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Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 4 février 1997, n° FCEC9710061X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Conseil régional de l'ordre des architectes d'Auvergne, Syndicat des architectes libéraux de Haute-Loire, Centre de gestion de la fonction publique territoriale

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Renard-Payen

Avocat général :

M. Woirhaye

Conseillers :

Mmes Marais, Kamara

Avoués :

SCP Valdelièvre Garnier, SCP Duboscq Pellerin

Avocats :

Me Parada-Gambaro, SCP Lafarge Flécheux.

CA Paris n° FCEC9710061X

4 février 1997

LA COUR statue sur les recours en annulation et en réformation formés par le conseil régional de l'ordre des architectes d'Auvergne et par le Syndicat des architectes libéraux de Haute-Loire, contre la décision du Conseil de la concurrence (le conseil) n° 96-D-15 du 12 mars 1996, qui leur a infligé respectivement les sanctions pécuniaires de 150.000 F et de 10.000 F.

Référence faite à cette décision pour l'exposé des faits et de la procédure initiale, il suffit de rappeler les éléments suivants :

Le 6 juillet 1993, le centre de gestion de la fonction publique territoriale de Haute-Loire a décidé de lancer un concours d'architecture et d'ingénierie pour l'étude de la construction de ses futurs locaux sur la commune d'Esplay-Saint-Marcel (Haute-Loire).

Le jury du concours devait établir une présélection de trois concurrents parmi les dossiers de candidature qui devaient être déposés avant le 17 septembre 1993 et il était prévu que le lauréat percevrait une avance de 10.000 F sur les honoraires tandis que chacun des autres concurrents non retenu, recevrait une indemnité de 10.000 F.

Par lettre circulaire du 10 septembre 1993, diffusée auprès des architectes inscrits au tableau de l'ordre de Haute-Loire, le président du syndicat des architectes libéraux de ce département a demandé à ceux-ci de ne pas participer à cette consultation.

Le 14 septembre 1993, au cours d'un entretien avec le président du centre de gestion, le président du syndicat lui a présenté ses observations sur l'imprécision de la mission définie par l'avis du concours et sur l'insuffisance de l'indemnité destinée aux candidats retenus.

Dans un courrier du même jour faisant référence à cet entretien, dont copie a été adressée aux architectes du département, le président du syndicat a sollicité une nouvelle rencontre avec les responsables du centre de gestion, précisant qu'en l'état des conditions du concours, le mot d'ordre de refus d'y participer était maintenu.

Au cours de cette période, dès le 31 août 1993, le président du centre de gestion a pris l'attache de l'ordre régional des architectes d'Auvergne, pour qu'un architecte lui soit proposé afin de siéger au collège des maîtres d'œuvre du jury du concours.

Par courrier du 13 septembre 1993, le président du conseil régional de l'ordre a fait part à celui-ci de ses critiques tant sur la prestation demandée que sur la rémunération prévue pour les architectes et lui a précisé qu'il comptait sur sa collaboration pour agir en conséquence, restant à sa disposition pour en débattre et que " dans la négative, il ne serait pas possible à notre conseil d'envisager de participer aux travaux du jury, ce qui serait susceptible d'entacher d'illégalité la validité des décisions prises à l'issue des délibérations ".

L'ordre régional n'a proposé aucun architecte pour siéger au collège des maîtres d'œuvre de la commission d'appel d'offres.

Le 17 septembre 1993, date fixée par l'avis du concours, un seul architecte a présenté une offre.

Par délibération du même jour, le conseil d'administration du centre de gestion a décidé de ne pas négocier avec la profession le montant de l'indemnisation prévue et a renoncé à la procédure du concours.

Saisi de ces pratiques par le centre de gestion de la fonction publique territoriale du département de Haute-Loire, le conseil a estimé :

- que les pratiques de l'ordre régional des architectes d'Auvergne et du Syndicat des architectes libéraux de Haute-Loire ont eu pour objet et ont pu avoir pour effet d'empêcher le libre accès des professionnels à un appel public à la concurrence et de fausser le jeu de la concurrence sur ce marché ;

- que par suite ces pratiques sont prohibées par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, sans pouvoir bénéficier de celles de l'article 10 de ce même texte.

Au soutien de son recours, le conseil régional des architectes d'Auvergne fait en substance valoir :

- que la procédure de concours mise en place par le centre de gestion était irrégulière en la forme et inutile au fond ;

- que son action n'a pas eu d'effet anticoncurrentiel, le maître de l'ouvrage ayant pris, de sa propre initiative, la décision d'abandonner la consultation ;

- que le centre de gestion a une activité anticoncurrentielle à l'égard des architectes libéraux et abuse d'une position dominante ;

- que l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 est applicable à la pratique incriminée.

Le centre de gestion de la fonction publique territoriale du département de la Haute-Loire, qui réfute l'ensemble des moyens développés par l'ordre régional, conclut à l'irrecevabilité du recours formé par le Syndicat des architectes libéraux de Haute-Loire et demande à la cour de rejeter les prétentions de l'ordre régional, de confirmer la décision du conseil et de condamner in solidum les requérants à lui payer une indemnité de 40.000 F au titre de ses frais de procédure.

Le ministre de l'économie demande également à la cour de confirmer la décision du conseil.

Il observe notamment que l'ordre régional des architectes d'Auvergne ne peut valablement se prévaloir des dispositions de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et que, s'il estimait la procédure du concours illégale et le montant des indemnités trop faible au regard des textes existants, il lui appartenait de saisir la juridiction administrative compétente.

Le conseil n'a pas entendu présenter d'observations écrites.

L'ordre régional des architectes d'Auvergne a répliqué les 8 et 27 novembre 1996 au ministre et au centre de gestion.

Le ministère public conclut oralement à l'irrecevabilité du recours formé par le syndicat, au rejet des prétentions du conseil régional de l'ordre et à la confirmation de la décision du conseil ;

Sur quoi, LA COUR,

Sur l'irrecevabilité :

Considérant que le recours formé par le Syndicat des architectes libéraux de la Haute-Loire par lettre du 17 mai 1996, parvenu le 20 mai 1996 au greffe de la cour, ne respecte pas les prescriptions de l'article 2 du décret du 19 octobre 1987. en ce que le requérant n'a pas déposé contre récépissé au greffe de la cour une déclaration écrite en triple exemplaire ;

Qu'il s'ensuit que le recours formé par ce syndicat doit être déclaré irrecevable ;

Sur le fond :

Considérant que l'ordre régional des architectes d'Auvergne fait en premier lieu valoir qu'il lui appartenait de s'opposer à la procédure initiée par le centre de gestion, qui, ayant décidé de recourir au concours sans y être obligé par le code des marchés publics, devait en respecter les règles concernant le montant des indemnités des candidats au regard des prestations demandées ;

Considérant toutefois qu'aucun texte réglementant la profession d'architecte ne prévoit que l'ordre puisse user d'un droit de boycott afin de faire échec à un appel à la concurrence, au motif de l'imprécision de la demande du maître de l'ouvrage et de l'insuffisance du montant de la rémunération;

- que si les architectes et l'ordre régional estimaient la consultation irrégulière, il leur appartenait de saisir de la procédure la juridiction administrative compétente, ce qu'ils n'ont pas fait, étant ici observé que la procédure administrative à laquelle il a été fait référence par le requérant, ne concerne pas le litige dont la cour est saisie ;

- que si l'ordre n'a pas l'obligation de désigner un professionnel pour participer à un jury de concours, comme le soutient l'ordre régional, et s'il peut avertir le maître de l'ouvrage lorsque celui-ci ne respecte pas les textes, il ne saurait dépasser le stade du simple avertissement, ni subordonner la désignation d'un architecte à la prise en compte de ses observations relatives à la prestation demandée et à la rémunération des concurrents ;

- que l'ordre régional ne saurait davantage prétendre que la sous-estimation des indemnités par rapport aux prestations demandées, peut être assimilée à un abus de position dominante par le maître de l'ouvrage ;

Considérant par ailleurs que, contrairement à ce que fait observer l'ordre régional, l'action de boycott du Syndicat des architectes libéraux de la Haute-Loire à laquelle il s'est associé en refusant de désigner un architecte pour le jury du concours, a bien eu un effet anticoncurrentiel, puisque la consultation a dû être abandonnée, faute de candidat, un seul des architectes libéraux de la Haute-Loire ayant participé au concours;

Considérant enfin que l'ordre n'est pas fondé à invoquer les dispositions de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Qu'en effet ni les dispositions des décrets du 29 novembre 1993 pris en application de la loi dite " MOP " du 12 juillet 1985 ni les textes réglementant la profession d'architecte n'édictent de normes restrictives de concurrence susceptibles d'être mises en œuvre en cas de désaccord sur l'indemnisation des concurrents ayant participé à un concours public de maîtrise d'œuvre ;

Considérant que c'est donc à bon droit, que le conseil a retenu que les pratiques de l'ordre régional et du syndicat des architectes libéraux de la Haute-Loire, sont prohibées par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, sans pouvoir bénéficier de celles de l'article 10 de la même ordonnance ;

Considérant que l'ordre régional soutient que le montant de la sanction qui représente un tiers de son budget annuel est disproportionné au regard des indemnités prévues, qui étaient de l'ordre de 30.000 F ;

Considérant que le conseil, après avoir rappelé les dispositions de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1996 et celles du deuxième alinéa de l'article 22 de ce même texte, a retenu que le requérant avait renforcé l'action du Syndicat des architectes libéraux de la Haute-Loire en s'associant au mot d'ordre de boycott lancé par celui-ci et lui a infligé une sanction de 150.000 F;

Mais considérant que, compte tenu tant de la relative gravité des faits reprochés à l'ordre national, qui n'a pas pris l'initiative du boycott que du peu d'importance du dommage causé à l'économie, aucune indication chiffrée n'étant donnée sur le montant du programme objet du concours lancé par le centre de gestion resté au stade de projet, ainsi que du fait que quelques mois après cette action concertée, sont intervenus des décrets susceptibles d'éviter ce type de problème entre maître d'ouvrage public et maître d'œuvre privé concernant le montant des indemnités, la cour a les éléments d'appréciation, eu égard aux ressources de l'ordre régional, qui se sont élevées à 760.097 F en 1995, pour ramener le montant de la sanction pécuniaire à 40.000 F;

Considérant qu'il est équitable de laisser au centre de gestion la charge des frais de procédure qu'il a exposés à l'occasion de ce recours,

Par ces motifs, Déclare le Syndicat des architectes libéraux de la Haute-Loire irrecevable en son recours ; Réforme la décision du Conseil de la concurrence n° 96-D-15 du 12 mars 1996, mais seulement sur le montant de la sanction infligée au conseil régional de l'ordre des architectes d'Auvergne ; Lui inflige une sanction pécuniaire de 40.000 F ; Rejette la demande d'indemnité de procédure formée par le centre de gestion de la fonction publique territoriale de la Haute-Loire ; Dit que chacun des requérants conservera la charge des dépens de son recours.