CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 4 février 1997, n° FCEC9710060X
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Conseil régional de l'ordre des architectes d'Auvergne, Pavlovic
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Renard-Payen
Avocat général :
M. Woirhaye
Conseillers :
Mmes Marais, Kamara
Avoué :
SCP Fanet
Avocat :
Me Parada-Gambaro.
LA COUR statue sur les recours en annulation et en réformation formés par le conseil régional de l'ordre des architectes d'Auvergne et par M. Pavlovic du cabinet d'architecte Pavlovic, à l'encontre de la décision du Conseil de la concurrence (le conseil) n° 96-D-18 du 26 mars 1996, qui leur a infligé respectivement les sanctions pécuniaires de 170.000 F et de 3.000 F.
Référence faite à cette décision pour l'exposé des faits et de la procédure initiale, il suffit de rappeler les éléments suivants :
À l'occasion d'un concours restreint d'architecture lancé le 12 mars 1992 par l'office public d'aménagement et de construction (OPAC) du Puy-de-Dôme, mandataire de la commune de Chappes, pour la conception-réalisation d'un complexe sportif, d'une caserne de pompiers et de garages communaux, le conseil régional de l'ordre des architectes d'Auvergne, alerté par le cabinet Pavlovic, a convoqué l'ensemble des participants appelés à concourir à une réunion au cours de laquelle a été contesté le montant de l'indemnisation des candidats.
À la suite de cette réunion, le conseil régional de l'ordre, se référant au code des devoirs professionnels des architectes et se fondant sur l'insuffisance de l'indemnisation proposée par le maître de l'ouvrage, a informé les participants de sanctions disciplinaires possibles et leur a demandé de ne pas répondre à la consultation.
Après avoir tenté, le 5 mai 1993, de faire revenir le maître de l'ouvrage sur les conditions d'indemnisation des concurrents en le menaçant de saisir de la procédure les tribunaux compétents, le conseil régional de l'ordre a fait connaître au maire de Chappes, par lettre du 14 mai 1993, qu'il avait demandé aux candidats sélectionnés de ne pas participer à la consultation.
Saisi de ces pratiques par le ministre de l'économie, le conseil a relevé :
- que l'ordre régional des architectes d'Auvergne a mis en œuvre une action concertée de nature à entraver l'accès des architectes au concours d'architecture prévu pour le marché de conception-réalisation susvisé ;
- que les cabinets Pavlovic, Berzine, Bosloup et Ravoux ainsi que Archi 3 A ont participé à ce boycott, en estimant que le cabinet Pavlovic, qui était à l'origine de l'intervention de l'ordre, y avait pris une part active ;
- que l'appel au boycott lancé par le conseil régional de l'ordre des architectes d'Auvergne, suivi par certains cabinets d'architecture, ayant empêché la commune de Chappes d'avoir accès à une libre concurrence, entrent dans le champ d'application de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.
Au soutien de leurs recours, le conseil régional de l'ordre et M. Pavlovic font remarquer en premier lieu que la procédure est irrégulière, faute pour le préfet d'avoir été officiellement informé de la saisine administrative et de l'enquêté menée au préalable.
Au fond, ils soutiennent en substance :
- qu'il entrait dans la mission de l'ordre de faire respecter les textes et le code de déontologie des architectes et ce dans la mesure où le maître de l'ouvrage n'avait pas respecté les règles applicables à l'organisation de la consultation (indemnisation, désignation des membres du jury) ;
- que l'action de l'ordre n'a pas eu d'effet anticoncurrentiel.
Le conseil observe que l'appel au boycott lancé par le conseil régional de l'ordre et le suivi de boycott par certains cabinets d'architecture, qui ont empêché la commune de Chappes d'avoir accès à une libre concurrence, entrent bien dans le champ d'application de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.
Le ministre de l'économie, à l'issue d'observations réfutant les moyens de procédure et de fond avancés par les requérants, conclut à la confirmation de la décision du conseil et des sanctions pécuniaires prononcées.
Le conseil régional de l'ordre a répliqué le 22 novembre 1996.
Le ministère public conclut à l'audience à l'irrecevabilité du recours de M. Pavlovic, à la recevabilité du recours du conseil régional de l'ordre, mais à son rejet et à la confirmation de la décision du conseil ;
Sur quoi, LA COUR,
Sur la recevabilité du recours de M. Pavlovic :
Considérant que le ministère public fait valoir que le recours formé par M. Pavlovic, par déclaration écrite du 14 mai 1996, déposée au greffe de la Cour le 15 mai 1996, n'en précise pas l'objet contrairement aux prescriptions du premier alinéa de l'article 15 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et à celles du deuxième alinéa de l'article 2 du décret n° 87-849 du 19 octobre 1987 ;
Considérant cependant qu'il est satisfait à l'exigence de préciser l'objet du recours dès lors que la décision attaquée a été exactement spécifiée dans l'acte de recours susvisé et que la finalité du recours, réformation ou annulation, selon les termes de l'article 15 précité, se déduit suffisamment de la nature du dispositif de la décision ;
Sur la régularité de la procédure administrative :
Considérant que les requérants prétendent que la procédure administrative est irrégulière, faute pour le préfet de région d'avoir été officiellement informé de l'enquête de la direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes et des suites données à celle-ci, ce qui l'a empêché d'exercer son contrôle et de vérifier la légalité du mode de consultation mis en place par la commune de Chappes ;
Mais considérant que l'article 45 du titre VI " Des pouvoirs d'enquêtes " de l'ordonnance du 1er décembre 1986 prévoit que " les fonctionnaires habilités à cet effet par le ministre de l'économie peuvent procéder aux enquêtes nécessaires à l'application de la présente ordonnance " ; que l'article 46 de l'ordonnance précise que les enquêtes donnent lieu à l'établissement de procès-verbaux qui sont transmis à l'autorité compétente, c'est-à-dire celle qui a ordonné l'enquête, en l'occurrence le ministre de l'économie ou le conseil de la concurrence ; qu'aucun texte ne prévoit donc l'information ni la transmission des procès-verbaux au préfet ;
Qu'ainsi, le conseil régional de l'ordre et M. Pavlovic ne sont pas fondés à soulever l'irrégularité de la procédure ;
Sur le fond :
Considérant, sur la justification des pratiques en cause au regard des dispositions de l'article 10-1 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, que le conseil régional de l'ordre et M. Pavlovic soutiennent qu'il relevait de la mission de l'ordre résultant de la loi du 3 janvier 1977 sur l'architecture et du décret du 20 mars 1980, établissant la déontologie de la profession, qui interdit aux architectes de participer à des consultations irrégulières, de s'opposer au niveau insuffisant de l'indemnisation des candidats prévue dans les clauses du marché ;
Que l'ordre régional a d'ailleurs à ce titre suivi les recommandations du guide élaboré par la mission interministérielle pour la qualité des constructions publiques (MICQP), édité par le ministère, faute, à l'époque, de disposer des décrets d'application de la loi du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'œuvre privée ;
Mais considérant que, comme l'a justement relevé le conseil, la défense de la qualité des constructions et des intérêts de la profession d'architecte par l'ordre régional, s'agissant des conditions d'organisation d'un concours d'architecture par une collectivité publique et de la détermination de l'indemnité versée aux candidats, ne saurait autoriser cet organisme à recourir à un mot d'ordre de boycott de ce concours pour imposer la modification des conditions d'organisation de celui-ci et un montant minimal pour l'indemnisation des candidats;
Que ni la loi sur l'architecture ni le décret pris pour son application n'ont édicté de normes restrictives de concurrence concernant l'indemnisation des candidats ayant participé à un concours public de maîtrise d'œuvre ;
Que le guide " MICQP ", invoqué par les requérants, n'a formulé aucune recommandation, mais a seulement fourni des bases pour la négociation entre maître d'œuvre et maître de l'ouvrage ;
Qu'enfin, l'ordre régional, bien que tenant pour illicite les agissements du maître de l'ouvrage, n'a pas estimé devoir porter ses contestations auprès de l'autorité compétente, ni saisir la juridiction administrative, comme il en avait menacé le maire de Chappes dans un courrier du 5 mai 1993 ;
Considérant que les requérants prétendent encore que l'action de l'ordre régional n'a pas eu pour effet d'entraver l'accès au concours, puisque deux cabinets d'architectes ont répondu à la consultation et qu'aucune poursuite disciplinaire n'a été engagée à leur encontre ;
Mais considérant que, contrairement à ces allégations, l'action de boycott a bien été suivie d'effet, et ce dans la mesure où deux seulement sur cinq équipes sélectionnées ont répondu à la consultation et que le maître de l'ouvrage a dû déclarer le concours infructueux en raison d'une concurrence insuffisante, peu importe que les poursuites disciplinaires aient été ou non mises en œuvre;
Considérant que le conseil régional de l'ordre des architectes d'Auvergne soutient que le montant de la sanction est disproportionné, au regard du montant des indemnités de l'ordre de 10.000 F ; que M. Pavlovic n'a formulé aucune critique sur le montant de la sanction qui lui a été infligée ;
Considérant que le conseil, après avoir rappelé les dispositions de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et celles du deuxième alinéa de l'article 22 de ce même texte, a apprécié la gravité des faits reprochés, tant au conseil régional de l'ordre, estimant qu'il a été l'organisateur de cette action concertée illicite et a exercé des pressions sur les cabinets concernés, qu'à M. Pavlovic, retenant qu'il a été à l'origine de cette action et a activement participé au mot d'ordre de boycott ;
Que, si le dommage causé à l'économie est avéré, puisque cette action a eu pour effet de faire échec à la consultation organisée par l'OPAC du Puy-de-Dôme pour un marché de 5.500.000 F, il n'en demeure pas moins que, compte tenu du caractère limité à ce seul marché des effets de l'action concertée et du fait que, quelques mois après celle-ci, sont intervenus des décrets susceptibles d'éviter ce type de problèmes entre maître de l'ouvrage public et maître d'œuvre privé sur le montant des indemnisations de ceux-ci, la Cour a les éléments d'appréciation pour diminuer le montant de la sanction pécuniaire infligée au conseil régional de l'ordre de 50.000 F, eu égard aux ressources de celui-ci, qui se sont élevées à 761.095 F au cours de l'année 1995 ;
Qu'en revanche, compte tenu du chiffre d'affaires de 366.000 F réalisé par M. Pavlovic au cours de l'exercice 1994, il n'y a pas lieu de diminuer la sanction pécuniaire modérée de 3.000 F qui lui a été infligée.
Par ces motifs, Déclare recevable mais mal fondé le recours formé par M. Pavlovic ; Réforme la décision du Conseil de la concurrence n° 96-D-18 du 26 mars 1996, mais seulement sur le montant de la sanction pécuniaire infligée au conseil régional de l'ordre des architectes d'Auvergne ; Lui inflige une sanction pécuniaire de 50.000 F ; Dit que chacun des requérants conservera la charge des dépens de son recours.