Livv
Décisions

Cass. com., 1 décembre 1998, n° 96-21.680

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Viafrance (SNC)

Défendeur :

Ministre de l'Économie

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Nicot (faisant fonctions)

Rapporteur :

M. Léonnet

Avocat général :

M. Lafortune

Avocats :

SCP Piwnica, Molinié, Me Ricard.

Cass. com. n° 96-21.680

1 décembre 1998

LA COUR : - Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué (Paris, 25 octobre 1996), que le Conseil de la concurrence a été saisi par le ministre de l'économie de pratiques mises en œuvre par diverses entreprises du secteur du bâtiment et des travaux publics à l'occasion du dix marchés concernant des travaux effectués dans le département du Gard ; que l'un de ces marchés était relatif à un appel d'offres émanant, en 1988, de la ville de Nîmes pour des travaux d'assainissement ; que la société Sonire a été déclarée attributaire du marché ; que le Conseil de la concurrence, estimant que des pratiques d'entente, au sens de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, étaient établies entre les sociétés soumissionnaires, a prononcé des sanctions pécuniaires à l'encontre de dix entreprises ; que trois de ces sociétés ont formé un recours devant la Cour d'appel de Paris ;

Sur le premier moyen, pris en ses deux branches : - Attendu que la société Viafrance fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté son recours, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'en se bornant à déclarer, pour décider que la participation de la société Viafrance à l'entente était rapportée, cette preuve " résulte suffisamment des faits relevés, des indices caractérisés et des déclarations analysées par le conseil ", sans énoncer les circonstances qui établiraient la participation de la société Viafrance à l'entente, la Cour d'appel de Paris n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, privant ainsi sa décision de base légale au regard de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; et, alors, d'autre part, qu'un échange d'information entre des soumissionnaires à un marché de travaux n'est constitutif d'une entente illicite que dans la mesure où il intervient avant la date de dépôt des offres ou, à tout le moins, celle de l'attribution du marché ; qu'en se bornant à affirmer que la société Viafrance " invoque vainement l'absence de date sur le devis remis aux enquêteurs par la société Sonire " ; sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, en quoi ce devis, non daté, pouvait être réputé avoir été communiqué avant la date de dépôt des offres, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Mais attendu qu'aucune disposition de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ne s'oppose à ce que la Cour d'appel de Paris, statuant sur un recours à l'encontre d'une décision du Conseil de la concurrence, n'en adopte les motifs après s'être référée préalablement aux constatations de la décision déférée ; qu'en l'espèce, la cour d'appel s'est référée " aux indices caractérisés et aux déclarations analysées par le conseil ", d'où il ressortait que le responsable de la société Sonire avait déclaré que les devis estimatifs avaient été établis par cette entreprise et envoyés aux douze soumissionnaires " pour une consultation à notre initiative ", un autre responsable de société ayant déclaré qu'il avait " soumissionné à ce marché sur la base de ce devis " ; que le Conseil de la concurrence ayant également constaté que les devis qui avaient été établis par les entreprises concurrentes étaient tous supérieurs à celui déposé par la société Sonire, la cour d'appel a pu en déduire, sans encourir les griefs du moyen, que c'est " vainement " que la société Viafrance invoquait l'absence de date sur le devis remis aux enquêteurs par cette entreprise ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Et sur le second moyen, pris en ses deux branches : - Attendu que la société Viafrance fait grief à l'arrêt de lui avoir infligé une sanction pécuniaire de 2 500 000 F alors, selon le pourvoi, d'une part, que les sanctions pécuniaires, proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise sanctionnée, doivent être déterminées individuellement pour chaque entreprise et de façon motivée pour chaque sanction ; qu'en se bornant à déclarer que le Conseil de la concurrence avait pu " infliger des sanctions proportionnées pour l'essentiel aux chiffres d'affaires des entreprises fautives, lesquelles ont joué des rôles équivalents au sein de l'entente ", sans énoncer en quoi la société Viafrance, poursuivie à raison d'une seule offre de couverture dans le cadre d'un marché d'importance mineure, et à laquelle il n'était pas reproché d'avoir été à l'origine de l'entente ou même d'y avoir joué un rôle actif, aurait contribué, de manière équivalente aux autres entreprises poursuivies, à l'entente sanctionnée, la cour d'appel de Paris a privé sa décision de base légale au regard de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; et alors, d'autre part, que les sanctions pécuniaires doivent être proportionnées à l'importance du dommage causé à l'économie du marché de référence ; qu'en affirmant, pour confirmer la sanction pécuniaire d'un montant de 2 500 000 F, infligée à la société Viafrance, que " le dommage causé à l'économie dépasse largement la valeur du marché ", tout en retenant que la société Viafrance était poursuivie à raison d'un devis de couverture dans le cadre d'un marché attribué à la société Sonire pour un montant de 508 627 F, inférieur à l'évaluation administrative, la Cour d'appel de Paris a violé les dispositions de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Mais attendu que la cour d'appel répondant à l'argumentation des trois sociétés selon laquelle le Conseil de la concurrence aurait insuffisamment motivé et individualisé les condamnations prononcées, relève qu'il importe peu que le marché litigieux ait été d'un faible montant et que tous les participants à l'entente y aient joué " des rôles équivalents ", dès lors que cette entente concernait douze soumissionnaires sur dix-neuf et que le dommage causé à l'économie dépassait " largement la valeur du marché " par l'enquête et ayant constaté que les sanctions avaient été déterminées pour l'essentiel par le chiffre d'affaires des sociétés en cause, celui de la société Viafrance étant de loin le plus important selon les constatations du conseil, la cour d'appel a souverainement estimé, sans encourir les griefs du moyen, qu'il n'existait " aucun motif de revoir à la baisse " les sanctions prononcées; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches,

Par ces motifs : rejette le pourvoi.