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Décisions

Cass. com., 4 mai 1999, n° 97-13.402

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Thierry Kam's (SARL)

Défendeur :

Cerrutti 1881 (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bézard

Rapporteur :

M. Léonnet

Avocat général :

M. Jobard

Avocats :

Me Choucroy, SCP Vier, Barthélémy.

T. com. Paris, du 13 janv. 1993

13 janvier 1993

LA COUR : - Attendu qu'il résulte de l'arrêt infirmatif attaqué (Paris, 29 janvier 1997), qui se réfère à un arrêt avant-dire droit du 20 mars 1995 ayant ordonné la réouverture des débats, que la société Thierry Kam's (société Thierry) exploite un fonds de commerce rue Marboeuf à Paris de vente de vêtements et accessoires ; que depuis 1987 elle commercialise des vêtements de la marque Cerruti 1881 qu'elle commande par l'intermédiaire d'un agent commercial M. Aboab ; que celui-ci l'a informée le 21 mars 1991 qu'il ne pourrait prendre en compte sa commande pour l'automne-hiver 1991-1992 aux motifs, d'une part, qu'elle était tardive et d'autre part, que la société Cerruti ouvrait une boutique à enseigne tout près de son magasin ; qu'estimant que cette société s'était rendue coupable à son encontre de refus de vente au sens de l'article 36-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, alors applicable, la société Thierry l'a assignée devant le tribunal de commerce en paiement de dommages-intérêts et pour qu'il lui soit fait obligation de satisfaire ses commandes ;

Sur le premier moyen, pris en ses deux branches : - Attendu que la société Thierry fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté ses demandes, alors, selon le pourvoi, d'une part, que les justifications admises par l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 impliquent l'existence de pratiques définies par les articles 7 et 8 de la même ordonnance ; que la franchise ne constitue pas en elle-même une opération restrictive de concurrence au sens de ces dernières dispositions ; qu'en affirmant néanmoins que les dispositions de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 étaient applicables dès lors que la société Cerruti 1881 justifiait avoir mis en place un réseau de franchisés, sans caractériser l'existence de pratiques anticoncurrentielles au sens des articles 7 et 8 de cette ordonnance, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions susvisées, ainsi que de l'article 36 de l'ordonnance, dans leur rédaction antérieure à la loi n° 96-588 du 1er juillet 1996 ; et alors, d'autre part, qu'en s'abstenant notamment de rechercher si les pratiques anticoncurrentielles sans lesquelles il ne saurait y avoir de justification au sens de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, auraient eu, à les supposer caractérisées, des effets atteignant le seuil de sensibilité, la cour d'appel a privé l'arrêt attaqué de base légale au regard des articles 7, 8, 10 et 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, dans leur rédaction antérieure à la loi n° 96-588 du 1er juillet 1996 ;

Mais attendu que la cour d'appel a relevé que la société Cerruti justifiait par la production de ses contrats qu'elle avait mis en place, en 1991, sur le territoire français un réseau de franchisage pour la vente au détail des produits portant sa marque; qu'elle a également constaté "que tous les contrats de licence conclus entre Cerutti et différents fabricants comportent des clauses ainsi rédigées : le licencié accepte de donner une priorité d'approvisionnement aux commandes en provenance de magasins spécialisés (y compris notamment les boutiques franchisées de Cerruti) vendant exclusivement les produits de Cerruti; que le licencié ne vendra les produits aux tiers faisant concurrence à ces boutiques, boutiques autorisées par Cerruti à utiliser les marques pour la distribution et la vente des produits, qu'en harmonie avec la politique commerciale qui soutend le contrat ; que selon l'organigramme communiqué,Cerruti a pour objet de coordonner les activités mondiales du groupe, des licences et franchises" ; qu'en ayant déduit que ces pièces "démontrent que Cerruti définit la politique commerciale du groupe et décide dans quelles conditions les produits marqués Cerruti peuvent ou non être revendus par des tiers n'étant pas des distributeurs exclusifs ou des points de vente Cerruti", la cour d'appel, qui n'avait pas à effectuer une recherche qui ne lui était pas demandée, a exactement caractérisé la position dominante de la société Cerruti sur le marché des vêtements portant sa marque, au sens de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, à l'origine du refus de vente opposé à la société Thierry ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le deuxième moyen, pris en ses deux branches : - Attendu que la société Thierry fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté ses demandes, alors selon le pourvoi, d'une part, qu'en s'abstenant de rechercher si la société Cerruti 1881 établissait que la pratique litigieuse était indispensable pour assurer l'objectif de progrès économique, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, dans sa rédaction applicable en la cause ; et, alors, d'autre part, qu'en se bornant à énoncer que "la concession d'une franchise à CPC (n'avait pas pour) but d'éliminer des concurrents et notamment Thierry Kam's", sans rechercher si la pratique litigieuse ne donnait pas effectivement "aux entreprises intéressées les possibilités d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause", la cour d'appel n'a pas légalement justifié l'arrêt attaqué au regard de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, dans sa rédaction applicable en la cause ;

Mais attendu, d'une part, que la cour d'appel a constaté, en se référant au réseau de franchisage mis en place par la société Cerruti, que le mode de distribution de vêtements de prêt-à-porter de luxe pour hommes et d'accessoires masculins par des magasins spécialisés dans la présentation et la mise en valeur des articles proposés ainsi que dans l'argumentation de vente, "constitue un développement économique avantageux pour les clients", qui outre une sélection d'articles de qualité, trouvent dans ces boutiques un environnement soigné de nature à préserver et à accroître le prestige de la marque et un personnel attentionné, bénéficiant d'un certain savoir-faire apte à les conseiller utilement ; qu'elle a ainsi légalement justifié sa décision au regard des dispositions de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Attendu, d'autre part, qu'il ne résulte ni des conclusions ni de l'arrêt, qu'il ait été demandé par la société Thierry de rechercher si la pratique litigieuse éliminait la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause ; que le moyen pris en sa seconde branche est donc nouveau et, que mélangé de fait et de droit est comme tel irrecevable ; - que le moyen irrecevable en sa seconde branche est non fondé en sa première branche ;

Et sur le troisième moyen : - Attendu que la société Thierry fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté ses demandes, alors, selon le pourvoi, qu'en affirmant que la société Thierry Kam's aurait passé de mauvaise foi, en mars 1991, des commandes pour la collection automne-hiver 1991-1992, au seul motif qu'elle n'avait jamais auparavant passé de commandes pour cette collection, la cour d'appel, qui constate par ailleurs que la société Thierry Kam's commercialise depuis 1987 des vêtements de la marque Cerruti 1881, a statué par un motif inopérant à caractériser la mauvaise foi de cette dernière société et, par suite, n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 96-588 du 1er juillet 1996 ;

Mais attendu que les deux premiers moyens ayant été rejetés, le troisième moyen qui ne tend qu'à critiquer une motivation surabondante de l'arrêt relative au fait que les commandes de la société Thierry en 1991 auraient été faites de mauvaise foi, est inopérant et doit être rejeté ;

Par ces motifs : rejette le pourvoi.