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Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 9 novembre 1989, n° ECOC8910140X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

BP France (SA), Esso (SA), Pétroles Shell (SA), Elf Corse (SNC), Syndicat des distributeurs et revendeurs de carburants et lubrifiants de la Haute-Corse, Syndicat des distributeurs et revendeurs de carburants et lubrifiants de la Corse-du-Sud, Paone, station-service Kennedy (SARL), Scaglia et fils (SARL), Pietri, Fabiani, Nieri, Paoletti, Casabianca (SARL), Costa, Demenis, Santoni, Emmanuelli, Emmanuelli (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Premier président :

Mme Ezratty

Président :

M. Culie

Avocat général :

M. Jobard

Conseillers :

MM. Schoux, Collomb-Clerc, Canivet

Avoués :

Mes Bourdais-Virenque, Valdelièvre, SCP Boquet-Taze-Bernard, SCP Roblin-Chaix-de Lavarene

Avocats :

Me Quint, SCP Lassier-Brudy-de-Sechelle-Henriot, Mes Salzmann, Bourgeon, Sollacaro.

CA Paris n° ECOC8910140X

9 novembre 1989

Statuant sur les saisines des unions de consommateurs de Haute-Corse et de Corse-du-Sud en même temps que, pour ce dernier département, sur sa saisine d'office, le Conseil de la concurrence a, par décision du 25 avril 1989, constaté que des ententes illicites avaient eu lieu en Corse, entre les mois de février 1985 et septembre 1986, sur les prix de vente au détail des carburants et, en conséquence, a infligé aux deux syndicats professionnels des " distributeurs et revendeurs de carburants et lubrifiants " de Haute-Corse et de Corse-du-Sud, à quatre compagnies pétrolières : Esso, Shell, BP France et Elf Corse qui, à l'époque, exploitaient, dans ces départements, des stations sous contrat de mandat, ainsi qu'à douze distributeurs indépendants, des sanctions pécuniaires comprises entre 30 000 et 500 000 F.

Le Conseil a, en outre, ordonné la publication du texte intégral de sa décision et dit qu'il lui serait fait rapport, dans un délai maximum de six mois, de la situation de la concurrence par les prix sur les marchés des carburants dans la région considérée.

Chacune des parties a formé un recours contre cette décision dont elles demandent, selon les moyens ci-dessous exposés, l'annulation et la réformation ; certaines d'entre elles, sollicitant, à titre subsidiaire, la réduction des sanctions pécuniaires qui leur sont infligées.

1. Les syndicats des distributeurs et revendeurs de carburants et lubrifiants de Haute-Corse et de Corse-du-Sud font valoir :

- que la décision déférée n'a pas tenu compte des particularités du marché des carburants dans la région Corse, ni étudié les prix de cession imposés par les sociétés pétrolières, alors qu'il existe des présomptions sérieuses d'une entente tarifaire entre ces dernières ;

- que l'alignement des prix relevés à la pompe, constatés dans les départements de Haute-Corse et de Corse-du-Sud ne résultent pas d'interventions syndicales dont la preuve n'est pas rapportée, mais des faibles écarts des prix de cession pratiqués par les sociétés pétrolières et encore réduits par l'octroi des remises conduisant à des conditions de vente pratiquement uniformes ;

- que les sanctions pécuniaires prononcées à leur encontre : 500 000 F pour le syndicat de Haute-Corse et 100 000 F pour celui de Corse-du-Sud sont notoirement excessives.

2. Les distributeurs indépendants reprennent à leur compte, par des conclusions communes avec leurs syndicats, les observations de ceux-ci sur les spécificités du marché en cause et l'incidence des prix de cession et ils ajoutent :

- que pour ceux d'entre eux qui n'ont pas été entendus au cours de l'enquête administrative, l'entente ne peut être établie ;

- que les sanctions pécuniaires qui leur sont infligées ont été calculées à partir de chiffre d'affaires qui, pour la plupart d'entre eux, résultent, dans une large proportion, d'autres activités que la distribution de carburants et qu'en tous cas, eu égard à leurs situations financières respectives et à la faible rentabilité de leurs entreprises, elles sont abusives et les condamnent à la ruine.

Charles Emmanuelli qui est propriétaire de deux stations-service à Ajaccio, l'une à l'enseigne Elf pour Impérial, l'autre affichant la marque Mobil, route de Sartène, prétend, par ailleurs, que la procédure est irrégulière en ce qui concerne la seconde, par suite d'une erreur sur la personne de l'exploitant.

3. Les compagnies pétrolières impliquées prétendent ensemble qu'à défaut de relever leur participation à une entente avec les autres distributeurs sur la fixation des prix de détail, la décision déférée retient contre elles un parallélisme de comportement tarifaire qui, à lui seul, ne suffit pas à caractériser une pratique prohibée, ni même à en présumer l'existence ; elles reprochent en outre à ladite décision de n'avoir pas recherché si la fixation de prix identiques à ceux des autres détaillants ne pouvait s'expliquer par des considérations propres à chacune d'elles, par le contexte économique, ou tout autre élément autonome indépendant d'un concours de volonté.

Elles font en outre valoir individuellement :

La société Esso, exploitante mandataire de la station Arinella à Bastia, à titre subsidiaire, qu'elle a dû renoncer temporairement à appliquer en Corse la politique de concurrence qui lui est la sienne sur l'ensemble du marché national, en raison des menaces dont sa station et son gérant ont été l'objet en cas de non-alignement de ses prix et qui l'ont privé de la possibilité de choisir toute autre stratégie commerciale, sans cependant que son comportement puisse être interprété comme une adhésion à une entente tarifaire ;

La société des pétroles Shell, exploitante par mandataire d'une station-service à Porticcio (Corse-du-Sud) :

- que les constatations de l'enquête concernant cette station sont erronées puisqu'elles portent sur une période de vingt mois, à partir du mois de février 1985, alors qu'elle-même ne gère ce point de vente que depuis le 16 mars 1986 et qu'en lui infligeant, nonobstant ses observations, une sanction à partir de ces éléments de preuve le Conseil n'a pas motivé sa décision ;

- que les relevés concernant sa propre période de gestion établissent qu'elle a constamment aligné ses prix à la baisse et que, ce faisant, elle a appliqué une politique commerciale personnelle ;

- qu'il n'est en outre pas établi qu'elle ait eu connaissance d'une entente illicite sur les prix et qu'elle y ait volontairement adhéré ;

La société Elf Corse, exploitante par mandataire de la station Antar, immeuble Le Diamant, à Ajaccio :

- que la décision déférée la condamne sans la moindre motivation et sans répondre aux objections par elle faites devant le Conseil, tenant au caractère contestable des relevés qui la concernent, à ce que les prix qui y figurent ne sont identiques à ceux des autres opérateurs que dans de rares cas et qu'au surplus ils ont été inférieurs durant toute l'année 1986 ;

- que ces éléments chiffrés n'établissent nullement un parallélisme de comportement tarifaire à son égard et a fortiori sa participation à une entente prohibée ;

La société BP France, exploitante par mandataire de deux stations-service, l'une dans l'agglomération bastiaise à Furiani (Haute-Corse), l'autre à Mezzavia (Corse-du-Sud) :

- qu'il n'est pas prouvé qu'elle ait eu connaissance d'une entente sur les prix et qu'elle y ait délibérément adhéré ;

- qu'en alignant ses prix sur les quelques stations immédiatement voisines elle a choisi une politique commerciale personnalisée et dictée par sa faible position sur le marché ;

- que la sanction pécuniaire d'un montant de 300 000 F, prononcée contre elle, est sans proportion avec les faits mineurs qui lui sont imputés.

Présentant ses observations sur chacun des points contestés, le ministre d'Etat, ministre de l'Economie, des Finances et du Budget, poursuit la confirmation de la décision déférée, tant en ce qui concerne les pratiques anticoncurrentielles retenues à l'encontre de chacune des parties que sur le montant des sanctions qui leur sont infligées et demande en outre que soit ordonné la publication par voie de presse de l'arrêt à intervenir.

Les observations du Conseil de la concurrence tendent à préciser la notion d'entente, en tant que comportement anticoncurrentiel, dans la jurisprudence interne et communautaire.

Le Ministère public a également déposé des conclusions écrites.

Sur quoi LA COUR :

1. Sur le marché des carburants dans la région Corse

Considérant que la région Corse est approvisionnée en carburants par les six principales sociétés pétrolières : Total, Elf-Antar, Esso, Shell, BP et Mobil à partir de deux dépôts situés à Bastia et Ajaccio exploités par la société Dépôts pétroliers de la Corse (SPDC), filiale commune de ces sociétés, qui assure le stockage et le passage des produits que les compagnies facturent aux revendeurs conformément à leurs barèmes respectifs, différenciés par zones délimitées en fonction de leur éloignement du centre d'approvisionnement ;

Considérant que la distribution est en majeure partie assurée par des pompistes indépendants ; 132 en 1986 et des gérants libres de stations-service, au nombre de 19, lesquels exploitent des fonds appartenant aux compagnies pétrolières à qui elles achètent le carburant qu'elles commercialisent ; que l'une et l'autre de ces catégories de commerçants représentant respectivement 81,5 et 14,4 p. 100 du nombre des distributeurs déterminent à leur initiative les prix de revente, alors que 11 d'entre eux seulement, soit 4 p. 100 de l'ensemble, sont des mandataires ou commissionnaires desdites compagnies qui vendent les produits pour le compte et aux prix fixés par celles-ci ;

Considérant que le marché de la distribution des carburants en Corse se caractérise encore :

- par l'absence de points de vente dans les magasins à grande surface ;

- par le rôle majeur du relief de la région dans la répartition des stations-service, principalement regroupées dans les agglomérations d'Ajaccio et Bastia et, dans une moindre mesure, dans les autres zones de la côte, alors qu'un faible nombre est dispersé dans la région centrale, montagneuse et d'accès difficile ;

- par une forte saisonnalité due aux flux touristiques ; les quantités vendues aux mois de juillet et août étant plus de deux fois supérieures à celles de janvier et février et certains points de vente voyant leur débit décupler durant l'été ;

- enfin, par des allégements fiscaux : réfaction de 2 p. 100 de la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP) et de plus de 5 p. 100 du taux de la TVA ;

2. Sur les contestations relatives à l'alignement des prix de détail

Considérant que les sondages périodiques effectués par l'administration, entre les mois de février 1985 et septembre 1986, dans les deux départements visés et, spécialement dans les stations de l'agglomération de Bastia et celles de la région d'Ajaccio révèlent que les prix de vente au détail étaient plus souvent semblables, aussi bien pour le super-carburant et l'essence, que pour le fuel et qu'ils variaient simultanément ; que le caractère probant de ces constatations n'est contesté que par les sociétés Elf Corse et Shell, pour ce qui est des relevés relatifs aux stations qu'elles gèrent sous mandat ;

Considérant que les syndicats professionnels et les exploitants indépendants soutiennent que l'identité des prix de détail, qu'ils ne dénient pas, est la conséquence des conditions uniformes de vente faites aux distributeurs par les compagnies qui découragent ainsi toute concurrence entre eux ;

Considérant cependant que, contrairement à ce que prétendent les susnommés, l'examen des moyennes mensuelles des tarifs appliqués aux revendeurs par chacune des sociétés pétrolières au cours de la période considérée montre des différences appréciables : de 2 à 15 centimes par litre et que l'octroi des remises, modulables d'une société à l'autre et d'une station-service à l'autre n'a pas pour conséquence d'égaliser les conditions d'approvisionnement en compensant les écarts de tarifs ;

Qu'en outre, dans les cas où ils se situent dans une amplitude réduite, les barèmes des compagnies ne peuvent justifier la similitude des prix affichés à la pompe, le plus souvent au centime près sur les trois produits en cause, par des distributeurs dont les coûts d'exploitation sont nécessairement très variables en fonction du débit de leurs stations et du mode de gestion de celles-ci ;

Qu'au surplus, les spécificités géographiques et saisonnières du marché influent différemment sur chacun des points de vente et ne peuvent avoir pour conséquence de rapprocher les prix qu'elles devraient au contraire contribuer à disperser.

3. Sur les ententes

A. - Dans le département de la Haute-Corse

Considérant que le syndicat des distributeurs et revendeurs de carburants et lubrifiants de Haute-Corse, officialisé au mois d'avril 1985 et regroupant à l'époque la totalité des stations du département, conteste avoir joué un rôle dans la détermination des prix de détail des produits en cause ;

Qu'il résulte cependant des auditions de ses dirigeants, et notamment de MM. Rossi, président et Mariani, membre du comité de direction et de certains adhérents, corroborées par les documents saisis chez M. Moncelli, secrétaire général adjoint, qu'un accord verbal a été adopté, sous l'égide du syndicat, ayant pour but d'éviter une concurrence par les prix et consistant à fixer les tarifs de détail à partir du prix de cession moyen des compagnies pétrolières, majoré d'une marge brute identique pour tous, initialement fixée à 28 centimes le litre, tout en répercutant simultanément dans chacune des zones les variations de prix ;

Que les relevés opérés démontrent que cette méthode a été effectivement suivie et qu'en outre, selon les témoignages recueillis, les dirigeants de cette organisation ont adressé les mises en garde nécessaires à ceux qui s'en éloignaient en Haute-Corse et, en Corse-du-Sud, à ceux qui paraissaient s'engager dans la voie d'une concurrence par les prix.

B. - Dans le département de la Corse-du-Sud

Considérant que le syndicat des distributeurs et revendeurs de carburants et lubrifiants de Corse-du-Sud, agissant auparavant comme groupement informel, s'est constitué sur le modèle de son homologue de Haute-Corse, au mois de septembre 1985 ; qu'en dépit des dénégations qu'il oppose sur son rôle dans l'organisation d'une entente, il résulte des documents saisis chez son président M. Scaglia et des déclarations de Mme Calmels, membre du bureau, qu'il a initié une concertation entre les pompistes du département, en provoquant des réunions dont l'objet était l'adoption des prix de revente, consistant à augmenter d'une marge constante, initialement fixée de 5 à 6 p. 100 de leur montant, les barèmes de cession des compagnies pétrolières et à opérer ensuite, par comparaisons, les alignements voulus ;

Considérant qu'à partir de cette initiative du syndicat, à propos duquel le dossier d'enquête ne révèle toutefois qu'un rôle limité de coordination de l'entente, se sont établies des concertations locales entre commerçants syndiqués ou non :

- qu'ainsi, selon l'audition des époux Casabianca exploitants une station Mobil à Propriano, des accords, auxquels eux-mêmes ont adhéré, ont été conclus entre les pompistes de cette localité, visant à éliminer toute concurrence entre eux par l'adoption de prix communs ;

- que M. Demenis, gérant d'une station Total à Bonifacio, admet que ses collègues de la zone de Bonifacio et Porto-Vecchio ont pris les mêmes dispositions auxquelles il a souscrit ;

- que les relevés opérés par l'administration font apparaître des similitudes de prix entre les stations-service d'Ajaccio révélant la mise en œuvre entre elles d'une entente tarifaire dont la preuve résulte suffisamment et sans qu'il ait été nécessaire de procéder à d'autres investigations des sondages eux-mêmes, des auditions et constatations relatives au recommandations syndicales et des déclarations d'exploitants établis dans d'autres secteurs du département ; que ces pratiques impliquent dix entreprises de distribution de carburant installées dans cette localité, dont la participation à l'entente a été caractérisée par la décision frappée de recours ;

Considérant cependant que M. Emmanuelli, qui dirige deux stations-service à Ajaccio ne s'est personnellement vu notifier de griefs que pour celui de ces établissements situé cour Impérial; ceux se rapportant à l'autre ayant été dénoncés à son épouse, en qualité de gérante d'une SARL, en fait inexistante ;

Qu'il s'ensuit que la procédure, concernant cette seconde entreprise, diligentée par le Conseil contre une personne autre que son responsable, ne peut être tenue pour régulière et que la sanction pécuniaire unique infligée à l'intéressé pour l'ensemble de son activité commerciale doit être réduite en conséquence ;

C. - Sur l'implication des compagnies pétrolières

Considérant que les données économiques et financières générales relatives à l'évolution des prix sur le marché national de la distribution des carburants auxquelles elles ont accès, les moyens d'observer la partie corse de ce marché que leur confère leur position de fournisseur, ainsi que le caractère ostensible et systématique des alignements observés ont nécessairement permis aux compagnies pétrolières de savoir que ceux-ci ne pouvaient provenir que d'actions concertées des autres distributeurs ;

Considérant que les sociétés BP France et Esso ne contestent pas que les prix pratiqués dans les stations qu'elles exploitaient par mandataires ont été, pour un nombre significatif de relevés, identiques à ceux de leurs concurrents ;

Considérant que la société Shell n'est pas fondée à prétendre, pour en demander l'annulation, que la décision attaquée retient par erreur, pour sa station de Porticcio, des relevés concordants depuis le début de l'année 1985 alors qu'elle n'a repris ce point de vente que depuis le 16 mai 1986 ; que le Conseil précise au contraire que les pratiques mises en œuvre avant cette date dans cette station-service ne sont pas imputables à ladite société mais que les prix constatés postérieurement étaient alignés sur au moins 13 des 15 points de vente contrôlés aux mois de juillet, août et septembre 1986 ; qu'il est en conséquence incontestable que durant cette période la station concernée a pratiqué des prix rigoureusement conformes à ceux de ses concurrents ;

Que ces observations effectuées sur une période de plus de trois mois, correspondant à la saison touristique, caractérisent suffisamment un comportement d'entente prohibée ; que le fait que les alignements aient été opérés à la baisse ne témoigne nullement, de la part de cette société, d'une démarche individuelle de fixation de ses prix, étant observé que la réduction dont il est fait état résulte exclusivement de la diminution, aux mois de juillet et août, des prix de revente des compagnies, simultanément répercutée par l'ensemble des adhérents à l'entente locale ;

Considérant que la société Elf soutient que les pièces du dossier n'établissent pas que les prix de la station Antar-Diamant qu'elle exploite à Ajaccio aient été systématiquement notés et qu'au surplus, sur vingt mois d'observation, des similitudes n'apparaissent que dans trois cas, ce qui, selon elle, serait insuffisant pour en déduire une pratique d'alignements systématiques;

Mais considérant que sur la pièce N 4 de l'annexe F du rapport, intitulée : " relevé des prix 85-86 Corse-du-Sud " figure mensuellement, comme pour les autres points de vente contrôlés, les prix du super-carburant, de l'essence et du gas-oil affichés par la station Antar-Diamant ; que contrairement à ce que soutient la requérante, ceux-ci sont en général et à quelques minimes variantes près identiques à ceux de ses concurrents pour l'année 1985 et jusqu'au mois de mars 1986 ; que s'il est exact que depuis cette date et jusqu'au mois de septembre suivant, elle a pratiqué des prix généralement en retrait de 1 à 3 centimes, il n'en reste pas moins que, durant plus d'un an, elle a continuellement suivi une politique d'ajustement tarifaire ;

Considérant qu'il est ainsi acquis que, pour les stations qu'elles exploitaient par mandataires, les quatre compagnies en cause ont systématiquement pratiqué des prix de détail identiques à ceux des autres distributeurs que n'expliquent ni les caractéristiques du marché conduisant au contraire à une dispersion des prix de revient, ni les coûts d'exploitation nécessairement spécifiques à la gestion par mandataires ;

Considérant qu'en s'alignant sur des tarifications qu'elles savaient concertées, lesdites compagnies ont renoncé à suivre une politique commerciale autonome que leur permettait cependant leur position économique sur le marché de l'approvisionnement des carburants, en dépit de leur faible part dans la vente au détail de ces produits; qu'à l'exception de la société Esso, dont la situation doit à cet égard être différemment appréciée, elles ont délibérément choisi, en l'absence de contraintes spécifiques prouvées, de coopérer, en fait, aux ententes formées par les autres distributeurs et qu'elles y ont par conséquent tacitement mais volontairement adhéré;

Considérant que la société Esso justifie, par les pièces versées aux débats, qu'elle n'a consenti à aligner ses prix que sous la pression de graves menaces ; que si elle montre le caractère illicite des comportements parallèles observés, une telle circonstance établit toutefois que cette société ne s'y est résolue que sous l'empire de contraintes individuelles lui imposant un mode de fixation de ses prix, exclusif de tout accord de volonté à une quelconque action concertée ;

Considérant que, de ce qui précède, il résulte qu'hormis la société Esso, les parties en cause ont, en 1985 et 1986, mis en œuvre des ententes ayant pour objet et pour effet d'empêcher le jeu de la concurrence par la fixation de prix uniformes de revente des carburants ; que ces pratiques sont prohibées par les dispositions de l'article 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945 sans pouvoir être justifiées par celles de l'article 51 de ce texte et qu'elles sont également contraires à l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

4. Sur les sanctions pécuniaires

Considérant que le montant des sanctions pécuniaires est déterminé selon les modalités prévues à l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et au regard de la gravité, de la durée et des conséquences économiques des pratiques anticoncurrentielles reprochées ; qu'aucune des parties ne prétend que le maximum fixé par le texte susvisé, de 5 p. 100 du montant du chiffre d'affaires hors taxe réalisé au cours du dernier exercice, ait été dépassé et que, en outre, aucune disposition ne limite à l'activité directement affectée par l'entente, les résultats d'exploitation à prendre en compte ;

Qu'en considération de ces éléments d'appréciation, le Conseil a justement fixé les sanctions infligées aux deux syndicats et aux quatre compagnies en cause ainsi qu'aux sociétés Scaglia et fils et Casabianca et MM. Paone, Demenis, Pietri et Santoni, distributeurs indépendants ;

Considérant que la sanction prononcée à l'encontre de M. Emmanuelli en raison des pratiques concernant seulement la station qu'il exploite cour Impérial à Ajaccio doit être ramenée à 100 000 F ;

Considérant qu'en raison des particularités de leur situation économique dont ils justifient, les sanctions infligées aux détaillants ci-dessous nommés doivent être réduites :

A 10 000 F pour la SARL Station-Service Kennedy ;

A 20 000 F pour M. Costa ;

A 70 000 F pour Mme Fabiani ;

A 100 000 F pour M. Nieri ;

A 170 000 F pour M. Paoletti.

5. Sur la mesure de publication

Considérant qu'en exécution d'une décision rendue par le premier président de cette cour le 12 juillet 1989, statuant par application de l'article 15, alinéa 3, de l'ordonnance du 1er décembre 1986, la publication ordonnée par le Conseil de la concurrence a été complétée de l'indication des recours introduits par les sociétés Shell, BP France et Esso ; qu'il échet en conséquence de prévoir, dans les mêmes conditions, la publication du présent arrêt dans les éditions locales des départements corses des quotidiens initialement désignés ;

Par ces motifs :

Rejette les recours en annulation formés contre la décision n° 89-D-14 du Conseil de la concurrence du 25 avril 1989, relative à la distribution des carburants dans la région Corse ;

La confirme en ce qui concerne les sanctions pécuniaires prononcées contre :

Les syndicats des distributeurs et revendeurs de carburants et lubrifiants de Haute-Corse et de Corse-du-Sud ;

Les sociétés Shell, Elf Corse et BP France ;

Les sociétés Scaglia et Fils et Casabianca ainsi que MM. Paone, Demenis, Pietri et Santoni ;

L'amendant, pour le surplus ;

Dit n'y avoir lieu au prononcé de sanctions pécuniaires à l'encontre de la société Esso, à l'encontre de M. Emmanuelli concernant la station-service qu'il exploite route de Sartène à Ajaccio ;

Fixe ainsi qu'il suit les sanctions pécuniaires infligées à :

La société station-service Kennedy : 10 000 F ;

M. Costa : 20 000 F ;

Mme Fabiani : 70 000 F ;

M. Nieri : 100 000 F ;

M. Emmanuelli : 700 000 F ;

M. Paoletti : 170 000 F,

y ajoutant, ordonné, aux frais des sociétés Shell et BP France, la publication intégrale du texte du présent arrêt dans les éditions locales de la région Corse des journaux Nice Matin et le Provençal ;

Dit qu'à l'exception de la société Esso, chacune des parties sera tenue aux frais de son recours.