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Décisions

Conseil Conc., 14 mai 1997, n° 97-D-29

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Pratiques en matière d'honoraires mises en œuvre par le barreau des Hautes-Alpes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré, sur le rapport de M. André-Paul Weber, par M. Barbeau, président, MM. Cortesse, Jenny, vice-présidents.

Conseil Conc. n° 97-D-29

14 mai 1997

Le Conseil de la concurrence (commission permanente),

Vu la lettre enregistrée le 13 octobre 1993 sous le numéro F 629, par laquelle la Confédération syndicale du cadre de vie a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques en matière d'honoraires mises en œuvre par les barreaux d'Aurillac, Clermont-Ferrand, Digne, Gap, Bonneville et Marseille ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application ; Vu la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, modifiée, et le décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat ; Vu les observations présentées par l'Ordre des avocats du barreau des Hautes­Alpes, par la Confédération syndicale du cadre de vie et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants de la Confédération syndicale du cadre de vie et du conseil de l'Ordre des avocats du barreau des Hautes-Alpes entendus ; Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et les motifs (II) ci-après exposés.

Par lettre susvisée, la Confédération syndicale du cadre de vie a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques en matière d'honoraires mises en œuvre par différents barreaux. La présente décision a trait aux pratiques relevées dans le ressort du barreau des Hautes-Alpes.

I- CONSTATATIONS

A- La profession d'avocat

La profession d'avocat est régie par la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques. La profession est constituée en barreaux établis auprès des tribunaux de grande instance. Chaque barreau est doté de la personnalité civile et est administré par un conseil de l'Ordre. Les membres du conseil de l'Ordre sont élus pour trois ans, au scrutin secret, par tous les avocats inscrits au tableau du barreau, par les avocats stagiaires ayant prêté serment avant le 1er janvier de l'année au cours de laquelle a lieu l'élection et par les avocats honoraires ressortissant dudit barreau. A sa tête est élu pour deux ans un bâtonnier ; il représente le barreau dans tous les actes de la vie civile. Il lui revient de prévenir ou, le cas échéant, de concilier les différends d'ordre professionnel entre les membres du barreau et d'instruire toute réclamation formée par les tiers.

Les missions du conseil de l'Ordre sont définies par l'article 17 de la loi précitée. Il a vocation à traiter de toutes questions intéressant l'exercice de la profession et à veiller à l'observation des devoirs des avocats ainsi qu'à la protection de leurs droits. Il est en particulier tenu "d'arrêter et, s'il y a lieu, de modifier les dispositions du règlement intérieur, de statuer sur l'inscription au tableau des avocats... d'exercer la discipline... de maintenir les principes de probité, de désintéressement, de modération et de confraternité sur lesquels repose la profession et d'exercer la surveillance que l'honneur et l'intérêt de ses membres rendent nécessaires... de veiller à ce que les avocats soient exacts aux audiences et se comportent en loyaux auxiliaires de la justice...".

Sur réquisition du procureur général, toute délibération ou décision du conseil de l'Ordre étrangère aux attributions qui lui sont reconnues ou contraires aux dispositions législatives ou réglementaires est annulée par la cour d'appel. Les délibérations ou décisions du conseil de l'Ordre de nature à léser les intérêts professionnels d'un avocat peuvent également, à la requête de l'intéressé, être déférées à la cour d'appel. De même, les décisions du conseil de l'Ordre relatives à une inscription au barreau ou sur la liste du stage, à l'omission ou au refus d'omission du tableau ou de la liste du stage sont susceptibles d'être déférées à la cour d'appel par le procureur général ou par l'intéressé.

Selon les articles 22 et suivants de la loi du 31 décembre 1971, le conseil de l'Ordre, siégeant comme conseil de discipline, a la faculté de poursuivre et de réprimer les infractions et fautes commises par les avocats inscrits au barreau ou sur la liste du stage. Il intervient d'office, à la demande du procureur général ou à l'initiative du bâtonnier. Le conseil de l'Ordre peut suspendre provisoirement de ses fonctions l'avocat qui fait l'objet d'une poursuite pénale ou disciplinaire. Dans les mêmes conditions ou à la requête de l'intéressé, il peut mettre fin à cette suspension. Les décisions du conseil de l'Ordre en matière disciplinaire peuvent être déférées à la cour d'appel par l'avocat intéressé ou par le procureur général. Toute juridiction estimant qu'un avocat a commis à l'audience un manquement aux obligations que lui impose son serment peut saisir le procureur général en vue de poursuivre cet avocat devant le conseil de l'Ordre dont il relève.

Par application de l'article 1er de l'ordonnance du 1er décembre 1986, le montant des honoraires demandés par l'avocat est librement déterminé. À l'exception de la tarification de la postulation et des actes de procédure qui est régie par les dispositions sur la procédure civile, l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971 prévoit que "les honoraires de consultations, d'assistance, de conseil, de rédaction d'actes juridiques sous seing privé et de plaidoirie sont fixés en accord avec le client. A défaut de convention entre l'avocat et son client, l'honoraire est fixé selon les usages, en fonction de la situation de fortune du client, de la difficulté de l'affaire, des frais exposés par l'avocat, de sa notoriété et des diligences de celui-ci. Toute fixation d'honoraires, qui ne le serait qu'en fonction du résultat judiciaire, est interdite. Est licite la convention qui, outre la rémunération des prestations effectuées, prévoit la fixation d'un honoraire complémentaire en fonction du résultat obtenu ou du service rendu".

Les différends susceptibles de survenir entre l'avocat et son client quant au montant et au recouvrement des honoraires sont réglés par les articles 174 et suivants du décret du 27 novembre 1991. Les réclamations sont soumises au bâtonnier par toute partie, sans condition de forme. Selon l'article 175 du décret, le bâtonnier accuse réception de la réclamation. Sa décision doit être prise dans un délai de trois mois. A défaut, il lui appartient de saisir le premier président de la cour d'appel. Selon l'article 176 du décret, la décision du bâtonnier est susceptible d'un recours devant le premier président de la cour d'appel. La décision du bâtonnier, non déférée au premier président de la cour d'appel, peut être rendue exécutoire par ordonnance du président du tribunal de grande instance à la requête de l'avocat ou de la partie.

L'article 183 du décret du 27 novembre 1991 prévoit enfin que "...toute infraction aux règles professionnelles, tout manquement à la probité... expose l'avocat qui en est l'auteur à des sanctions disciplinaires...". Énumérées à l'article 184 du décret, ces sanctions, qui vont de l'avertissement au blâme, à l'interdiction temporaire (qui ne peut excéder trois années), à la radiation du tableau ou de la liste du stage, ou au retrait de l'honorariat, sont prononcées par le conseil de l'Ordre sous le contrôle de la cour d'appel. La loi reconnaît, ainsi, au client un droit de contestation des honoraires, qu'en cas de litige le bâtonnier est appelé à régler et tout manquement au devoir de modération dans le montant des honoraires demandés est susceptible de donner lieu à une action disciplinaire de la part du conseil de l'Ordre.

B- Les faits à qualifier

L'Ordre des avocats du barreau des Hautes-Alpes a établi et diffusé un document intitulé "Guide indicatif de la fixation des honoraires des avocats du barreau des Hautes-Alpes". En préambule, il est précisé que "ce document a pour effet d'améliorer la confiance qui doit présider aux rapports des avocats et de leurs clients". Il est également indiqué "que les honoraires de l'avocat sont libres, qu'ils sont fixés d'un commun accord entre l'avocat et son client, que cet accord prendra de préférence la forme d'une convention écrite, qu'en cas de contestation des honoraires, le litige est soumis, conformément aux textes en vigueur, au bâtonnier de l'Ordre. Les honoraires des avocats s'apprécient en fonction des éléments suivants :

- la situation de fortune du client ;

- les difficultés de l'affaire ;

- les frais exposés par l'avocat ;

- la notoriété de l'avocat et les diligences de celui-ci ;

- l'importance des intérêts en cause et du service rendu".

Le préambule de ce document comporte les indications suivantes :

"Ce document n'est pas un barème, il constate à titre de renseignement, la pratique moyenne des honoraires au 1er septembre 1992 pour des procès simples sans difficulté particulière.

Ce guide indicatif d'honoraires s'applique à une procédure principale se déroulant sans procédures annexes ou incidentes, qui font l'objet d'honoraires supplémentaires.

Le coût de toutes mesures d'instruction est calculé sur la base d'une vacation horaire de 750 F HT.

L'avocat est, en outre, fondé à demander le remboursement des frais particuliers ou exceptionnels de l'affaire (déplacements, correspondances, téléphone, télécopie ...).

Il est notamment précisé que les frais de déplacement sont remboursés sur la base forfaitaire de 3 F par kilomètre parcouru.

Un honoraire complémentaire sera établi sur les bases suivantes en fonction du résultat obtenu ou du service rendu :

- de 25 000 à 125 000 F : 10 %

- de 125 000 à 250 000 F : 8 %

- de 250 000 à 500 000 F : 6,5 %

- 500 000 à 1 000 000 F : 5 %

- à partir de 1 000 000 F et au-delà : 4 %.

Par ailleurs, pour près de quatre-vingts prestations relevant des domaines judiciaire ou juridique, le document donne des montants d'honoraires. En ce qui concerne les "consultations toutes matières", les "affaires civiles (sauf appel)", les "affaires pénales", les "affaires administratives" et la "cour d'appel", sont indiqués, pour diverses catégories de procédures, les montants d'honoraires suivants :

Consultations toutes matières

oral : 300 F

écrite : 700 F

I - Affaires civiles (sauf appel)

Tribunal de grande instance

Divorce : 8 000 F

JAM : 2 500 F

Envoi possession : 2 500 F

Incident JME : 2 000 F

Référé

Tribunal d'instance

Contribution aux charges de mariage : 2 500 F

...

Fond : 3 000 F

...

III - Affaires administratives

Commission de suspension du permis de conduire : 1 500 F

Tribunal administratif : 8 000 F

IV - Cour d'appel

Affaire civile : 6 000 F

Affaire pénale : 6 000 F

Par ailleurs, si s'agissant des honoraires applicables au titre de la "rédaction d'actes" le guide donne également des montants d'honoraires, ces montants sont fréquemment assortis des indications "minimum" ou "honoraires fixes".

EMPLACEMENT TABLEAU

EMPLACEMENT TABLEAU

Par procès-verbal d'audition et de communication de documents du 16 juin 1994 établi par un agent de la direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes des Hautes-Alpes, le bâtonnier en exercice, Me Schreiber-Fabbian, et Me Skryane ont remis une copie du "guide indicatif de la fixation des honoraires des avocats du barreau des Hautes-Alpes". Il résulte de ce procès-verbal que le guide a été adopté par délibération du conseil de l'Ordre du 8 octobre 1992.

Par procès-verbal d'audition en date du 7 février 1996, Me Schreiber­Fabbian a déclaré : "Le guide indicatif de la fixation des honoraires des avocats au barreau des Hautes­Alpes... visait à répondre aux besoins d'information des justiciables. Il a pu également être utilisé par les chefs de juridiction en cas d'application de l'article 700 du Code de procédure civile en cas de taxation. Je ne suis pas en mesure de répondre à la question de savoir si les indications contenues dans ce guide ont été suivies d'effets".

Mes Gerbaud et Aoudiani, avocats du barreau des Hautes-Alpes, ont, par procès-verbal en date du 28 juin 1994, déclaré : "Ce guide ne nous sert pas pour la fixation de nos honoraires". De même, par procès-verbal en date du 28 juin 1994, Me Morlier a indiqué : "Au cabinet, ce guide indicatif n'est pas utilisé". Il résulte cependant des pièces versées au dossier qu'à l'occasion d'un différend ayant opposé M. Bassompierre-Sewrin à Me Schreiber-Fabbian, cette dernière devait indiquer, dans une lettre en date du 18 novembre 1993 : "Je me permets de vous adresser sous ce pli la copie du barème minimum des honoraires en matière de changement de régime matrimonial établi par l'Ordre des avocats en 1992 et fixant le montant minimum de l'honoraire à 5 000 F HT indépendamment des frais de cabinet et des frais judiciaires, et notamment des frais de publicité. Toute fixation d'honoraires inférieure à ce montant est interdite par notre Ordre sous peine de sanctions disciplinaires pour concurrence déloyale".

II- SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL,

Sur la recevabilité de la saisine :

Considérant que l'Ordre des avocats du barreau des Hautes-Alpes fait valoir, en premier lieu, que l'auteur de la saisine n'avait pas qualité à saisir le Conseil de la concurrence ;

Mais considérant qu'en application de l'article 11 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, le Conseil de la concurrence peut être saisi par le ministre chargé de l'économie ; qu'il peut se saisir d'office ou être saisi par les entreprises ou, pour toute affaire dont elles ont la charge, par les collectivités territoriales, les organisations professionnelles et syndicales, les chambres de métiers, les chambres de commerce et d'industrie et par les organisations de consommateurs agréées ; que, par lettre enregistrée le 13 octobre 1993, le président de la Confédération syndicale du cadre de vie a "conformément à l'article 11 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, en qualité d'organisation de consommateurs agréée. saisi le Conseil de la concurrence pour les pratiques anticoncurrentielles mises en place par les avocats des barreaux d'Aurillac, Clermont-Ferrand, Digne-les-Bains, Gap, Bonneville et Marseille" ; que, selon les mentions portées sur la lettre de saisine, la Confédération syndicale du cadre de vie, membre du bureau européen des unions de consommateurs, est une organisation de consommateurs agréée ; que le président de la Confédération syndicale du cadre de vie était habilité à saisir le Conseil de la concurrence en vertu des dispositions de l'article 28 des statuts de la Confédération, qui ont été annexés au rapport faisant suite à la notification de griefs ; qu'ainsi, le moyen tiré du défaut de qualité à agir de la Confédération syndicale du cadre de vie doit être écarté ;

Considérant que le barreau des Hautes-Alpes soutient, en second lieu, que la saisine s'appuie sur des éléments recueillis de façon déloyale et que les faits invoqués sont dénués de force probante ;

Mais considérant, d'une part, que, s'agissant du barreau des Hautes-Alpes, la saisine de la CSCV fait état de la demande formulée par l'un de ses membres, M. Giordano, le 5 août 1993, auprès de la secrétaire de l'Ordre "afin de connaître le prix d'un référé" ; que celle-ci lui aurait répondu "qu'elle avait un barème des honoraires dans son bureau, mais qu'elle n'avait pas le droit de le communiquer, que tous les avocats avaient le même barème et qu'il y avait une fourchette avec un prix minimum obligatoire" ; qu'il ne saurait être valablement soutenu que le fait pour un membre d'une association de consommateurs de s'informer auprès du secrétariat d'un barreau du prix d'un référé constitue une procédé déloyal de recherche de preuves ; que, par ailleurs, si l'Ordre des avocats au barreau des Hautes-Alpes soutient, sans apporter aucun élément à l'appui de ses allégations, que la CSCV aurait pu bénéficier du concours d'une relation familiale de M. Giordano exerçant ses fonctions à la direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes du Vaucluse pour élaborer son dossier de saisine, il est constant que l'agent en cause exerce ses responsabilités dans ce seul département et dans le secteur des marchés publics ; que, par suite, il ne peut être sérieusement soutenu que la saisine de la CSCV, fondée sur une information communiquée par le secrétariat du barreau en réponse à la demande d'un client éventuel, reposerait sur des éléments recueillis en recourant à des procédés déloyaux et des moyens contestables ;

Considérant, d'autre part, que, par application de l'article 19 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : "Le Conseil de la concurrence peut déclarer, par décision motivée, la saisine irrecevable s'il estime que les faits invoqués n'entrent pas dans le champ de sa compétence ou ne sont pas appuyés d'éléments suffisamment probants" ; que la lettre de saisine, enregistrée le 13 octobre 1993, concernait "les barreaux d'Aurillac, Digne, Gap, Bonneville et Marseille" et était accompagnée de différentes pièces témoignant de l'existence de barèmes d'honoraires ; que c'est au vu de ces documents que, par lettre du 3 mars 1994, le président du Conseil de la concurrence a demandé au directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes de faire procéder à une enquête conformément aux dispositions des articles 47 et 50 de l'ordonnance ; que cette enquête a permis de mettre en évidence l'existence du "Guide indicatif de la fixation des honoraires des avocats du barreau des Hautes-Alpes" ; qu'ainsi l'Ordre des avocats du barreau des Hautes-Alpes n'est pas fondé à soutenir que la saisine n'aurait pas été appuyée d'éléments suffisamment probants conformément aux prescriptions de l'article 19 de l'ordonnance précitée ;

Sur la procédure :

Considérant qu'aux termes de l'article 46 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : "Les enquêtes donnent lieu à l'établissement de procès-verbaux et, le cas échéant, de rapports. Les procès-verbaux sont transmis à l'autorité compétente. Un double en est laissé aux parties intéressées, ils font foi jusqu'à preuve contraire" ; qu'aux termes de l'article 31 du décret du 29 décembre 1986 : "Les procès-verbaux prévus à l'article 46 de l'ordonnance sont rédigés dans le plus court délai. Ils énoncent la nature, la date et le lieu des constatations ou des contrôles effectués. Ils sont signés de l'enquêteur et de la personne concernée par les investigations. En cas de refus de celle-ci, mention en est faite au procès-verbal" ;

Considérant que l'Ordre des avocats du barreau des Hautes-Alpes fait observer que le procès-verbal d'audition et de communication de documents du 16 juin 1994 de Mme le bâtonnier Schreiber-Fabbian et de Me Skryane ne comporte pas le visa de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et n'indique pas l'objet de l'enquête ; qu'en outre ce procès-verbal d'audition et de communication n'aurait pas satisfait aux prescriptions de l'article 31 du décret du 29 décembre 1986 en n'indiquant pas la nature des contrôles effectués ;

Mais considérant que les procès-verbaux ne faisant foi que jusqu'à preuve contraire et les mentions prévues à l'article 31 du décret du 29 décembre 1986 n'étant pas édictées à peine de nullité, la preuve de l'accomplissement des formalités peut être recherchée dans d'autres énonciations du procès-verbal ou dans des éléments extrinsèques à celui-ci;

Considérant qu'il résulte des pièces versées au dossier qu'antérieurement au 16 juin 1994, Me Schreiber-Fabbian a été destinataire d'une lettre en date du 14 juin émanant de la direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes des Hautes-Alpes, lui indiquant : "Comme suite à notre entretien téléphonique de ce jour, je vous confirme que j'ai reçu mission d'enquête par le Conseil de la concurrence au sujet du montant des honoraires pratiqués par vos confrères auprès de la clientèle. Notre entretien avec vous le jeudi 16 juin 1994 à 10 heures 30 au palais de justice aura pour but de déterminer les conditions de contrôle des notes remises aux clients afin qu'un équilibre soit trouvé entre l'efficacité de l'enquête et la sauvegarde du secret des affaires. J'attire votre attention sur le fait que le bâtonnier du barreau de Marseille a collaboré sans difficulté pour la réalisation de l'enquête"; qu'à la suite de cette lettre, Me Schreiber-Fabbian a d'ailleurs écrit le 23 juin 1994 au représentant de la direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes des Hautes-Alpes avoir "l'honneur de faire connaître que l'Ordre des avocats (proposait), pour effectuer l'enquête pour le Conseil de la concurrence, les jour et heures suivants..." ; que, dès lors, il ne peut être utilement soutenu que Me Schreiber-Fabbian n'aurait pas été informée de la nature des contrôles et de l'objet de l'enquête ; que, par suite, le moyen doit être écarté ;

Sur les pratiques constatées :

Considérant que l'Ordre des avocats du barreau des Hautes-Alpes a établi et diffusé en 1992 un document intitulé "Guide indicatif de la fixation des honoraires des avocats du barreau des Hautes-Alpes" ; que ce "guide" donne, pour près de quatre-vingts prestations relevant des domaines judiciaire ou juridique, des montants d'honoraires ; que, s'agissant des honoraires applicables au titre de la "rédaction d'actes", le "guide" donne également des montants d'honoraires, en précisant dans plusieurs cas qu'il s'agit de "minimum" ou d'"honoraires fixes" ;

Considérant que le préambule du document comporte des indications de caractère normatif ; qu'il est ainsi précisé que le "guide indicatif d'honoraires s'applique à une procédure principale se déroulant sans procédures annexes ou incidentes, qui font l'objet d'honoraires supplémentaires", que "le coût de toutes mesures d'instruction est calculé sur la base d'une vacation horaire de 750 F HT" et que "l'avocat est, en outre, fondé à demander le remboursement des frais particuliers ou exceptionnels de l'affaire (déplacements, correspondances, téléphone, télécopie...)", étant précisé que "les frais de déplacement sont remboursés sur la base forfaitaire de 3 F par kilomètre parcouru" ; que ce même document prévoit que : "un honoraire complémentaire sera établi sur les bases suivantes en fonction du résultat obtenu ou du service rendu :

- de 25 000 à 125 000 F : 10 %

- de 125 000 à 250 000 F : 8 %

- de 250 000 à 500 000 F : 6,5 %

- 500 000 à 1 000 000 F : 5 %

- à partir de 1 000 000 F et au-delà : 4 %.

Considérant qu'en élaborant et en diffusant le document en cause, le barreau des avocats des Hautes-Alpes a pu conduire ses membres à fixer le montant de leurs honoraires, non selon les conditions d'exploitation propres de leurs cabinets, mais à partir des indications reproduites dans le "guide"; qu'il ressort de l'instruction que Me Schreiber-Fabbian a fait état dans un courrier adressé à M. Bassompierre-Sewrin de l'existence du "barème minimum d'honoraires" et fait valoir à l'adresse de ce client que : "Toute fixation d'honoraires inférieure à ce montant est interdite par notre Ordre sous peine de sanctions disciplinaires pour concurrence déloyale" ; que, dès lors, même si Mes Gerbaud et Aoudiani, d'une part, et Me Morlier, d'autre part, ont déclaré ne pas utiliser le "guide", l'Ordre des avocats au barreau des Hautes-Alpes ne peut valablement soutenir que le "guide" n'aurait pas eu un objet ou pu avoir un effet anticoncurrentiel ;

Considérant qu'ainsi le "Guide indicatif de la fixation des honoraires des avocats du barreau des Hautes-Alpes" qui a été établi, en 1992, par l'Ordre des avocats du barreau des Hautes-Alpes et qui a été diffusé auprès de ses membres est constitutif d'une action concertée ayant pour objet et pu avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence; que ces pratiques sont prohibées par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986;

Sur les sanctions :

Considérant qu'aux termes de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : "Le Conseil de la concurrence peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières. Il peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement, soit en cas d'inexécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 5 % du montant du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos. Si le contrevenant n'est pas une entreprise, le montant maximum est de dix millions de francs... Le Conseil de la concurrence peut ordonner la publication de sa décision dans les journaux ou publications qu'il désigne, l'affichage dans les lieux qu'il indique et l'insertion de sa décision dans le rapport établi sur les opérations de l'exercice par les gérants, le conseil d'administration ou le directoire de l'entreprise. Les frais sont supportés par la personne intéressée" ;

Considérant qu'il convient par application de l'article 13 ci-dessus rappelé, pour prévenir la poursuite d'une telle pratique, d'enjoindre à l'Ordre des avocats du barreau des Hautes-Alpes de ne plus élaborer ni diffuser de barème d'honoraires ;

Considérant que pour apprécier le dommage à l'économie, il y a lieu de retenir que le document en cause donnait des indications d'honoraires, comportant notamment des montants minimaux, pour une liste d'environ quatre-vingt prestations juridiques concernant de nombreuses procédures devant les différentes juridictions ou divers actes juridiques ;

Considérant que la gravité des pratiques doit s'apprécier en tenant compte de la circonstance que le document intitulé "Guide pratique de la fixation des honoraires des avocats du barreau des Hautes-Alpes" a été diffusé à l'ensemble des membres du barreau des Hautes-Alpes ; que, par ailleurs, le ministère d'avocat est, s'agissant de différentes procédures, obligatoire ; qu'enfin l'Ordre des avocats du barreau des Hautes-Alpes ne pouvait ignorer les dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Considérant que, pour l'année 1996, les ressources de l'Ordre des avocats du barreau des Hautes-Alpes se sont élevées à 900 000 F ; qu'en fonction des éléments tels qu'appréciés ci-dessus, il y a lieu d'infliger au barreau des Hautes-Alpes une sanction pécuniaire de 50 000 F ;

Décide :

Article 1er - Il est établi que l'Ordre des avocats du barreau des Hautes-Alpes a enfreint les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Article 2 - Il est enjoint à l'Ordre des avocats du barreau des Hautes-Alpes, d'une part, de ne plus élaborer ni diffuser de barème d'honoraires et, d'autre part, d'adresser, dans un délai de deux mois à compter de sa notification, la copie de la présente décision à l'ensemble des avocats constituant le barreau des Hautes-Alpes.

Article 3 - Il est infligé à l'Ordre des avocats du barreau des Hautes-Alpes une sanction pécuniaire de 50 000 F.