui en fait la demande, mais non du SP 98 ;

Qu'il est ensuite tenu pour acquis qu'à des lettres de la société Siplec demandant les tarifs et conditions de vente pour un approvisionnement en SP 98 de leur marque, les sociétés Elf, BP et Mobil ont répondu qu'en raison d'une indisponibilité physique "elles réservent ce produit à leur réseau" ;

Attendu que dans la seconde partie de sa décision, le Conseil déduit des constatations sus-énoncées, dans une rubrique intitulée : "Sur les clauses des contrats proposés par chaque compagnie aux distributeurs n'appartenant pas à leur réseau intégré :

"que la société Elf Antar France n'accepte de livrer son supercarburant SP 98 que si le distributeur s'engage à commander tous les produits de la gamme Optane ; que cette exigence, en tant qu'elle concerne les revendeurs libres ou les grandes surfaces, n'est pas justifiée par des nécessités particulières de distribution des supercarburants SP 98 ; qu'en raison des investissements propres à l'équipement d'une station-service, notamment en pistes, en pompes et en cuves, une telle clause peut avoir pour effet de limiter sans justification la concurrence entre les marques ; "

" qu'il résulte de ce qui précède que sont contraires aux dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 les stipulations des conventions proposées par les sociétés Esso SAF jusqu'en avril 1991, Shell France et Elf Antar France aux distributeurs non-membres de leur réseau intégré ou de leur réseau de marque en tant qu'elles leur imposent une exclusivité sur le SP 98, pour les sociétés Shell France et Esso SAF, ou sur une gamme de produits, pour la société Elf Antar France ; "

Attendu que, sauf à procéder à une analyse critique des moyens visant à mettre en doute les constatations du Conseil, la preuve des pratiques incriminées et la réalité de la politique commerciale de la requérante qui échappe au contentieux de l'exécution provisoire, il ne paraît a priori nullement évident que la motivation de la décision déférée soit gravement insuffisante quant à la nature et la démonstration des faits sanctionnés ni dépourvue d'apparence logique quant à ses déductions de droit ; qu'il ne peut en conséquence être soutenu qu'elle est affectée d'irrégularités flagrantes qui, par elles-mêmes, seraient de nature à attacher des conséquences manifestement excessives à son exécution ;

Que par ailleurs,ni la pétition de principe consistant à affirmer l'impossibilité de cesser une pratique commerciale dont l'existence est contestée ni le montant en valeur absolue de la condamnation pécuniaire ne suffisent à caractériser de telles conséquences, sans l'indication concrète des probables excès qu'en réalité et de manière effective entraînerait l'exécution des dites sanctions et injonctions ;

Par ces motifs : Rejetons la requête ; Laissons les dépens à la charge de la requérante.