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Décisions

Cass. com., 10 mars 1998, n° 96-13.602

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Syndicat des pharmaciens de Haute-Savoie

Défendeur :

Ministre de l'Économie, des Finances et du Budget, Esfandi

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bézard

Rapporteur :

M. Léonnet

Avocat général :

M. Lafortune

Avocats :

SCP Piwnica, Molinié, Me Ricard.

Cass. com. n° 96-13.602

10 mars 1998

LA COUR : - Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué (Paris, 23 février 1996), que le ministre de l'Économie, sur le fondement de l'article 45 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, a fait procéder à une enquête sur des pratiques, concernant la zone de chalandise constituée par huit communes de la Vallée de l'Arve (Haute-Savoie) où opèrent quinze pharmacies d'officine, relatives, en premier lieu, au boycottage des laboratoires qui continueraient d'approvisionner la pharmacie de Mme Esfandi, qui appliquait sur les produits de parapharmacie et les médicaments non remboursables par les caisses de Sécurité sociale des marges nettement inférieures à celles habituellement pratiquées, et, en second lieu, à une réunion tenue le 6 décembre 1992 sur convocation du Conseil régional de l'Ordre des pharmaciens à la suite d'une plainte collective et en raison de l'échec de cette politique de boycottage, qui a abouti à un accord, Mme Esfandi acceptant de relever ses marges par paliers ; qu'à l'issue de cette enquête, le ministre de l'Économie a saisi le Conseil de la concurrence qui, par décision n° 95-D-35 du 10 mai 1995, a infligé des sanctions pécuniaires au Conseil de l'Ordre des pharmaciens de la région Rhône-Alpes, au Syndicat des pharmaciens de Haute-Savoie et à huit pharmaciens de la Vallée de l'Arve ;

Sur le premier moyen, pris en ses deux branches : - Attendu que le Syndicat des pharmaciens de Haute-Savoie ainsi que cinq des pharmaciens condamnés font grief à l'arrêt d'avoir rejeté le recours formé devant la Cour d'appel de Paris, alors, selon le pourvoi, d'une part, que si les fonctionnaires habilités par le ministre de l'Économie peuvent, par application des articles 45 et 47 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, recueillir les déclarations de toute personne qui consent à être interrogée, le procès-verbal qui rapporte ces déclarations doit établir que ces personnes étaient informées du cadre dans lequel l'enquête était diligentée et du caractère facultatif de leurs déclarations ; qu'en se fondant sur les déclarations de pharmaciens, consignées dans des procès-verbaux qui se bornaient à indiquer que les enquêteurs agissaient "en application des pouvoirs qui nous sont conférés par l'article 45" de l'ordonnance du 1er décembre 1986, la Cour d'appel de Paris a violé les dispositions susvisées ; alors, d'autre part, que ne peuvent être regardées comme obtenues de manière licite les déclarations recueillies dans le cadre d'une enquête diligentée en application des articles 45 et 47 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 lorsque les procès-verbaux constatant ces déclarations n'établissent pas que les enquêteurs ont fait loyalement connaître aux personnes interrogées l'objet de leur enquête ; qu'en l'espèce, la Cour d'appel de Paris s'est fondée sur les déclarations de plusieurs pharmaciens, rapportées dans des procès-verbaux mentionnant que l'enquête aurait eu pour objet, de manière générale, la concurrence sur le marché de la pharmacie et de la parapharmacie, sans préciser que les relations entre les pharmaciens interrogés et Mme Esfandi formaient en réalité l'objet de leur enquête ; qu'en se refusant à annuler ces procès-verbaux, dont il résultait que les enquêteurs n'avaient pas loyalement fait connaître aux personnes interrogées l'objet réel de leur enquête, la Cour d'appel de Paris a violé les articles 45 et 47 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, ensemble les articles 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 14 du pacte international relatif aux droits civiques et politiques du 19 décembre 1996 ;

Mais attendu, d'une part, ainsi que la cour d'appel l'a constaté, que les procès-verbaux dressés lors de l'enquête diligentée en application de l'article 45 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et qui portaient le visa de cette ordonnance mentionnaient tous que l'enquête était relative à la concurrence dans le secteur de la distribution en officines de médicaments "conseil et grand public" non remboursés par la Sécurité sociale et de produits de parapharmacie ; que la cour d'appel a estimé, à bon droit, que ces mentions étaient suffisamment précises pour que les personnes entendues n'aient pu avoir le moindre doute sur l'objet de cette enquête ;

Attendu, d'autre part, que les parties n'ayant pas fait état dans leurs écritures devant la cour d'appel de faits précis établissant l'existence de manœuvres déloyales de la part des enquêteurs qui les auraient conduites à se méprendre sur la portée des déclarations qu'elles avaient faites, l'arrêt n'encourt pas les griefs de la seconde branche du moyen ; Que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le deuxième moyen : - Attendu que le Syndicat des pharmaciens de Haute-Savoie ainsi que cinq des pharmaciens condamnés font encore grief à la cour d'appel d'avoir rejeté leur recours, alors, selon le pourvoi, qu'une entente ne portant pas atteinte de façon sensible au jeu de la concurrence sur le marché considéré n'est pas susceptible d'être sanctionnée par application des dispositions des articles 7 et 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; qu'en affirmant, pour infliger une sanction pécuniaire au Syndicat des pharmaciens de Haute-Savoie et à plusieurs pharmaciens, que les pratiques concertées consistant en des "menaces de boycott" dirigées contre les laboratoires de produits pharmaceutiques et de parapharmacie étaient anticoncurrentielles par leur objet, tout en constatant qu'elles n'avaient pu avoir qu'un effet limité, la Cour d'appel de Paris n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation des dispositions susvisées ;

Mais attendu que la cour d'appel a constaté qu'il résultait des déclarations recueillies lors de l'enquête que plusieurs pharmaciens de la Vallée de l'Arve étaient intervenus auprès des représentants des laboratoires afin que ceux-ci refusent les commandes de Mme Esfandi "pour l'amener à aligner ses prix de vente sur ceux pratiqués par ses confrères" ; que la cour d'appel a dès lors énoncé à bon droit, sans encourir les griefs du moyen, que cette pratique, qualifiée exactement par le Conseil de la concurrence de "politique de boycott", était constitutive d'action concertée au sens de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, qui, compte tenu de sa gravité, devait être sanctionnée même si elle n'avait eu qu'un effet limité; que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur le troisième moyen : - Attendu que le Syndicat des pharmaciens de Haute-Savoie ainsi que cinq des pharmaciens condamnés font encore grief à la cour d'appel d'avoir rejeté leur recours, alors, selon le pourvoi, que le Syndicat des pharmaciens de Haute-Savoie et les pharmaciens exposants faisaient valoir, à l'appui de leur recours, que les rabais de 30 à 40 % pratiqués par Mme Esfandi de manière systématique sur certains produits de pharmacie grand public et de parapharmacie s'apparentaient à des sollicitations de clientèle, prohibées par l'article R. 5015-26 du Code de la santé publique, de sorte que la demande faite à Mme Esfandi, par ses confrères et du Conseil régional de l'Ordre des pharmaciens de la région Rhône-Alpes, tendant à voir cesser des pratiques commerciales qui s'apparentaient à des sollicitations de clientèle, n'était pas soumise, par application de l'article 10-1 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, aux articles 7 et 8 de cette ordonnance ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen pertinent, la Cour d'appel de Paris a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que la cour d'appel, pour écarter l'application aux faits de la cause des dispositions de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, a déclaré adopter les motifs du Conseil de la concurrence selon lesquels si les dispositions du Code de la santé publique invoquées par les parties restreignent les conditions dans lesquelles les pharmaciens peuvent se concurrencer, elles n'impliquent nullement l'absence de toute forme de concurrence entre ceux-ci ; que le conseil a relevé, à cet égard, que si l'article R. 5015-40 du code invite les pharmaciens à tenter de résoudre leurs éventuels différends par voie de conciliation et préconise d'en aviser, le cas échéant, leurs autorités ordinales, le Conseil de l'Ordre régional ne pouvait nullement organiser une réunion tendant à conclure une entente sur les prix ; qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel, qui a répondu aux conclusions prétendument éludées, n'encourt pas les griefs du moyen ; que le moyen n'est pas fondé ;

Par ces motifs : rejette le pourvoi.