Conseil Conc., 7 juillet 1998, n° 98-D-51
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Saisine de la SA Concurrence et la SA Jean Chapelle
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré, sur le rapport oral de M. Henri Génin, par M. Cortesse, vice-président, présidant la séance, , MM. Callu, Marleix, Rocca, Sloan, Thiolon, membres.
Le Conseil de la concurrence (section I),
Vu la lettre, enregistrée le 2 octobre 1995, par laquelle la SA Concurrence et la SA Jean Chapelle ont saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre, notamment par la société Philips ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié pris pour son application ; Vu la décision du Conseil de la concurrence n° 97-D-15 du 4 mars 1997 et l'arrêt de la Cour d'appel de Paris (1re chambre, section H) du 10 mars 1998 ; Vu les observations présentées par la SA Concurrence et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et le représentant de la SA Concurrence entendus ;
Considérant que, par lettre en date du 29 septembre 1995, enregistrée le 2 octobre 1995 sous le numéro F 799, la SA Concurrence et la SA Jean Chapelle ont saisi le Conseil de la concurrence de pratiques, qu'elles estiment anticoncurrentielles, mises en œuvre par la société Philips Electronique Grand Public et ses revendeurs à l'occasion de la commercialisation des produits "vidéo", "hifi-laser" et "audio" de marques Philips, Radiola, Schneider et PDM ;
Considérant que les parties saisissantes ont précisé que les faits dénoncés dans cette saisine "ne sont, en fait, que la perpétuation des faits dont le Conseil est déjà saisi" ; qu'en effet la saisine F 799 est la réitération des saisines enregistrées respectivement sous les numéros F 169, F 493 et F 499 qui ont conduit le Conseil de la concurrence à examiner, dans sa décision n° 97-D-15 du 4 mars 1997, les conditions générales de vente et de services des appareils électroniques domestiques Philips et leur application au cours de la période 1988-1992 et les conditions de rémunération des accords de coopération commerciale dont ont bénéficié certains revendeurs au cours de la même période, et à décider qu'il n'était pas établi que la société Philips ait enfreint les dispositions des articles 7 ou 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que le recours exercé par la SA Concurrence à l'encontre de cette décision a été rejeté par arrêt de la Cour d'appel de Paris le 10 mars 1998 ; que la saisine F 799 dénonce simplement la persistance, postérieurement à 1992, de certaines pratiques précédemment alléguées, dont le caractère anticoncurrentiel n'a pas été établi ;
Considérant que les conditions générales de vente, au cours de la période examinée à l'occasion de la présente saisine, sont identiques dans leur rédaction à celles examinées par le Conseil dans sa précédente décision, sous réserve de l'adoption en 1995 d'une présentation formelle légèrement modifiée (document unique pour toutes les catégories de produits, regroupement des produits "audio" sous une seule rubrique "Son") et de l'adaptation des paliers de chiffres d'affaires figurant au barème ; que ces conditions prévoient, comme les précédentes, qu'en contrepartie de la réalisation d'objectifs de "prévisions d'achats" dont le montant est négocié avec le fournisseur, le revendeur bénéficie de remises définies dans un barème ; que le principe de ce mode de calcul des rabais, remises ou ristournes a été approuvé tant par la juridiction pénale que par les autorités de concurrence et n'est plus critiqué par les requérantes ; que deux pratiques seulement sont encore dénoncées par les auteurs de la saisine F 799 : les conditions de rémunération des accords de coopération commerciale passés avec des revendeurs, d'une part, et l'octroi de remises supplémentaires occultes, d'autre part ; que le caractère anticoncurrentiel de ces pratiques n'a pas été démontré au cours de l'instruction des trois précédentes saisines ;
Sur les conditions de la rémunération de la coopération commerciale :
Considérant que la SA Concurrence soutient que des services, liés à la vente ou aux conditions de vente, sont rendus par certains distributeurs des produits de la société Philips, mais que ces prestations feraient l'objet d'accords de coopération commerciale "dont le texte n'est pas toujours communiqué" et seraient rémunérées en fonction d'une "grille de remise inconnue" ;
Considérant que les distributeurs des produits Philips peuvent, en effet, signer des contrats de "coopération commerciale" annuels aux termes desquels ils s'engagent à fournir au fabricant divers services spécifiques contre une rémunération calculée en pourcentage du chiffre d'affaires hors taxes réalisé sur la catégorie de produits spécifiée par le contrat ; que le taux de ces remises n'est pas tarifié, mais librement négocié avec chaque distributeur ; que les distributeurs peuvent ainsi assurer une dizaine de prestations de services différentes décrites dans des fiches techniques intitulées notamment : "Espace publicitaire-vitrine", "Exposition en vitrine", "Information-formation démonstration des produits", "Présentoirs, meubles et supports", "Promotions, jeux et concours", "Campagnes publicitaires du revendeur catalogues et dépliants édités par le revendeur", "Bancs d'essais, tests qualité des produits", "Nouveaux produits", "Enseigne", "Revendeur spécialisé Match-line" ;
Considérant que le Conseil de la concurrence et la Cour d'appel de Paris ont respectivement rappelé, dans leurs décisions du 4 mars 1997 et du 10 mars 1998, à l'occasion de l'examen des trois précédentes saisines, que "le fait pour un fournisseur de produits de marque d'accorder des ristournes qualitatives, s'ajoutant aux remises quantitatives, à ceux de ses distributeurs qui offrent des services, n'est pas en soi une pratique prohibée par l'ordonnance du 1er décembre 1986 si les conditions d'obtention de ces ristournes n'excluent pas des entreprises qui seraient disposées à fournir les services requis, si elles sont définies de façon objective et sont appliquées sans discrimination et n'ont ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à la détermination par les commerçants de leur politique de prix de revente" ; que le Conseil et la cour ont, ensuite, constaté qu'aucune pratique discriminatoire ne pouvait, en l'espèce, être imputée à la société Philips à l'occasion de la négociation de ces accords de coopération commerciale ; qu'il a été établi, en premier lieu, que la société Philips exerçait un véritable contrôle sur la réalité des prestations de coopération commerciale que ses distributeurs s'étaient engagés à fournir et que, le cas échéant, les rémunérations indûment perçues par certains distributeurs faisaient l'objet de restitution, en second lieu, que le litige commercial qui a opposé la SA Jean Chapelle à son fournisseur à l'occasion de la négociation d'un contrat de coopération commerciale ne démontrait aucune volonté délibérée de la société Philips, qui a renouvelé [en vain] ses offres de coopération à ce revendeur, de vouloir écarter une catégorie de distributeurs de la revente de ses produits ; qu'enfin la Cour d'appel de Paris a précisé que "l'absence de barème écrit des taux de ces remises, loin d'être révélatrice de la volonté du fournisseur de traiter différemment des situations analogues, est la conséquence de leur nécessaire adaptation à la situation particulière de chacun des distributeurs, et notamment du contexte dans lequel le service est rendu, ce contexte influençant la valeur qu'il représente pour le fournisseur" ;
Considérant que la SA Concurrence fait valoir que l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 10 mars 1998 serait en "totale contradiction" avec une décision rendue le 8 janvier 1998 par la Cour d'appel de Versailles qui a condamné la société Philips à communiquer sous astreinte à la société Concurrence "l'ensemble des conditions, barèmes, taux de rémunération habituellement pratiqués, la nature et le montant des services correspondants, les produits concernés et les facteurs généraux, objectivement définis, pris en compte pour la détermination des pourcentages de rémunération, afférents aux contrats de coopération conclus avec les revendeurs-distributeurs, à l'exclusion des contrats eux-mêmes" ; que toutefois la décision de la cour d'appel de Versailles a été expressément rendue sur le fondement des dispositions de l'article 33 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, et non sur celui des articles 7 ou 8 du titre III de ladite ordonnance relevant de la compétence du Conseil ; qu'en outre les décisions du Conseil de la concurrence sont soumises au contrôle de la première chambre de la Cour d'appel de Paris, qui en l'occurrence a confirmé sa décision de non-lieu du 4 mars 1997 ; que dans ces conditions la partie saisissante ne peut utilement invoquer l'arrêt de la Cour d'appel de Versailles ;
Sur l'octroi de remises supplémentaires occultes :
Considérant que la société requérante affirme que "Philips persiste à octroyer sans conditions écrites, et en tout cas non communiquées, des prix nets, comprenant des remises supplémentaires" ;
Mais considérant que le Conseil et la Cour d'appel de Paris ont, au contraire, considéré que,dans la mesure où il avait été rapporté que les remises litigieuses étaient "assorties, pour le fournisseur, d'une contrepartie réelle et objectivement définie qui se distinguait de celle rémunérée au titre des accords de coopération commerciale", il n'était "pas établi que la société Philips ait mis en œuvre des pratiques prohibées par les articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986" ;
Considérant que, dans le cadre de l'instruction de la présente saisine, il a été justifié par la société Philips de la communication régulière de ses conditions de vente, en particulier à la SA Jean Chapelle à qui elle a adressé 37 lettres de mai 1993 à juin 1995 pour l'informer de ses tarifs, des modifications intervenues et des promotions, alors que ce distributeur ne lui passait commande d'aucun matériel ; que la partie saisissante ne verse à l'appui de son ultime requête aucun élément nouveau susceptible de constituer un commencement de preuve, permettant de conclure à d'éventuelles pratiques discriminatoires mises en œuvre par la société Philips à l'occasion de la vente de ses produits postérieurement à 1992 ; que le Conseil n'a, par ailleurs, au cours de cette même période, été saisi d'aucune plainte à l'encontre de la société Philips émanant d'autres revendeurs ; qu'en définitive la saisine F 799 du 2 octobre 1995 qui se borne, comme son auteur l'indique, à réitérer les précédentes, ne dénonce aucune pratique anticoncurrentielle matériellement distincte de celles que le Conseil a examinées dans sa décision de non-lieu du 4 mars 1997 confirmée par la Cour d'appel de Paris le 10 mars 1998;
Considérant, dans ces conditions, qu'il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 20 de l'ordonnance du 1er décembre 1986,
Décide :
Article unique. - Il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure.