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Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 18 novembre 1997, n° ECOC9710405X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Concurrence (SA), SEMAVEM (SA), Concurrence (Sté)

Défendeur :

Sony France (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Présidents :

Mmes Favre, Pinot, Renard-Payen

Avocat général :

M. Woirhaye

Conseillers :

Mmes Beauquis, Marais

Avoué :

Me Naboudet

Avocat :

Me Mitchelle

CA Paris n° ECOC9710405X

18 novembre 1997

LA COUR est saisie, en tant que juridiction de renvoi après cassation, par la déclaration, faite conjointement par la société Concurrence à titre personnel et venant aux droits de la société Jean Chapelle et par la société Semavem, du recours formé contre la décision du Conseil de la concurrence n° 93-D-19 du 7 juillet 1993 relative à des pratiques de la société Sony France.

Les faits nécessaires à la solution du litige peuvent être énoncés comme suit :

Les sociétés Concurrence, Jean Chapelle et SEMAVEM ont saisi, en fin d'année 1989 et en début d'année 1990, le Conseil de la concurrence de pratiques commerciales émanant de la société Sony France qu'elles considéraient comme illicites au regard des dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986. Elles dénonçaient des difficultés d'approvisionnement justifiées par des " pénuries non prouvées ", des conditions de vente qui les mettaient hors système, des promotions destinées à exclure de fait la société Jean Chapelle, un système de ristournes différées non compatibles avec leur système de vente " cash and carry " et des discriminations au profit des sociétés Darty-CAPROFEM et CAMIF ;

Le conseil a fait partiellement droit à leurs prétentions dans sa décision du 7 juillet 1993 en retenant que les conditions de vente appliquées en 1990 par la société Sony France aux sociétés signataires du contrat ATC de type "B" prévoyait l'obligation pour les distributeurs concernés de mettre en service certains matériels au domicile du client, mais que le respect de cette obligation n'avait pas été imposé aux sociétés Continent, Carrefour, Euromarché, Rik's Electronic et Cora et que de même le fournisseur avait accordé la faculté à certains adhérents de la centrale d'achat SACOMUN de bénéficier de la remise qualitative de 5 % pour service après-vente, alors que ni la centrale d'achat ni les distributeurs concernés n'étaient en mesure de rendre ce service aux consommateurs, que ces dérogations avaient pu avoir pour effet de favoriser, sans contrepartie et sans justification, un mode particulier de distribution au détriment de distributeurs concurrents, et que ces pratiques conféraient un caractère anti-concurrentiel aux conditions de vente de la société Sony France, au sens des dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986. Il a en conséquence infligé une sanction pécuniaire de 800 000 F à la société Sony France.

Par arrêt du 8 juillet 1994, la cour de céans a rejeté les recours exercés, à titre principal, par les sociétés Jean Chapelle, Concurrence et SEMAVEM, et, à titre incident, par la société Sony France, en énonçant que le conseil avait relevé à bon droit " que les conditions générales de vente ou les avantages tarifaires proposés par un fournisseur et acceptés, explicitement ou tacitement, par les distributeurs constituent des conventions au sens de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, et que les clauses de ces conventions ou leur application ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur le marché concerné lorsque des dérogations tarifaires aux conditions générales de vente sont consenties à certains des distributeurs sans conditions objectivement définies permettant à toute entreprise qui les remplit d'y accéder et sans contreparties effectivement mises en œuvre par les bénéficiaires des avantages ", et en relevant que " le respect de l'obligation de mettre en service à domicile les matériels concernés n'a pas été imposé par la société Sony France à certains de ses distributeurs, qu'un autre de ses distributeurs n'était pas en mesure d'assurer le service après-vente aux consommateurs, que ces distributeurs ont cependant bénéficié effectivement de la ristourne de 5 %, et que le fait, par Sony France, de consentir de telles dérogations à certaines sociétés de la grande distribution, sans contrepartie et sans justification, a pu avoir pour effet de favoriser un mode particulier de distribution au détriment de distributeurs concurrents qui, ne rendant pas les services prévus en contrepartie de la ristourne de 5 %, n'ont pas bénéficié de celle-ci. "

Par arrêt du 29 octobre 1996, la Cour de cassation, sur pourvoi formé par la société Sony France, a cassé et annulé dans toutes ses dispositions l'arrêt précité, au motif qu'en se déterminant sans vérifier s'il existait des présomptions établissant que la société Sony avait consenti à certains distributeurs bénéficiant de la ristourne de 5 % des dérogations aux stipulations contractuelles leur imposant, en contrepartie de l'octroi de cette ristourne, l'exécution de prestations de service au profit de la clientèle, la cour d'appel n'avait pas donné de base légale à sa décision.

C'est dans ces circonstances que les sociétés Concurrence et SEMAVEM ont saisi la cour d'un recours en annulation et réformation contre la décision du conseil.

Les sociétés requérantes affirment qu' en accordant des remises sans contrôle effectif, ou en ne signant pas de contrats, ou encore en ne les remplissant pas correctement (absence de liste de magasins, non-mention du nom de la personne chargée de l'accueil des clients, remises moyennées), la société Sony acceptait par avance l'existence de dérogations, et que Sony a d'ailleurs reconnu elle-même ne pas avoir sanctionné des dérogations connues d'elle. Elles font en outre valoir que les présomptions résultant de la conception même du système d'octroi, à savoir le système déclaratif des centrales, sans contrôle possible des points de vente, constituent des potentialités énormes de discriminations, suffisant à conférer à la pratique un effet sensible sur la concurrence.

Elles reprochent par ailleurs au conseil d'avoir retenu, pour ne pas sanctionner des griefs notifiés, qu'une dérogation serait licite dès lors que " cette possibilité est offerte à tous les distributeurs ", affirmant que la proposition de ces dérogations au groupe Chapelle constitue une présomption, telle qu'exigée par la Cour de cassation, que Sony consentait des dérogations.

Elles soutiennent enfin que des griefs non retenus par le rapporteur et par le conseil sont établis en raison de l'évolution du litige et de l'apparition de preuves. Il en serait ainsi, selon elles, de la clause de rétrocessions et de son application discriminatoire au groupe Chapelle, par rapport à la CAMIF, à CAPROFEM, à l'enseigne unique Auchan-Boulanger, au groupement GITEM et à Force G par la globalisation d'enseignes différentes, à Intermarché et au groupe GITEM.

Elles demandent en définitive à la cour :

- de " confirmer " la décision du conseil en ce qu'elle a condamné la société Sony au titre de l'article 7, relativement à l'application des conditions de service après-vente,

- la réformant :

- de dire que constituent des pratiques prohibées par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 le fait par Sony concernant le service après-vente d'opérer des remises moyennées pour les magasins à niveaux de service différents, d'accepter un seul atelier pour les enseignes ayant plusieurs magasins, de traiter directement avec les centrales et de ne pas mentionner la liste des magasins concernés, sans mentionner ces pratiques dans ses conditions de ventes communicables à tout revendeur, et sans les assortir préalablement de critères objectifs d'application et le fait de ne pas faire signer de contrats par magasin en cas d'enseigne ou de centrale d'achat, de ne pas indiquer le nom de la personne chargée de l'accueil des clients en dérogation avec les conditions officielles ;

- de dire que la société Sony a mis en œuvre des pratiques prohibées par l'article 7 en consentant des dérogations à ses conditions de vente, notamment en globalisant les achats des sociétés Auchan et Boulanger, des sociétés Darty et CAPROFEM, des enseignes GITEM et Force G, en accordant des remises de services après-vente et de démonstration au groupement Intermarché, entre septembre 1989 et juillet 1990, en consentant les remises de SAV aux coopératives d'achat du GITEM, en facturant à Darty les produits destinés à CAPROFEM aux conditions de services de la société Darty jusqu'en avril 1990 puis à partir de mai 1990 en globalisant les achats de CAPROFEM avec Darty, et en accordant à Darty puis à CAPROFEM les remises qualitatives en dérogation à la clause de rétrocession, en accordant à CAPROFEM des remises pour des services non rendus aux consommateurs, en rémunérant la CAMIF pour la démonstration non effectuée, 5 % pour le SAV correspondant au contrat type B alors que la CAMIF sous-traitait le SAV, facturait en supplément la livraison et la mise en service, et en assurant cette livraison pour le compte de la CAMIF, moyennant supplément ;

- de condamner la société Sony France à leur payer la somme de 100 000 francs au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Sony France réplique que la simple application discriminatoire d'un contrat ne saurait en tant que telle constituer une infraction à l'article 7, lorsqu'elle ne repose pas sur un accord de volonté, que la démonstration d'un tel accord fait défaut en raison de son absence évidente de volonté de consentir des dérogations dans l'application du contrat litigieux à ses distributeurs. Elle ajoute qu'à les supposer établies, les pratiques en cause n'ont pu porter une atteinte sensible au jeu de la concurrence sur le marché pertinent.

Elle conclut en conséquence à l' " infirmation " de la décision du 7 juillet 1993 en ce qu'elle a considéré que la société Sony France s'était rendue coupable d'une infraction à l'article 7 de l'ordonnance précitée.

Pour le reste, elle poursuit la confirmation de cette décision en toutes ses autres dispositions, en réfutant un à un les arguments avancés par les sociétés Concurrence et SEMAVEM et sollicite la condamnation de ces dernières à lui verser la somme de 72 360 F (TTC) sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Le Conseil de la concurrence relève que plusieurs éléments du dossier démontrent que la société Sony France a bien consenti aux distributeurs désignés dans la décision des dérogations aux stipulations contractuelles leur imposant, en contrepartie de l'octroi de la ristourne, l'exécution de prestations de services au profit de la clientèle. Il mentionne notamment que la société Sony France, en tolérant que ne soit pas strictement exigé le respect des obligations contreparties des remises et en ne se donnant aucun moyen d'en vérifier la réalité de mise en œuvre, a consenti des dérogations aux stipulations contractuelles. Il indique que la différence de traitement entre le groupe Chapelle et certains autres distributeurs constitue un comportement discriminatoire qui a pu avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur les marchés des produits concernés, prohibé par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Le ministre de l'économie observe que les constatations effectuées par les services d'enquête ont mis en évidence un ensemble de faits qui constitue la manifestation d'une application non objective et discriminatoire des stipulations du contrat ATC mis en place par la société Sony France. Il ajoute que l'auteur de la pratique est une société qui occupe une place significative sur le marché des produits hifi-vidéo, que les distributeurs qui ont bénéficié des conditions discriminatoires accordées par ce fournisseur appartiennent à des enseignes de la grande distribution jouant un rôle prépondérant dans la distribution de ces produits et qu'ainsi les pratiques, dont les victimes ont été les entreprises pratiquant une politique de prix plus avantageuse pour le consommateur, ne sont pas sans incidence sur le marché.

Les sociétés Concurrence et SEMAVEM ont répliqué aux moyens de la société Sony France ainsi qu'aux observations du conseil et du ministre, en développant à nouveau leur argumentation.

La société Sony France, en réponse aux mémoires du conseil et du ministre chargé de l'économie, conclut à l'annulation de la décision, en raison de l'absence d'une des conditions d'application de l'article 7, à savoir l'accord de volontés à l'origine de l'entente présumée, et subsidiairement au regard de l'absence d'effet sensible sur la concurrence des manquements de quelques distributeurs concernés à leurs obligations contractuelles.

Par des écritures signifiées le 29 septembre 1997, la société Sony France, au visa de l'article 1351 du Code civil, demande à la cour de constater que toutes les dispositions de l'arrêt de la cour d'appel du 8 juillet 1994, non soumises à la Cour de cassation, sont revêtues de l'autorité de la chose jugée, et en conséquence de déclarer les sociétés Concurrence et SEMAVEM irrecevables à s'en prévaloir.

Les sociétés Concurrence et SEMAVEM concluent à l'irrecevabilité de ces dernières écritures en raison de leur tardiveté. Subsidiairement elles sollicitent leur rejet en application des articles 623, 624 et 625 du nouveau Code de procédure civile.

Le ministère public conclut oralement au rejet des recours.

Sur ce,

Sur la portée de la cassation :

Considérant que par son arrêt du 29 octobre 1996 la Cour de cassation a expressément cassé et annulé, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 8 juillet 1994, entre les parties, par la cour d'appel de Paris et remis en conséquence la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt ;

Considérant que la cassation d'une décision " en toutes ses dispositions " investit la juridiction de renvoi de la connaissance de l'entier litige dans tous ses éléments de fait et de droit, conformément aux articles 625 et 638 du nouveau Code de procédure civile ;

Que dès lors tous les moyens invoqués par les sociétés Concurrence et SEMAVEM au soutien de leur recours doivent être examinés par la cour ;

Sur les pratiques sanctionnées par le conseil :

Considérant qu'il résulte des pièces du dossier et notamment du rapport d'enquête que, pour la période concernée par la procédure, la société Sony France a passé avec près de 59 % de ses distributeurs un contrat d'assistance technique de type B par lequel le distributeur s'engageait à assurer la prise en charge de ses clients pour tout ce qui concerne l'environnement technique lié à l'acte de vente ; que, pour souscrire un tel contrat qui entraînait le versement d'une ristourne trimestrielle de 5 % calculée sur la facturation brute HT moins les avoirs, le distributeur devait :

- disposer de moyens logistiques et techniques propres permettant d'assurer gratuitement la mise en service des produits au domicile du client ;

- employer du personnel technique qualifié de manière à pouvoir intervenir en cas de pannes simples ;

- posséder l'équipement technique nécessaire afin de remplir ces obligations.

Que l'enquête administrative, qui a porté sur un échantillon de 49 magasins implantés en région parisienne, dont 17 surfaces spécialisées, 10 grandes surfaces alimentaires, 1 grand magasin, 20 spécialistes et 1 entreprise de vente par correspondance, a relevé que :

- le magasin à enseigne Continent de Saint-Brice n'effectuait pas de mise en service gratuite ;

- le magasin Rik' Electronic, dont la politique commerciale excluait, selon la déclaration faite par son dirigeant aux enquêteurs, tout service, n'effectuait pas la livraison et la mise en service gratuite au domicile du client ou l'effectuait moyennant une contrepartie de 240 F ;

- le magasin à enseigne Cora d'Ermont a effectué jusqu'au 20 novembre 1991 les livraisons moyennant 130 F de frais et la mise en service moyennant 240 F ;

- les magasins Conforama d'Orgeval et Euromarché de Créteil n'effectuaient la livraison qu'à titre onéreux ;

- le magasin Carrefour de Gennevilliers n'effectuait pas la mise en service à domicile, ne pratiquant que la vente à l'emporter ;

- dans certains cas, les contrats de service après-vente passés au niveau de la centrale d'achat ne mentionnaient pas les magasins concernés ni les conditions dans lesquelles s'opérait le service ;

- certains adhérents de la centrale d'achat SACOMUN ont bénéficié, en 1990, de la remise de 5 %, alors que ni la centrale d'achat ni les distributeurs concernés n'étaient en mesure de rendre le service aux consommateurs ;

Considérant que la société Sony France reproche au conseil d'avoir estimé que ces dérogations qui pouvaient avoir pour effet de favoriser, sans contrepartie et sans justification, un mode particulier de distribution au détriment de distributeurs concurrents, conféraient un caractère anti-concurrentiel aux conditions de vente au sens des dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, au motif que la simple application discriminatoire d'un contrat ne saurait en tant que telle constituer une infraction à l'article 7 lorsqu'elle ne repose pas sur un accord de volonté ;

Mais considérant que l'enquête a établi qu'un certain nombre de contrats de SAV (Carrefour, Continent, Rik'Electronic, Euromarché) ne mentionnaient ni les magasins auxquels ils s'appliquaient ni les conditions dans lesquelles s'opérait le service vente, que, pour d'autres clients, la société Sony France n'a pas été en mesure de présenter le contrat attestant de ce qu'elle avait exigé de son distributeur les engagements définis par le contrat de type B (Cora, Carrefour de Gennevilliers), enfin que Sony avait accordé à des adhérents de groupements à enseigne qui n'étaient nullement signataires de contrat de service des remises de services, ainsi que cela résulte de la déclaration du responsable de la centrale d'achat SACOMUN (cote 1556 du rapport administratif) faite le 8 juin 1990 dans les termes suivants :

" Chaque adhérent signe directement avec Sony France un contrat de SAV. Actuellement nous n'avons que 3 ou 4 adhérents qui, pour les produits Sony, passent par nous car ils ne répondent pas aux exigences du contrat proposé par Sony " étant précisé que cette centrale avait souscrit avec ce fournisseur un contrat de type B prévoyant l'octroi d'une ristourne de 5 % à chacun des adhérents qui bénéficient également d'une remise de 5 % pour démonstration (cote 1558) ;

Que la société Sony France a d'ailleurs admis qu'elle n'entendait pas, à l'époque des faits, exiger strictement le respect des obligations contreparties des ristournes ; qu'elle a en effet indiqué, dans ses observations en réponse à la notification de griefs, " qu'une tolérance certaine avait été admise pour l'ensemble de la population des distributeurs consistant à ne pas pénaliser ceux qui n'effectuaient pas la livraison gratuite des produits dans l'obtention de la ristourne SAV " ;

Qu'il s'en déduit que,loin de se borner à observer des difficultés dans la mise en œuvre et l'application des contrats de type B, la société Sony a, en connaissance de cause, consenti à certains distributeurs des dérogations aux stipulations contractuelles ;

Considérant qu'il ressort en outre du dossier que la société Sony France, sachant que le service qui justifiait la ristourne de 5 % n' était pas correctement rendu, n'a mis en place aucun moyen de contrôle, n'est pas intervenue auprès des distributeurs concernés pour leur faire respecter le contrat et n'a pas davantage cessé de verser la ristourne non justifiée, ce qui vient conforter les éléments de faits ci-dessus énumérés, constituant des présomptions de l'octroi de dérogations à ses conditions de vente;

Considérant que la société Sony France soutient ensuite que les pratiques en cause n'ont pas eu d'effet sensible sur le marché, s'agissant seulement de quelques incidents mineurs de nature purement contractuelle ;

Mais considérant que le conseil a justement relevé que les pratiques en cause, observées sur un échantillon représentatif de l'ensemble des distributeurs, avaient bénéficié à des grands groupes qui figuraient parmi les vingt-cinq premiers clients de la société Sony France, au détriment du groupe Chapelle pratiquant une politique de prix avantageuse pour le consommateur; que les dérogations accordées, en créant un déséquilibre entre ces deux modes de distribution, avaient un objet anticoncurrentiel et pouvaient avoir un effet sensible sur le marché dès lors qu'à terme elles étaient susceptibles d'empêcher les sociétés du groupe Chapelle de poursuivre sa politique de bas prix en ce qui concerne la vente des produits Sony ;

Que c'est donc à bon droit que le conseil a estimé que la société Sony France avait mis en œuvre des pratiques prohibées par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986;

Sur les pratiques écartées ou non sanctionnées :

Considérant, en premier lieu, que les sociétés Concurrence et SEMAVEM reprochent au conseil, tout en reconnaissant certaines dérogations, de les avoir approuvées au motif qu'elles auraient été proposées à d'autres revendeurs, et notamment au groupe Chapelle ; qu'elles soutiennent que la seule condition pour qu'une règle soit offerte à tous les distributeurs est qu'elle fasse partie des conditions officielles écrites et communiquées à tout revendeur qui en fait la demande, et qu'en l'absence de condition préalablement définie par écrit la proposition faite sans forme constitue une pratique prohibée par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Mais considérant, s'il est exact que la société Sony France a accordé à des entreprises effectuant de la vente par correspondance à titre accessoire le bénéfice de la remise de démonstration sur la totalité de leurs achats, que rien ne permet d'affirmer que cet octroi ait eu pour objet ou ait pu avoir pour effet d'empêcher, de fausser ou de restreindre le jeu de la concurrence sur le marché de la hi-fi, de la radio, de la vidéo ou de la télévision; qu'en l'espèce les conditions de vente de Sony France ne comportaient aucune mention relative au cas particulier des entreprises effectuant de la vente par correspondance ; que la société Sony France n'a donc pas accordé une dérogation, mais seulement prévu un aménagement concernant ces sociétés, qu'elle a proposé de manière objective les modalités ainsi définies aux autres sociétés susceptibles d'utiliser ce mode de distribution, et notamment à la société SEMAVEM, ainsi que cela résulte du courrier du 17 janvier 1990 dont le conseil a, à bon droit, fait état ; que la pratique dénoncée ne saurait en conséquence tomber sous le coup des dispositions de l'article précité ;

Considérant, de la même façon, que le conseil a estimé à juste titre que ni le fait d'accorder aux entreprises disposant de plusieurs points de vente la faculté d'effectuer le service après-vente dans un seul atelier ni celui d'accorder une remise moyenne calculée en fonction du niveau des services effectivement réalisés par les magasins d'une même enseigne ne saurait être considéré comme une pratique ayant pour objet ou pouvant avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur le marché dès lors que le consommateur pouvait s'adresser au magasin de son choix pour la remise et la reprise du matériel et que ces deux facultés étaient offertes à tous les distributeurs, et notamment à la société Jean Chapelle lors de l'ouverture du magasin de l'avenue Wagram à Paris ;

Qu'en ce qui concerne l'absence de précision quant aux points de vente concernés dans les contrats de service après-vente signés par les groupes d'entreprises, encore dénoncée par le groupe Chapelle, rien ne permet de dire, en dehors des faits sanctionnés par le conseil, qu'il s'agirait d'une dérogation accordée sciemment par la société Sony France dans le but de fausser le jeu de la concurrence en avantageant une des formes de distribution au détriment d'une autre, puisqu'il n'est pas démontré que des adhérents n'auraient pas assuré les services de réparations qu'ils s'étaient engagés à rendre à leurs clients; que la décision a donc à bon droit écarté le grief notifié de ce chef ;

Considérant, en second lieu, que les sociétés Concurrence et SEMAVEM soutiennent que la société Sony France a mis en œuvre des pratiques prohibées par l'article 7 en appliquant d'une manière discriminatoire ses conditions générales de vente relatives à la globalisation du chiffre d'affaires et des remises qualitatives pour les achats des sociétés Auchan et Boulanger, des sociétés Darty et CAPROFEM, ainsi que des enseignes GITEM et Force G ;

Mais considérant que l'analyse des saisines déposées par les sociétés requérantes démontre que la société CAPROFEM n'était visée que pour ce qui concerne son activité de grossiste, qu'en ce qui concerne les sociétés Auchan et Boulanger, les copies de factures versées par le groupe Chapelle ont été à juste titre écartées par le rapporteur, car elles ne figuraient pas au dossier de saisine et qu'en outre elles portaient toutes, contrairement à ce qu'alléguait le requérant, la même adresse de facturation, seul le point de livraison étant différent qu'enfin, s'agissant de GITEM et de Force G, les pièces et informations dont se prévaut le groupe Chapelle étaient et restent couvertes par l'obligation de secret imposé aux parties par l'article 24 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et qu'au surplus aucune constatation relative à une hypothétique absence d'enseigne commune ou de politique commerciale commune n'a été faite lors de l'enquête administrative; qu'il s'ensuit que l'existence de pratiques anticoncurrentielles prohibées par l'article 7 de l'ordonnance susvisée n'est pas établie ;

Considérant, en troisième lieu, que les sociétés Concurrence et SEMAVEM font valoir que le rapporteur puis le conseil auraient dû relever l'existence de pratiques illicites, au sens de l'article 7, commises au profit du groupement Intermarché, et des sociétés CAPROFEM - Darty ;

Qu'il apparaît toutefois que les pratiques discriminatoires alléguées ont fait l'objet, en ce qui concerne les sociétés CAPROFEM - Darty, d'une saisine du Conseil de la concurrence en date du 7 juillet 1992, et que n'étant pas visées par celles jointes et instruites dans le cadre de la présente procédure, il n'y a pas lieu de les examiner; qu'il en est de même pour les pratiques en faveur du groupement Intermarché, qui ont donné lieu à une saisine particulière, non jointe au dossier ;

Considérant enfin que les requérantes prétendent que la société Sony France a mis en œuvre des pratiques prohibées par l'article 7, d'une part, en rémunérant 6 % la CAMIF pour la démonstration non effectuée, 5 % pour le service après-vente correspondant au contrat type B, alors que la CAMIF sous-traitait le service après-vente, facturait en supplément la livraison et la mise en service et, d'autre part, en assurant cette livraison pour le compte de la CAMIF, moyennant supplément ;

Mais considérant que la mise en service payante faisait, avec l'octroi d'une remise compensatoire de 6 % à la remise de démonstration non accordées, partie des services visés par la décision du conseil n° 90-D-42 du 6 novembre 1990 dans laquelle il avait été relevé qu'un " régime discriminatoire " avait été accordé à la CAMIF " qui n'effectue pas certains services donnant droit à des ristournes " et que les sociétés du groupe Chapelle avaient saisi le conseil le 21 novembre 1991 d'une demande tendant à voir vérifier le respect de l'injonction faite par le conseil ; que c'est par suite à juste titre que le rapporteur n'a pas procédé à une notification de grief complémentaire pour ces faits relevant du pouvoir du conseil de vérifier ses injonctions ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le recours des sociétés Concurrence et SEMAVEM visant des griefs écartés ou non notifiés n'est pas fondé ; qu'il doit en conséquence être rejeté ;

Considérant que l'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

Par ces motifs : LA COUR, Vu l'arrêt de la Cour de cassation rendu le 29 octobre 1996; Vu les articles 625 et 638 du nouveau Code de procédure civile ; Rejette les recours formés par les sociétés Concurrence et SEMAVEM et, à titre incident, par la société Sony France contre la décision n° 93-D-19 du 7 juillet 1993 relative à des pratiques de la société Sony France ; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Dit que les dépens, qui comprendront ceux afférents à l'arrêt cassé, seront supportés par moitié, d'une part, par les sociétés Concurrence et SEMAVEM et, d'autre part, par la société Sony France.