Conseil Conc., 11 mars 1997, n° 97-D-16
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Pratiques de la société Châlon-Mégard sur le marché de l'installation de fromageries fabriquant du fromage de reblochon
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré, sur le rapport de M. Bernard Lavergne, par M. Barbeau, président, MM. Cortesse, Jenny, vice-présidents, MM. Bon, Gicquel, Marleix, Robin, Rocca, Sargos, Sloan, Urbain, membres.
Le Conseil de la concurrence (formation plénière),
Vu la lettre enregistrée le 2 août 1994 sous le numéro F 691, par laquelle l'entreprise Damiani-Grisollet a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques de la société ChâlonMégard qu'elle estime anticoncurrentielles ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application ; Vu la décision n° 94-MC-09 du Conseil de la concurrence en date du 14 septembre 1994 relative à une demande de mesures conservatoires présentée par l'entreprise Damiani-Grisollet concernant le marché de l'installation de presses à fromage de reblochon ; Vu les observations présentées par la société Châlon-Mégard, l'entreprise Damiani-Grisollet et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants de la société Châlon-Mégard et de l'entreprise Damiani-Grisollet entendus ; Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et sur les motifs (II) ci-après exposés.
I- CONSTATATIONS
A- Les caractéristiques du secteur
1. La production des reblochons
En 1993, 9 880 tonnes de reblochons (laitiers d'appellation d'origine) ont été produites (dont environ 1 700 tonnes de petits reblochons) dans une trentaine d'ateliers de fabrication, les quatre premières sociétés (Girod, SLHS, Ets Verdannet et Chabert) fabriquant 65 % de ce tonnage. S'y ajoutent environ 3 000 tonnes de reblochons fermiers d'appellation d'origine, produits dans des ateliers artisanaux, non automatisés.
Les principales phases de production des reblochons sont respectivement : l'arrivée du lait en atelier et son stockage ; l'empressurage, le caillage et le décaillage ; le soutirage et le moulage ; le pressage, le salage ou le saumurage et, enfin, le séchage et l'affinage. Les opérations de moulage et de pressage sont déterminantes en raison de leur influence sur les conditions d'égouttage et d'acidification, qui déterminent la qualité finale du fromage. Les moules, à l'origine en bois, puis en aluminium, sont désormais en plastique (moules perforés en polypropylène). Le pressage, réalisé à l'origine à l'aide de pierres posées sur les fromages, puis de disques en bois ou en plastique (dénommés foncets) est effectué désormais à l'aide de disques métalliques.
2. Le cadre réglementaire
La fabrication de reblochon bénéficie d'une Appellation d'Origine Contrôlée (AOC). Le décret du 29 décembre 1986 relatif à l'appellation d'origine "Reblochon" ou "Petit Reblochon" a fixé, au moment des faits, les conditions de production et de livraison du lait, ainsi que de fabrication et d'affinage des fromages de reblochon. L'article 1er du décret du 29 décembre 1986 a précisé que : "L'appellation d'origine "Reblochon de Savoie" ou "Reblochon" est réservée aux fromages répondant aux dispositions de la législation en vigueur et aux usages locaux, loyaux et constants, tant en ce qui concerne la production et la livraison du lait, que la fabrication et l'affinage des fromages". L'aire géographique de production est limitée aux communes situées en Haute-Savoie sur les arrondissements d'Annecy, Bonneville, Saint-Julien-en-Genevois, Thonon-les-Bains et quelques communes de Savoie.
L'article 2 du décret a défini les caractéristiques des fromages : "Le fromage bénéficiant de l'appellation d'origine "Reblochon de Savoie" ou "Reblochon" est un fromage à pâte pressée non cuite, en forme de cylindre plat ayant un diamètre d'environ 14 centimètres, une hauteur d'environ 3,5 centimètres et un poids de 450 à 550 grammes, fabriqué exclusivement suivant les usages locaux, loyaux et constants avec du lait de vache entier mis en œuvre à l'état cru, emprésuré, à pâte homogène, très peu ferme, légèrement salée, affiné avec lavage de la croûte qui présente une couleur allant du jaune au jaune orangé, recouverte naturellement en tout ou partie de mousse blanche, contenant au minimum 45 grammes de matière grasse pour 100 grammes de fromage après complète dessiccation, et dont la teneur en matière sèche ne doit pas être inférieure à 45 grammes pour 100 grammes de fromage. Toutefois, bénéficie également de l'appellation d'origine le fromage qui présente les mêmes caractéristiques mais de format réduit (diamètre d'environ 9 centimètres, hauteur d'environ 3 centimètres, poids de 240 à 280 grammes) et dénommé "Petit Reblochon de Savoie" ou "Petit Reblochon". La durée de l'affinage est de quinze jours au minimum à compter du jour de fabrication".
L'article 7 du décret a précisé les spécificités du reblochon fermier : "La mention "Fabrication fermière" ou "Fromage fermier" ou toute autre indication laissant entendre une origine fermière du fromage est réservée aux producteurs transformant le lait produit sur leur exploitation (...)".
L'article 3 du décret a créé une Commission de contrôle de la qualité de ces fromages, chargée de fixer les modalités d'application du décret et de codifier les "usages locaux, loyaux et constants" de fabrication des fromages pour bénéficier de l'appellation d'origine. Cette commission s'appuie sur son règlement intérieur, établi par le Syndicat Interprofessionnel du Reblochon (SIR) qui assure la gestion de la filière, apporte des conseils technologiques aux producteurs, prend en charge l'analyse des laits et effectue des contrôles réguliers du processus de fabrication et de la qualité des fromages. Ce règlement intérieur dispose que : "Le moulage s'effectue en moule perforé de 14 cm de diamètre et de 6 à 8 cm de hauteur. Le pressage peut être effectué avec un disque de fonte de 1 à 2 kg posé sur un foncet. Retournements : 2 à 3. Tout nouveau type de matériel ou procédé doit être soumis à l'approbation préalable de la Commission de contrôle".
Plusieurs méthodes de pressage pour la fabrication de reblochon sont utilisées, en dehors de la méthode traditionnelle de pressage par simples poids unitaires qui ne s'applique désormais qu'à la production de reblochons fermiers. En effet, l'augmentation des volumes produits a conduit les fromageries à rechercher des méthodes plus productives, permettant le pressage simultané d'un nombre élevé de fromages. C'est ainsi qu'ont été développés les systèmes de pressage par barres de poids à mise en place manuelle ou mécanisée, la " presse étagée " mise au point par la société Châlon-Mégard et l'autopressage avec retournement sans poids, qui n'est plus conforme aux dispositions du décret du 2 avril 1996, en cours d'élaboration au moment des faits. Ce décret a abrogé le décret du 29 décembre 1986 précité, en modifiant sensiblement le dispositif en matière de pressage. Il dispose que " le pressage est réalisé à l'aide d'un poids de 1,5 à 2 kilogrammes qui peut être posé sur un foncet. Sa durée est adaptée aux types de matériels utilisés pour le moulage et ne peut en aucun cas être inférieure à une heure trente minutes ".
La "presse étagée" ou "palette de pressage", qui a pour avantage de réduire l'encombrement et d'assurer une plus grande sécurité, est protégée par un brevet d'invention n° 83 18072, déposé le 8 novembre 1983 par la société Châlon-Mégard et délivré le 9 septembre 1988. Les autres systèmes de pressage n'ont fait l'objet d'aucun dépôt de brevet. Ce brevet protège un "dispositif de pressage par poids pour la fabrication de fromages, notamment de fromages de type pâte molle semi-pressée", du genre "reblochon", (...) comprenant essentiellement, d'une part, des ensembles de moules montés avec des entr'axes déterminés sur des plateaux-supports superposés, portés par des rayonnages d'une palette, et d'autre part, des ensembles de poids disposés à des entr'axes correspondant à ceux des moules et suspendus à des ensembles de barres superposés, placés au-dessus des différents plateaux porte-moules, ces ensembles de barres étant tous reliés à des moyens de levée et d'abaissement permettant la mise en place en une seule opération de tous les ensembles de poids sur les fromages contenus dans les différents ensembles de moules", ainsi que ses diverses variantes techniques.
Les conditions d'hygiène des ateliers de fabrication sont soumises, par ailleurs, aux dispositions de l'arrêté du 30 décembre 1993 relatif aux conditions d'installation, d'équipement et de fonctionnement des centres de collecte ou de standardisation du lait, et des établissements de traitement et de transformation du lait et des produits à base de lait, arrêté qui a transposé la directive n° 92 46 du 16 juin 1992 définissant les règles sanitaires pour la production et la mise en marché de lait cru, de lait traité thermiquement et de produits à base de lait. Les opérations de mise en conformité à ces normes doivent être réalisées au plus tard le 1er janvier 1998 et une vingtaine d'ateliers de production seraient susceptibles d'être modernisés d'ici cette date.
3. Les intervenants dans le secteur de l'installation de fromageries fabriquant du fromage de reblochon.
L'entreprise Damiani-Grisollet, qui est une société de fait installée à Thones (HauteSavoie), a pour activités principales la tôlerie industrielle, la mise en œuvre d'acier inoxydable ainsi que la vente et la réparation de matériels agricoles. Elle dispose d'un effectif de huit personnes et a réalisé un chiffre d'affaires de l'ordre de 3,6 millions de francs en 1993. Compte tenu de leur implantation au centre de l'aire de production du reblochon, les Ets Damiani-Grisollet se sont diversifiés dans l'installation de fromageries fabriquant du reblochon, marché qui s'est développé en raison des modernisations rendues nécessaires par la mise en vigueur de normes communautaires. Cette activité d'installation de fromageries regroupe les diverses opérations d'étude, de conception, de réalisation, d'installation, de fourniture de matériel et de maintenance des chaînes de production. Elle consiste soit à procéder à des installations clés en main, soit à en moderniser une partie.
La société Châlon-Mégard, implantée dans la zone industrielle de L'Ange à MontréalLaCluse (Ain), est spécialisée dans la réalisation de chaînes de fabrication de fromages. Elle dispose d'un effectif de cent vingt personnes. Elle a réalisé un chiffre d'affaires de 101 millions de francs en 1992 (68 millions en France) et un résultat de 4,8 millions (respectivement 105,83 et 4,3 millions en 1993). M. Pierre Mégard, président de la société Châlon-Mégard, a déclaré le 31 janvier 1995 : " Châlon-Mégard fabrique la totalité des éléments constitutifs des chaînes de fromageries qu'elle installe (...) ".
Il existe également trois autres installateurs de fromageries au moment des faits. La société Seroba a pour activité principale l'installation et la fabrication d'équipements pour l'industrie agro-alimentaire. Son chiffre d'affaires est de l'ordre de 40 millions de francs et son effectif d'environ 100 salariés. Selon les années, le matériel à destination de l'industrie fromagère représente entre 30 et 40 % de son activité. La société Pianfetti Constructeur a réalisé un chiffre d'affaires de 3,4 millions de francs en 1993 (dont 14 % à l'exportation). L'entreprise intervient essentiellement dans le secteur de l'équipement des fromageries, et plus particulièrement sur les deux Savoies en installation ". Enfin, la société Leg-Lo-Inox a succédé à l'entreprise Lo-Inox en activité depuis 1985, qui a déposé son bilan en 1993. Cette entreprise procède à l'installation d'équipements pour l'industrie agro-alimentaire, principalement dans la zone géographique de Comté. Elle emploie sept salariés et réalise un chiffre d'affaires de l'ordre de 0,4 million de francs.
4. La position de la société Châlon-Mégard
La société Châlon-Mégard et la société SLHS, fabricant de reblochon ayant retenu la technique de l'autopressage, considèrent qu'il existe d'autres systèmes de pressage que la " presse étagée ". Cependant, les professionnels de la filière reconnaissent la nécessité de ce dispositif dans le cadre de l'AOC, conformément aux recommandations du Syndicat Interprofessionnel du Reblochon (SIR). Le président de la coopérative laitière de Bogève a déclaré le 4 novembre 1994 : "La présence d'un brevet appartenant à Châlon-Mégard et protégeant le système de pressage que nous avions demandé est impératif aux dires du Syndicat Interprofessionnel. Ce que nous a rappelé l'entreprise Châlon-Mégard". Le directeur du SIR, organisme qui exerce la fonction de conseil technique auprès des coopératives, a déclaré le 12 juillet : "Les Ets Châlon-Mégard (...) ont notamment mis au point une presse à reblochon qui a fait l'objet d'un brevet d'invention en 1983. La simplicité et l'efficacité de cette presse à reblochon a fait que cet appareil s'est imposé rapidement sur le marché et les spécifications de l'AOC et celles définies par le brevet la rendent incontournable".
Sur les vingt opérations de création ou de modernisation des fromageries fabriquant du reblochon, réalisées depuis 1990, des "presses étagées" de type Châlon-Mégard ont été installées à douze reprises, les autres fromageries ayant utilisé soit la technique des barres porte-poids manuelles (trois opérations, dont la fromagerie du Cruet-Saint-Eustache qui a fait installer un système mixte comprenant une "presse étagée" et une table de moulage/pressage avec pose manuelle de barres porte-poids), soit encore celle d'autopressage (deux opérations pour SLHS et une pour Girod), soit enfin celle consistant en un ensemble de barres portepoids mécanisées (trois opérations).
De ce fait, les pourcentages d'utilisation de chacune des techniques sont de 57,1 % pour la presse étagée, 14,3 % pour l'autopressage, 14,3 % pour les barres porte-poids manuelles et 14,3 % pour les barres porte-poids mécanisées. Les barres manuelles n'ont pas été utilisées dans les ateliers les plus importants et la technique d'autopressage est contestée par le SIR.
De plus, la société Châlon-Mégard a réalisé quinze des vingt installations de fromageries fabriquant du reblochon, l'entreprise Seroba trois, les Ets Damiani-Grisollet une (Le Cruet-Saint-Eustache) ainsi que la société Pianfetti, soit en pourcentage : 75 % pour Châlon-Mégard, 15 % pour Seroba, 5 % pour Damiani-Grisollet et 5 % pour Pianfetti. La société Seroba n'a été retenue par la fromagerie Verdannet qu'en fabriquant une presse correspondant au brevet de la société Châlon-Mégard, qui l'a poursuivie pour contrefaçon. Les Ets Damiani-Grisollet ont incorporé une presse Châlon-Mégard dans leur installation et la société Pianfetti a réalisé une opération de réinstallation avec apport d'une "presse étagée" Châlon-Mégard. Enfin, deux opérations ont utilisé la technique d'autopressage. M. Pierre Mégard, président de la société Châlon-Mégard, a confirmé cette situation dans ses déclarations du 31 janvier 1995 : "La plupart des opérations de modernisation d'envergure ont été réalisées en reblochon (...).Ces dernières années, Châlon-Mégard a réalisé la presque totalité des opérations (...)". De plus, le directeur du Syndicat Interprofessionnel du Reblochon a indiqué : "Nous vous confirmons que Châlon-Mégard est pratiquement présent dans 99 % des ateliers".
B- Les pratiques constatées
1. Les pressions exercées par la société Châlon-Mégard sur la laiterie du CruetSaintEustache
La société Châlon-Mégard a mentionné dans une lettre du 18 mars 1994 au bureau d'études BTC, maître d'œuvre de la modernisation de la "fruitière" du Cruet-Saint-Eustache : "Nous portons à votre connaissance que ce dispositif de pressage par poids, pour la fabrication des fromages, est couvert par le brevet français n° 83-18072, et qu'en cas de contrefaçon, nous serions déterminés à porter l'affaire devant les tribunaux". M. Pierre Mégard, président de la société Châlon-Mégard, a déclaré le 31 janvier 1995 : "En vertu de ce brevet, nous avons un droit et un devoir d'information auprès des clients, tant les contrefacteurs que les utilisateurs étant susceptibles de poursuites en justice en cas de contrefaçon. C'est cette démarche d'information que nous avons mise en œuvre pour les affaires de Cruet et Fillinges "Baillard". En ce qui concerne Fillinges Verdannet, nous avons informé oralement le bureau d'études, à charge pour lui de répercuter cette information auprès du client et du fournisseur concurrent".
Le gérant du bureau d'études BTC a indiqué, dans ses déclarations du 6 janvier 1995 : "La première relation téléphonique avec M. Jarjaval s'est traduite par une proposition de services qui s'est accompagnée de pressions verbales tendant à montrer que sa société était la seule capable de réaliser ce type d'installation sans problèmes (...). Sur ce, le 10 mars 1994, M. Jarjaval de l'entreprise Châlon-Mégard me contacte par téléphone pour me proposer ses services et me convaincre que seul son établissement est capable de rivaliser dans le domaine de la fabrication du matériel de fruitière et que même il avait la prétention d'exécuter 99 % des aménagements dans la région, à cela son établissement était détenteur du brevet pour la presse à reblochons, et pour preuve, quatre jours plus tard, j'en recevais la lettre recommandée".
2. Les retards pris par la société Châlon-Mégard dans la prise de commande des Ets Damiani-Grisollet
Il résulte de l'instruction que l'entreprise Damiani-Grisollet a contacté le 11 mars 1994 le responsable commercial de la société Châlon-Mégard, pour la livraison d'une presse à fromages. A la suite d'une demande de confirmation écrite le 14 mars 1994, pour une "presse à fromage "standard" à reblochons de 8 étages sur 2 piles", les Ets Châlon-Mégard ont répondu par télécopie du 18 mars 1994 : "Néanmoins, à ce jour, nous ne savons toujours pas, si nous souhaitons ou non vous livrer du matériel de pressage à reblochons".
A la suite d'une nouvelle demande de confirmation du 22 mars 1994, assortie d'une menace de mise en cause pour refus de vente, les Ets Châlon-Mégard ont répondu le 6 avril 1994 : "Vous ne pouvez pas ignorer que nous ne vendons pas de presses à fromages "standard", mais procédons à des installations complètes, comprenant outre des presses, des pompes, cuves et moules, dont nous assurons la mise au point, le suivi et la garantie du bon fonctionnement. En fonction de la technicité des installations, nous ne procédons donc pas à la vente de composants, si ce n'est pour la maintenance des équipements que nous avons installés ou leur modification. Aussi, ne pourrons-nous vous répondre que lorsque les spécifications des installations que vous projetez et spécifiquement les caractéristiques des blocs-moules vous étant nécessaires, nous seront transmises".
Les Ets Damiani-Grisollet ont communiqué, par courrier du 12 avril 1994, les caractéristiques de la presse et les dimensions des blocs-moules à la société Châlon-Mégard. Cette dernière a rappelé par courrier du 2 mai 1994 : "Nous pensions avoir répondu clairement dans notre courrier du 6 courant en vous précisant que nous ne vendions pas de presses à fromages "standard", mais procédons à des installations complètes, comprenant outre des presses, des pompes, cuves et moules, dont nous assurons la mise au point, le suivi et la garantie de bon fonctionnement. La technicité et la complexité de chaque module font que la dissociation de certains éléments sans connaître de l'ensemble, aboutirait à de mauvais résultats de production. Nous vous engageons donc à nous préciser les spécifications exactes de l'installation (cahier des charges), les caractéristiques fournies n'étant pas suffisantes".
Les Ets Damiani-Grisollet ont transmis le 4 mai 1994 des informations complémentaires sur les caractéristiques de la presse. Ils ont indiqué à la société Châlon-Mégard, dans un courrier du 18 mai 1994 : "Suite à notre conversation téléphonique du 17 mai 1994, nous vous confirmons par la présente que notre entreprise prend à sa charge la responsabilité de tout problème pouvant résulter de l'installation ou de l'utilisation en usage normal de la presse à fromage dont il est question dans nos courriers précédents. Ci-joint plan des blocs-moules tel que nous les avons définis d'après le règlement du Syndicat Interprofessionnel du Reblochon et dont nous prenons également l'entière responsabilité. Au vu de ces données, nous vous demandons de bien vouloir nous faire parvenir le plus rapidement possible votre tarif, condition de vente et délai comme demandé dans nos précédents courriers".
A deux semaines du délai fixé pour l'installation définitive de la "fruitière" du Cruet-Saint-Eustache, les Ets Châlon-Mégard ont indiqué, dans un courrier du 29 juin 1994 : "Notre service commercial a bien enregistré votre demande, mais compte tenu d'un surcroît d'activité, nous n'avons pu vous répondre dans les délais habituels. Vous trouverez ci-dessous notre meilleure proposition et délais concernant votre demande : "Palette de pressage Reblochon. Construction tubulaire inox, châssis fixe porte blocs-moules avec plateaux inox, châssis mobile porte poids avec poids inox 1,5 kg, système de relevage pneumatique du châssis porte poids avec distributeur montée/descente, capacité : 16 blocs-moules 15 reblochons, soit 240 reblochons, soit 2 piles de 8 blocs-moules 98 810 F. La livraison ne pourra intervenir qu'après le mois de novembre 1994. Nous tenons à vous rappeler que nous procédons habituellement à des installations complètes, pour lesquelles nous assurons la mise au point, le suivi et la garantie de bon fonctionnement".
Les Ets Damiani-Grisollet ont confirmé leur commande par courrier du 6 juillet 1994 en demandant à la société Châlon-Mégard "de faire (son) possible pour que cette livraison intervienne à une date antérieure". La société Châlon-Mégard a, par courrier du 7 juillet 1994, précisé à nouveau le délai indicatif de livraison (fin novembre 1994) et mentionné que la société Damiani-Grisollet "prend à sa charge la responsabilité de tout problème pouvant résulter de l'installation ou de l'utilisation en usage normal de la presse à fromages." Une confirmation de commande reprenant les mêmes éléments y est jointe. Un courrier de Châlon-Mégard du 19 juillet 1994, accompagné d'une confirmation de commande plus précise reprenant les mêmes conditions, a été expédié à la société Damiani-Grisollet, ajoutant : "Vous voudrez bien nous retourner notre confirmation de commande revêtue de votre signature et du cachet commercial ainsi que le chèque d'acompte (...)". Les Ets Damiani-Grisollet l'ont fait le 21 juillet 1994.
M. Pierre Mégard, président de la société Châlon-Mégard a expliqué ces hésitations dans ses déclarations du 31 janvier 1995 : "En effet, notre entreprise propose des installations complètes, dans lesquelles nous assurons un résultat. C'est pourquoi nous ne pouvons fournir des morceaux d'installations, car notre responsabilité est engagée. Une vision globale du processus de fabrication impose une solution globale au niveau du matériel et de l'installation. Cette cohérence nécessaire s'entend pour l'ensemble de l'installation, de la cuve au produit fini. Ceci correspond d'ailleurs à la philosophie de notre profession et de l'industrie agroalimentaire en général".
Le responsable technico-commercial de la société Châlon-Mégard a précisé, dans ses déclarations du 31 janvier 1995 : "J'ai effectivement eu un contact téléphonique avec M. Damiani mi mars 1994, avant tout échange de courrier. Ce dernier m'a demandé s'il était possible d'avoir livraison d'une presse à Reblochon qui fait l'objet du brevet déposé par Châlon-Mégard. Cette demande m'a été faite sans savoir à qui était destiné le matériel (...). Par la suite, j'ai indiqué par courrier que je ne savais pas si ma société était disposée à livrer ce matériel. Cette hésitation s'explique par le fait que, renseignement pris auprès de la direction départementale de l'agriculture, nous nous trouvions en concurrence sur la même affaire du Cruet-Saint-Eustache avec l'entreprise Damiani-Grisollet".
Le directeur du Syndicat Interprofessionnel du Reblochon (SIR), a déclaré le 12 juillet 1994 : "Lors d'un entretien téléphonique que j'ai eu avec le directeur commercial de l'entreprise Châlon-Mégard celui-ci m'a clairement déclaré qu'il allait en référer auprès de M. Mégard notamment pour voir si la livraison n'était pas contraire à la politique commerciale mais qu'en tout état de cause les conditions commerciales proposées aux Ets Damiani-Grisollet seraient dissuasives".
3. Modification du prix initialement communiqué
Lors du premier contact de l'entreprise Damiani-Grisollet avec le responsable commercial de la société Châlon-Mégard, le 11 mars 1994, celui-ci a indiqué un prix de 68 500 francs hors taxes pour une presse à fromage, correspondant aux spécifications demandées. Le responsable technico-commercial de la société Châlon-Mégard a précisé, dans ses déclarations du 31 janvier 1995 : "J'ai indiqué verbalement le prix de 68 500 FHT (prix tarif à l'époque) relatif à ce type de presse".
Par la suite, les Ets Châlon-Mégard ont mentionné, dans un courrier du 29 juin 1994, un prix de 98 810 F hors taxes, qu'ils justifient par des modifications techniques apportées au matériel. M. Pierre Mégard, président de la société Châlon-Mégard, a déclaré le 31 janvier 1995 : "Le prix initialement proposé était celui en vigueur au catalogue à l'époque. Il a évolué à la même période à la suite de modifications effectuées à la demande de clients : poids usinés et non plus simplement sciés, afin d'assurer une forme plus régulière des fromages, plateaux amovibles facilitant le nettoyage pour répondre aux exigences sanitaires. Une presse livrée précédemment à Annecy-Le-Vieux a d'ailleurs été modifiée au niveau des poids, pour tenir compte de ces nouvelles exigences".
En effet, une note technique interne de la société Châlon-Mégard du 25 mars 1994, mentionne les modifications des palettes de pressage et l'incidence de celles-ci sur leur prix. Une note de service du service commercial de la société du 1er avril 1994 entérine ces nouveaux tarifs : "Suite aux nouvelles exigences de nos clients réclamant d'une part un pressage parfait avec absence totale de casquettes, même légères, d'autre part une amélioration de la sanitation, les modifications suivantes seront apportées : les poids ne seront plus bruts de sciage mais tournés, de façon à avoir un parallélisme parfait et une bonne concentricité entre l'axe et le poids ; les tables d'égouttage seront démontables de façon à permettre un accès facile pour le nettoyage. Compte tenu de ces modifications importantes, à partir de ce jour, le prix des presses au tarif Châlon-Mégard page 10.2 passe à : (...) 99 810 F pour des palettes à 16 blocs-moules".
Le tarif au 1er janvier 1994 des presses à 16 blocs-moules indique un tarif de 69 870 F. Aucun document de la société Châlon-Mégard ne permet de confirmer d'éventuelles demandes de modifications techniques des presses. Les devis réalisés les 2 janvier 1990 (Annecy-Le-Vieux) et 26 février 1992 (Bogève) font état de palettes de pressage avec poids galvanisés. Les devis suivants (30 novembre 1992, Verdannet ; 2 avril 1993 et 21 septembre 1993 Fillinges "Baillard" ; 14 mars 1994 Le-Cruet-Saint-Eustache ; 11 août 1994 Mieussy) sont proposés avec des poids inox. Le président de la coopérative de Bogève a d'ailleurs déclaré le 4 novembre 1994 : "Tout le matériel de pressage, y compris les poids individuels, sont en inox". Le tarif daté de janvier 1994 prévoit également des palettes de pressage avec poids inox. Le passage des poids galvanisés aux poids inox est ainsi antérieur à avril 1994 et l'usinage constitue la seule modification apportée aux poids à compter d'avril 1994.
Le surcoût de 60 F par poids précisé par la société Châlon-Mégard est supérieur au prix demandé aux Ets Damiani-Grisollet par une autre entreprise pour une prestation identique (14 francs le 31 août 1993 ; 13 francs le 13 juin 1994). De plus, la société Seroba, dans un courrier du 5 octobre 1994 : "Pour ce type de matériel il est communément admis que la marge brute varie entre 10 et 20 % du prix de vente". Enfin, la rubrique "matériel de pressage" figurant sur le devis du 14 mars 1994, réalisé par la société Châlon-Mégard pour la fromagerie du Cruet-Saint-Eustache propose, pour un total de 98 575 F hors taxes, une palette de pressage pour 16 blocsmoules, 48 barres porte-poids inox et un chariot inox porte poids, sans détail de prix des différents composants. Ce prix global est inférieur au prix proposé par la suite aux Ets Damiani-Grisollet pour la seule palette de pressage.
4. Le délai de livraison de la presse étagée imposé par la société Châlon-Mégard aux Ets Damiani-Grisollet
Le devis transmis le 29 juin 1994 aux Ets Damiani-Grisollet a fixé un délai minimum de cinq mois ("la livraison ne pourra intervenir qu'après le mois de novembre 1994") pour la commande d'une seule palette.
Le délai de livraison proposé le 26 février 1992 par la société Châlon-Mégard à la fromagerie de Bogève pour la livraison de 2 palettes de pressage et 48 blocsmoules microperforés était de quatre semaines (mention "délai exceptionnel"). Le délai proposé le 27 février 1992 pour l'installation de la totalité du matériel (comprenant en plus une table de moulage et un bac de nettoyage) était de six semaines et le président de la coopérative a précisé le 4 novembre 1994 que le "matériel a été livré et installé dans le délai prévu de 6 semaines". Le devis réalisé le 30 novembre 1992 pour la société Verdannet, comprenant notamment six palettes de pressage, prévoit un délai de livraison de 3 mois. Le devis réalisé le 21 septembre 1993 pour la fromagerie du Cruet-Saint-Eustache indique lui aussi un délai de livraison de deux à trois mois après commande ferme et réception de l'acompte.
Le président de la société Châlon-Mégard a communiqué plusieurs documents pour justifier un tel délai : d'abord une télécopie de Châlon-Mégard indiquant des cotes de moules différentes de celles précédemment transmises par les Ets Damiani-Grisollet et demandant la confirmation du diamètre intérieur, une note de service relative aux périodes de congés d'été de l'entreprise (du 6 août au 5 septembre 1994), le compte-rendu d'une réunion interne du 4 août 1994, assorti d'un graphique des délais mensuels moyens de réalisation et un tableau récapitulatif des lancements de production du 1er janvier au 8 août 1994, qui fait apparaître que le délai concernant les Ets Damiani-Grisollet est de près de cinq mois, entre la signature du contrat et la livraison contractuelle.
La comparaison de la commande des Ets Damiani-Grisollet à d'autres commandes de montant, quantité ou complexité équivalents, fait apparaître que le délai entre la signature du contrat et la livraison des commandes d'un montant inférieur à 100 000 F est en moyenne de 28,37 jours (fourchette de 7 à 87 jours), de 65,88 jours (fourchette de 4 à 140 jours) pour celles ayant un prix compris entre 100 000 à 200 000 F et de 52,79 jours (fourchette de 31 à 87 jours) pour celles de 200 000 à 300 000 F.
Les Ets Damiani-Grisollet ont pris possession de la presse le 7 décembre 1994, alors qu'elle a été mise à leur disposition à partir du 15 novembre 1994. Le président de la coopérative du Cruet-Saint-Eustache a déclaré le 21 février 1995 : "Théoriquement, les travaux auraient dû être terminés début juillet ; la fabrication du reblochon a commencé fin août 1994. L'absence de la presse à reblochons a donné un surplus de travail au fromager sans baisse de production. Jusqu'à maintenant nous n'avons pas encore décidé si nous appliquerons les pénalités de retard. Dans l'ensemble, nous sommes satisfaits de l'installation du matériel posé par l'entreprise Damiani. Actuellement, l'installation entière fonctionne normalement". La production a été rendue possible du fait de l'apport d'une table de moulage/pressage avec utilisation de barres porte-poids posées manuellement sur les reblochons.
II- SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL,
Sur le marché de référence,
Considérant, en premier lieu, que le reblochon est un fromage à pâte pressée non cuite, fabriqué avec du lait de vache entier mis en œuvre à l'état cru et emprésuré ; que, pour bénéficier de l'appellation d'origine contrôlée "Reblochon" ou "Petit Reblochon", ces fromages doivent notamment être fabriqués "exclusivement suivant les usages locaux, loyaux et constants" et remplir les conditions de fabrication et d'affinage fixées par le décret du 29 décembre 1986 en vigueur au moment des faits ; que le règlement intérieur de la commission de contrôle instaurée en application de l'article 3 du même décret a codifié ces usages et précisé les conditions de fabrication de ces fromages ; qu'en outre, pour porter la mention "fabrication fermière" ou "fromage fermier" ou toute autre indication laissant entendre une origine fermière du fromage, les reblochons doivent être fabriqués par des producteurs transformant le lait produit sur leur exploitation et ce, deux fois par jour après chaque traite ;
Considérant, en deuxième lieu, que le pressage constitue une des étapes de la fabrication du reblochon nécessitant la mise en œuvre d'un procédé spécifique ; que selon le règlement intérieur de la commission de contrôle en vigueur au moment des faits : "Le moulage s'effectue en moule perforé de 14 cm de diamètre et de 6 à 8 cm de hauteur. Le pressage peut être effectué avec un disque de fonte de 1 à 2 kg posé sur un foncet. Retournements : 2 à 3. Tout nouveau type de matériel ou procédé doit être soumis à l'approbation préalable de la commission de contrôle" ; que le décret du 2 avril 1996, dont les dispositions ont fait l'objet de discussions avec les professionnels du secteur au cours des années 1994 et 1995, ont sensiblement renforcé ces normes de fabrication en prévoyant que : "Le pressage est réalisé à l'aide d'un poids de 1,5 à 2 kilogrammes qui peut être posé sur un foncet. Sa durée est adaptée aux types de matériels utilisés pour le moulage et ne peut en aucun cas être inférieure à une heure trente minutes" ;
Considérant, en troisième lieu, que les opérations de pressage peuvent être réalisées par différents procédés ; que la méthode traditionnelle exige un pressage individuel, les poids unitaires étant posés sur chaque moule et manoeuvrés manuellement ; que pour obtenir le pressage simultané de plusieurs reblochons sont utilisées les techniques d'autopressage par empilement des fromages, avec retournement sans poids, et de pressage par barres de poids à mise en place manuelle ou mécanisée ; que la société Châlon-Mégard a mis au point une "presse étagée" ou "palette de pressage (...) permettant la mise en place en une seule opération de tous les ensembles de poids sur les fromages contenus dans les différents ensembles de moules", qui a fait l'objet d'un brevet délivré le 9 septembre 1988 ; que les spécifications réglementaires et les exigences techniques déterminent largement les matériels utilisés pour le pressage des fromages ; qu'ainsi, pour la production de reblochons fermiers imposant le traitement deux fois par jour du lait produit sur l'exploitation et dans la limite de 500 000 litres de lait par an, les producteurs utilisent la méthode traditionnelle de pressage par simples poids ; qu'en revanche, pour un volume de production plus important, les fromageries ont recours aux systèmes d'autopressage ou de pressage par barres de poids avec mise en place mécanisée ; que, toutefois, l'autopressage n'étant pas préconisé par les instances professionnelles et ne répondant pas aux normes définies pour bénéficier de l'appellation d'origine contrôlée, telles que finalement fixées dans le décret du 2 avril 1996 susvisé, la presse étagée dont la société Châlon-Mégard détient le brevet, et qui permet le pressage simultané de 240 fromages, représente en fait le seul dispositif de pressage adapté à la demande des fromageries fabriquant du reblochon laitier d'appellation d'origine contrôlée, qui installent ou rénovent leurs équipements pour se mettre en conformité avec l'arrêté du 30 décembre 1993 du ministre de l'agriculture ; que le Syndicat interprofessionnel du reblochon considère ainsi que le recours à cette "presse étagée" est aujourd'hui "incontournable" et ce, d'autant plus, que cet équipement nécessite beaucoup moins de place que les tables de pressage horizontales ;
Considérant que la société Châlon-Mégard soutient que le marché pertinent serait, non pas celui de l'installation des fromageries fabriquant du reblochon, mais celui de l'installation des fromageries en général ; que l'installation de chaînes de fabrication de reblochon ne présenterait d'ailleurs pas de spécificité et qu'il n'existerait pas, pour le reblochon, de phases techniques particulières par rapport à d'autres fromages ; que cette société ajoute que, sur le marché ainsi défini, elle serait en concurrence avec des sociétés appartenant à des groupes industriels importants, de taille très supérieure à la sienne, mais que les Ets Damiani-Grisollet, qui ne disposent pas de savoir-faire en la matière même s'ils ont effectué des tentatives de diversification, n'en seraient pas un des opérateurs ;
Mais considérant que le marché pertinent se définit comme le lieu sur lequel se rencontrent l'offre et la demande pour un produit ou un service spécifique; que sont substituables et se situent sur un même marché les produits ou services dont on peut raisonnablement penser que les demandeurs les considèrent comme des moyens alternatifs entre lesquels ils peuvent arbitrer pour satisfaire une même demande; qu'en l'espèce, les normes fixées pour la fabrication et l'affinage des reblochons d'appellation d'origine contrôlée ainsi que les contraintes techniques liées à la fabrication de ces fromages ont des conséquences en termes de coûts ; que ces exigences techniques et les caractéristiques des installations de production existantes conduisent les fromageries à rechercher les dispositifs de pressage offrant le meilleur rendement, compte tenu de la surface dont elles disposent ;
Considérant que, si certaines fromageries fabriquant du reblochon ont pu mettre en œuvre d'autres procédés pour le pressage, la presse étagée est aujourd'hui le dispositif répondant le mieux aux normes de fabrication des reblochons d'appellation d'origine contrôlée et celui qui est préconisé par les instances de contrôle de l'AOC ; qu'ainsi, si le système de la presse étagée peut également être utilisé pour la fabrication d'autres fromages à pâte molle, il existe une demande spécifique de la part des fromageries fabriquant du reblochon AOC qui modernisent leurs installations; que, par ailleurs, les capacités de pressage de la presse étagée Châlon-Mégard, soit 240 reblochons, ne sont pas adaptées aux conditions imposées à la fabrication fermière et qu'il a été reconnu en séance par les parties qu'une installation de ce type, eu égard à son coût, ne serait pas rentable dans un atelier de production de reblochons fermiers ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il existe un marché pour l'installation de fromageries fabriquant du reblochon laitier et que les Ets Damiani-Grisollet, dès lors qu'ils ont obtenu le contrat de modernisation des installations de la "fruitière" du Cruet-Saint-Eustache, constituent un des opérateurs sur ce marché;
Sur la position de la société Châlon-Mégard,
Considérant que depuis 1990, la société Châlon-Mégard a réalisé 75 % des vingt nouvelles installations ou modernisations de fromageries fabriquant des reblochons laitiers ; que le directeur du SIR a par ailleurs déclaré : "Nous vous confirmons que Châlon-Mégard est pratiquement présent dans 99 % des ateliers" ; que si la société Châlon-Mégard a mis en doute ces déclarations en estimant qu'elles seraient "complètement fantaisistes et disqualifient leur auteur" et a fait valoir qu'elles n'auraient jamais été validées par le président du syndicat ou par son conseil d'administration, il est constant que M. Pierre Mégard, président de la société Châlon-Mégard, a indiqué dans ses déclarations du 31 janvier 1995 : "Ces dernières années, Châlon-Mégard a réalisé la presque totalité des opérations, à l'exception de Verdannet, Samoens, Etaux (Guérin-Seroba) et Cruet (Damiani)" ;
Considérant que la société Châlon-Mégard soutient que la position de l'entreprise doit s'apprécier par rapport à la part de production de reblochon réalisée avec la technique de pressage protégée par son brevet, qui serait "inférieure à 30 % et même à 20 %, si l'on prenait en compte la production de reblochon fermier" ; que la production de reblochons fermiers nécessite seulement une collecte homogène du lait et que les installations pourraient opportunément comporter une presse étagée ; que la société Châlon-Mégard fait encore valoir que le taux de pénétration de la presse étagée Châlon-Mégard sur les sites de production de reblochons ne serait pas fiable, aucun document du SIR recensant les ateliers de production avec leurs équipements n'ayant été produit ;
Mais considérant, en premier lieu, que s'il n'est pas contesté que le parc installé des fromageries fabriquant du reblochon comprend différents dispositifs de pressage et que les dirigeants de la société SLHS ont indiqué utiliser, parmi différents procédés, la technique d'autopressage pour leur production de reblochons, les demandes pour l'installation ou la modernisation de fromageries de reblochons laitiers, qui se sont exprimées depuis le début des années 90, font, dans leur grande majorité, référence au système de la presse étagée; que, comme il a été mentionné plus haut, ce procédé est en effet le seul qui réponde aux exigences des nouvelles normes de fabrication, en cours d'élaboration au moment des faits, et qui, pour cette raison, a été largement préconisé par le SIR; qu'en second lieu, comme il a été indiqué ci-dessus, les contraintes techniques pesant sur la fabrication du reblochon AOC fermier, "devant intervenir deux fois par jour, aussitôt après la traite" et dans la limite de 500 000 litres de lait par an, correspondant à une production de reblochons d'environ 60 tonnes, ne permet pas de rentabiliser l'utilisation d'une presse étagée, qui est conçue pour fabriquer au moins 87 tonnes de fromages de reblochon par an, dans les conditions de l'AOC ; qu'il n'a pas été contesté qu'un tel équipement n'est présent dans aucun atelier de production de reblochon fermier ;
Considérant, enfin, que si la société Châlon-Mégard soutient qu'il est indifférent que le SIR ait préconisé le recours à la technique de pressage qu'elle a développée, d'autant plus que cet organisme aurait en même temps contesté l'originalité du concept ainsi breveté, il est constant que c'est le SIR, organisme professionnel chargé de la gestion de la filière, qui a élaboré le règlement intérieur de la commission de contrôle fixant les caractéristiques de la production; qu'à cet égard, les opérateurs de la filière s'estiment d'autant plus tenus de suivre les avis qu'est amené à prendre le SIR que le bénéfice de l'AOC y est subordonné ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société Châlon-Mégard occupe une position dominante sur le marché de l'installation des fromageries fabriquant du reblochon laitier ;
Sur les pratiques relevées,
Considérant que les opérations de modernisation de la "fruitière" du Cruet-Saint-Eustache, dont le maître d'œuvre était le bureau d'études BTC, ont été confiées à la société Damiani-Grisollet qui devait procéder à l'installation au plus tard le 14 juillet 1994 ;
Considérant que le projet prévoyant la mise en place d'une presse étagée Châlon-Mégard pour le pressage des fromages, la société Damiani-Grisollet s'est adressée le 11 mars 1994 à la société Châlon-Mégard pour l'achat d'une "presse étagée" ; qu'en réponse, la société Châlon-Mégard a communiqué un prix de 68 500 F ;
Considérant que, selon les déclarations du gérant du bureau d'études BTC, la société Châlon-Mégard a formulé, dès le 10 mars 1994, une offre de services pour la fourniture des installations complètes de la "fruitière" du Cruet-Saint-Eustache, en appuyant cette offre de pressions verbales tendant à montrer que la société Châlon-Mégard était la seule capable de réaliser ce type d'installations et qu'en tout état de cause elle détenait le brevet sur la presse étagée à reblochons ; que dans une lettre du 18 mars 1994 elle rappelait au responsable du bureau d'études BTC que : "Ce dispositif de pressage par poids, pour la fabrication des fromages, est couvert par le brevet n° 83-18072, et qu'en cas de contrefaçon, nous serions déterminés à porter l'affaire devant les tribunaux" ; que le responsable technico-commercial de la société Châlon-Mégard a déclaré lors de son audition du 31 janvier 1995 qu'en réponse à la commande des Etablissements Damiani-Grisollet, il avait indiqué dans un courrier du 18 mars 1994 ne pas savoir "si (sa) société était disposée à livrer du matériel" en précisant que "cette hésitation s'explique par le fait que, renseignements pris auprès de la direction départementale de l'agriculture, nous nous trouvions en concurrence sur la même affaire du Cruet-Saint-Eustache avec la l'entreprise Damiani-Grisollet" ; que, par ailleurs, ce même responsable déclarait au responsable du SIR : "qu'en tout état de cause, les conditions commerciales proposées aux Ets Damiani-Grisollet seraient dissuasives" ;
Considérant que la société Châlon-Mégard, alors que le bureau d'études BTC avait décliné son offre, s'est livrée à diverses manœuvres dilatoires pour différer la livraison de la "presse étagée" à son concurrent ; qu'à la suite d'une nouvelle sollicitation des Ets Damiani-Grisollet le 22 mars 1994, la société Châlon-Mégard a répondu le 6 avril 1994 qu'elle ne vendait pas de presses à fromages "standard", mais procédait à des installations complètes, en demandant toutefois les spécifications de l'installation envisagée ; que les Ets Damiani-Grisollet ont communiqué, par courrier du 12 avril 1994, les caractéristiques de la presse et les dimensions des blocs-moules à la société Châlon-Mégard ; que cette dernière a rappelé par courrier du 2 mai 1994 qu'elle ne procédait qu'à des installations complètes, tout en leur demandant à nouveau des précisions sur les spécifications exactes de l'installation ; que les Ets Damiani-Grisollet ont transmis le 4 mai 1994 des informations complémentaires sur les caractéristiques de la presse ; qu'ils ont indiqué à la société Châlon-Mégard, dans un courrier du 18 mai 1994, en se référant à une conversation téléphonique du 17 mai, qu'ils confirmaient leur prise en charge de la responsabilité de l'installation, en joignant un plan des blocs-moules ; qu'à deux semaines du délai fixé pour l'installation définitive de la "fruitière" du Cruet-Saint-Eustache, la société Châlon-Mégard a enregistré cette demande, dans un courrier du 29 juin 1994, en proposant un prix de 98 810 F hors taxes et un délai de livraison "après le mois de novembre 1994" ; que les Ets Damiani-Grisollet ont confirmé leur commande par courrier du 6 juillet 1994 en la priant de raccourcir ce délai ; que la société Châlon-Mégard a, par courrier du 7 juillet 1994, confirmé son délai indicatif de livraison en invitant les Ets Damiani-Grisollet à confirmer leur commande ; qu'elle a, par courrier du 19 juillet 1994, demandé une confirmation de commande plus précise ; que les Ets Damiani- Grisollet ont retourné ce document le 21 juillet 1994 ; que la presse à reblochons a finalement été mise à disposition des Ets Damiani-Grisollet le 15 novembre 1994 ; qu'ainsi le délai de livraison de cet équipement a été de près de huit mois, dont près de cinq mois à compter de la prise de commande, tandis que le délai moyen pour ce type de commande est inférieur à un mois ;
Considérant, en premier lieu, que la société Châlon-Mégard conteste que son responsable technico-commercial ait exercé des pressions sur le bureau d'études BTC pour modifier le choix de l'installateur ; qu'elle invoque également "le choix technique" qui se serait révélé désastreux pour justifier son comportement ;
Mais considérant que les déclarations du responsable du bureau d'études BTC sont corroborées par celles de M. Pierre Mégard, qui a déclaré le 31 janvier 1995 par procès-verbal avoir informé la laiterie du Cruet-Saint-Eustache que la presse étagée Châlon-Mégard était couverte par un brevet, comme il l'avait fait à l'égard de deux autres coopératives laitières, la coopérative "Baillard" de Fillinges et celle de Bogève ; que les dirigeants de ces deux coopératives ont déclaré qu'en raison des pressions de la société Châlon-Mégard, qui conditionnait la livraison de la presse étagée à l'installation de l'ensemble de la fromagerie, ils avaient finalement recouru à ses services pour la modernisation de leurs installations ; qu'à supposer, en outre, que le choix technique ait été contestable, ce qui n'est pas établi, cette circonstance ne serait pas de nature à justifier les pratiques de la société Châlon-Mégard ;
Considérant, en deuxième lieu, que la société Châlon-Mégard soutient que procédant en règle générale à des installations complètes, elle a hésité à livrer à la société Damiani-Grisollet un équipement isolé ; que les différents équipements et matériels doivent, en effet, présenter une parfaite cohérence entre eux, et qu'à cet effet, elle dispose d'un bureau d'études qui a pour mission d'assurer l'homogénéité des diverses composantes des installations qui lui sont confiées ; qu'elle ajoute que, contrairement aux déclarations du directeur du SIR selon lesquelles "les différents matériels utilisés dans un atelier peuvent être dissociés sans nuire à la qualité du produit", les producteurs les plus importants estiment que l'usage dans la profession est de confier la responsabilité de l'équipement d'une chaîne de fabrication à un seul installateur ;
Mais considérant qu'à supposer même qu'il soit d'usage dans la profession de confier la responsabilité de la mise en place d'équipements pour la fabrication de reblochons à un seul installateur, aucune disposition réglementaire ne l'impose ; qu'il y a d'ailleurs lieu de relever que la société Châlon-Mégard a accepté, lors de la rénovation de deux fromageries dont elle avait la charge, que soit installé le système de pressage développé par un concurrent, la société Besnier Ingénierie ;
Considérant que la société Châlon-Mégard, pour justifier des délais mis à apporter une réponse à la commande de la société Damiani-Grisollet fait également valoir que des modifications techniques de la presse étagée étaient en cours d'études pour répondre à la demande de clients ayant rencontré des difficultés dans son utilisation ;
Mais considérant que, hormis les modifications apportées à la presse étagée installée dans la fromagerie d'Annecy-le-Vieux au début de l'année 1992, aucun document émanant de la clientèle de la société Châlon-Mégard n'atteste, à l'époque des faits, d'éventuelles demandes de la part des fromagers ; qu'au contraire, le remplacement des poids en acier galvanisé par des poids en acier inoxydable avait été proposé dès le 30 novembre 1992 à la fromagerie de Verdannet ; que la seule modification apportée à compter d'avril 1994 concerne l'usinage des poids ;
Considérant que, si la société Châlon-Mégard fait encore état des réserves de son assureur et des "situations contentieuses" auxquelles elle a été confrontée lors de l'installation de plusieurs fromageries, cette préoccupation n'a été communiquée que tardivement à la société Damiani-Grisollet le 18 mai 1994 ; qu'en outre, elle ne saurait justifier l'attitude de la société Châlon-Mégard à l'égard de ce client, dès lors que la responsabilité de cette société ne pouvait être engagée qu'au titre des défauts éventuels du matériel qu'elle vendait, et qu'en tout état de cause la société Damiani-Grisollet s'était reconnue entièrement responsable de l'installation ;
Considérant que la société Châlon-Mégard soutient qu'elle aurait eu des difficultés à obtenir les plans et cotes exacts des blocs-moules que la société Damiani-Grisollet envisageait d'utiliser et que ces données, qui ne lui ont été communiquées qu'à la fin du mois de juillet, n'étaient pas conformes aux standards existants, la contraignant à des adaptations techniques ;
Mais considérant qu'il résulte de l'instruction que les spécifications de la presse commandée par la société Damiani-Grisollet répondaient aux prescriptions du règlement intérieur de la Commission de contrôle de l'appellation d'origine contrôlée et correspondaient aux caractéristiques de la presse étagée Châlon-Mégard ; que, si le plan de blocs moules adressé par les Ets Damiani-Grisollet à la demande de la société Châlon-Mégard le 18 mai 1994 comportait d'autres cotes nécessitant une adaptation de la presse étagée standard, cette transmission était accompagnée d'une nouvelle confirmation de commande ; que ce n'est que le 29 juin suivant, soit deux semaines avant la date de livraison des installations fixée au 14 juillet 1994, date que ne pouvait ignorer la société Châlon-Mégard qui avait elle-même présenté une offre, qu'elle a fait une proposition aux Ets Damiani-Grisollet, sans d'ailleurs mentionner une différence de conception ;
Considérant que la société Châlon-Mégard soutient que l'estimation du délai de livraison aux Ets Damiani-Grisollet à partir d'un délai moyen de fourniture ne présente aucune fiabilité ; que cette dernière société, qui n'invoque d'ailleurs pas de délai impératif de livraison, aurait été à l'origine du retard de livraison en ne s'engageant que de manière tardive sur la responsabilité de l'installation ; qu'enfin, la société Châlon-Mégard aurait dû faire face à un certain nombre de difficultés objectives, fermeture annuelle, manque de personnel qualifié, démission de son responsable technique, qui justifient le retard avec lequel la presse étagée a été mise à disposition de la société Damiani-Grisollet, qui, au surplus, n'en a pris possession que plus de trois semaines plus tard ;
Mais considérant que les Ets Damiani-Grisollet ont pris contact le 11 mars 1994 avec le responsable commercial de la société Châlon-Mégard, qu'ils ont demandé confirmation des conditions de livraison d'une presse étagée le 14 mars, puis à nouveau le 22 mars et ont communiqué le 12 avril suivant les caractéristiques de la presse ainsi que les dimensions des blocs moules, y apportant des modifications le 18 mai ; qu'à cette même date, les Ets Damiani-Grisollet, sur demande de la société Châlon-Mégard, ont confirmé leur commande et déclaré prendre en charge la responsabilité de l'installation du matériel ; que la commande n'a toutefois été enregistrée que le 29 suivant, la société Châlon-Mégard en demandant confirmation les 7 et 19 juillet 1994 ; que, dans sa lettre du 29 juin 1994, la société Châlon-Mégard annonçait que la presse ne pouvait être livrée qu'après le mois de novembre 1994, soit un délai de près de cinq mois après l'enregistrement de la commande ; que ce délai est supérieur à celui constaté lors de la mise à disposition d'autres commandes d'un montant du même ordre, correspondant à des matériels de complexité équivalente ; que la société Châlon-Mégard ne peut utilement soutenir que la société Damiani-Grisollet ne lui aurait pas indiqué de délai impératif de livraison dès lors qu'elle s'était elle-même portée candidate pour la réalisation de ce projet de modernisation et avait reçu à cet effet des indications de la direction départementale de l'agriculture, puis un descriptif détaillé du bureau d'études BTC ; que, d'ailleurs, l'offre présentée par la société Châlon-Mégard au bureau d'études BTC en mars 1994 prévoyait un délai de livraison de 3 mois ; que, par suite, le délai de huit mois pris pour répondre à la demande de la société Damiani-Grisollet présentait un caractère excessif, qui ne peut s'expliquer entièrement par les difficultés liées au manque de personnel invoquées ; que, par ailleurs, la société Châlon-Mégard, pour justifier ses propres comportements, ne peut utilement invoquer ni le fait que les Ets Damiani-Grisollet n'ont pas été contraints de verser des indemnités de retard, alors qu'ils ont procédé à la réalisation d'une installation provisoire non réutilisable, composée de rayonnages, pour tenter de pallier l'absence de presse, ni le retard avec lequel les Ets Damiani-Grisollet ont pris possession de la presse, près de trois semaines après sa mise à disposition, alors que celui-ci a été justifié par la nécessité d'utiliser l'ensemble du personnel de l'entreprise pour la manutention de cet équipement dans la fromagerie du Cruet-Saint-Eustache et par les contraintes sanitaires imposant l'arrêt de la fabrication des fromages lors de l'installation ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'en livrant dans ces conditions une "presse étagée" aux Ets Damiani-Grisollet, alors qu'elle avait manifesté l'intention de réaliser elle-même les installations de la fromagerie du Cruet-Saint-Eustache et que le brevet sur cette presse lui confère l'exclusivité sur la fourniture de ce type de dispositif, la société Châlon-Mégard a visé à empêcher l'accès de la société Damiani-Grisollet au marché de l'installation de fromageries fabriquant du reblochon laitier et fait, ainsi, une exploitation abusive de sa position dominante sur ce marché ;
Considérant que, si la société Châlon-Mégard fait valoir que ses manœuvres n'ont pas eu d'effet sensible sur la concurrence, l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 prohibe l'exploitation abusive par une entreprise d'une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci, dès lors qu'il est établi que son objet était anticoncurrentiel ou qu'elle pouvait avoir un effet anticoncurrentiel ; qu'au surplus le SIR a déclaré que "l'intervention de la concurrence sur ce marché serait de nature à faire baisser le prix des équipements" ; que les diverses manœuvres de la société Châlon-Mégard ci-dessus analysées avaient un objet et pouvaient avoir un effet anticoncurrentiel ; qu'ainsi le moyen n'est pas fondé ;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que ces pratiques ont eu pour objet et pu avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur le marché de l'installation des fromageries fabriquant du reblochon laitier et qu'elle est contraire aux dispositions de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Sur la sanction,
Considérant qu'aux termes de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : "Le Conseil de la concurrence peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières. Il peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement, soit en cas d'inexécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 5 % du montant du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos (...). Le Conseil de la concurrence peut ordonner la publication de sa décision dans les journaux ou publications qu'il désigne (...). Les frais sont supportés par la personne intéressée".
Considérant que les pratiques d'exclusion sont par leur nature même particulièrement graves ; que, pour apprécier le dommage à l'économie en résultant, il y a lieu de tenir compte du fait que ces pratiques ont pu favoriser une hausse des coûts de modernisation des " fruitières " portant ainsi atteinte à l'économie du secteur de la production du fromage de reblochon, dont le chiffre d'affaires s'est élevé à 587,9 millions de francs en 1996 ; que, toutefois, ces pratiques, si elles ont retardé l'entrée d'un nouvel opérateur sur le marché, n'ont eu qu'un effet limité, dès lors que l'équipement a finalement été livré ;
qu'il y a lieu en outre de lui ordonner la publication, à ses frais, de la présente décision dans la Revue laitière française ;
Considérant que la société Châlon-Mégard a réalisé en France, au cours de l'exercice 1995, dernier exercice clos disponible, un chiffre d'affaires hors taxes de 67 408 902 F ; qu'en fonction des éléments généraux et individuels, tels qu'ils sont appréciés ci-dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 70 000 F ;
Décide :
Article 1er : - Il est établi que la société Châlon-Mégard a enfreint les dispositions de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.
Article 2 : - Il est infligé à la société Châlon-Mégard une sanction pécuniaire de 70 000 F.
Article 3 : - Dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, la société Châlon-Mégard fera publier le texte intégral de celle-ci à ses frais dans la Revue laitière française.
Cette publication sera précédée de la mention suivante : "Décision du Conseil de la concurrence en date du 11 mars 1997 relative aux pratiques de la société Châlon-Mégard sur le marché de l'installation de fromageries fabriquant du fromage de reblochon".