Conseil Conc., 17 novembre 1999, n° 99-A-18
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Avis
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré, sur le rapport oral de Mme Maillot-Bouvier, par Mme Hagelsteen, présidente, Mme Pasturel, vice-présidente, MM. Cortesse, Jenny, vice-présidents, Mmes Boutard-Labarde, Flüry-Herard, MM. Bidaut, Ripotot, Robin, Sloan, membres.
Le Conseil de la concurrence (section III),
Vu la lettre enregistrée le 31 mai 1999 sous le numéro A 274, par laquelle l'Union fédérale des coopératives de commerçants a saisi le Conseil de la concurrence, sur le fondement de l'article 5 de l'ordonnance, d'une demande d'avis sur la pratique de prix promotionnel unique par des coopératives de commerçants ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée relative à la liberté des prix et de la concurrence, notamment son article 5, et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié pris pour son application ; Le rapporteur, le rapporteur général adjoint et le commissaire du Gouvernement entendus, Est d'avis de répondre à la demande présentée dans le sens des observations qui suivent :
Par lettre en date du 31 mai 1999, l'Union fédérale des coopératives de commerçants (UFCC) a sollicité l'avis du Conseil de la concurrence sur la question de savoir si "un réseau de commerçants indépendants, organisés sous la forme de regroupements de commerçants détaillants régis par la loi du 11 juillet 1972, peut (...), à l'instar des grands groupes intégrés, procéder, sous une même enseigne, notamment par radio, par voie d'affichage ou par diffusion de catalogues, à une campagne publicitaire temporaire comportant un prix promotionnel unique, dans le respect des règles de la concurrence".
Après avoir présenté les caractéristiques des coopératives de commerçants et le rôle joué par l'UFCC, puis exposé la position de cet organisme, le présent avis s'attachera à répondre à la question posée, étant rappelé qu'il n'appartient pas au Conseil de la concurrence, saisi d'une demande d'avis sur le fondement de l'article 5 de l'ordonnance précitée, de qualifier les pratiques de tel ou tel opérateur, au regard des dispositions des articles 7 ou 8 de ladite ordonnance. Seule une saisine contentieuse et la mise en œuvre de la procédure pleinement contradictoire prévue par le titre III de l'ordonnance sont de nature à conduire à une appréciation de la licéité de la pratique ou des pratiques considérées au regard des dispositions prohibant les ententes illicites ou les abus de position dominante ou de dépendance économique.
I. - LES COOPERATIVES DE COMMERCANTS
De manière générale, l'émergence du commerce associé est le principal événement à avoir marqué le monde du commerce depuis la naissance de la grande distribution dans la plupart des pays européens. Aujourd'hui, cette forme de distribution représente une part importante des ventes de détail dans la plupart des pays occidentaux.
Parmi les différentes formes de commerce associé, la coopération commerciale permet aux responsables de petites entreprises d'entrer dans un cercle de décision, d'entretenir des contacts avec d'autres commerçants individuels confrontés aux mêmes problèmes, de bénéficier de la formation et du soutien d'autres associés sur la base d'un réel intérêt commun, notamment au sein d'une structure d'achat commune et d'une politique de vente et de marketing permettant d'atteindre la masse critique nécessaire pour affronter la concurrence. Ces avantages concurrentiels compensent la perte partielle d'autonomie qui en est la contrepartie, notamment pour ce qui est de la partie amont de la chaîne de distribution, à savoir les relations avec les fournisseurs.
En France, la loi n° 72-652 du 11 juillet 1972, modifiée par les lois des 2 janvier 1990 et 14 juillet 1992, définit en son article 1er les coopératives de commerçants détaillants comme ayant "pour objet d'améliorer, par l'effort commun de leurs associés, les conditions dans lesquelles ceux-ci exercent leur profession commerciale. A cet effet, elles peuvent exercer pour le compte de leurs associés les activités suivantes : a) Fournir en totalité ou en partie à leurs associés les marchandises, denrées ou services, l'équipement et le matériel nécessaires à l'exercice de leur commerce, notamment par la constitution et l'entretien de tout stock de marchandises, la construction, l'acquisition ou la location ainsi que la gestion de magasins et entreprôts particuliers, l'accomplissement dans leurs établissements ou dans ceux de leurs associés de toutes opérations, transformations et modernisations utiles ; b) Regrouper dans une même enceinte les commerces appartenant à leurs associés, créer et gérer tous services communs à l'exploitation de ces commerces, construire, acquérir ou louer les immeubles nécessaires à leur activité ou à celle des associés, et en assurer la gestion, le tout dans les conditions prévues par la loi n° 72-651 du 11 juillet 1972 relative aux magasins collectifs de commerçants indépendants ; c) Dans le cadre des dispositions législatives concernant les activités financières, faciliter l'accès des associés et de leur clientèle aux divers moyens de financement et de crédit ; d) Exercer les activités complémentaires à celles énoncées ci-dessus, et notamment fournir à leurs associés une assistance en matière de gestion technique, financière et comptable ; e) Acheter des fonds de commerce dont, par dérogation aux dispositions de l'article 4 de la loi n° 53-277 du 20 mars 1956, la location-gérance sera concédée dans un délai de deux mois à un associé et qui, sous les sanctions prévues aux deuxième et troisième alinéas de l'article 17 ci-dessous, devront être rétrocédés dans un délai maximum de sept ans ; f) Mettre en œuvre les moyens nécessaires à la promotion des ventes des associés ou de leur entreprise, notamment par la mise à disposition d'enseignes ou de marques dont elles ont la propriété ou la jouissance".
Une proposition de loi n° 1709 a été déposée le 16 juin 1999 en vue de modifier le statut des coopératives, et notamment son article 1er. Elle vise à élargir l'objet social des sociétés anonymes coopératives afin de leur permettre de mettre en place une politique commerciale commune à travers la réalisation d'opérations publicitaires ou non, pouvant comporter des prix communs. Elle prévoit que les coopératives engagées dans un processus d'intégration puissent établir des barèmes de prix communs comme politique habituelle de prix. Elle vise également à permettre aux coopératives d'élaborer des méthodes et modèles communs. Enfin, elle comporte diverses dispositions visant à assurer la pérennité des réseaux : fixation par la loi des conditions d'admission des nouveaux adhérents, reconnaissance par la loi d'un règlement intérieur, possibilité pour les commerçants détaillants affiliés à une autre société coopérative de commerçants de bénéficier directement des services de cette dernière, rémunération des fonctions de président du conseil de surveillance.
II. - PRESENTATION DE L'UFCC
L'UFCC est une association soumise à la loi de 1901, créée en 1964. Elle représente en France les coopératives de commerçants détaillants. Sa vocation est de veiller aux intérêts des coopératives de commerçants par le biais d'actions collectives.
L'article 1er de ses statuts dispose : "Elle a pour but de regrouper les sociétés coopératives et les groupements de commerçants détaillants et leurs unions ou associations, d'unifier leur action et de promouvoir leur essor. Elle pourra à cet effet : 1) Faciliter la création et le développement de toutes les sociétés coopératives de commerçants ; 2) Poursuivre sur le plan professionnel ou interprofessionnel, toute action collective propre à développer les bienfaits de la coopération commerciale en faveur des producteurs, des commerçants détaillants et de leurs consommateurs ; dans cet esprit, continuer en commun l'étude et l'application des méthodes susceptibles d'améliorer la distribution et d'en réduire le coût ; 3) Représenter et défendre les intérêts des sociétés coopératives de commerçants et de leurs membres ; 4) Etudier toutes questions économiques, fiscales, commerciales, industrielles et juridiques susceptibles d'intéresser les sociétés coopératives de commerçants ou leurs adhérents ; 5) Créer un lien permanent entre les membres et maintenir un contact avec tous autres syndicats, associations ou organisations professionnelles ou interprofessionnelles ; et, d'une manière générale, assurer en commun les relations publiques des sociétés coopératives de commerçants et de leurs mandants, les commerçants coopérateurs, en entreprenant et en poursuivant à cette fin toutes actions d'intérêt collectif".
Selon l'article 5 de ses statuts, l'UFCC : "est ouverte aux sociétés coopératives de commerçants détaillants et à leurs unions constituées sous le régime des lois du 10 septembre 1947 et du 11 juillet 1972 et de celles qui les ont ou pourront les modifier, en tant qu'elles concernent la coopération entre commerçants ; la fédération est également ouverte aux associations professionnelles constituées entre ces sociétés ou leurs unions. Elle est également ouverte à tout groupement de commerçants constitué conformément à l'article 17 de la loi du 11 juillet 1972 et dont l'objet s'apparente à celui des coopératives de commerçants tel qu'il a été défini par l'article 1er de ladite loi. Toutefois, il est entendu que le groupement pourra également faire bénéficier de ses services des non-membres liés à lui par un accord contractuel".
Ses 35 membres actuels sont essentiellement des groupements nationaux de commerçants ou des groupements régionaux réunis au sein d'une entité nationale. Ils représentent la plupart des coopératives de commerçants. Le groupement Leclerc, bien que n'adhérant pas à l'UFCC, participe à certains projets de l'organisation et à des échanges d'informations avec elle.
Au 31 décembre 1998, l'UFCC compte 10 000 adhérents et 12 826 points de vente. Ils réalisent ensemble 138,8 Mds francs de chiffre d'affaires, soit 13 % du chiffre d'affaires du commerce français (estimé à 2 142,9 Mds francs). Les deux groupes Système U et Leclerc représentent ensemble 21,1 % du chiffre d'affaires alimentaire ; les 34 groupements relevant du commerce non alimentaire spécialisé représentent 7,9 % des ventes totales, mais leur part de marché varie fortement d'un secteur à l'autre, de moins de 2 % pour la parfumerie à plus de 40 % pour l'optique ou la photo. Le tableau suivant précise la part de chacun des secteurs concernés.
EMPLACEMENT TABLEAU
Sources INSEE, UNIBAL, Observatoire CETELEM, SECODIP, FFJP, NPD.
L'UFCC est membre de l'Union des groupements de commerçants détaillants indépendants de l'Europe (UGAL). Créée en 1963, l'UGAL représente en 1997 près de 295 000 points de vente en Europe et 238 000 détaillants qui réalisent un chiffre d'affaires global d'environ 206 500 millions d'euros. Pratiquement, tous les secteurs du commerce de détail sont représentés.
L'UGAL est un interlocuteur habituel des instances communautaires et rend à ses membres différents services, tels que les échanges d'expériences techniques et professionnelles ou le soutien d'actions individuelles auprès des institutions européennes ou nationales.
Selon les termes du procès-verbal du 7 avril 1999, le conseil d'administration a mandaté le président de l'UFCC afin qu'il saisisse le Conseil de la concurrence, pour avis, sur le problème des prix communs.
III. - SAISINE DU CONSEIL
Comme indiqué plus haut, l'UFCC sollicite l'avis du Conseil de la concurrence sur la question suivante : "Un réseau de commerçants indépendants, organisés sous la forme de regroupements de commerçants détaillants régis par la loi du 11 juillet 1972, peut-il, à l'instar des grands groupes intégrés, procéder, sous une même enseigne, notamment par radio, par voie d'affichage ou par diffusion de catalogues, à une campagne publicitaire temporaire comportant un prix promotionnel unique, dans le respect des règles de la concurrence" ?
L'objet est ainsi limité aux seules opérations de promotion et ne vise pas, à l'instar de la proposition de loi mentionnée ci-dessus, la pratique habituelle de prix unique de la part des sociétés coopératives ayant engagé un début d'intégration.
La saisine est motivée par la nécessité de doter les coopératives de commerçants de moyens publicitaires adaptés permettant à leurs membres de lutter à 'armes égales' avec les succursales ou agences de groupes intégrés.
L'UFCC estime en effet que ses membres sont désavantagés par rapport aux entreprises de distribution intégrées qui peuvent définir librement leur politique de prix, quelle que soit leur organisation territoriale, alors que les accords de prix communs mis en œuvre par une association de détaillants sont généralement sanctionnés par les autorités nationales et communautaires de la concurrence.
L'UFCC estime pour sa part qu"en l'absence de risque d'abus de position dominante de la part d'adhérents d'une seule et même coopérative, l'interdiction des prix promotionnels uniques ne paraît pas justifiée au regard des critères modernes de l'analyse juridique et économique dont disposent les autorités de la concurrence : existence d'un bilan concurrentiel favorable ; effets potentiellement restrictifs de concurrence intra-marque négligeables dès lors qu'ils sont considérés en fonction de la concurrence inter-marques ; enfin, prise en considération d'un bilan économique positif'.
IV. - RAPPEL DES DISPOSITIONS DE L'ORDONNANCE ET DE LA JURISPRUDENCE NATIONALE ET COMMUNAUTAIRE
Les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance, qui prohibent les conventions qui ont pour objet ou peuvent avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence, sont applicables aux actions concertées qui peuvent être le fait de concurrents potentiels, mais aussi aux relations qui peuvent s'instaurer entre des agents économiques qui se situent à des stades différents du processus de production et de commercialisation, telles notamment les conventions liant un producteur ou un fabricant à ses distributeurs.
Les accords passés entre les coopératives de commerçants et leurs adhérents peuvent être condamnés dans le cadre d'ententes verticales mais également en tant qu'ententes horizontales dès lors qu'ils mettent en cause des commerçants situés au même stade du processus économique.
Le Conseil de la concurrence a toujours reconnu aux commerçants regroupés au sein de coopératives la possibilité de choisir une politique commerciale basée sur une enseigne commune et de déterminer en commun une formule de vente cohérente avec l'image qu'ils veulent donner de cette enseigne. Mais il a précisé que cette stratégie ne saurait aller jusqu'à limiter la liberté commerciale de ces commerçants en matière d'approvisionnement, d'expansion et de prix, dès lors que plusieurs adhérents d'une ou de plusieurs coopératives concernées se trouvent en concurrence sur un même marché. De même, elle ne doit pas avoir pour effet de protéger les adhérents contre la concurrence de tiers.
Dès lors, le Conseil, lorsqu'il constate de telles pratiques au sein de groupements de commerçants détaillants, les sanctionne sur le fondement de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986. Dans la décision n° 92-D-38 du 9 juin 1992 relative à des pratiques relevées au sein d'un groupement de commerçants du secteur de l'électronique grand public, il a sanctionné la pratique de prix communs mise en œuvre au sein d'une coopérative et la Cour d'appel de Paris a confirmé son analyse. De même, la décision n° 97-D-49 du 24 juin 1997 (réseau Krys) a condamné l'édition et la diffusion, lors des campagnes de promotion nationales, de dépliants publicitaires comportant des indications de 'prix généralement pratiqués', considérés par un grand nombre d'adhérents interrogés comme "imposés". De la même façon, le Conseil a considéré que l'édition d'un tarif national comportant des prix minimaux était de nature anticoncurrentielle, dès lors que les adhérents du réseau étaient en situation de se faire concurrence.
C'est l'imposition directe ou indirecte d'un prix minimum de revente aux entreprises d'un réseau de distribution lorsque certains membres du réseau sont en concurrence qui constitue une pratique illicite. Plus généralement, toute entente ayant pour objet ou pour effet de provoquer un alignement des prix ou des marges pratiqués par les entreprises d'un réseau de distribution revêt le caractère d'une pratique anticoncurrentielle. A cet égard, il est indifférent que l'alignement soit recherché ou obtenu sur un prix présenté comme un prix maximum, comme un prix minimum ou comme un prix conseillé. Ce qui est condamné, c'est l'effet ou le risque d'uniformisation des conditions de vente des différents distributeurs d'un produit ou des différents prestataires d'un service.
En revanche, la pratique d'un prix conseillé, indicatif ou maximal, reste, en principe, licite dès lors que chaque entreprise demeure effectivement libre de fixer son prix. Ainsi, un fournisseur est libre de diffuser des prix conseillés auprès de ses revendeurs pour autant qu'il n'exige pas le respect du tarif qu'il diffuse et que le réseau concerné ne considère pas que les prix correspondants doivent être impérativement respectés.
Ainsi sont susceptibles d'être sanctionnées les organisations qui exercent des pressions pour obtenir le respect effectif des prix conseillés ou encore prévoient ou engagent des actions de rétorsion à l'encontre des revendeurs qui s'en écartent. Même en l'absence de pressions, toute pratique tendant à inciter ou obliger les distributeurs à s'aligner sur les prix ou les tarifs prédéterminés est en elle-même constitutive d'une entente illicite. Il en est ainsi des clauses qui imposent expressément le respect des prix ou des marges indiquées par le fournisseur et de celles qui engagent le revendeur en cette matière. De telles clauses dissuadent les revendeurs de procéder à la fixation autonome de leurs prix.
Toutefois, la condamnation ne vaut que lorsqu'il s'agit de prix conseillés minimums. L'imposition de prix maximums n'est pas illicite, à moins que les distributeurs ne soient incités à s'aligner sur ceux-ci. L'article 7 n'est pas appliqué si les distributeurs sont effectivement libres de pratiquer un prix différent inférieur et s'ils en ont la possibilité matérielle. En revanche, l'article 7 est applicable s'il est établi que les distributeurs ou une grande partie d'entre eux se sont concertés entre eux ou avec le fournisseur en vue de l'application effective des prix maximums conseillés.
Pour sa part, la Commission européenne interdit formellement le prix unique. Le projet de règlement de la Commission concernant l'application de l'article 81, paragraphe 3, du traité de Rome à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées, qui s'applique aux coopératives de commerçants (sous condition de chiffre d'affaires), considère que l'imposition d'un prix de vente minimum ou fixe constitue une restriction verticale ayant généralement des effets anticoncurrentiels graves et exclut cette pratique des accords susceptibles de bénéficier d'une présomption d'exemption. En revanche, la Commission autorise la communication d'une liste de prix conseillés, qui n'est pas considérée en soi comme conduisant à des prix de revente imposés.
De manière générale, la diffusion de prix uniques par une coopérative de commerçants dont les membres ne se trouvent pas en situation de se concurrencer sur un même marché local n'est pas contraire aux dispositions de l'ordonnance.
De même, lorsque les membres d'une coopérative ou certains d'entre eux sont susceptibles de se faire concurrence, la diffusion de prix uniques n'est pas contraire aux règles de concurrence, dès lors qu'il s'agit d'un prix de référence et qu'il n'est pas interdit aux destinataires d'appliquer à ces prix des remises ou ristournes ou rabais. En revanche, constitue en ce cas une pratique contraire aux dispositions de l'article 7 de l'ordonnance et de l'article 81 du traité, la fixation de prix identiques ou minimums, ou de prix conseillés que tous les membres d'une coopérative des commerçants seraient tenus de respecter.
V. - REPONSES A LA QUESTION POSEE
Sur la diffusion de promotions à prix unique :
Pour répondre pleinement à la demande de l'UFCC, la question formulée doit être examinée sous ses deux aspects : d'une part, la simple annonce d'un prix unique dans le cadre de campagnes promotionnelles temporaires, sans que le consommateur soit explicitement informé de son caractère de prix maximum ou de prix conseillé, respecte-t-elle les règles de concurrence, d'autre part, qu'en est-il de la pratique effective d'un prix unique par tous les adhérents ?
Le Conseil observe, en premier lieu, que la demande d'avis concerne les réseaux de commerçants indépendants organisés sous la forme de coopératives de commerçants détaillants régies par la loi du 11 juillet 1972 modifiée, c'est-à-dire des commerçants qui ont accepté de mettre en commun de manière durable et effective un certain nombre de moyens afin d'améliorer les conditions dans lesquelles ils exercent leur profession. Il note, en second lieu, que les regroupements coopératifs de commerçants indépendants, en ce qu'ils permettent à ces derniers de s'organiser et de faire face à la concurrence des entreprises intégrées de la grande distribution, elles-mêmes en voie de concentration, participent au développement de la concurrence entre enseignes, même s'il peut arriver aussi que ces commerçants se trouvent localement en situation de se faire concurrence entre eux. Le Conseil relève enfin que la demande d'avis vise les campagnes publicitaires temporaires comportant un prix promotionnel unique, c'est-à-dire des opérations limitées dans le temps, portant sur un petit nombre de produits, qui doivent être offerts à des prix particulièrement attractifs et qui s'inscrivent dans la même ligne que les campagnes promotionnelles de la grande distribution intégrée. Le Conseil est d'avis que ces campagnes, de nature à abaisser les marges commerciales, sont un facteur d'animation et d'intensification de la concurrence.
Dans de telles conditions, la diffusion de documents ou de messages publicitaires mentionnant des prix uniques dans le cadre de promotions temporaires n'est pas contraire aux règles tant nationales que communautaires de concurrence, dès lors que le prix de référence est un prix maximum conseillé et qu'il n'existe pas de pressions directes ou indirectes sur les distributeurs pour en imposer l'application.
Dès lors que le prix unique ne saurait être imposé aux adhérents, ceux-ci doivent disposer de la liberté soit de choisir de participer ou non aux campagnes communes soit, s'ils y participent, de pratiquer des prix réels inférieurs aux prix annoncés dans la campagne promotionnelle. Cette condition doit nécessairement être remplie pour que la pratique soit conforme aux règles nationales et communautaires de la concurrence. Il importe, en conséquence, que les adhérents soient informés de la liberté dont ils disposent de ne pas participer à la promotion en cause ou d'appliquer un prix inférieur à celui mentionné sur la publicité. Chaque réseau peut librement décider des moyens adéquats pour diffuser cette information (circulaire à ses membres ou autre support interne de communication).
Si ces exigences d'information des adhérents sont respectées, l'absence de mention "prix conseillé" ou "maximum conseillé" sur le support de la publicité ne constitue pas un indice suffisant pour qualifier le prix de prix imposé. En effet, lorsque le Conseil de la concurrence, dans la décision n° 94-D-60 du 13 décembre 1994 relative à des pratiques relevées dans le secteur des lessives, a condamné la diffusion d'une publication en considérant que les prix de revente au consommateur qui y figuraient n'étaient accompagnés d'aucune mention indiquant qu'ils étaient des prix maximums ou conseillés, il s'est déterminé en l'espèce sur le constat que des consignes imposaient aux adhérents de pratiquer les prix des promotions, que le document en cause précisait que le consommateur était assuré de bénéficier de conditions identiques dans tous les points de vente et que la marge très faible dissuadait l'adhérent de pratiquer un prix inférieur au prix défini. Il en a déduit que le groupement avait diffusé des prix imposés et non des prix maximums.
Une campagne de promotion à prix coûtant peut donner lieu à la diffusion de prix correspondant au seuil de revente à perte pour autant que ce dernier soit le même pour tous les membres de la coopérative. Le Conseil, dans la décision n° 99-D-17 du 24 février 1999 relative à une saisine présentée par le Conseil national des professions de l'automobile (CNPA), confirmée par la Cour d'appel de Paris, a considéré que cette pratique était conforme aux règles de la concurrence, dès lors que les membres du réseau disposent d'une certaine liberté dans l'établissement de leurs prix, notamment le choix de participer ou non à l'opération : "La pratique concertée d'un prix coûtant, pour le même produit, par des entreprises en concurrence, n'a pas pour effet d'imposer un prix identique à ces entreprises, dès lors que leurs conditions d'approvisionnement et d'exploitation, même si elles peuvent être analogues, sont néanmoins propres à chacune d'entre elles et ne les dispense pas de calculer de manière indépendante leur prix de vente ; qu'en tout état de cause ces entreprises ne pourraient pratiquer un prix licite inférieur à ce prix".
Toutefois, dans un tel cas de figure, si la campagne à prix coûtant conduit à une pratique de prix unique, il convient de s'assurer que le prix de cession aux membres du réseau n'a pas été artificiellement majoré pour donner lieu ensuite à des ristournes ou remises exceptionnelles anormales (remises fin d'année...). Une telle pratique serait alors condamnable en ce qu'elle reviendrait dans les faits à fixer un prix minimum imposé.
Enfin, serait condamnable, indépendamment de toute appréciation du niveau du prix, l'imposition d'un prix unique à son réseau par une entreprise détenant une position dominante, cette pratique constituant une pratique abusive contraire à l'article 8 de l'ordonnance de 1986.
S'agissant d'une éventuelle exemption au titre d'un bilan économique favorable :
L'UFCC demande également au Conseil de dire que la pratique de promotions temporaires à prix unique devrait être créditée d'un bilan économique favorable, les critères de l'article 10-2 de l'ordonnance étant réunis : "La mise en œuvre de cette politique de prix bas par cette forme organisationnelle qu'est la coopérative permet une efficacité économique réelle (...). En aval, le consommateur constate une amélioration effective de son pouvoir d'achat et du rapport qualité/prix ; en amont, le fournisseur bénéficie d'une augmentation de volume de ses ventes (ce qui peut être d'autant plus bénéfique en période de surproduction) ; horizontalement, l'effet bénéfique pour l'économie est double : à l'intérieur de la coopérative, ses adhérents sont contraints d'être plus efficients, notamment en réduisant leurs coûts pour supporter la politique volontariste de prix bas de leur organisation ; à l'extérieur, ses concurrents directs sont incités au même effort".
L'examen théorique de cette question est effectué ici dans l'hypothèse où une pratique de prix unique deviendrait anticoncurrentielle, c'est-à-dire lorsque les conditions indiquées plus haut ne sont pas remplies. A l'inverse, la question n'a pas à être abordée si la pratique de promotion temporaire remplit les conditions mentionnées plus haut, puisqu'elle n'a pas vraiment alors de caractère anticoncurrentiel.
Selon les dispositions du 2 de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, les pratiques anticoncurrentielles ne sont pas soumises aux prohibitions édictées par les articles 7 et 8 de l'ordonnance, lorsque leurs auteurs peuvent justifier qu'elles ont pour effet d'assurer un progrès économique et qu'elles réservent aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte sans donner aux entreprises intéressées la possibilité d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause. La loi n° 96-588 du 1er juillet 1996 a ajouté à ces dispositions en prévoyant que ces pratiques "peuvent consister à organiser, pour les produits agricoles ou d'origine agricole, sous une même marque ou enseigne, les volumes et la qualité de la production ainsi que la politique commerciale, y compris en convenant d'un prix de cession commun".
Le Conseil, qui s'en tient à une interprétation stricte de ces dispositions, considère généralement que le progrès invoqué doit constituer un progrès pour la collectivité dans son ensemble et non pas simplement permettre une amélioration conjoncturelle de la situation des entreprises concernées. Il doit, notamment, être établi que ce progrès est la conséquence directe des pratiques en cause et qu'il n'aurait pu être obtenu par d'autres voies. La preuve doit également être rapportée qu'il est suffisamment important pour justifier les atteintes à la concurrence observées.
L'application de l'article 10-2 suppose, en conséquence, l'examen de la situation de chaque espèce et ne saurait donner lieu à une position de principe du Conseil. Cet examen devrait, notamment, prendre en compte l'état de la concurrence dans le secteur concerné, la part relative des coopératives de commerçants et des autres formes de commerce, dont la grande distribution intégrée, les modalités de la publicité des concurrents, la durée et le niveau de prix des promotions, ainsi que l'effet des pratiques mises en œuvre sur la compétitivité des membres des coopératives concernés.