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Décisions

Cass. com., 16 décembre 1997, n° 96-14.479

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Etablissements Lacroix (SA), Perbost et fils (SA), Etablissement José Delhomme (SARL)

Défendeur :

Ministre de l'Economie

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bézard

Rapporteur :

M. Léonnet

Avocat général :

Mme Piniot

Avocats :

Mes Le Prado, Ricard.

Cass. com. n° 96-14.479

16 décembre 1997

LA COUR : - Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué (Paris, 26 mars 1996) que les sociétés Lacroix, Perbost et Delhomme ont conclu, le 30 novembre 1977, une convention, depuis lors constamment renouvelée, par laquelle elles ont organisé le tour de garde pour lequel l'hôpital de Saint-Gaudens, aux termes d'une convention conclue avec chacune d'elles, était convenu de leur confier à titre exclusif tous les transports dont l'hôpital avait la charge ; que cette convention a eu pour but de répartir entre elles les tours de garde, les jours et heures de permanence, l'article 2 prévoyant une pénalité de 150 % de la prestation de transport effectuée à la charge de l'entreprise qui répondrait à une demande pendant le tour de garde d'une autre entreprise ; que le ministre de l'Economie estimant qu'une telle pratique était constitutive d'entente au sens de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, a saisi le Conseil de la concurrence le 11 octobre 1993 qui a prononcé des sanctions pécuniaires à l'encontre des trois sociétés ; que celles-ci ont formé un recours en annulation contre cette décision devant la Cour d'appel de Paris ;

Sur le premier moyen, pris en ses cinq branches : - Attendu que les sociétés Lacroix, Perbost et Delhomme font grief à l'arrêt d'avoir rejeté leurs recours et d'avoir prononcé à leur encontre des sanctions pécuniaires, alors, selon le pourvoi, d'une part, que ne comportant aucune précision sur la délimitation du marché pris en compte, l'arrêt attaqué est entaché d'un total défaut de base légale au regard de l'article 7 de l'ordonnance n° 86-1283 du 1er décembre 1986 ; que la cour d'appel aurait directement méconnu ce texte, si elle avait entendu voir un marché dans les besoins d'urgence de l'hôpital ; alors que, de deuxième part, les constatations de l'arrêt ne caractérisent pas d'entente ayant pour finalité de limiter la concurrence ; qu'à ce propos la cour d'appel a seulement constaté que, à la suite d'un contrat passé par chacune d'elle avec l'hôpital qui leur avait confié, à titre exclusif, les transports dont il avait la charge, les trois entreprises exposantes étaient convenues d'organiser entre elles les tours de garde, l'irrespect de cette organisation étant assorti d'une pénalité conventionnelle ; que l'organisation, voulue par l'hôpital, et postulée par la nature du service des transports d'urgence dont l'hôpital a la charge, est nécessairement exclusive de la notion de concurrence, et, corrélativement, de la notion de pratique anticoncurrentielle, l'institution d'une pénalité conventionnelle ne modifiant en rien la nature du service ; que la cour d'appel n'a pu voir, dans les circonstances dont elle a fait la constatation, une entente ayant pour finalité de limiter la concurrence, sans entacher sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article 7-4 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; alors, de surcroît que, la cour d'appel ne pouvait davantage attribuer au système conventionnel mis en place un effet anticoncurrentiel ; qu'à ce propos, la cour d'appel a relevé que, en fait, la répartition du "marché" avait concerné, outre les transports incombant à l'hôpital, ceux pour lesquels les malades ou leurs familles avaient le libre choix, puisque, en l'absence de demande expresse de ceux-ci, il était fait appel à la société d'ambulance de permanence ; qu'en admettant même que cette circonstance soit exacte, l'appel à l'ambulance de garde pour des transports n'incombant pas à l'hôpital, ne résulte pas, selon les constatations de l'arrêt, des conventions mises en place et ne peut dès lors être tenu pour l'effet d'une entente ; que la cour d'appel a à nouveau privé sa décision de base légale au regard de l'article 764 de l'ordonnance du 5 décembre 1986 ; alors, en outre, qu'il ne résulte nullement des constatations de l'arrêt que les entreprises, dont aucune n'est d'ailleurs nommément désignée, aient exercé des pressions sur la direction de l'hôpital pour exclure d'autres entreprises ; que la cour d'appel n'a pu faire reproche aux exposantes d'avoir limité l'accès au marché sans entacher sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article 7-1 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; et alors, enfin, que la cour d'appel ne pouvait conclure, du seul fait que les prix pratiqués aient habituellement atteint le maximum prévu par un tarif non applicable aux transports dont il s'agit, à l'existence d'une entente de prix, sans entacher sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article 7-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et sans violer l'article L. 162-38 du Code de la sécurité sociale ;

Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt, en se référant à la décision du Conseil de la concurrence qui a défini le marché pertinent comme étant celui du "marché des transports sanitaires requis par le centre hospitalier de Saint-Gaudens", a légalement justifié sa décision au regard de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Attendu, en deuxième lieu, que l'arrêt constate que la convention du 30 novembre 1977 a eu pour but de répartir entre les trois sociétés "les tours de garde, les jours et heures de permanence" en prévoyant une pénalité de 150 % à l'encontre de celle qui ne respecterait pas cet engagement ; qu'en l'état de ces constatations la cour d'appel a pu estimer que cette pratique, qui ne s'imposait pas pour assurer une permanence dans le service des transports hospitaliers, était non seulement constitutive d'entente à l'encontre des autres ambulanciers du département, mais encore à l'égard des malades ou de leur famille "puisqu'en l'absence de demande expresse de ceux-ci il était fait appel à la société d'ambulance de permanence" ; qu'elle a ainsi légalement justifié sa décision ;

Attendu, en troisième lieu, qu'après s'être référé à la procédure d'enquête d'où il ressortait qu'une des entreprises de la région avait "fait acte de candidature pour s'intégrer au tour de garde, que l'une des sociétés poursuivie avait déclaré être hostile à l'ouverture du tour de rôle et qu'une autre s'était opposée à cette entrée", la cour d'appel a pu en déduire, sans encourir les griefs de la quatrième branche du moyen, que "le directeur de l'hôpital a donc pu percevoir ces attitudes comme constituant des pressions indirectes auxquelles il n'aurait d'ailleurs pas dû céder" ;

Attendu, enfin, que l'arrêt relève qu'il ressort de l'enquête "que les trois sociétés se sont entendues également pour appliquer strictement à l'ensemble des transports effectués le tarif ministériel du transport sanitaire terrestre privé, étant observé que selon les termes mêmes de ce texte, le prix indiqué pour chaque type de transport constitue un maximum ; que ce n'est que très exceptionnellement que des réductions ont été consenties; qu'en conséquence le niveau des prix s'est établi à un niveau supérieur à celui qui aurait résulté de la concurrence" ; qu'en l'état de ces constatations, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le deuxième moyen : - Attendu que les trois sociétés font grief à l'arrêt de les avoir condamnées, alors, selon le pourvoi, qu'en permettant la satisfaction des besoins de transports urgents de l'hôpital par l'organisation d'un service de garde indispensable, le système litigieux est nécessairement la source d'un progrès économique ; que la cour d'appel n'a pu juger le contraire qu'en violation de l'article 10-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Mais attendu que la cour d'appel, ayant constaté que l'entente conclue entre les trois sociétés avait eu pour conséquence que le niveau des prix s'était établi à un niveau supérieur à celui qui aurait résulté de la concurrence, en a déduit, à bon droit, que l'entente litigieuse ne pouvait bénéficier des dispositions de l'article 10-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur le troisième moyen, pris en ses deux branches : - Attendu, enfin, que les trois sociétés font grief à l'arrêt de les avoir condamnées, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'en prenant en fait en compte des circonstances antérieures de plus de trois ans à la saisine du Conseil de la concurrence, la cour d'appel a violé les articles 13 et 27 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; et alors, d'autre part, que n'ayant pu examiner, faute d'avoir défini le marché pertinent, ni la gravité des faits, ni l'importance du dommage que les pratiques litigieuses auraient causé à l'économie, et n'ayant pas non plus examiné la situation individuelle de chacune des entreprises, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Mais attendu que la cour d'appel ayant énoncé que les faits antérieurs de plus de trois ans à la saisine du Conseil de la concurrence ne pouvaient être pris en compte, le moyen pris en sa première branche manque en fait ;

Attendu, d'autre part, que la cour d'appel, qui s'est référée au montant du chiffre d'affaires de chaque société relevé par le Conseil de la concurrence et qui a minoré le montant des sanctions pécuniaires prononcées par cette autorité administrative en tenant compte de la circonstance que la gravité des faits ne devait être prise en considération que pour la période de 3 années ayant précédé la saisine du conseil, n'a pas méconnu les dispositions de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Par ces motifs : rejette le pourvoi.