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Décisions

Conseil Conc., 11 juin 1997, n° 97-D-46

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Pratiques relevées à l'occasion de marchés de travaux de construction et de rénovation de HLM et d'un collège dans le département de la Sarthe

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré, sur le rapport de M. André-Paul Weber, par M. Barbeau, président, , MM. Cortesse, Jenny, vice-présidents.

Conseil Conc. n° 97-D-46

11 juin 1997

Le Conseil de la concurrence (commission permanente),

Vu la lettre enregistrée le 10 janvier 1996 sous le numéro F 840, par laquelle le ministre délégué aux finances et au commerce extérieur a saisi le Conseil de la concurrence d'un dossier relatif à des pratiques relevées à l'occasion de marchés de travaux de construction et de rénovation de HLM et d'un collège dans le département de la Sarthe ; Vu l'ordonnance n° 86­1243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 86­1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application ; Vu les lettres en date du 18 décembre 1996 du président du Conseil de la concurrence notifiant aux parties et au commissaire du Gouvernement sa décision de porter le dossier en commission permanente, conformément aux dispositions de l'article 22 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; Vu les observations présentées par la SA Ouest Peinture, par l'entreprise Vallée SA et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants des entreprises Ouest Peinture et Vallée entendus ; Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et les motifs (II) ci­après exposés.

I­ CONSTATATIONS

A- Le marché peinture "réhabilitation en logements occupés à Allonnes "

Le 9 novembre 1993, l'office public départemental d'HLM de la Sarthe a lancé un appel d'offres ouvert en vue de la réhabilitation de logements localisés à Allonnes. Le marché, réparti en 15 lots, comportait une tranche ferme de 377 logements et une tranche conditionnelle de 414 logements. La date limite de réception des offres avait été fixée au 21 décembre 1993. En ce qui concerne le marché peinture (lot 12), les offres suivantes ont été enregistrées (en francs, TTC).

EMPLACEMENT TABLEAU

Le président­directeur général de la SA SPPM (Sol Peinture, Plâtrerie du Maine) a déclaré le 4 mai 1994 qu'il avait adressé le 20 décembre 1993 à la SA Ouest Peinture un document de 17 feuillets comportant des prix de soumission relatifs à ce marché. Il a précisé : " En ce qui concerne le bordereau d'envoi de télécopie daté du 20 décembre 1993 et adressé par SPPM à Ouest Peinture comportant 17 pages... il s'agit d'un dossier relatif à la réhabilitation d'Allonnes pour lequel Ouest Peinture n'aurait pas eu le temps de répondre à l'appel d'offres. Il nous aurait alors sollicité pour obtenir un bordereau de prix lui permettant de récupérer son chèque de caution demandé par le maître d'œuvre lors du retrait du dossier ". Ce point de vue a été réaffirmé à l'occasion d'une nouvelle audition en date du 19 juin 1995 : " Je confirme que nous avions remis copie de notre offre à l'entreprise Ouest Peinture, dans le seul but de permettre à celle­ci de récupérer son chèque de caution ".

Le président­directeur général de la SA Ouest Peinture a, pour sa part, déclaré le 16 juin 1995 : " Pour la réhabilitation en logements occupés à Allonnes (4e et 5e tranches), c'est moi­même qui ai suivi le dossier. En fait, je ne l'ai pas étudié, mais j'ai cherché à récupérer le chèque de caution, qui était important (1 000 F ou 2 000 F je crois). N'ayant pas le temps d'établir une offre, et s'agissant d'une suite de marchés (c'est la 4e et 5e tranches) sur laquelle nous n'étions pas intervenus, je n'avais pas de bases pour établir une offre valable. J'ai donc demandé à une entreprise (je ne sais plus laquelle) de me communiquer une offre, pour être en mesure d'en présenter une moi­même et récupérer ma caution. C'était pour moi une démarche sans importance ".

B- Le marché peinture "construction de logements, salle d'exposition et parking" du Mans

Le 4 juillet 1994, la ville du Mans a fait paraître un avis d'appel d'offres ouvert relatif à des travaux de construction de 62 logements collectifs, salle d'exposition et parking. Le marché a été réparti en 21 lots. La date limite de réception des offres a été fixée au 25 juillet 1994. En ce qui concerne le lot n° 16 (peinture), les offres suivantes ont été enregistrées (en francs, TTC).

EMPLACEMENT TABLEAU

La comparaison des offres présentées par les entreprises SA SPPM et SA Ouest Peinture a fait apparaître d'étroites similitudes. Dans l'un et l'autre cas, la peinture des parkings a été oubliée, les montants de travaux concernant les infrastructures n'ont pas été indiqués et les surfaces à peindre des plafonds de la salle d'exposition sont évaluées à 405 et 413 m2, alors que les autres soumissionnaires ont évalué ces surfaces respectivement à 175, 272 et 275 m2.

Le président­directeur général de la SA Ouest Peinture a déclaré le 16 juin 1995 : "Le maître d'ouvrage a relevé des similitudes entre les devis de notre entreprise et celle de l'entreprise SPPM (...) J'explique cela par le caractère approximatif des dossiers de consultation qui nous sont soumis par les maîtres d'œuvre, et par le caractère quelque peu forfaitaire de nos offres : la confection d'un devis, ce n'est pas une science exacte".

De son côté, le président­directeur général de la SA SPPM a déclaré le 19 juin 1995 : " Il convient de préciser que ce projet a subi de nombreuses modifications successives de la part du maître d'œuvre et du maître d'ouvrage. Je pense que notre offre était bien conforme au descriptif. Par exemple, vous pouvez constater que celui­ci ne comporte pas de rubrique " infrastructure " dans l'élaboration de notre offre, nous avons considéré que la prestation correspondante devait être rattachée au lot "gros œuvre" nous n'avions donc pas à nous en préoccuper ".

Pour sa part, le maître d'œuvre a fait remarquer lors de son audition du 23 juin 1995 que le rapport d'analyse des offres des "sociétés SPPM et Ouest Peinture sont non conformes au CCTP parce que le poste peinture des parkings n'a pas été pris en compte dans l'acte d'engagement. En ce qui concerne SPPM, il a fait ressortir ce poste sans l'incorporer dans son prix final, ce qui correspond aux 49 891,51 F notés sur le rapport pour information. Ouest Peinture n'a, pour sa part, pas chiffré du tout ce poste". Il a, par ailleurs, indiqué : "Je vous signale que "l'infrastructure" correspond aux travaux concernant le parking souterrain et qu'il y avait bien de la peinture à ce niveau.(...) Je vous remets copie de la page 2 du cahier des généralités qui prévoit bien que : "l'infrastructure générale concerne les travaux de (...) peinture des parkings souterrains".

C- Le marché "construction de 58 logements (opération 386)" de l'office public départemental d'HLM de la Sarthe

Le 5 juillet 1994, l'office public départemental d'HLM de la Sarthe a fait paraître un avis d'appel d'offres ouvert concernant la construction de 58 logements. Le marché a été réparti en 15 lots. La date limite de réception des offres a été fixée au 1er août 1994. La commission d'ouverture des plis, réunie le 2 septembre 1994, a, s'agissant des lots n° 4 (bardage), 7 (plâtrerie), 8 (revêtement de sols) et 12 (peinture), enregistré les offres ci­après reproduites (en francs, TTC).

EMPLACEMENT TABLEAU

Les offres proposées ont été très sensiblement inférieures aux estimations du maître d'ouvrage, s'agissant des lots n°s 4 et 8 (bardage et sols), et les entreprises SA SPPM et SA Vallée ont présenté des offres de montants identiques.

Le président­directeur général de la SA SPPM a déclaré le 12 octobre 1994 être "conscient que certaines offres sont similaires à l'entreprise Vallée : lot 4 (bardage) et lot 8 (revêtements de sols)". Il a également indiqué : "Je vous précise qu'au mois de juillet 1994, mon bureau d'étude était surchargé... Je ne me souviens plus qui en a pris l'initiative, mais nous avons décidé de partager l'étude avec la société Vallée, à savoir : lot 4 (bardage) et lot 8 (revêtement de sols) : étudiés par Vallée lot 7 (plâtrerie) et lot 12 (peintures, ravalement) étudiés par SPPM. Nous devions soumissionner en groupement conjoint pour ces 4 lots. A la suite d'une négligence, cela n'a pas été fait, et les offres ont donc été faites individuellement. Pour les lots 4 et 8, des fax m'ont été adressés par Vallée : devis quantitatifs des lots en question... A l'inverse, pour les lots 7 et 12, j'ai communiqué à l'entreprise Vallée les résultats de mon étude mais je ne trouve pas trace de cette communication ...pour le lot 7, Vallée n'a pas soumissionné car ce n'est pas sa spécialité (plâtrerie) ; pour le lot 12, vous m'informez que l'offre de Vallée est différente de la mienne, je ne connais pas l'explication à ce fait."

Le président­directeur général de la SA Vallée a reconnu le 13 octobre 1994 que, fin juillet 1994, "la société SPPM a contacté M. Bodin responsable du bureau d'études peintures pour obtenir les bordereaux de prix de ma société pour pouvoir répondre ensemble sur cette opération ; et ce pour les lots 4 et 8 uniquement. Ma société a étudié les lots 4, 8 et 12, selon ce que me dit Monsieur Bodin... Je suis surpris que l'opération n'ait pas été présentée, soit en lots groupés (avec lots individuels), soit en groupement avec SPPM, car c'est une habitude de l'entreprise pour ce type de dossier. Il y a sans doute eu une erreur du fait de la précipitation d'avant congés... En définitive, je pense que cette opération aurait dû être répondue en groupement avec SPPM, comme nous le pratiquons souvent, du fait de l'échange d'informations, et je regrette que M. Bodin n'ait pas eu le temps, du fait de son départ en vacances, de pratiquer ainsi".

Après avoir calculé les prix de soumission pour le lot n° 12 et les avoir transmis à la SA SPPM, la SA Vallée a présenté une offre avec des prix supérieurs. Il résulte enfin du "rapport du dépouillement suite à l'appel d'offres du 2 septembre 1994 et la reconsultation pour les lots infructueux" que, si les deux entreprises SPPM et Vallée ont été reconsultées, seule la SA SPPM a présenté des offres.

D- Le marché "restructuration du collège Jean-de-l'Epine" Le Mans

Le 13 septembre 1994, le Conseil général de la Sarthe a fait paraître un avis d'appel d'offres ouvert concernant la restructuration (2e tranche) du collège Jean-de-l'Epine au Mans. Le marché a été réparti en 18 lots. La date limite de réception des offres a été fixée au 11 octobre 1994. La commission d'ouverture des plis, réunie le 20 octobre 1994, a, s'agissant des lots n° 13 (sols souples) et n° 15 (peinture) enregistré les offres ci­après reproduites (en francs, TTC).

EMPLACEMENT TABLEAU

S'agissant du lot n° 15, la comparaison des devis présentés par les entreprises SA Ouest Peinture et SA SPPM fait apparaître de très étroites similitudes. Les entreprises ont en particulier procédé à une décomposition identique des postes 1.2 (scindé en deux), 1.3 (scindé en trois), 2.2 (scindé en deux), 2.3.2 (scindé en deux), 2.4.1 (scindé en deux), 2.4.2 (scindé en trois) et 3.3 (scindé en deux), alors que ces décompositions n'étaient pas prévues au Cahier des Clauses Techniques Particulières (CCTP). Les deux entreprises ont proposé des métrés et des prix unitaires très voisins et qui diffèrent très sensiblement de ceux retenus par les autres soumissionnaires pour les postes 1.1 à 1.5, 2.2, 2.3.1, 2.3.2, 2.4.1 à 2.4.3, 3.1, 3.3 et variante. Enfin, les rédacteurs des devis présentés ont repris une même terminologie pour définir certains postes ou prestations, terminologie différente de celle utilisée par le rédacteur du CCTP : "échafaudage de pied" contre "échafaudage" au poste 1.1 ; "égrenage" et "ratissage" aux postes 2.3.1 à 2.3.3 ; "chants" au poste 2.4.2 ; "reprise des fers à béton et éclats de maçonnerie à l'aide du mortier époxy" au poste 1.4. Enfin, alors que le CCTP prévoyait deux couches de peinture mate au poste 2.2, les deux entreprises ­ et elles seules ­ ont prévu de la peinture satinée et elles sont également les seules à avoir prévu une peinture "acrylique à l'eau semi­brillante" au poste 2.3.2.

Le président­directeur général de la SA Ouest Peinture a déclaré le 16 juin 1995 que la "similitude étroite dans la rédaction du devis avec celle de l'entreprise SPPM s'explique par une même façon de travailler des métreurs des deux entreprises, qui ont pu recevoir une formation de même type, et qui travaillent sur des bases similaires".

Le président­directeur général de la SA SPPM a déclaré le 19 juin 1995 que les similitudes relevées entre les offres s'expliquaient "par la pratique du métreur, qui suit étroitement le descriptif qui nous est proposé par la maîtrise d'œuvre. Elle tient aussi à des méthodes de travail semblables pour les métreurs des deux entreprises. (...) D'une façon générale, j'explique donc les similitudes entre les offres de SPPM et de Ouest Peinture par l'emploi des mêmes méthodes, du même langage de la part des métreurs des deux entreprises".

II­ SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL,

Sur la saisine du Conseil de la concurrence :

Considérant que la saisine ministérielle porte sur des "pratiques anticoncurrentielles relevées sur des marchés de travaux de construction et de rénovation des HLM et des collèges dans le département de la Sarthe" ; que si la lettre de saisine vise "trois entreprises réalisant des travaux de peinture et de revêtement de sol", cette formulation ne saurait, comme le soutient la société SA Vallée, limiter la saisine aux seuls marchés de travaux de peinture et de revêtement de sol ; qu'en effet, saisi in rem, le Conseil de la concurrence est compétent pour apprécier l'ensemble des faits soumis à son examen quelle que soit la formulation utilisée par la saisine ministérielle; qu'il est constant que le dossier sur la base duquel a été saisi le conseil, et qui a pu être consulté par l'ensemble des parties intéressées et par le commissaire du Gouvernement, portait sur des marchés relatifs à divers travaux de second œuvre, parmi lesquels la peinture et les revêtements de sol, mais également la plâtrerie et le bardage ;

Sur les pratiques constatées :

En ce concerne le marché peinture "réhabilitation en logements occupés à Allonnes" :

Considérant qu'il est constant que la SA Ouest Peinture a présenté une offre sans avoir étudié le marché et sur la base des indications qui lui ont été communiquées par la SA SPPM ; qu'à supposer même qu'elle ait procédé ainsi afin que lui soit remboursée la caution qu'elle avait versée, elle a déposé une offre supérieure, poste par poste, de 5 % à celle de la SA SPPM après concertation avec cette dernière ; que cette offre constituait donc une offre de couverture au profit de celle présentée par le groupement constitué par les sociétés Cornil SA, SA SPPM et SA Vallée ; que cette offre a trompé l'office public départemental d'HLM de la Sarthe quant à la réalité et à l'intensité de la concurrence ; que les entreprises SA Ouest Peinture et SA SPPM se sont donc livrées à une pratique qui a eu pour objet et a pu avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur le marché considéré, pratique prohibée par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Considérant toutefois que les éléments recueillis au cours de l'instruction sont insuffisants pour établir que les sociétés SA Vallée et SA Cornil se sont livrées à des pratiques anticoncurrentielles à l'occasion de la passation de ce marché ; qu'il y a donc lieu de mettre ces sociétés hors de cause de ce chef ;

En ce qui concerne le marché peinture "construction de logements, salle d'exposition et parking" du Mans :

Considérant que les éléments recueillis au cours de l'instruction sont insuffisants pour établir que les sociétés SPPM et Ouest Peinture se sont livrées à des pratiques anticoncurrentielles à l'occasion de la passation de ce marché ; qu'il y a donc lieu de mettre ces sociétés hors de cause de ce chef ;

En ce qui concerne le marché " construction de 58 logements (opération 386) " de l'office public départemental d'HLM de la Sarthe :

Considérant que les entreprises SA SPPM et SA Vallée ont, s'agissant des lots n° 4 (bardage) et n° 8 (sols) de ce marché, présenté des offres identiques, identité qui n'est pas contestée par les parties; qu'il est établi que, pour ces deux lots, la SA Vallée a procédé à l'étude technique et communiqué ses résultats à la SA SPPM; qu' à la suite de cette communication, la SA SPPM a présenté une offre en tous points identiques à l'étude et à l'offre de la SA Vallée;

Considérant, s'agissant du lot n° 12 (peinture), que l'étude de prix a été conjointement réalisée par les entreprises SA SPPM et SA Vallée ; que le président­directeur général de la SA SPPM a déclaré avoir "communiqué à l'entreprise Vallée les résultats de (son) étude mais... ne (pas) retrouve(r) trace de cette communication" ; que le président­directeur général de la SA Vallée a déclaré avoir "étudier les lots 4, 8 et 12" ; que la SA SPPM a présenté une offre reprenant intégralement les métrés et les prix unitaires de la SA Vallée, le total de son offre étant inférieur à celui de l'offre de la SA Vallée qui a arrondi à la hausse les prix unitaires qu'elle­même avait déterminés ;

Considérant que, contrairement à ce que soutiennent les responsables des SA SPPM et Vallée, l'identité de leurs offres pour les lots n°s 4 et 8 et le dépôt par la SA SPPM d'une offre élaborée par la SA Vallée pour le lot n° 12 ne peuvent résulter d'une volonté commune de présenter une offre groupée puisqu'elles ont déposé séparément chacune une offre sans avoir informé les maîtres d'œuvre et d'ouvrage ni d'une intention quelconque de présenter une offre groupée ni de la réalisation en commun de leurs étudeset que, à nouveau consultées après que l'appel d'offres pour les lots n°s 4 et 8 a été déclaré infructueux, seule la SA SPPM a présenté une réponse au titre de ces lots ; que cette identité des offres pour les lots n°s 4 et 8 et le dépôt par la SA SPPM d'une offre élaborée par la SA Vallée pour le lot n° 12 résultent donc d'un échange d'informations antérieur à la remise des offres entre les entreprises SA SPPM et SA Vallée; que les entreprises SA SPPM et SA Vallée se sont ainsi livrées à une pratique qui a eu pour objet et a pu avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur le marché considéré, pratique prohibée par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986;

En ce qui concerne le lot n° 15 du marché "restructuration du collège Jean-de-l'Épine" au Mans :

Considérant que les entreprises SA Ouest Peinture et SA SPPM ont présenté des offres présentant les nombreuses similarités détaillées au I­D de la présente décision ; qu'elles ont procédé à des décompositions de postes identiques contraires aux prescriptions du CCTP ; qu'elles ont présenté des métrés et des prix unitaires très voisins différant des autres offres ; qu'elles ont recouru à une terminologie identique se distinguant de celle retenue du CCTP pour définir certains postes et prestations ; que les responsables de ces entreprises ont soutenu que cet ensemble de similarités s'expliquerait "par une même façon de travailler des métreurs des deux entreprises" ;

Mais considérant que ces responsables n'ont pu définir ni au cours de l'instruction, ni dans leurs écritures, ni en séance, les éléments de culture professionnelle de leurs métreurs qui leur seraient communs et qui différeraient de la culture professionnelle des autres métreurs et des maîtres ; qu'en séance, le président­directeur général de la SA Ouest Peinture a au contraire reconnu que tous les métreurs en peinture du département, peu nombreux, se rencontraient fréquemment et échangeaient entre eux des informations sur les chantiers en cours ; qu'il a ajouté qu'il ne pouvait exclure que le métreur concerné de son entreprise et celui de la SA SPPM se soient concertés pour élaborer les offres en cause ; qu'il résulte de l'instruction que cet ensemble de similarités résulte d'un échange d'informations sur les prix de soumission antérieur à la remise des offres ; que les entreprises SA SPPM et SA Ouest Peinture se sont donc livrées à une pratique qui a eu pour objet et a pu avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur le marché considéré, pratique prohibée par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Sur les sanctions :

Considérant qu'aux termes de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : " Le Conseil de la concurrence peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières. Il peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement, soit en cas d'inexécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 5 p. 100 du montant du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos " ; qu'en application de l'article 22 de la même ordonnance la commission permanente peut prononcer les mesures prévues à l'article 13, les sanctions infligées ne pouvant, toutefois, excéder 500 000 F pour chacun des auteurs des pratiques prohibées ;

Considérant que la SA Vallée soutient que "l'impact sur le jeu de la concurrence" de la pratique serait "inexistant" pour le lot n° 8 du marché "construction de 58 logements (opération 386)" de l'office public départemental d'HLM de la Sarthe, en raison du fait qu'un autre soumissionnaire avait présenté une offre inférieure à celle des SA SPPM et Vallée, "très partiel pour ne pas dire tout à fait partiel" pour le lot n° 4 en raison du fait qu'un autre soumissionnaire avait présenté une offre à peine supérieure à leur offre et "particulièrement limité" pour le lot n° 12 en raison du fait qu'un autre soumissionnaire avait présenté une offre "relativement proche" ; que, s'appuyant sur un arrêt de la Cour d'appel de Paris, elle en conclut "qu'en l'absence de preuve d'une incidence significative sur le fonctionnement du marché, une pratique anticoncurrentielle n'est pas susceptible d'être sanctionnée" ;

Mais considérant que pour apprécier la gravité des pratiques constatées d'échanges d'informations et de soumissions de couverture, il convient de considérer qu'elles se sont répétées à l'occasion de la passation de trois marchés de second œuvre dans le département de la Sarthe ; qu'elles sont intervenues dans le secteur des logements sociaux et des collèges, dont le financement est assuré par des collectivités publiques ; que, dans son arrêt du 4 avril 1997, la Cour d'appel de Paris a posé qu'une "atteinte sensible, avérée ou potentielle, au jeu de la concurrence peut justifier la sanction d'une pratique anticoncurrentielle" ; que, dans l'espèce, les pratiques anticoncurrentielles constatées ont été mises en œuvre par des entreprises spécialisées d'importance départementale dans un contexte peu concurrentiel puisque chaque marché n'a suscité que de trois à cinq candidatures ; qu'en particulier, lors du marché "construction de 58 logements (opération 386)" de l'office public départemental d'HLM de la Sarthe, les deux offres déposées de manière concertée pouvaient affecter le jeu de la concurrence puisqu'elles n'étaient confrontées qu'à deux (lots n°s 4 et 8) ou trois (lot n° 12) autres offres et qu'ainsi le choix du maître d'ouvrage ne portait en fait que sur trois (lots n°s 4 et 8) ou quatre (lot n° 12) offres établies de manière indépendante ; que l'importance du dommage causé à l'économie par ces pratiques résulte de ce qu'elles avaient pour objet et ont pu avoir pour effet de faire échec au déroulement régulier de la procédure d'appel d'offres dans ces trois marchés représentant au total plus de 14,5 millions de francs ;

En ce qui concerne la SA Ouest Peinture :

Considérant que la société Ouest Peinture qui a soumissionné aux marchés concernés avait été immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 16 juin 1993 ; que cette société a été reprise par la holding SARL Ouest Management qui, par un traité de fusion du 17 juin 1996, a absorbé la société Ouest Peinture ; que la nouvelle entité est devenue la SARL Ouest Peinture à compter du 17 juillet 1996 ; que cette société a adopté la forme sociale de société anonyme à compter du 21 août 1996 ; que la nouvelle SA Ouest Peinture vient donc aux droits de la société qui avait soumissionné aux marchés en cause ;

Considérant que la SA Ouest Peinture s'est livrée à des pratiques anticoncurrentielles prohibées en échangeant des informations avec la SA SPPM et en déposant une offre de couverture au bénéfice du groupement constitué par les entreprises SA Cornil, SA Vallée et SA SPPM à l'occasion de la passation du marché "réhabilitation en logements occupés à Allonnes" d'un montant global de 10,5 millions de francs environ ; en échangeant des informations avec la SA SPPM à l'occasion de la passation du marché "restructuration du collège Jean-de-l'Épine" au Mans, dont le lot n° 15, seul concerné, était évalué par l'entreprise moins-disante (tranche ferme seulement) à 643 095,57 F ;

Considérant que la SA Ouest Peinture a réalisé au cours de l'exercice 1996, dernier exercice clos disponible, un chiffre d'affaires en France de 23 885 848 F, un bénéfice d'exploitation de 164 923 F et une perte nette de 286 580 F ; qu'en fonction des éléments généraux et individuels tels qu'ils sont appréciés ci­dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 50 000 F ;

En ce qui concerne la SA SPPM :

Considérant que la SA SPPM s'est livrée à des pratiques anticoncurrentielles prohibées en échangeant des informations avec la SA Ouest Peinture qui a déposé à son profit une offre de couverture à l'occasion de la passation du marché "réhabilitation en logements occupés à Allonnes" (10,5 millions de francs environ) ; en échangeant des informations avec la SA Vallée qui a déposé à son profit une offre de couverture à l'occasion de la passation du marché "construction de 58 logements (opération 386)" de l'office public départemental d'HLM de la Sarthe (lots 4, 8 et 12 évalués par le maître d'œuvre à 3 498 700 F) ; en échangeant des informations avec la SA Ouest Peinture à l'occasion de la passation du marché "restructuration du collège Jean-de-l'Épine" au Mans dont le lot n° 15, seul concerné, était évalué par l'entreprise moins­disante (tranche ferme seulement) à 643 095,57 F ;

Considérant que la SA SPPM a réalisé au cours de l'exercice 1996, dernier exercice clos disponible, un chiffre d'affaires en France de 37 039 678 F, une perte d'exploitation de 1 700 511 F et une perte nette de 1 837 240 F ; qu'en fonction des éléments généraux et individuels tels qu'ils sont appréciés ci­dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 100 000 F ;

En ce qui concerne la SA Vallée :

Considérant que la SA Vallée s'est livrée à des pratiques anticoncurrentielles prohibées en échangeant des informations avec la SA SPPM au profit de laquelle elle a déposé une offre de couverture à l'occasion de la passation du marché "construction de 58 logements (opération 386)" de l'office public départemental d'HLM de la Sarthe (lots 4, 8 et 12 évalués par le maître d'œuvre à 3 498 700 F) ;

Considérant que la SA Vallée a réalisé au cours de l'exercice 1996, dernier exercice clos disponible, un chiffre d'affaires en France de 104 540 425 F, un bénéfice d'exploitation de 2 533 619 F et un bénéfice net de 532 343 F ; qu'en fonction des éléments généraux et individuels tels qu'ils sont appréciés ci­dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 100 000 F,

Décide :

Article 1er : ­ Il est établi que les entreprises SA Ouest Peinture, SA SPPM et SA Vallée ont enfreint les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Article 2 : ­ Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :

­ 50 000 F à la SA Ouest Peinture,

­ 100 000 F à la SA SPPM,

­ 100 000 F à la SA Vallée.