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Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 8 septembre 1998, n° ECOC9810304X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Adecco (Sté), Servinter (Sté), Vediorbis (Sté), Bis France (SA), Synergie (SA), Manpower France (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Premier président :

M. Canivet

Conseillers :

Mme Kamara, M. Perie

Avoués :

SCP Bernarbe-Ricard, SCP Duboscq-Pellerin, SCP Varin-Petit

Avocats :

Mes du Gardin, Rivereau-Trzmiel, Sentex

CA Paris n° ECOC9810304X

8 septembre 1998

Saisi par le ministre chargé de l'économie de pratiques dans le secteur du travail temporaire dans les départements de l'Isère et de la Savoie, le Conseil de la concurrence (le conseil) a, par décision n° 97-D-52 du 25 juin 1997, estimé, d'une part, que les fédérations du bâtiment et des travaux publics (FBTP) de l'Isère et de la Savoie, anciennement dénommées Syndicat général des entrepreneurs du bâtiment et des travaux publics, en mettant en œuvre, entre 1989 et 1991, à l'occasion des travaux des constructions préparatoires aux Jeux Olympiques d'hiver de l'année 1992, des protocoles limitant la hausse des rémunérations des salariés du bâtiment délégués, et, d'autre part, les sociétés Adia France, Bis France, Groupe Elan, Travail Temporaire (aujourd'hui dénommé Vediorbis), Centre Intérim, Ecco (aujourd'hui dénommée Adecco), Elitt, Les Compagnons, Manpower France, Regitt, Sade Sud-Est, Sataic, Servinter (anciennement dénommée Cetras), SIS Intérim, Synergie et Taga, en adhérant à ces protocoles, avaient participé à une action concertée ayant pour objet, ou pu avoir pour effet, de faire obstacle à la fixation des prix des services des entreprises de travail temporaire par le libre jeu du marché et s'étaient ainsi livrées à des pratiques prohibées par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Il leur a en conséquence infligé des sanctions pécuniaires.

Les sociétés Manpower France, Servinter, Adecco, Synergie, Bis France et Vediorbis ont saisi la cour de recours en annulation et en réformation contre cette décision.

Au soutien de leurs demandes, elles invoquent, ensemble ou séparément, les moyens généraux suivants :

- les faits sanctionnés sont couverts par la prescription prévue par l'article 27 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

- l'existence d'un marché de l'emploi temporaire des ouvriers du BTP ou des maçons en Savoie et en Isère n'est nullement démontrée ;

- il n'est pas davantage prouvé que les pratiques dénoncées ont eu une incidence sur le marché et qu'elles aient causé un dommage à l'économie, les protocoles incriminés se bornant à reprendre les obligations légales relatives au travail temporaire sans porter atteinte à la liberté des entreprises de travail temporaire de fixer leurs tarifs ;

- ne visant que les salaires et leurs accessoires, lesdits protocoles étaient sans incidence sur la fixation du prix proposé par les entreprises de main-d'œuvre temporaire, lequel se détermine en appliquant, au salaire de référence, un coefficient qui est l'enjeu quasi exclusif de la négociation entre l'entreprise de travail temporaire et l'entreprise utilisatrice ;

- ces protocoles n'ont pas limité la liberté des entreprises de travail temporaire dans l'établissement de leurs tarifs puisqu'ils ne portaient que sur la rémunération des travailleurs et non sur le prix de la mise à disposition de ceux-ci ;

- ils ne visaient nullement à exclure du marché les entreprises non signataires ;

- compte tenu de leur caractère local, ils n'ont pas eu d'effet anti-concurrentiel démontrable et, en tout cas, aucun effet sensible ;

- le conseil n'a pu, sans renverser la charge de la preuve, estimer que les pratiques dénoncées étaient illicites alors qu'elles avaient été encouragées par le directeur départemental de l'emploi ;

- en tout cas, les dispositions de l'article 10-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 doivent recevoir application, les accords passés, sans imposer à la concurrence d'autres restrictions que celles nécessaires pour atteindre un objectif de progrès, ayant eu pour effet, d'une part, en stabilisant le personnel permanent tenté par les salaires plus élevés versés aux travailleurs temporaires et en luttant contre le travail clandestin, d'assainir le marché du travail, d'autre part, en permettant une minoration du coût global des travaux, de bénéficier aux maîtres d'œuvre et aux maîtres d'ouvrage et d'assurer ainsi le partage du profit avec les utilisateurs ; qu'en outre la direction départementale du travail les a approuvés en ce qu'ils évitaient la déstabilisation du marché de l'emploi dans le périmètre géographique des Jeux Olympiques d'hiver.

A titre individuel, pour demander l'annulation de la décision, la suppression ou la réduction du montant des sanctions pécuniaires qui leur ont été respectivement infligés, elles invoquent que : La société Servinter (Cetras) :

Ses représentants n'ayant pas été entendus, l'enquête a été conduite en violation des dispositions de l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales et du principe de la contradiction ;

Il n'existe aucun indice grave, précis et concordant établissant qu'elle a participé à l'entente reprochée puisqu'aucun document signé de ses représentants n'est produit aux débats ;

Elle a, de la part des FBTP, subi des pressions qui excluent sa participation active à l'entente ;

Son chiffre d'affaires de l'exercice 1996, pris en compte pour la fixation du montant de la sanction, était exceptionnellement élevé du fait d'une restructuration de l'entreprise ;

La société Adecco (Ecco) :

Le principe de la contradiction n'a pas été respecté à son égard, seul le responsable de son agence de Grenoble ayant été entendu par le rapporteur ;

C'est à tort que les pratiques lui sont imputées puisque chacune de ses agences locales bénéficie d'une autonomie commerciale, financière et technique ;

Au surplus, les pressions exercées sur elle par les FBTP excluent toute participation volontaire à l'entente ;

La société Vediorbis (Groupe Elan Travail Temporaire, venant aux droits de la Société centrale temporaire) :

La décision porte atteinte aux dispositions de l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales, en ce qu'elle ne respecte pas le principe du délai raisonnable, la notification tardive des griefs ne lui ayant pas permis de rechercher utilement des éléments relatifs aux pratiques reprochées parmi les documents qui lui ont été remis par la Société centrale temporaire dans le cadre des opérations de fusion ;

La preuve de sa participation à l'entente n'est pas rapportée ;

Le principe de la contradiction n'a pas été respecté pour la détermination des sanctions puisque le conseil n'a pas fait connaître les éléments qu'il entendait prendre en compte à cette fin ;

La décision viole l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen en lui imputant des faits auxquels elle est étrangère au seul motif qu'elle assure la continuité économique et fonctionnelle de l'entreprise absorbée et en fixant le montant de la sanction selon le même pourcentage que pour les autres entreprises sans tenir compte des spécificités de sa situation et, notamment, du fait qu'une seule agence était concernée ;

La société Bis France :

Il n'a pas été tenu compte des conditions de son adhésion aux protocoles et, notamment, du fait qu'elle n'a pas participé activement à leur mise en place ;

Les sociétés Vediorbis et Bis France demandent, enfin, la condamnation du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie à leur payer respectivement une somme de 50 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Réfutant chacun des moyens avancés par les sociétés requérantes, le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie (le ministre) conclut au rejet du recours.

Dans ses observations écrites, le conseil souligne essentiellement l'objet et les effets anticoncurrentiels des pratiques relevées.

Le ministère public a conclu oralement à la recevabilité des recours et à leur rejet.

Lors de l'instruction écrite et à l'audience, les parties requérantes ont eu la possibilité de répliquer aux observations du ministre et du conseil.

Sur ce, LA COUR,

I.- Sur les moyens de procédure :

1°) Sur la prescription

Considérant qu'aux termes de l'article 27 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, le conseil ne peut être saisi de faits remontant à plus de trois ans s'il n'a été fait aucun acte tendant à leur recherche, leur constatation ou leur sanction ;

Considérant que les pratiques dénoncées ont été mises en œuvre au cours des années 1989 à 1991 ; que l'enquête de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) s'est déroulée du 10 avril 1991 au 26 février 1992 ; que le conseil a été saisi par la lettre du linistre de l'économie du 14 décembre 1992 ; que le rapporteur a convoqué pour audition, le 14 novembre 1995, M. Girardet, président de la FBTP de la Savoie ; que cette convocation a été suivie d'un procès-verbal de carence établi le 13 décembre 1995, M. Girardet, empêché, n'ayant pu se présenter ; qu'après diverses auditions effectuées par le rapporteur et la notification des griefs le 23 mai 1996, le conseil a pris sa décision le 25 juin 1997 ;

Que ces divers actes, tendant à la recherche, à la constatation ou à la sanction des faits incriminés, ont interrompu la prescription de trois ans prévue par l'article 27 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que, le conseil étant saisi des pratiques d'entente dans leur ensemble, l'interruption de la prescription produit effet à l'égard de toutes les parties qui y sont impliquées, y compris à l'égard de celles qui n'ont pas été entendues dans le délai précité ;

Que le moyen tiré de la prescription n'est donc pas fondé ;

2°) Sur le délai raisonnable

Considérant qu'aux termes de l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable ;

Considérant que les pratiques examinées remontant à une période comprise entre 1989 et 1991, le conseil a été saisi par le ministre un an après leur cessation, que près de trois ans se sont encore écoulés avant qu'intervienne le premier acte du rapporteur, que cinq années séparent la commission des faits de la notification des griefs et six de la décision du conseil ;

Qu'à supposer ce délai excessif et son point de départ antérieur à la notification des griefs valant mise en accusation,la sanction qui s'attache à la violation de l'obligation pour le conseil de se prononcer dans un délai raisonnable résultant du texte précité n'est pas l'annulation ou la réformation de la décision mais la réparation du préjudice résultant de la durée excessive du procès ;

Qu'en conséquence, le moyen de nullité tiré de la durée prétendument non raisonnable de la procédure est sans portée ;

3°) Sur la violation des garanties de la défense

Considérant que la société Bis France n'indique pas en quoi le départ de ses collaborateurs avant la notification prétendument tardive des griefs, MM. O'Lanyer et Mezou, respectivement responsables des agences de Grenoble et de Chambéry qui ont quitté son service et dont elle n'a d'ailleurs pas demandé l'audition, l'ont empêchée d'assurer sa défense ; que, pas davantage, la société Vediorbis n'indique les documents utiles à sa défense que, pour la même raison, elle aurait été empêchée de produire ;

Qu'en conséquence, les moyens tirés de la violation des droits de la défense ne sont pas fondés ;

4°) Sur le respect du principe de la contradiction

Considérant qu'aucune des règles régissant les enquêtes ne fait obligation aux agents qui y procèdent ou au rapporteur du conseil d'entendre les personnes ou entreprises impliquées, de les confronter immédiatement avec les auteurs des déclarations ou de les interroger sur le contenu des pièces appréhendées qui les mettent en cause ;

Qu'en conséquence,le fait que les représentants de la société Cetras (Servinter) n'aient pas été entendus par le rapporteur ou que seul le représentant de l'agence de Grenoble de la société Ecco ait fait l'objet d'une audition ne sont nullement de nature à établir la violation du principe de la contradiction ;

Que le moyen d'annulation tiré de la violation de ce principe par les deux requérantes, qui ont disposé du délai de deux mois prévu par l'article 21 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 pour présenter leurs observations à la suite de la notification des griefs, puis d'un nouveau délai de deux mois, prévu par le même texte, pour répliquer au rapport, est sans fondement;

II.- Sur les moyens de fond :

1°) Sur la délimitation du marché pertinent

Considérant que le conseil a justement relevé, d'une part, que les pratiques reprochées ont été observées dans les départements de l'Isère et de la Savoie où sont implantées les entreprises affiliées aux deux organisations professionnelles en cause et desquelles émanait spécifiquement la demande de main-d'œuvre adressée aux sociétés de travail temporaire implantées localement, d' autre part, que cette zone correspondait à l'espace géographique sur lequel a été réalisé l'essentiel des travaux nécessaires au déroulement des Jeux olympiques d'hiver de l'année 1992 et estimé que, compte tenu des comportements professionnels observés dans ce secteur d'activité, l'offre de main-d'œuvre, proposée par des entreprises plus éloignées n'était pas substituable à celle des entreprises locales ;

Que les pratiques reprochées ont été mises en œuvre dans ces deux départements en raison même de l'existence de ce marché local conjoncturel des prestations de travail temporaire résultant de l'aménagement des sites olympiques ;

Que le moyen tiré, par la société Manpower France, d'une inexacte définition du marché de référence n'est donc pas fondé ;

2°) Sur la qualification des pratiques reprochées

Considérant, ainsi qu'il résulte des constatations précises et détaillées du conseil, que les travaux d'aménagement des sites olympiques ayant entraîné une importante demande de main-d'œuvre déléguée, une concurrence de plus en plus intense s'est établie entre les entreprises de travail. temporaire implantées dans les deux départements précités ; que cette situation, qui profitait aux salariés intérimaires et avait pour conséquence d'alourdir les charges salariales des entreprises du bâtiment, a conduit les FBTP de I'Isère, section Maçonnerie, ainsi que celle de la Savoie, à mettre en œuvre, de 1989 à 1991, des accords aux termes desquels, pour l'essentiel, les entreprises de travail temporaire signataires s'engageaient à aligner les salaires versés aux intérimaires sur ceux des salariés de qualification équivalente liés par un contrat à durée indéterminée avec l'entreprise utilisatrice ; que tous les éléments du salaire, telles indemnités de petit et grand déplacement, indemnités de panier, de vêtements,...étaient ainsi encadrés ; qu'une marge de tolérance de 10 % prévue pour les années 1989 et 1990 a été abandonnée pour 1991 ;

Qu'en contrepartie du respect de ces niveaux de rémunération, les FBTP s'engageaient à recommander les entreprises signataires à leurs adhérents ; que, dans les deux départements concernés, les protocoles étaient assortis de procédure d'admission des entreprises de travail temporaire signataires, de contrôle, par des commissions spécialement instituées, des rémunérations versées aux salariés et de sanctions, en particulier d'exclusion, en cas de non-respect des engagements tarifaires souscrits ; que de telles sanctions ont été effectivement appliquées dans le département de I'Isère ; qu'enfin, l'agrément des entreprises de travail temporaire signataires était constaté par l'établissement de listes périodiquement actualisées et diffusées, l'inscription sur ces listes conditionnant la signature de contrats de mise à disposition de main-d'œuvre temporaire avec les entreprises du bâtiment affiliées aux syndicats signataires ;

Qu'ayant relevé que ces protocoles constituent des conventions entre les fédérations et les entreprises de travail temporaire visant, d'une part, à limiter la liberté de ces entreprises dans l'établissement de leurs tarifs, d'autre part, à évincer du marché les entreprises de travail temporaire qui ne les auraient pas appliqués, le conseil a exactement retenu que ces pratiques, qui avaient pour objet et pouvaient avoir pour effet d'empêcher, de fausser ou de restreindre la concurrence sur le marché, sont contraires aux dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Que les sociétés requérantes ne peuvent soutenir que, leurs prix étant fixés à l'aide d'un coefficient multiplicateur appliqué au salaire négocié avec les entreprises, les protocoles n'avaient aucune incidence sur la liberté de fixation des prix ; qu'en effet, l'élément auquel s'applique le coefficient multiplicateur n'étant pas librement négocié, la liberté de fixation du prix devenait symbolique, l'incidence du coefficient, à supposer exacte sa variation entre 2,10 et 2,20 environ sur le prix proposé, étant bien moindre que celle qu'aurait eue la variation du salaire lui-même ;

Qu'en outre, la tolérance de 10 % du montant du salaire, d'abord instituée puis supprimée pour l'année 1991, ne s'expliquait, ainsi que l'a déclaré le secrétaire général de la FBTP de l'Isère, que par le fait que, dans certaines entreprises utilisatrices, le salaire de référence était supérieur au salaire minimum conventionnel et non par une volonté de laisser une marge de manœuvre aux sociétés de travail temporaire ;

Que, par ailleurs, les protocoles ne se sont pas bornés à reprendre les dispositions légales en matière de salaire, étant relevé que la loi n'impose qu'un salaire minimum, que la forfaitisation des primes et indemnités dans les protocoles de l'Isère est, en outre, contraire aux dispositions légales qui individualisent chaque prime, enfin, que les indemnités de grand déplacement prévues dans ces mêmes protocoles étaient inférieures aux niveaux d'indemnités retenus, dans ce domaine, par l'accord national Acoss ;

Qu'ainsi que l'a exactement relevé le conseil,de tels accords visaient à limiter la concurrence entre les entreprises de travail temporaire qui, par l'encadrement ainsi imposé du salaire de base, voire de ses accessoires, voyaient leur liberté de négociation réduite au minimum, ce qui avait pour conséquence d'uniformiser leur offre et d'exclure de fait du marché les entreprises de travail temporaire qui n'y étaient pas adhérentes ;

Que ces entreprises étant de ce fait soit exclues du marché, soit contraintes d'uniformiser leur offre, ces pratiques, affectant l'ensemble des travaux de construction des installations nécessaires au déroulement des jeux Olympiques d'hiver de 1992, ont nécessairement eu un effet sensible sur la concurrence;

3°) Sur l'exemption

Considérant qu'il n'est pas établi que les pratiques anticoncurrentielles constatées, tendant à restreindre l'accès des opérateurs au marché ou à les en exclure, peuvent trouver une justification dans un texte légal ou réglementaire ; que, dès lors, les conditions de l'exonération prévue par le 1 de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ne sont pas réunies ;

Considérant que les conditions d'application de l'article 10-2 de ce texte ne peuvent davantage être invoquées ;

Qu'il n'est, en effet, pas démontré qu'un quelconque progrès économique ait été assuré par ces pratiques et, en tout cas, que les utilisateurs, particulièrement les maîtres d'ouvrage, aient bénéficié d'une partie équitable du profit qui en est résulté ;

Qu'en limitant les salaires des travailleurs intérimaires elles ont, en revanche, porté préjudice à ceux-ci, frustrés des augmentations de rémunération qu'une réelle mise en concurrence leur permettait d'attendre dans le contexte exceptionnel de l'aménagement des sites olympiques ;

Qu'ainsi qu'il a été ci-dessus démontré ces pratiques ont donné aux entreprises intéressées la possibilité d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des prestations de travail temporaire en cause ;

Considérant, enfin, que l'approbation prétendument donnée à de tels accords par la direction du travail du département de la Savoie, qui n'entre dans aucune des prévisions du texte précité, n'est de nature à exempter, justifier ou excuser les pratiques examinées ;

4°) Sur l'imputation des pratiques aux sociétés requérantes

Considérant que les sociétés Manpower France et Synergie ne contestent pas leur adhésion aux protocoles ;

Que, s'agissant d'entreprises importantes pouvant librement faire le choix de renoncer à se maintenir sur le marché, les pressions alléguées par les sociétés Adecco et Servinter de la part des FBTP qui excluraient une participation volontaire à l'entente ne reposent sur aucun fait concrètement établi

Considérant que le conseil a relevé à bon droit que les éléments produits par la société Ecco (désormais société Adecco) relatifs à l'organisation des compétences et des responsabilités en son sein n'établissaient pas l'indépendance commerciale. et technique de ces établissements secondaires, dépourvus de personnalité juridique, dont il n'est rapporté aucune preuve de leur pleine liberté de décider de leurs investissements et de leur pouvoir de définir leur propre stratégie industrielle et commerciale, tandis qu'il apparaît au contraire des contrats de travail produits que les fonctions de directeur d'agence salariés, de ce fait nécessairement soumis à la société employeur par un lien de subordination, consistaient à réaliser les objectifs fixés par celle-ci ; qu'en conséquence la société Adecco ne rapporte pas la preuve qui lui incombe que ses agences locales disposaient, à la date des faits, d'une autonomie commerciale, économique et financière caractérisant une entreprise distincte ;

Que le conseil a justement relevé que la société Ecco avait signé, le 15 juillet 1987, le projet de protocole élaboré par la FBTP de l'Isère, que son nom figure sur les listes diffusées par le syndicat du bâtiment en 1985, 1990 et 1991 ; qu'elle est mentionnée dans une lettre circulaire du 23 mars 1989 comme signataire du protocole d'accord, que, dans le courant de l'année 1989, elle a participé à plusieurs réunions de travail de la commission chargée de suivre la mise en œuvre des accords, qu'elle figure enfin sur la liste des signataires des protocoles établis par la FBTP de Savoie diffusée en 1989 et 1990 ;

Considérant que la société Cetras (désormais dénommée Servinter) est mentionnée sur les listes des adhérents aux protocoles diffusées par la FBTP de Savoie pour les années 1989 et 1990 ; qu'elle n'a jamais protesté contre son inscription sur ces listes d'adhérents ; qu'elle est portée sur le compte rendu de la commission maçonnerie de la FBTP de l'Isère du 6 juillet 1989 comme société à visiter, ce qui implique son adhésion à l'entente puisque seules les sociétés de travail intérimaire adhérentes faisaient l'objet de ces contrôles ; que, nonobstant l'absence de document signé de ses représentants, ces éléments constituent un faisceau d'indices graves, précis et concordants qui établit suffisamment la participation de ladite société à l'entente ;

Que le conseil a relevé que la société Bis France avait signé, le 15 juillet 1987, le projet de protocole élaboré par la FBTP de l'Isère, qu'elle figure sur la liste des adhérents au protocole de ce département pour l'année 1990, a participé à des réunions de travail de suivi de la mise en œuvre de ces conventions aux mois d'avril 1990 et de mars 1991 et est enfin portée sur les listes des signataires des protocoles établis par la FBTP de la Savoie pour 1989 et 1990 ; que ces constatations établissent suffisamment la participation de ladite société à l'entente ;

Que, de même, la société Vediorbis ne peut contester la participation à l'entente de la société Centrale temporaire qu'elle a absorbée et dont elle poursuit l'exploitation ; qu'il n'est pas contesté que cette dernière a signé le projet de protocole du 15 juillet 1987 de la FBTP de I'Isère ; qu'elle se trouve sur les listes des signataires diffusées en 1989, 1990 et 1991 pour ce département et qu'elle a participé à des réunions de travail de la commission chargée de veiller à la mise en œuvre de ces accords ; que les pratiques examinées lui sont en conséquence imputables ;

III. - Sur des sanctions :

Considérant qu'aux termes de l'article 13, alinéa 3, de l'ordonnance du 1er décembre 1986, les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné ; qu'elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction ;

Considérant que, eu égard à la gravité générale des pratiques et du dommage que dans leur ensemble elles ont causé à l'économie, le conseil a justement relevé que les pratiques reprochées qui visaient à faire obstacle au jeu normal de la concurrence ont été mises en œuvre pendant trois ans par les FBTP de l'Isère et de Savoie et par la quasi-totalité des entreprises de travail temporaire ayant une activité significative dans ces deux départements parmi lesquelles figurent les plus importantes sociétés au plan national, que les protocoles qui comportaient des dispositifs contraignants ont été largement suivis et que des pratiques d'éviction du marché ont été mises en œuvre dans le département de l'Isère, mais qu'elles ne concernaient toutefois qu'un secteur de l'activité des entreprises de travail temporaire et les seules entreprises locales du bâtiment et des travaux publics adhérant aux deux fédérations tandis que la majeure partie des travaux liés à la préparation des jeux Olympiques a été réalisée par des entreprises d'envergure nationale ;

Que ces pratiques ont, au surplus, eu un effet particulièrement pernicieux sur l'économie dès lors qu'elles ont faussé le marché du travail ;

Considérant qu'au titre des éléments individuellement retenus pour la fixation du montant de la sanction il doit être relevé que :

La société Manpower France, d'implantation nationale, a apporté sa caution à l'entente et contribué à en assurer l'application, bien que son agence de Grenoble ait été exclue de l'entente en 1990 ; qu'elle a été justement sanctionnée par une amende de 3 000 000 F, étant observé que son chiffre d'affaires en France pour l'exercice 1996 a été de 10 921 545 652 F ;

La société Servinter, également d'envergure nationale, a été justement sanctionnée par une amende de 100 000 F pour ses adhésions aux protocoles de Savoie en 1989 et 1990, compte tenu d'un chiffre d'affaires de 1 192 041 498 F pour l'exercice 1996 ; Que le chiffre d'affaires à prendre en considération étant celui du dernier exercice clos avant la décision du conseil, il n'y a pas lieu de tenir compte, comme elle le demande, du chiffre d'affaires de l'exercice 1995 qui, avant restructuration, était seulement de 159 138 202 F ; qu'en outre, même au regard de ce chiffre d'affaires, la sanction est modeste eu égard au plafond de 5 % prévu par l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

La société Adecco, elle aussi de dimension nationale, qui a participé aux protocoles de l'Isère en 1989, 1990 et 1991 et de la Savoie en 1989, a été exactement sanctionnée par le conseil d'une amende de 4 000 000 F, son chiffre d'affaires ayant atteint, pour l'exercice 1996, 12 337 331 932 F, étant rappelé que, comme il a été ci-dessus examiné, elle ne démontre pas que ses agences aient constitué des entreprises autonomes ;

Que, par ailleurs, elle ne peut sérieusement soutenir que les pressions des FBTP, auxquelles elle prétend avoir été soumise sans toutefois le prouver, justifieraient une atténuation de cette sanction ;

La société Synergie, également d'envergure nationale, a adhéré aux protocoles de l'Isère en 1989 et 1990 et de la Savoie en 1989 et a apporté sa caution à leur application, notamment en participant aux réunions de travail de la commission chargée de suivre leur mise en œuvre ; que la sanction de 400 000 F qui lui est infligée a été proportionnellement appréciée à partir du montant de son chiffre d'affaires de 1 362 431 608 F pour l'exercice 1996 ;

Qu'à cet égard, elle soutient vainement qu'il convenait de retenir le chiffre d'affaires des seules agences ayant adhéré au protocole et, en outre,à la date des faits, alors qu'il n'est pas prétendu que ces agences auraient constitué des entreprises autonomes et qu'en application de l'article 13 de du 1er décembre 1986 le conseil doit retenir le chiffre d'affaires du dernier exercice clos avant sa décision ;

La société Vediorbis, qui a poursuivi l'activité de la société Centrale temporaire soutient à tort que le principe du contradictoire n'aurait pas été respecté dans la détermination de la sanction en ce que les éléments pris en compte ne lui avaient pas été notifiés, alors qu'aucune disposition législative ou réglementaire n'oblige à reprendre dans le rapport les éléments de chiffre d'affaires communiqués par elle-même ou par la société aux droits et obligations de laquelle elle se trouve ; qu'en outre, elle a pu faire toutes observations utiles sur ce point ;

Qu'elle n'est pas non plus fondée à prétendre que le conseil l'aurait sanctionné en violation de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et de l'article 8.de la Déclaration des droits de l'homme de 1789, au motif qu'elle n'a pas elle-même participé à l'entente ;

Qu'en effet, la société Vediorbis (alors dénommée Groupe Elan), ayant absorbé la société Centrale temporaire dont la participation aux protocoles 1989, 1990 et 1991 et aux réunions de travail de la commission chargée de suivre leur mise en œuvre est avérée, a continué économiquement et fonctionnellement l'activité de cette entreprise, à l'époque des faits exercée par une personne morale qui a disparu du fait de l'opération financière de fusion-absorption qui la place aujourd'hui dans le patrimoine de la requérante ;

Que compte tenu du chiffre d'affaires de l'année 1996 qui s'élève à 947 982 804 F, la sanction de 200 000 F est justifiée tant au regard de l'article 13 précité qu'au regard de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et tient compte de la circonstance qu'une seule agence de la société Centrale temporaire était concernée ;

La société Bis France, d'envergure nationale, en adhérant aux protocoles de l'Isère en 1989 et de la Savoie en 1989 et 1990 et en participant aux réunions de la commission chargée de suivre la mise en œuvre des protocoles, a apporté sa caution à l'entente et assuré son application ; que la sanction de 1 500 00 F est justifiée au regard de son chiffre d'affaires de 1996 (6 758 965 602 F) et des conditions spécifiques de son adhésion ; que, cette sanction ayant été fixée à partir des éléments comptables qu'elle-même a fournis, elle n'est pas fondée à soutenir que le principe du contradictoire n'a pas été respecté dans l'appréciation du montant de la sanction pécuniaire ;

Qu'il s'ensuit que les recours tant en annulation qu'en réformation doivent être rejetés ;

Qu'il n'y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

Par ces motifs : Rejette les recours ; Rejette les demandes fondées sur l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne les sociétés requérantes aux dépens.