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Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 22 septembre 1993, n° ECOC9310188X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Entreprise Pascal (SARL), Quillery (SA), Spie-Méditerranée (SA), BEC Frères (SA), Entreprise Chagnaud (SA), GTM Bâtiment et Travaux Publics (Sté), Campenon Bernard SGE (SNC), Chantiers Modernes (SA), Baudin Châteauneuf (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Canivet

Avocat général :

M. Jobard

Conseillers :

Mmes Nerondat, Mandel, Kamara, M. Perié

Avoués :

SCP Bernabe, Ricard, Me Bolling

Avocats :

SCP Villard-Brunois-Santivi, d'Herbomez-Salles, Mes Vitoux, Maître-Devallon, Drubigny, Levy, Leyghes

CA Paris n° ECOC9310188X

22 septembre 1993

Par décision n° 92-D-66 du 8 décembre 1992, le Conseil de la concurrence (le Conseil) a infligé des sanctions pécuniaires aux entreprises Pascal (SARL): 2 000 000 F; Chagnaud (SA): 1 300 000 F; Baudin Châteauneuf (SA): 810 000 F; GTM BTP (SA): 3 000 000 F; Chantiers modernes (SA): 1 000 000 F; Dodin Sud-Ouest (SNC): 160 000 F; Campenon Bernard (SNC): 750 000 F; SPIE Méditerranée (SA): 460 000 F; BEC Frères (SA): 1 160 000 F; Quillery (SA): 570 000 F.

Les pratiques sanctionnées se rapportent au marché public passé en 1988 par l'Etat pour l'édification d'un nouveau pont de franchissement de la Durance par la route nationale n° 96 à hauteur de Mirabeau (84120), comprenant la démolition du pont existant, la réalisation du nouvel ouvrage (tablier et piles) ainsi que les terrassements et chaussées.

Dans l'appel d'offres, deux solutions techniques étaient envisagées pour la construction du tablier: la première consistant en une poutre de béton précontraint ne faisait appel qu'à des compétences de génie civil, le marché étant réparti en un lot principal (n° 0) de construction, terrassement, chaussées et équipements et un lot accessoire (n° 1) de démolition; la seconde, dite " mixte", associait une ossature d'acier à une dalle de béton, exigeant des travaux de génie civil et de construction métallique; en ce cas, le marché était divisé en un lot principal (n° 0), regroupant la partie béton de l'ouvrage, les terrassements, chaussées, équipements, et deux lots accessoires pour la partie métallique (n° 1) et les travaux de démolition (n° 2). En outre, concernant les piles, deux options architecturales étaient ouvertes, l'une dite " piles marteau ", l'autre " piles doubles ".

Pour chaque solution, le règlement particulier de l'appel d'offres prévoyait que le marché serait conclu soit avec une entreprise générale intervenant seule pour l'ensemble des travaux, soit avec des entreprises " groupées conjointes ", chacune d'elles exécutant un ou plusieurs lots, ignorant l'offre des autres mais ayant la faculté d'entrer dans plusieurs groupes; toutefois, dans la seconde solution, l'entreprise de génie civil, mandataire au sens de l'article 46 du code des marchés publics, ne pouvait, à la différence des métalliers, concourir qu'une seule fois.

La première hypothèse pour laquelle avaient été retenues les candidatures de sept entreprises et deux groupements n'a suscité qu'une offre pour des montants (34 871 902,33 F et 34 216 388 F) très supérieurs à l'évaluation de l'administration (23 555 808 F), alors que la seconde, pour laquelle avaient été sélectionnés une entreprise générale et douze groupements, a donné lieu à la présentation de neuf offres (la moins disante étant de 26 478 582 F) excédant largement les prévisions du maître d'œuvre (21 565 517 F), de sorte que le 3 août 1988 l'appel d'offres a été déclaré infructueux.

A la suite de l'ouverture d'un marché négocié limité à la seconde solution technique, les travaux ont été attribués le 15 novembre 1988 à un groupement constitué de Giraud, Richard Ducros et Nord France pour un montant de 23 868 264,83 F.

Aux motifs de sa décision, le Conseil a constaté que:

- durant la phase d'appel d'offres, Pascal et Chagnaud, mandataires de groupes distincts pour les travaux de génie civil à réaliser dans le cadre de la solution " mixte", ont formulé des offres identiques;

- au cours de la même période, des informations ont été échangées sur le contenu des offres préalablement à la remise des plis entre Pascal, d'une part, Citra-Méditerranée, Campenon Bernard, Chantiers modernes, Baudin-Châteauneuf, Dodin et GTM BTP, d'autre part;

- lors du marché négocié, des échanges d'informations ont, encore eu lieu entre Pascal, d'une part, BEC Frères et Quillery, d'autre part.

Estimant que de telles pratiques tombaient sous le coup de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, le Conseil a, par application de l'article 13, prononcé les sanctions pécuniaires susvisées à l'encontre des entreprises en cause, la société Spie Méditerranée étant sanctionnée pour les faits retenus à l'encontre de la société Citra-Méditerranée dont elle a repris la branche d'activité concernée.

Les sociétés Pascal, Chagnaud, Baudin-Châteauneuf, GTM BTP, Chantiers modernes, Campenon Bernard, Spie Méditerranée, BEC Frères et Quillery ont formé des recours contre cette décision au soutien desquels elles invoquent les moyens suivants:

Sur le premier grief, Pascal et Chagnand soutiennent qu'ayant envisagé de déposer une offre conjointe pour la première solution, elles y ont renoncé après avoir constaté que cette option n'était pas compétitive et ont informé le maître d'œuvre qu'à partir des mêmes études elles concouraient séparément dans des groupements différents pour la seconde solution; que, dès lors, contrairement à ce que relève le Conseil, la transposition intégrale des données et des prix qu'elles ont étudiés en commun était une contrainte objective, qu'elle n'a eu ni pour objet ni pour effet de fausser ou de restreindre la concurrence et ne tombe par conséquent pas sous le coup de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Sur le second grief, les entreprises impliquées exposent que l'échange d'informations qui leur est imputé n'est pas démontré; en effet, elles contestent la valeur probante des éléments retenus par le Conseil, en particulier la date, la portée et la signification d'un document saisi à l'Entreprise Chagnaud qui reproduit le montant d'offres au regard de leurs noms respectifs.

Sur le troisième grief, BEC Frères et Quillery prétendent Bgalement que les documents saisis à l'entreprise Pascal, sur lesquels se fonde le Conseil, ne sont pas de nature à établir un accord de volonté avec celle-ci pour le dépôt d'offres de couverture.

Subsidiairement les requérantes prétendent le montant des sanctions pécuniaires qui leur sont respectivement infligées hors de proportion avec la gravité des faits, le dommage à l'économie causé par les pratiques incriminées et leurs situations financières ou, pour certaines, fixé en référence à leurs chiffres d'affaires totaux alors que les pratiques ne sont imputables qu'à des établissements autonomes ou n'intéressent qu'un de leurs secteurs d'activité.

Spie-Méditerranée dénie enfin être responsable des pratiques imputées à Citra-Méditerranée dont elle affirme n'avoir pas continué l'activité en dépit de la prise en charge d'une branche de celle-ci dans le cadre d'une restructuration du groupe Spie-Batignolles.

Usant de la faculté qui lui est offerte par l'article 9 du décret n° 87-849 du 19 octobre 1987, le Conseil a présenté des observations écrites précisant la méthode de preuve à laquelle il a eu recours, l'application de la notion de continuité d'exploitation d'une entreprise et les critères pris en compte pour la fixation du montant des sanctions pécuniaires.

Sur chacun des moyens développés par les parties, le ministre de l'économie a présenté des observations écrites qu'il a oralement développées à l'audience, invoquant la tardiveté du mémoire déposé par Chantiers modernes et concluant au rejet des autres recours.

Admises à répliquer aux observations du Conseil et du ministre de l'économie, certaines requérantes ont maintenu et précisé leurs moyens, Chantiers modernes estimant son recours recevable par application de l'article 552 du nouveau code de procédure civile. Le ministère public a oralement conclu au rejet des recours.

Sur quoi, LA COUR,

I - Sur la procédure :

Considérant qu'aux termes des articles 2 et 7 du décret du 19 octobre 1987 susvisé, lorsque la déclaration de recours, principal ou incident, ne contient pas l'exposé des moyens invoqués, le demandeur doit en faire dépôt au greffe dans les deux mois qui suivent la notification de la décision du Conseil;

Que Chantiers modernes, à qui la décision a été notifiée le 5 janvier 1993, a déposé le 4 février 1993 une déclaration de recours dépourvue des moyens invoqués qu'elle n'a produits que le 30 mars suivant; que son recours est par conséquent irrecevable sans qu'elle puisse opposer les dispositions du nouveau Code de procédure civile relatives au droit d'appel auxquelles dérogent nécessairement les prescriptions susvisées, étant au surplus observé que, contrairement à ce que soutient la requérante, la décision infligeant individuellement des sanctions pécuniaires aux entreprises susnommées ne crée entre elles ni indivisibilité ni solidarité;

Considérant que Spie-Méditerranée, à qui ont été régulièrement notifiés les griefs relatifs aux pratiques mises en œuvre par Citra-Méditerranée et qui y a répondu, prétend pour la première fois devant la Cour n'avoir repris ni les matériels ni les personnels de cette entreprise et être de ce fait dans l'impossibilité de se défendre;

Mais considérant que la requérante ne fournit pas la moindre justification de ses affirmations contraires aux clauses de l'acte d'apport partiel d'actif conclu le 2 mai 1989 et publié dans un journal d'annonces légales le 18 juillet suivant aux termes desquelles, dans le cadre d'une restructuration du groupe Spie-Batignolles, les activités de la société Citra-Méditerranée ont été réparties entre les sociétés Citra-France et Spie-Méditerranée, cette dernière prenant en charge une branche complète comprenant plusieurs agences régionales, notamment celle de Montfavet, laquelle a présenté la candidature de l'entreprise à l'appel d'offres en cause;

Qu'ainsi, entre l'année 1988, date des pratiques litigieuses, et le 8 septembre 1992, date de la décision, se sont poursuivis, au sein de la société Spie-Méditerranée depuis le 2 mai 1989, les éléments matériels et humains qui ont concouru à l'infraction et qu'en conséquence,par une exacte application de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et sans avoir à caractériser de sa part une volonté propre d'adhésion à l'entente, le Conseil a pu mettre en cause cette société pour des pratiques anticoncurrentielles imputables à la société Citra-Méditerranée dont elle continue l'activité même si, comme elle l'affirme, elle n'a construit aucun pont;

II.- Sur le fond :

A. - Sur la concertation entre les entreprises Pascal et Chagnaud pendant la procédure d'appel d'offres:

Considérant que l'admission de Pascal et Chagnaud à concourir, d'une part, dans un groupement constitué entre elles pour la première solution dite " béton précontraint " du projet, d'autre part, pour la seconde solution dite " ossature mixte ", respectivement au sein de groupements différents dont elles étaient les mandataires, ne les autorisait pas à étudier ensemble les deux projets, fût-ce pour vérifier lequel était de leur point de vue le plus compétitif, et à établir des offres séparées sur le second reprenant intégralement les données et les prix étudiés ensemble pour le premier;

Qu'en effet, contrairement à ce qu'affirment les requérantes, les deux solutions envisagées par le maître d'œuvre étant différentes, aucun impératif technique ne les obligeait à reproduire à l'identique dans les offres individuellement déposées pour la seconde solution les données et les prix établis pour la première; que les structures et équipements distincts de leurs entreprises ne déterminaient pas davantage des coûts semblables entre elles ou avec ceux conjointement calculés pour chacune des tranches et toutes catégories de travaux; qu'ayant délibérément choisi d'établir des offres communes dans un cas, concurrentes dans l'autre, elles ne peuvent se prévaloir de contraintes de délais pour justifier une concertation sur les prix qu'elles devaient fixer de manière indépendante;

Qu'en outre, ainsi que le relève le Conseil, il résulte des déclarations de Claude Cornuel, ingénieur chargé du calcul des prix à la société Chagnaud, qu'indépendamment des études relatives à la première solution, des données spécifiques à la solution mixte (variante fondation) ont été spécialement communiquées à la société Pascal ainsi que l'ensemble des bordereaux de prix unitaires et forfaitaires, détails de prix estimatifs et sous-détails de prix unitaires, afin de lui permettre d'établir son offre, ces deux entreprises ayant décidé de traiter en commun la partie génie civil en cas d'attribution à l'une d'elles du marché relatif à cette seconde solution;

Que si le maître d'œuvre a été informé de la renonciation de ces deux entreprises à déposer une offre conjointe concernant l'option "béton précontraint", il n'apparaît pas des documents produits qu'antérieurement à l'ouverture des plis il ait connu et approuvé l'établissement en commun d'offres concurrentes sur la solution " ossature mixte", la tolérance des services locaux de la direction de l'équipement n'étant en outre pas de nature à justifier de tels procédés;

Considérant que la concertation entre les entreprises Pascal et Chagnaud a eu pour objet et pu avoir pour effet de fausser ou de restreindre la concurrence sur le marché public dont s'agit, dès lors qu'elle a supprimé toute compétition entre elles sur le lot génie civil du marché relatif à la solution " ossature mixte " où elles étaient cependant mandataires de groupements concurrents, étant observé que le groupement représenté par Pascal s'est révélé le moins disant devant celui de Chagnaud avec des offres excédant de près du cinquième l'estimation de maître d'œuvre, aucune des autres entreprises de génie civil n'ayant au surplus produit les sous-détails de prix dont leurs offres auraient cependant dû être accompagnées; qu'ainsi les seules offres concernant le lot principal présentées conformément aux règles du marché procèdent d'une concertation entre les deux entreprises les moins disantes ayant au surplus décidé de traiter les travaux en commun quel qu'en soit l'attributaire, l'une d'elles ayant en outre organisé, dans les conditions ci-après examinées, un échange d'informations entre d'autres entreprises admises à participer au même marché;

B. - Sur la concertation entre les entreprises Pascal, Citra-Méditerranée, Campenon Bernard, Chantiers modernes, Baudin Châteauneuf, Bodin et GTM BTP :

Considérant qu'a été découverte à l'agence de Marseille de l'entreprise Chagnaud photocopie d'un document établi par un cadre de l'entreprise Pascal, comportant, en regard des noms de douze entreprises de génie civil autres que Pascal et Chagnaud, toutes admises à participer à l'appel d'offres de la construction du pont de Mirabeau, des chiffres répartis sur quatre colonnes correspondant aux deux solutions de base et aux deux options architecturales envisagées;

Que le Conseil a constaté que ce document:

- reproduisait à la centaine de francs près, mais sans la nommer, le montant des offres de Chagnaud pour les deux options dans le cadre de la seconde solution;

- récapitulait, en regard des noms abrégés de Citra-Méditerranée " Citra ", Campenon Bernard " CB ", Chantiers modernes " CM ", " Baudin Châteauneuf" et " Dodin ", des chiffres correspondant exactement au montant des offres présentées par ces entreprises dans le cadre de la seconde solution, pour les frais communs, le lot principal et le lot accessoire n° 2;

- mentionnait en face du nom abrégé de la société GTM BTP "GTM" des sommes supérieures, légèrement pour certaines, aux offres de celle-ci sur les deux solutions techniques envisagées;

- faisait figurer en référence à l'entreprise Sogéa des chiffres largement supérieurs aux offres de celle-ci pour la seconde solution;

- portait en face du nom des entreprises BEC Frères "BEC ", Quillery, Borie SAE et Bouygues des montants d'offres alors que ces sociétés appelées à soumissionner se sont finalement abstenues;

Considérant que ce document est un moyen de preuve opposable à toutes les entreprises impliquées, même si elles n'étaient pas nommément visées dans la requête autorisant la saisie;

Que bien que M. Lareal, ingénieur d'études à l'entreprise Pascal, auteur du tableau, n'ait voulu fournir aucune précision sur les conditions dans lesquelles il a été dressé, et en dépit des contestations des requérantes, le Conseil a justement déduit de la concordance exacte de certains chiffres, approximative pour d'autres, de ce qu'il y est reporté des offres qui n'ont finalement pas été déposées et de l'absence d'explication vraisemblable ou prouvée sur le récolement de ces données chiffrées provenant d'autres soumissionnaires, que ce document récapitulatif a été établi antérieurement à l'ouverture des plis à partir d'informations fournies par certaines des entreprises concurrentes sur le même marché;

Que ces constatations sont corroborées par le fait que parmi les entreprises ayant déposé des offres sur le lot principal de la seconde solution seules Pascal et Chagnaud, moins disantes et par ailleurs liées par une entente visant à se répartir le marché, ont fourni des sous-détails de prix unitaires qui, quelles que soient les réserves émises par certaines requérantes, étaient cependant expressément exigés par le règlement particulier de l'appel d'offres (art. 3 B) ; qu'enfin les documents saisis dans les locaux de Baudin-Châteauneuf et les déclarations des cadres de cette entreprise établissent, ainsi qu'elle le reconnaît dans ses écritures, qu'elle a accepté de fournir des offres couvrant celle de Chagnaud ;

Considérant que les arguments développés par la société GTM BTP sur le sérieux des études auxquelles elle a procédé et le caractère significatif des écarts entre le montant de ses offres et les chiffres reportés sur le tableau établi par l'entreprise Pascal n'écartent pas l'existence d'un échange d'informations avec celle-ci dès lors que sont renseignées toutes les rubriques relatives aux offres qu'elle a déposées concernant les deux solutions techniques envisagées et que les chiffres indiqués pour les deux options de la solution n° 1 pour laquelle elle a été la seule à concourir ne sont que très faiblement supérieurs à ceux de son offre (30 800 F soit 0,009 p. 100, et 118 088 soit 0,34 p. 100) ; qu'il apparaît en outre des déclarations de M. Muset, ingénieur des études à l'entreprise Baudin-Châteauneuf, qu'avant la date d'ouverture des plis l'entreprise Chagnaud, liée à l'entreprise Pascal, connaissait le montant des offres de GTM BTP et savait qu'elles n'étaient pas compétitives en ce qui concerne le lot de génie civil de la solution n° 2 ;

Considérant que ces éléments constituent un faisceau d'indices graves, précis et concordants établissant la preuve de la communication préalable à l'ouverture des plis d'informations sur le montant de leurs offres par Citra-Méditerranée, Campenon-Bernard, Chantiers modernes, Baudin-Châteauneuf, Dodin et GTM BTP à Pascal, permettant à celle-ci de présenter l'offre la moins disante ;

Considérant que l'allégation par la société Baudin-Châteauneuf que certaines administrations exigent la remise d'offres par toutes les entreprises sélectionnées sous peine d'exclusion temporaire des marchés publics ne repose sur aucun élément propre à l'espèce établissant que la direction départementale de l'équipement des Bouches-du-Rhône aurait imposé une telle contrainte qui ne serait au demeurant pas de nature à excuser une concertation sur le montant des offres ;

Considérant que l'absence de sanction à l'encontre de la société Sogea, dont le nom figure également sur l'état récapitulatif établi au sein de l'entreprise Pascal, est sans incidence sur l'appréciation des éléments de preuve concernant les autres entreprises impliquées ;

Considérant qu'ainsi prouvée, la concertation des entreprises susnommées sur les prix de leurs offres respectives a eu pour objet et a pu avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur le marché public dont s'agit en permettant à Pascal de déterminer ses propositions de prix en connaissance de celles supposées d'autres entreprises concurrentes par le maître d'œuvre ;

C. - Sur l'échange d'informations durant la phase négociée entre les entreprises Pascal, d'une part, BEC Frères et Quillery, d'autre part.

Considérant qu'ont été découverts au siège de la société Pascal deux détails estimatifs de prix établis par un conducteur de travaux de cette entreprise, respectivement adressés aux entreprises BEC Frères et Quillery et identiques à ceux déposés par celles-ci au mois d'août 1988 durant la phase négociée du marché à laquelle elles participaient, BEC Frères ayant toutefois appliqué au total des prix reportés un abattement dit " conjoncturel " de 4 p. 100; que ces documents, rapprochés des offres produites par les deux entreprises concernées, montrent que leurs prix de soumission ont été établis par l'entreprise Pascal concurrente sur le même marché;

Que bien que saisis chez un tiers, ces documents peuvent être retenus comme éléments de preuve contre BEC Frères et Quillery, qui y sont nommément visées;

Que, dès lors que, pour établir leurs propres offres, celles-ci ont repris, au moins partiellement et fût-ce pour l'une d'elles en les corrigeant d'abattements, les éléments de prix fournis par Pascal, est réalisé le concours de volontés caractérisant une pratique concertée au sens de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986;

Qu'en permettant à ces deux entreprises de déterminer leur prix à partir de données communiquées par une autre avec laquelle elles étaient apparemment en compétition pour l'attribution d'un contrat de travaux publics, supprimant ainsi toute indépendance de leurs offres, cette pratique a eu pour objet et pu avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur ce marché;

III - Sur les sanctions pécuniaires :

A. - Sur les moyens relatifs à la détermination des sanctions pécuniaires :

Considérant qu'aux termes de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, le maximum de la sanction pécuniaire que peut infliger le Conseil est, pour une entreprise, de 5 p. 100 du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos; que ces sanctions doivent être proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise;

Considérant que BEC Frères, Spie Méditerranée, Pascal, GTM BTP soutiennent que ne doit être pris en compte pour la détermination du montant maximum de la sanction que le chiffre d'affaires du secteur d'activité où a été commise l'infraction s'agissant de celui du génie civil pour les unes, limité à la construction des ponts pour d'autres; que toutefois aucune d'elles ne justifie que le Conseil a pris en compte des chiffres d'affaires réalisés hors les secteurs d'activité concernés par le marché qui regroupent l'ensemble des travaux visés à l'appel d'offres et mettent en œuvre des techniques et des matériels identiques, voisins ou complémentaires par des personnels de même qualification;

Considérant que la gravité des faits résulte de la participation d'opérateurs habitués aux marchés publics à des pratiques qui enfreignent les règles élémentaires de la concurrence par des concertations sur le prix des offres; que pour chaque entreprise elle se déduit de sa propre implication, telle qu'établie par la décision soumise à recours;

Considérant qu'il est soutenu que les pratiques examinées n'ont causé aucun dommage à l'économie dès lors que, le marché ayant été attribué à un groupe d'entreprises autre que celui qui avait produit l'offre la moins disante dans le cadre du marché négocié, le maître d'ouvrage n'a souffert aucun préjudice; qu'au surplus le coût de réalisation a été supérieur au prix de soumission, montrant ainsi que ses estimations prévisionnelles étaient sous-évaluées;

Mais considérant que le Conseil a fait une juste appréciation du dommage à l'économie causé par les pratiques examinées en se référant, d'une part, à leur incidence potentielle sur le montant du marché qui, à la suite de la phase négociée, s'est finalement établi à la somme de 23 868 582 F (portée à 24 698 464 F par voie de réclamation acceptée) alors que l'offre du groupement le moins disant s'élevait à 26 478 582 F, d'autre part, à l'ampleur de l'entente entre dix entreprises de taille moyenne ou importante, généralement en concurrence sur des marchés publics, certaines étant affiliées à de grands groupes, réalisant la totalité de leurs chiffres d'affaires dans le secteur du bâtiment et des travaux publics fortement affecté par des pratiques de même nature;

1° Concernant l'Entreprise Pascal :

Considérant que l'entreprise Pascal est impliquée dans toutes les phases successives de l'entente qu'elle a mise en œuvre afin d'établir l'offre la moins disante;

Considérant que pour les raisons sus-indiquées, il n'y a pas à déduire du chiffre d'affaires de référence retenu par le Conseil de 730 761 065 F pour l'exercice de 1991-1992 - celui réalisé dans les activités de bâtiments et préfabriqués;

Qu'en fonction des éléments généraux et individuels susvisés, le Conseil a justement apprécié le montant de la sanction pécuniaire qui lui est infligée;

2° Concernant l'Entreprise Chagnaud :

Considérant que l'entreprise Chagnaud est impliquée avec l'entreprise Pascal dans la phase de l'entente préalable au dépôt des offres;

Considérant qu'elle soutient que le chiffre d'affaires à prendre en compte pour la détermination du montant de la sanction est celui de son agence France-Sud qui, selon elle, est un établissement autonome;

Mais considérant qu'à défaut d'autres éléments, la délégation de pouvoirs consentie par la société au directeur de son agence de Marseille permettant à celui-ci de la représenter vis-à-vis des tiers, de statuer sur les études et devis, de participer aux appels d'offres, de signer à cet effet tous documents, n'est pas de nature à prouver que cette agence jouit d'une autonomie commerciale et technique caractérisant une entreprise distincte; qu'en particulier il n'est nullement établi que ce cadre salarié soit affranchi des directives et contrôles de la société à laquelle il est subordonné, qu'il jouisse de la pleine liberté de contracter, de décider de ses investissements et du pouvoir de définir sa propre stratégie industrielle et commerciale; qu'il convient en conséquence de se référer au chiffre d'affaires global de la société communiqué au Conseil d'un montant de 428 725 472 F;

Qu'en fonction des éléments généraux et individuels susvisés le Conseil a justement apprécié le montant de la sanction pécuniaire qui lui est infligée;

3° Concernant l'Entreprise Baudin-Châteauneuf :

Considérant que Baudin-Châteauneuf a participé â l'échange d'informations organisé par Pascal durant la phase d'appel d'offres et visant à lui faire attribuer le marché;

Qu'elle sollicite la réduction de la sanction pécuniaire qui lui a été infligée sans contester le montant du chiffre d'affaires pris en compte par le Conseil, soit 814 764 989 F;

Que toutefois, en fonction des éléments généraux et individuels susvisés, le Conseil a justement apprécié le montant de la sanction pécuniaire qui lui est infligée;

4° Concernant l'entreprise GTM BTP :

Considérant que GTM BTP a participé à l'échange d'informations organisé par Pascal durant la phase d'appel d'offres et visant à lui faire attribuer le marché;

Considérant que la requérante soutient que la fixation du montant de la sanction selon un pourcentage de son chiffre d'affaires viole le principe de proportionnalité et conduit à des distorsions en fonction de la dimension de l'entreprise, injustifiées au regard des dispositions de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986;

Mais considérant que la détermination de la sanction selon les prescriptions du texte susvisé conduit à apprécier la gravité de l'infraction et le dommage à l'économie en fonction de la puissance économique de l'entreprise en cause, à proportionner l'incidence des divers facteurs entrant dans son montant au maximum encouru, lui-même fonction du chiffre d'affaires, et enfin à se fonder sur le chiffre d'affaires de chacune des entreprises impliquées dans une même infraction en vue de déterminer une relation entre les sanctions à leur infliger respectivement;

Considérant que la requérante soutient encore que le plafond de la sanction doit être fixé en référence au chiffre d'affaires de son agence de Marseille qui constitue selon elle une entreprise au sens du texte susvisé puisqu'elle est une unité économique distincte du siège social, immatriculée au registre du commerce, disposant des installations nécessaires à l'exécution des contrats, des personnels suffisants et qualifiés pour l'étude et la réalisation des marchés et des revenus nécessaires au financement de ses investissements;

Mais considérant que la délégation de pouvoirs consentie à son directeur régional et les extraits de bilan de l'agence de Marseille de la société GTM BTP ne sont pas de nature à démontrer que, concrètement, cet établissement jouit de l'indépendance commerciale et technique caractérisant une entreprise autonome; qu'en particulier il n'est nullement établi que ce cadre salarié soit affranchi des directives et contrôles de la société à laquelle il est subordonné, qu'il jouisse de la pleine liberté de contracter, de décider de ses investissements et du pouvoir de définir sa propre stratégie industrielle et commerciale;

Considérant que pour les raisons sus-indiquées, il n'y a pas à réduire le chiffre d'affaires à prendre en compte pour déterminer le plafond de la sanction à celui des travaux de génie civil ou de la construction des ponts;

Que le montant de son chiffre d'affaires du dernier exercice clos avant la décision est de 3 045 417 000 F;

Qu'en fonction des éléments généraux et individuels susvisés le Conseil a justement apprécié le montant de la sanction pécuniaire qui lui est infligée;

5° Concernant l'Entreprise Campenon-Bernard :

Considérant que Campenon-Bernard a participé à l'échange d'informations organisé par Pascal durant la phase d'appel d'offres et visant à lui faire attribuer le marché;

Qu'elle soutient que son agence France Sud impliquée dans les pratiques incriminées, filialisée en 1990, était déjà, à la date des faits, une entreprise autonome dont le chiffre d'affaires doit être pris en compte pour déterminer le montant maximum de la sanction qu'elle encourt;

Mais considérant qu'elle ne fournit aucun élément propre à établir qu'avant 1990 son agence locale jouissait d'une autonomie commerciale et technique caractérisant une entreprise distincte;

Que le montant de son chiffre d'affaires du dernier exercice clos avant la décision est de 758 647 000 F;

Qu'en fonction des éléments généraux et individuels susvisés le Conseil a justement apprécié le montant de la sanction pécuniaire qui lui est infligée;

6° Concernant l'Entreprise Spie Méditerrannée :

Considérant que Citra-Méditerranée a participé à l'échange d'informations organisé par Pascal durant la phase d'appel d'offres et visant à lui faire attribuer le marché;

Considérant que pour les raisons sus-indiquées, il n'y a pas à déduire du chiffre d'affaires de référence retenu par le Conseil, 465 241 841 F pour l'exercice de 1991, celui réalisé dans les activités de canalisations et les bâtiments;

Qu'en 1991 l'entreprise a enregistré des pertes à hauteur de 30 000 000 F et sa société mère, Spie-Batignolles, de 952 000 000 F;

Qu'en fonction des éléments généraux et individuels susvisés, le Conseil a justement apprécié le montant de la sanction pécuniaire qui lui est infligée;

7° Concernant l'Entreprise BEC Frères :

Considérant que BEC Frères a établi l'offre qu'elle a produite lors de la phase négociée du marché public à partir des prix calculés par l'entreprise Pascal;

Considérant que pour les raisons sus-indiquées, il n'y a pas à déduire du chiffre d'affaires de référence retenu par le Conseil (1 164 507 949 F pour l'exercice de 1991) celui réalisé dans les activités de terrassement;

Qu'en fonction des éléments généraux et individuels susvisés, le Conseil a justement apprécié le montant de la sanction pécuniaire qui lui est infligée;

8° Concernant l'Entreprise Quillery :

Considérant que l'entreprise Quillery a établi l'offre qu'elle a produite lors de la phase négociée du marché public à partir des prix calculés par l'entreprise Pascal;

Qu'elle ne conteste pas le montant du chiffre d'affaires de référence, d'un montant de 578 000 000 F, retenu par le Conseil;

Qu'en fonction des éléments généraux et individuels susvisés, le Conseil a justement apprécié le montant de la sanction pécuniaire qui lui est infligée;

Par ces motifs : Déclare irrecevable le recours de la société Chantiers modernes; Rejette les autres recours; Met les dépens à la charge des requérantes.