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Décisions

Conseil Conc., 3 mars 1998, n° 98-D-17

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution des interférons alpha

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré, sur le rapport de M. Paul-Louis Albertini, par M. Barbeau, président, MM. Cortesse, Jenny, vice-présidents, Mme Boutard-Labarde, MM. Robin, Rocca, Sloan, Thiolon, membres.

Conseil Conc. n° 98-D-17

3 mars 1998

Le Conseil de la concurrence (section III),

Vu la lettre enregistrée le 29 octobre 1995 sous le numéro F 808, par laquelle le secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'économie et du plan, chargé des finances, a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par les sociétés Produits Roche et Schering-Plough dans le secteur de la distribution des interférons alpha ; Vu le Traité du 25 mars 1957 modifié, instituant la Communauté européenne ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application ; Vu le Code de la santé publique ; Vu le Code de la sécurité sociale ; Vu les observations présentées par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général et le commissaire du Gouvernement entendus ; Adopte la décision fondée sur les constatations ( I ) et sur les motifs ( II ) ci-après exposés :

I. - CONSTATATIONS

A. - Les producteurs

Les interférons ont été découverts en 1957 par deux virologues travaillant au National Institute for Medical Research de Londres, qui ont observé qu'un virus qui se multiplie dans les cellules d'un organisme ou dans des cellules en culture bloque l'infection de ces mêmes cellules par d'autres virus. Ces chercheurs ont constaté que cette résistance provenait d'une substance sécrétée par les cellules infectées et ont montré que l'interféron était une protéine qui n'agissait pas directement sur les virus mais provoquait la production d'autres protéines antivirales, par les cellules malades et par les cellules avoisinantes.

Les interférons ont été définis comme des protéines d'origine endogène, c'est-à-dire naturellement produites par les cellules de l'organisme en réponse à une infection virale, et capables d'agir non pas directement sur le virus qui affecte une cellule, mais, en transférant la résistance de l'affection virale à d'autres cellules, d'inhiber la production virale et donc de protéger les cellules non encore affectées mais sensibles à une affection virale en les rendant résistantes pendant un certain temps à une gamme étendue de virus. Les interférons humains appartiennent, selon leurs origines, à trois grandes familles ou classes : les interférons alpha, d'origine leucocytaire, bêta, d'origine fibroplastique, et gamma, d'origine lymphocytaire de type T. Deux autres classes ont été récemment ajoutées aux trois initiales : celles des interférons oméga et tau, qui ressemblent aux interférons alpha.

En plus de leur propriété antivirale, les interférons possèdent une activité antiprolifératrice et une activité immuno-modulatrice. Ils ont donc suscité des grands espoirs dans les domaines de l'hématologie, de la cancérologie et de la virologie.

Pendant de nombreuses années, le développement des interférons, tant sur le plan de la recherche fondamentale que sur le plan clinique, a été limité par deux facteurs, l'impureté du produit obtenu par méthode in vitro, par extraction à partir de cellules humaines lors de la mise en culture de globules blancs provenant de sujets normaux ou ayant une leucémie myéloïde chronique, qui produisent de l'interféron sous l'influence d'un virus inducteur, et la faible quantité d'interférons ainsi produits. Ce n'est qu'au milieu des années 1980 que les techniques de recombinaison génétique ont permis d'obtenir un interféron alpha dit recombinant, d'une très grande qualité, de structure identique à celle de l'interféron alpha humain et reproductible en quantité suffisante par la maîtrise des conditions d'obtention. La production d'interférons alpha par extraction a progressivement été abandonnée.

Les interférons recombinants ont permis la réalisation d'études cliniques établissant que les interférons alpha étaient plus efficaces que les chimiothérapies cytotoxiques traditionnelles pour le traitement de certaines formes de cancer (leucémie à tricholeucocytes) ou au moins comparables aux méthodes traditionnelles (mélanome malin disséminé et sarcome de Kaposi associé au SIDA).

Deux sociétés, Schering-Plough (Unicet) et Hoffmann La Roche (groupe Roche) produisent des interférons alpha recombinants, pour lesquels elles ont obtenu une autorisation de mise sur le marché (AMM) dès 1986, en même temps qu'aux Etats-Unis ou en Allemagne. Les spécialités produites par ces sociétés sont disponibles sous des présentations ou dosages par flacon différents, exprimés en nombre de millions d'unités internationales (MUI) :

- Roferon est proposée par la société Produits Roche et disponible en 3 et 4,5 MUI, ainsi qu'en 9 et 18 MUI ;

- Introna est proposée par la société Schering-Plough et disponible en 1, 3, 5, 10 et 30 MUI.

L'ensemble de ces dosages a été mis sur le marché en 1987, à l'exception du dosage à 1 million d'unités de la spécialité Introna de Schering-Plough, sorti en 1990, et du dosage à 4,5 millions d'unités de la spécialité Roferon de Produits Roche, sorti en 1993.

Seul le dosage à 3 millions d'unités est proposé par l'un et l'autre fabricant, les autres dosages, s'échelonnant de 1 à 30 millions d'unités, étant proposés par l'un ou l'autre. Les dosages commercialisés découlent des posologies recommandées après essais cliniques lors de l'obtention de l'autorisation de mise sur le marché, c'est-à-dire les pathologies au traitement desquelles sont destinés ces produits. Ces indications sont publiées dans l'édition annuelle du Vidal et sont identiques pour les trois premières indications thérapeutiques obtenues par ces spécialités (leucémie à tricholeucocytes, sarcome de Kaposi associé au Sida, mélanome malin disséminé), et au total pour huit d'entre elles (phase chronique de la leucémie myéloïde, cancer du rein métastasique ou récidivant, hépatite chronique active B de l'adulte, hépatite chronique active non A non B de l'adulte, lymphomes non hogdkiniens) sur les neuf dans lesquelles elles ont chacune obtenu une autorisation de mise sur le marché. Les spécialités Roferon et Introna sont donc destinées à traiter les mêmes pathologies. S'y ajoutent, pour le Roferon, l'indication concernant le lymphome cutané à cellules T, propre à Roferon, et celle concernant les lymphomes non hodgkiniens, propre à Introna.

Les sociétés Hoffmann La Roche et Schering-Plough, seuls producteurs d'interférons alpha obtenus par génie génétique, respectivement sous les noms de Roferon et d'Introna, disposent d'unités de production en France, mais leur activité ne concerne pas la fabrication des interférons alpha. L'interféron alpha proposé en France par la société anonyme Produits Roche est fabriqué à Bâle, en Suisse, dans la ville où est installé le siège social de la société Hoffmann La Roche (groupe Roche). Il ressort de la brochure " Roche en France - faits et chiffres -1993 - 1994 ", que la société Produits Roche est une société du groupe Roche, fondé en 1896 à Bâle par Fritz Hoffman et implanté en France depuis 1903. La division pharmaceutique de Produits Roche développe, produit et commercialise en France et à l'exportation en Afrique noire francophone, au Maghreb, au Vietnam, au Laos et au Cambodge, 60 spécialités pharmaceutiques de prescription appartenant à plusieurs classes thérapeutiques : neuro-psychiatrie (tranquillisants, hypnotiques, antidépressifs et anti-parkinsoniens), infectiologie (antituberculeux, antibiotiques, antifongiques et antipaludéens), dermatologie, cancérologie, rhumatologie (pour le traitement des différentes formes de rhumatismes). Le chiffre d'affaires a atteint près de 3 694 millions de francs durant l'exercice clos en 1995.

L'interféron alpha distribué en France par la société anonyme Schering-Plough sous le nom d'Introna est fabriqué en Irlande, dans une usine créée en 1986 à Cork. La branche pharmaceutique de Schering-Plough France développe, produit, promeut et commercialise en France et à l'exportation des produits pharmaceutiques dont les principales classes thérapeutiques sont les suivantes : antihistaminiques, corticoïdes, antibiotiques, anticancéreux, cardiologiques, antalgiques, neurologiques. Le chiffre d'affaires de la société en 1995 est de 1 493 millions de F.

Une note d'information de M. Vidal, conseiller pharmaceutique, rédigée en 1986 à l'attention du ministre chargé de la Santé, révèle que d'autres laboratoires, dont, en France, la société Institut Pasteur Production, ont été à même de fabriquer des interférons alpha issus de cultures de cellules in vitro, au début des années 1980. Ce laboratoire a détruit son stock d'interférons alpha et a renoncé à cette production. En outre, la société Wellcome a déposé le 27 avril 1990, dans le cadre de la procédure de concertation prévue par la directive 83-570 du Conseil du 26 octobre 1983, modifiant la directive 65-65 du Conseil du 26 janvier 1965, un dossier d'AMM pour la spécialité Wellferon, dont les principes actifs, au nombre desquels figure l'interféron alpha, sont issus de cultures de lymphoblastes d'origine humaine, c'est-à-dire obtenus par extraction à partir d'une variété particulière de globules blancs, et non par génie génétique comme les spécialités Roferon et Introna. Cette procédure, qui tendait à obtenir la mise sur le marché en France de sa spécialité Wellferon, déjà autorisée dans plusieurs pays de la Communauté européenne, dont la Grande-Bretagne, n'a pas donné lieu à la délivrance d'une autorisation.

Aucun laboratoire n'a proposé la mise sur le marché en France d'un interféron alpha recombinant issu du génie génétique en mesure de concurrencer directement les spécialités Roferon et Introna et présentant les mêmes garanties de pureté ainsi qu'un risque viral réduit.

B - Le contexte législatif et réglementaire

1. L'autorisation initiale

Aux termes de l'article L.601 du Code de la santé publique : " Toute spécialité pharmaceutique ou tout autre médicament fabriqué industriellement (...) doit faire l'objet, avant sa commercialisation ou sa distribution à titre gratuit, en gros ou au détail, d'une autorisation de mise sur le marché délivrée par l'Agence du médicament " La mise sur le marché de toute spécialité pharmaceutique n'est accordée que lorsque le fabricant justifie : " 1° Qu'il a fait procéder à la vérification de l'innocuité du produit dans des conditions normales d'emploi et de son intérêt thérapeutique, ainsi qu'à son analyse qualitative et quantitative ; 2° Qu'il dispose effectivement d'une méthode de fabrication et de procédés de contrôle de nature à garantir la qualité du produit au stade de la fabrication en série. Cette autorisation est délivrée pour une durée de cinq ans ; elle est ensuite renouvelable par période quinquennale ". L'article R. 5140 du Code de la santé publique, dans sa rédaction issue du décret n° 93-982 du 5 août 1983, dispose que : " Les décisions (liées à l'autorisation de mise sur le marché), à l'exclusion des mesures de suspension, sont prises par le directeur général de l'Agence du médicament (le ministre chargé de la Santé jusqu'en 1993), après avis de la commission (d'AMM) constituée à cet effet ".

La société Schering-Plough a obtenu le 1er septembre 1986 une AMM pour Introna à 1, 3, 5, 10 et 30 millions d'unités dans les indications thérapeutiques suivantes : leucémie à tricholeucocytes, mélanome malin disséminé, sarcome de Kaposi associé au SIDA. La société Produits Roche a obtenu quant à elle le 24 novembre 1986 une AMM pour Roferon à 3, 9 et 18 millions d'unités dans les mêmes indications thérapeutiques. Le ministre de la Santé, au regard de l'avis émis par les experts de la commission d'AMM, a considéré que ces spécialités étaient destinées à traiter les mêmes pathologies, dans l'ensemble des dosages proposés par les laboratoires.

La société Produits Roche a, par ailleurs, obtenu le 2 septembre 1992 une AMM pour un nouveau dosage de sa spécialité Roferon à 4,5 millions d'unités dans les indications suivantes : leucémie à tricholeucocytes, mélanome malin disséminé, sarcome de Kaposi associé au SIDA, phase chronique de la leucémie myéloïde, cancer du rein métastatique ou récidivant, traitement d'entretien du myélome multiple, traitement de l'hépatite chronique active virale B de l'adulte, traitement de l'hépatite chronique active non A non B de l'adulte (ou hépatite C).

2. Les extensions ou autorisations nouvelles

L'une et l'autre AMM obtenues par Schering-Plough le 1er septembre 1986 pour Introna 1, 3, 5, 10 et 30 millions d'unités et par Produits Roche le 24 novembre 1986 pour Roferon 3, 9, et 18 millions d'unités ont fait l'objet d'un certain nombre d'extensions à de nouvelles indications thérapeutiques :

- le 8 septembre 1989, extension de l'AMM à la phase chronique de la leucémie myéloïde ;

- le 5 février 1990, extension de l'AMM au cancer du rein métastatique ou récidivant et au traitement d'entretien du myélome multiple ;

- le 19 août 1991, extension de l'AMM au traitement de l'hépatite chronique active virale B de l'adulte prouvée histologiquement avec réplication virale B persistante.

Les AMM ont respectivement été renouvelées à compter du 1er septembre 1991 et du 24 novembre 1991. Elles ont été étendues le 30 décembre 1991 à l'hépatite chronique active non A non B de l'adulte (hépatite C).

Les AMM octroyées à Roferon 3, 4, 5, 9 et 18 millions d'unités ont fait l'objet d'un rectificatif en date du 31 décembre 1992 modifiant la liste d'indications thérapeutiques pour l'établir comme suit : leucémie à tricholeucocytes, sarcome de Kaposi associé au SIDA sans antécédent d'infection opportuniste, leucémie myéloïde chronique, lymphome cutané à cellules T en évolution chez des malades réfractaires ou ne relevant pas des traitements classiques, hépatite chronique active virale B de l'adulte, mélanome malin disséminé, cancer du rein métastatique ou récidivant, myélome multiple stabilisé ou en plateau après une chimiothérapie d'induction, hépatite chronique active non A non B de l'adulte (hépatite C), soit neuf indications.

Les AMM accordées à Introna 1, 3, 5, 10 et 30 millions d'unités ont fait l'objet d'une extension en date du 25 mars 1993 à l'indication suivante : traitement des lymphomes folliculaires (ou non hogdkiniens) de masse tumorale élevée (stade III ou IV) en association à un protocole de chimiothérapie appropriée type CHOP, la liste des indications d'Introna s'établissant par conséquent également à neuf indications.

Les dernières extensions d'AMM concernent le traitement du lymphome cutané à cellules T en évolution chez des malades réfractaires ou ne relevant pas des traitements classiques, octroyée à Produits Roche en 1992, et le traitement des lymphomes non hodgkiniens ou lymphomes folliculaires, accordée à Schering-Plough en 1993.

Les extensions d'AMM liées à ces deux dernières indications ne sont pas concernées par l'accord du 13 juillet 1989 notifié au directeur de la pharmacie et du médicament par les deux laboratoires. Elles ont été obtenues après avis du comité des spécialités pharmaceutiques (ou " committee for proprietary medicinal products "CPMP), dans le cadre de la concertation alors régie par l'article R. 5136-1 du Code de la santé publique, dans sa rédaction issue du décret n° 88-661 du 6 mai 1988, s'agissant de la transposition des dispositions de la directive 83-570 du Conseil des ministres de la Communauté 26 octobre 1983, modifiant la directive 65/65 de ce Conseil et la directive 87-22 du même Conseil qui concernent notamment la mise sur le marché des médicaments issus des biotechnologies. Cette concertation permettait à un laboratoire dont la spécialité pharmaceutique bénéficiait d'une autorisation de mise sur le marché dans un ou plusieurs pays membres des Communautés européennes de demander au ministre chargé de la Santé d'étendre à la France cette autorisation, avec les mêmes indications et posologies.

Enfin, une indication pour le traitement des lymphomes non hogdkiniens a été obtenue par Produits Roche en 1995, à l'issue d'une procédure nationale, deux ans après Schering-Plough. Les spécialités Roferon et Introna partagent donc actuellement les mêmes indications, à l'exception de celle concernant le lymphome cutané à cellule T, propre à Roferon.

3. L'inscription simultanée sur la liste des spécialités pharmaceutiques agréées à l'usage des collectivités et divers services publics.

L'inscription sur la liste des spécialités pharmaceutiques agréées à l'usage des collectivités et divers services publics est indispensable pour qu'un médicament puisse être distribué dans les hôpitaux publics. Le Code de la santé publique dispose en effet dans son article L. 618 que : " L'achat, la fourniture, la prise en charge et l'utilisation par les collectivités publiques des médicaments définis aux articles L.601 (médicaments soumis à autorisation de mise sur le marché délivrée par l'Agence du médicament depuis sa création par la loi n° 93-5 du 4 janvier 1993, auparavant par le ministre de la Santé), 605 et 606 ci-dessus sont limités dans les conditions prévues ci-dessous aux produits agréés dont la liste est établie par l'Agence du médicament (depuis sa création par la loi n°93-5 du 4 janvier 1993, auparavant par le ministre de la Santé) " et dans son article L 619 que : " Cette liste est proposée par une commission dont la composition est fixée par décret pris sur le rapport du ministre de la Santé publique ".

C'est la " commission de la transparence " qui est investie de ces attributions, aux termes de l'article R. 163-8 du Code de la sécurité sociale : " A la demande du ministre chargé de la Santé, la commission de la transparence donne un avis sur : 1° les documents destinés à donner une information sur les coûts comparés des médicaments à même visée thérapeutique ; 2° l'intérêt des produits pour lesquels l'inscription est sollicitée ; comparé à celui des produits existants ; 3° le classement des produits au regard de la participation des assurés aux frais d'acquisition des médicaments ; 4° les posologies ; 5° les durées de traitement ; 6° les conditionnements ; 7° toute question touchant à la consommation des produits pharmaceutiques remboursable ". La commission intervient après la délivrance de l'AMM ou son extension, au stade de la prise en charge, pour évaluer, au terme d'un bilan bénéfice/coût qui prend en compte des critères d'ordre à la fois scientifique et économique, l'amélioration du service médical rendu par la nouvelle spécialité pharmaceutique (ASMR) en comparaison avec les produits existants.

Les spécialités Roferon 3, 9 et 18 millions d'unités et Introna 3, 5, 10 et 30 millions d'unités ont été simultanément inscrites sur la liste des spécialités pharmaceutiques agréées à l'usage des collectivités et divers services publics par décision du 8 avril 1987, Introna 1 million d'unités par décision du 21 février 1990, Roferon 4,5 millions d'unités par décision du 25 novembre 1992 et Roferon 6 millions d'unités par décision du 21 février 1996. L'inscription concomitante des deux produits dans leurs premiers dosages lancés attire de la part de M. Scemla, chargé des ventes hospitalières de la société Schering-Plough, la remarque suivante : " Nous estimons (...) que les pouvoirs publics ont favorisé notre concurrent. En effet dans la mesure où nous avions obtenu l'AMM avant lui, nous souhaitions et obtenir notre prix et vendre aux collectivités avant lui, c'est-à-dire qu'il soit tenu compte de ce décalage. Les deux produits ont cependant été inscrits sur la liste des spécialités agréées aux collectivités en même temps, par le même arrêté ".

Les spécialités Roferon et Introna n'ont été inscrites que sur cette seule liste, et non sur la liste des médicaments remboursables aux assurés sociaux, directement pris en charge par les organismes de sécurité sociale, et ce alors même que les sociétés Produits Roche et Schering-Plough envisageaient de distribuer Roferon et Introna non seulement en hôpital, par l'intermédiaire des pharmacies hospitalières, mais aussi en ville, c'est-à-dire en officine via des grossistes, à titre de médicaments remboursables aux assurés sociaux. Les sociétés Produits Roche et Schering-Plough n'ont pas obtenu satisfaction sur ce point, M. Coquand, directeur des ventes de la société Produits roche, précisant en effet : " (...) le ministère de la Santé (...) a demandé qu'il (Roferon) soit réservé aux hôpitaux ", M. Scemla, chargé des ventes hospitalières de la société Schering-Plough, observant de son côté " Les pouvoirs publics nous ont imposé la restriction d'une diffusion hospitalière uniquement ".

Dans son avis du 19 novembre 1986 concernant Introna comme dans celui du 17 décembre 1986 concernant Roferon, la commission de la transparence propose en effet : (...) " que dans un premier temps cette spécialité soit réservée à l'usage des collectivités " et formule donc une " proposition d'inscription sur la seule liste des produits agréés aux collectivités et divers services publics ". Entendu sur ce point au cours de l'instruction, M. Avouac, président de la commission de la transparence, a souligné que cette proposition était opportune, s'agissant de spécialités pharmaceutiques appelées à bénéficier rapidement de nouvelles indications et dont les conditions d'emploi et de prescription étaient plus faciles à surveiller en milieu hospitalier. La perspective d'une croissance importante du marché expliquant cette décision de limiter la distribution de Roferon et d'Introna à l'hôpital et de ne pas l'étendre à la diffusion en ville, une circulaire du ministère des Affaires sociales et de l'Emploi du 21 avril 1987 fixa ensuite les " modalités de distribution et de prise en charge des interférons...dans les établissements hospitaliers soumis à dotation globale", s'agissant de leur distribution, en indiquant : " Tous les établissements visés par la présente circulaire pourront se procurer directement ces spécialités auprès des laboratoires producteurs mais, compte tenu de leur coût élevé, il est recommandé aux établissements de procéder à des achats groupés au niveau local et de faire jouer la concurrence entre les deux laboratoires, en tenant compte de l'évolution des posologies observées " et en ce qui concerne leur prise en charge, en précisant : " Les dépenses liées à l'utilisation de ces spécialités, qu'elles soient prescrites dans le cadre d'une hospitalisation complète, d'une hospitalisation de jour ou en ambulatoire, sont soumises au régime de droit commun des dépenses d'hospitalisation (c'est-à-dire couvertes par la dotation globale de financement) : les recettes correspondantes sont incluses dans la dotation globale de financement ".

Une nouvelle circulaire du ministre des Affaires sociales et de l'Intégration en date du 12 août 1991, concernant la dispensation et la distribution des interférons (Roferon et Introna) et de la Vidarabine dans le traitement des hépatites chroniques actives à virus B confirme que les dépenses liées à l'utilisation des spécialités Roferon et Introna " (...) sont soumises au régime de droit commun des dépenses d'hospitalisation et sont de ce fait couvertes par la dotation globale de fonctionnement (...) ", mais il est aussi précisé que " (...) cette disposition n'exclut nullement la possibilité d'une facturation de ces spécialités soit en totalité à l'encontre des malades non assurés sociaux, soit par la partie non couverte par l'assurance maladie lorsque le malade ne bénéficie pas de l'exonération du ticket modérateur ". La participation de l'assuré est, en principe, supprimée s'il est reconnu atteint d'une affection inscrite sur une liste qui inclut notamment les affections cancéreuses, ou d'une affection comportant " un traitement prolongé et une thérapeutique coûteuse ", après décision de la caisse d'assurance maladie dont il relève, en application de l'article R. 322-3 du Code de la sécurité sociale.

Ce régime d'encadrement des prix n'excluait pas une négociation entre les acheteurs hospitaliers et les laboratoires, comme l'a précisé la Commission de la concurrence dans son avis du 28 avril 1983 relatif à la situation de la concurrence sur le marché des médicaments et spécialités pharmaceutiques à base de dipyridamole. Le prix de 45 F hors taxes, qui concernait tous les dosages des spécialités en cause, au regard du tableau des prix des interférons alpha annexé à la circulaire du 21 avril 1987 du ministre des Affaires sociales et de l'Emploi, n'excluait pas la négociation de meilleures conditions par les acheteurs hospitaliers et correspondait en fait à des tarifs plafonds.

C. - Les évolutions du marché

S'agissant, en l'espèce, de la distribution des interférons alpha issus du génie génétique vendus aux établissements hospitaliers sous les noms de Roferon et Introna, la demande émane de ces structures (essentiellement Assistances Publiques, CHRU, CHR, CHU, Centres anticancéreux), ainsi que des groupements d'achats qu'ils peuvent constituer conformément aux dispositions du Livre IV du Code des marchés publics et non des établissements de soins privés associés à l'exécution du service public hospitalier. Ces cliniques, qui bénéficient comme les hôpitaux publics d'une dotation globale de financement, sont susceptibles de faire l'acquisition d'interférons alpha après mise en concurrence des laboratoires mais elles ne peuvent procéder à la rétrocession à d'autres établissements ou aux malades qui reçoivent des soins ambulatoires. Les hôpitaux publics sont les seuls établissements à même de procéder à une telle rétrocession.

La société Produits Roche a précisé que le chiffre d'affaires de Roferon est ventilé comme suit en 1994 : centres hospitaliers (comprenant : hôpitaux, centres hospitaliers généraux, hôpitaux militaires, hôpitaux psychiatriques, sanatoriums) (25,61 %) ; centres hospitaliers universitaires ou centres hospitaliers régionaux (59,25 %), dont Assistance publique - Hôpitaux de Paris (17,40 %) ; centres de recherche anti-cancéreux (9,72 %.) ; cliniques privées à but lucratif (5,42 %). La société Schering-Plough a précisé que les 30 premiers clients pour la spécialité Introna représentent en 1994 près de 63 % du chiffre d'affaires réalisé avec cette spécialité et que les ventes aux établissements d'hospitalisation privés représentent 3,93 % des ventes pour la période mars 1995 à février 1997.

La commission de la transparence indiquait dans son avis du 19 novembre 1986 concernant Introna comme dans son avis du 17 décembre 1986 concernant Roferon que ces spécialités constituent " une nouvelle approche thérapeutique dans des indications limitées qui correspondent à l'heure actuelle à une incidence d'environ 5 000 nouveaux malades par an ", à savoir les trois indications dans lesquelles Roferon et Introna avaient obtenu l'AMM, leucémie à tricholeucocytes, mélanome malin disséminé, sarcome de Kaposi associé au SIDA. Les propriétés à la fois antivirale, antiproliférative et immuno-modulatrice de ces produits laissaient cependant présager une possibilité de développement plus ou moins rapide des nouvelles applications thérapeutiques, la commission indiquant ainsi, dans son avis du 17 décembre 1986 concernant Roferon : "

Comme pour Introna, les indications du Roferon A sont actuellement très limitées mais sont susceptibles d'élargissement dans un avenir proche ", la circulaire du ministère des Affaires sociales et de l'Emploi du 21 avril 1987 concernant les conditions de la dispensation des prescriptions et de prise en charge des interférons alpha précisant d'ailleurs qu'il : " existe un risque non négligeable de prescription (...) en dehors des trois indications retenues par la commission d'AMM " Cette perspective de croissance du marché constituait un argument en faveur de la mise en place d'un système de prescription, de distribution et de prise en charge de ces produits en collectivité et de la mise en concurrence par les prix.

Les données relatives aux chiffres d'affaires communiquées par Produits Roche et Schering-Plough permettent, concernant le marché français, de dresser le tableau ci-dessous, qui illustre l'élargissement du marché de l'interféron alpha.

EMPLACEMENT TABLEAU

A partir de 1992, ce sont les dosages à 3 MUI qui ont connu, du moins de manière constante, le plus fort développement de leurs ventes et qui ont représenté les plus grosses parts de marché (près de 39 %), si l'on tient compte de ce que ces dosages ont été mis sur le marché dès l'origine, en 1987. En effet d'autres dosages, mis sur le marché plus tardivement (Introna 1 MUI en 1991 puis en 1992 et en 1993, Roferon 4,5 MUI en 1994), ont bien entendu enregistré au début de leur commercialisation une progression de leurs ventes et de leur part de marché très supérieures à celle des dosages à 3 MUI à la même époque, qui étaient déjà présents sur le marché depuis 1987. Les deux dosages à 3 MUI, qui représentaient en 1987 un peu moins de 15 % du marché des interférons alpha, en représentaient en 1992 près de 39 % en augmentation de près de 264 %, soit près du triple. Ces mêmes dosages représentent près de la moitié du marché en 1994.

Le tableau de synthèse qui précède montre que, malgré le rééquilibrage des parts de marché intervenu du fait du développement des ventes d'Introna 3 MUI par Schering-Plough, le marché des dosages à 3 MUI a continué à progresser fortement en volume - les prix de ces produits n'ayant pas augmenté depuis leur mise sur le marché en 1987- au bénéfice de l'un comme de l'autre offreurs et ce, bien que les ventes d'Introna 3 MUI par Schering-Plough soient désormais supérieures à celles de Roferon 3 MUI par produits Roche.

Des explications ont été recueillies sur le développement des ventes des dosages à 3 millions d'unités de la part de M. Paubel, négociateur à la direction des achats de la Pharmacie centrale des Hôpitaux de Paris, qui constate que : " 1990-1991 a vu les fabricants obtenir des indications en hépatologie, ce qui a provoqué une explosion du marché des dosages intermédiaires destinés à ces pathologies : 3 et 5 millions d'unités (...), explosion qui peut également s'expliquer par un transfert de la consommation d'interférons alpha des forts dosages, jusqu'alors utilisés en cancérologie mais progressivement délaissés au profit des dosages intermédiaires en raison des importants effets secondaires que leur utilisation comporte " et de la part de M. Alleman, Mme Demichelis et M. Gaujour, respectivement pharmacien-chef de service, pharmacien chargée avec M. Gaujour des achats de médicaments et chargé des procédures d'achat au service économique du bureau des marchés, au centre hospitalier intercommunal de Toulon-la-Seyne-sur-Mer (83), qui indiquent : " Le plus gros marché pour l'interféron est celui de l'hépatite C (ou non A non B), gros marché actuellement mais également très porteur puisqu'on estime à 500 000 le nombre de personnes porteuses du virus en France, auxquelles on pourrait, en les traitant (...), éviter le cancer du foie (...). L'hépatite C est traitée par interféron dosé à 3 millions d'unités, le plus utilisé ".

Sur l'évolution des parts de marché respectives des deux laboratoires en faveur de Schering-Plough, les explications données par les acheteurs sont, d'une part, des explications relatives aux gammes proposées, M. Paubel, négociateur à la direction des achats de la Pharmacie Centrale des Hôpitaux de Paris, observant en effet : " La gamme proposée par Schering-Plough est... plus complète, s'étendant d'un très fort dosage au plus faible dosage, avec des dosages intermédiaires adaptés, notamment le 5 millions d'unités " et, d'autre part, des explications relatives à leur présence et à leur agressivité commerciales, M. Singlas, pharmacien-chef de l'hôpital Necker, déclarant quant à lui : " Schering-Plough est plus " agressif " commercialement que Produits Roche(...) plus présent sur les sites (les hôpitaux) : à une époque il y avait une déléguée de Schering-Plough présente à quasi plein temps à Necker, la déléguée de Produits Roche étant elle moins présente (et a) une politique " conviviale " plus développée ".

D. - Les pratiques constatées

1. La collaboration initiée par l'administration entre Produits Roche et Unicet (Schering Plough ) pour la mise sur le marché.

Parmi les pièces saisies par les enquêteurs dans les locaux de la société Schering-Plough, dans le cadre d'une procédure régie par l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, figure un " Mémo " du responsable des ventes hospitalières de la société Schering-Plough, concernant la spécialité Introna et la politique du laboratoire en ce qui concerne les appels d'offres de l'année 1994 : " Pour ce produit, les Pouvoirs Publics nous ont imposé vis à vis de notre concurrent : un dépôt d'AMM simultané et des indications identiques (alors que nous avions revendiqué des indications spécifiques (...) ".

La société Schering-Plough a obtenu le 1er septembre 1986 une AMM pour Introna à 1, 3, 5, 10 et 30 millions d'unités dans les indications thérapeutiques suivantes : leucémie à tricholeucocytes, mélanome malin disséminé, sarcome de Kaposi associé au SIDA et la société Produits Roche a obtenu dès le 24 novembre suivant une AMM pour Roferon à 3, 9 et 18 millions d'unités dans les mêmes indications thérapeutiques. Les spécialités Roferon 3, 9 et 18 millions d'unités et Introna 3, 5, 10 et 30 millions d'unités ont de surcroît été simultanément inscrites sur la liste des spécialités pharmaceutiques agréées à l'usage des collectivités et divers services publics par décision du 8 avril 1987.

Par ailleurs, parmi les pièces saisies dans les locaux de Produits Roche en application de la même procédure, figurent deux pièces qui décrivent, l'une les conditions d'un accord conclu et mis en œuvre par Produits Roche et Unicet en matière d'extensions d'AMM, l'autre celles de son application ultérieure. Il s'agit du compte rendu d'une réunion Produits Roche/Unicet du 25 octobre 1988, rédigé par Produits Roche et destiné à être transmis à Unicet comme l'indique la note qui l'accompagne, en date du 28 octobre 1988, et d'un compte rendu adressé le 30 juillet 1990 par la société Produits Roche au siège bâlois du groupe.

Ce compte rendu révèle que les laboratoires ont échangé des informations sur l'état d'avancement de leurs dossiers concernant les diverses indications envisagées pour les interférons alpha, à savoir leucémie myéloïde chronique, cancer du rein, BCC, condylomes multiples, myélomes, lymphome cutané T, hépatites chroniques B, hépatite non A non B, lymphomes non hodgkiniens, ainsi que cancer de la vessie, cancer de l'ovaire, carcinoïdes. Arguant de " l'hétérogénéité actuelle ", ce compte rendu indique d'abord que Produits Roche et Produits Roche (Unicet) poursuivent le but : " ... de confronter les données et expériences de chacun de nos laboratoires afin d'arriver à des recommandations communes pour le meilleur usage des interférons, notamment en ce qui concerne les schémas posologiques et les durées de traitement. "Ce document révèle le dispositif adopté, indication par indication, dont il ressort que Produits Roche et Unicet, globalement, sont informés de l'état de l'avancement des études cliniques du concurrent, du dépôt par l'un ou l'autre d'un dossier d'extension d'AMM, en suivent l'évolution et sont informés des résultats des études cliniques, mais surtout décident, en concertation, lors de réunions tenues à cette fin, selon les cas :

- de l'opportunité pour l'un ou l'autre de déposer ou non un dossier d'extension d'AMM ;

- de faire partager au concurrent le bénéfice des résultats des études cliniques, selon un mode de réciprocité, si l'un et l'autre en avaient effectivement réalisées, mais aussi par l'un ou l'autre, de manière unilatérale, si l'un ou l'autre n'en avait pas réalisées ;

- de faire partager au concurrent le bénéfice de l'extension d'AMM obtenue par l'un ou l'autre, afin d'obtenir de manière conjointe et simultanée les extensions d'AMM souhaitées.

Le compte rendu mentionne encore : " A noter que cette démarche a recueilli un accueil favorable de la part du Professeur Alexandre ", à l'époque président de la commission d'AMM.

L'accord évoqué dans ce compte rendu a ainsi été notifié au Directeur de la Pharmacie et du Médicament, par lettre en date du 13 juillet 1989 : " Nous avons l'honneur de vous informer de la décision intervenue entre les Laboratoires Roche et les Laboratoires Unicet de réaliser un développement clinique conjoint par mise en commun des données expérimentales cliniques recueillies après application indifféremment de l'une de nos deux spécialités à base d'interféron, Roferon A et Introna, ainsi que des analyses qui en sont faites par les experts. La situation ayant évolué depuis l'octroi des AMM (septembre 1986 et novembre 1986 respectivement pour l'Introna et le Roferon), cette décision a pu être prise grâce à l'expérience acquise. En effet, bien que nos spécialités ne soient pas tout à fait identiques, notamment quant à leur formule chimique et à la méthode de purification, leur mode d'action s'est avéré être sensiblement le même. Cet accord, pris entre nos deux Laboratoires dans un souci de santé publique, concerne d'ores et déjà la demande d'extension des indications des deux spécialités au traitement de : la leucémie myéloïde chronique, du cancer rénal métastasé, du myélome multiple actuellement en cours d'instruction par la commission d'AMM Elle s'appliquera tout naturellement aux demandes qui vous seront soumises dans les prochains mois par l'un ou l'autre des 2 Laboratoires, pour d'autres indications en cours d'étude à ce jour. Cette décision nous a semblé de nature à faciliter un bon usage par les prescripteurs des deux spécialités à base d'Interféron alfa 2 " (cachet et signature des dirigeants des deux laboratoires). Ainsi la mise en œuvre de l'accord en était-elle, à l'époque de cette notification, au stade des démarches intéressant l'obtention de l'extension des AMM de Roferon et d'Introna à trois nouvelles indications sur les douze qui en faisaient l'objet.

Toutefois, le compte rendu des discussions sur la collaboration entre les laboratoires lors de la réunion du 25 octobre 1988 et la lettre du 13 juillet 1989 notifiée au directeur de la pharmacie et du médicament, par laquelle chacun donnait son accord pour l'utilisation par son concurrent des données d'expérimentations cliniques relatives à sa propre spécialité, concernant les seules procédures nationales d'autorisation et d'extension des indications concernant certaines thérapies. Cela est confirmé par un accord conclu le 16 janvier 1989 entre les sociétés Produits Roche et Unicet, pour une durée de dix ans, par lequel l'un et l'autre laboratoires s'engagent à échanger des " informations " telles que " données cliniques, études, rapports " sur chacune des spécialités en cause, dans la perspective d'une demande d'extension des indications concernant le myélome multiple, la leucémie myéloïde chronique, le cancer du rein, l'hépatite non A non B, l'hépatite chronique B ou " à toutes autres indications dont les deux parties conviendraient ultérieurement auprès du ministère de la Santé français ". Ces informations ne peuvent être délivrées " que dans le seul but faisant l'objet de l'accord et sur le seul territoire français " et ne pourront être utilisées " pour la mise en œuvre d'une quelconque procédure d'enregistrement européen ".

Aucun élément du dossier ne permet d'établir que l'accord du 13 juillet 1989 aurait reçu application, pour une autorisation délivrée au terme d'une procédure européenne, après l'extension des indications délivrée le 30 décembre 1991 aux deux laboratoires, pour le traitement de l'hépatite C active. Depuis cette date, les interférons alpha ont obtenu de nouvelles indications non dans le cadre de procédures nationales, mais à l'issue de procédures communautaires.

Le contenu de l'accord intervenu entre les deux sociétés est explicité par un compte rendu adressé le 30 juillet 1990, soit deux ans après la conclusion de l'accord, par la société Produits Roche France au siège bâlois du groupe, qui indique en guise de préambule : " Il y a près de deux ans, à la recherche d'un objectif d'efficacité de nos deux firmes et de santé publique, nous avons d'un commun accord avec nos autorités de tutelle décidé de soumettre tout dossier d'AMM interféron alpha sous une forme identique. Chaque indication regroupait les données disponibles de Roche et de Schering pour les pathologies que nous avions étudiées l'un et l'autre ; ou, s'il s'agissait d'une indication étudiée par l'un ou l'autre des laboratoires, nous demandions l'application à l'autre de l'AMM obtenue ".

2. Les comportements de Produits Roche et de Schering-Plouh en termes de tarifs, de prix et de conditions commerciales

Ont été rassemblés au cours de l'enquête administrative, puis au cours de l'instruction, les tarifs Produits Roche du 1er août 1986 au 1er juin 1996 et les tarifs Schering-Plough (Unicet) mis à jour d'août 1987 jusqu'à avril 1996. Ces tarifs permettent de dresser les tableaux ci-après :

EMPLACEMENT TABLEAU

EMPLACEMENT TABLEAU

Ces prix s'entendent, sous réserve des remarques formulées pour chacun d'entre eux :

- en * : à partir du 1er janvier 1990, Produits Roche ne propose plus, pour chacun des dosages disponibles, qu'un prix par 10 unités (alors que précédemment un prix unitaire était également proposé ; Schering-Plough continuant à proposer l'un et l'autre, sauf pour le dosage à 1 MUI pour lequel seul un prix unitaire est proposé),

- en ** : mise sur le marché de nouveaux dosages, à 1 MUI chez Schering-Plough en 1990, à 4,5 MUI chez Produits Roche en 1993.

Ces tableaux sont valables pour toute la période couverte par les tarifs cités ci-dessus, qui n'ont pas varié depuis la mise sur le marché de Roferon et d'Introna jusqu'en 1996.

Il font ressortir, pour les conditionnements unitaires, un tarif identique et unique, tous dosages confondus, qu'il s'agisse de ceux proposés par Produits Roche ou de ceux proposés par Schering-Plough, de 45 F, appliqué de manière arithmétique aux différents dosages disponibles, c'est-à-dire multiplié par le nombre de millions d'unités qu'ils contiennent.

S'agissant des conditionnements par 10, on relève :

- dans l'ensemble, tous dosages confondus, des prix très proches fixés par les tarifs puisque variant entre 43,80 F, pour le dosage à 10 millions d'unités de Schering-Plough, et 44,10 F, pour les deux dosages à 3 millions d'unités disponibles, ce dernier prix étant en effet identique qu'il s'agisse du dosage à 3 millions d'unités de Produits Roche ou qu'il s'agisse de celui de Schering-Plough ;

- un prix identique fixé par les tarifs pour le dosage à 4,5 millions de Produits Roche et le dosage à 5 millions d'unités de Schering-Plough (44 F) ;

- des prix quasiment identiques fixés par les tarifs pour le dosage à 9 millions d'unités de Produits Roche (43,88 F) et le dosage à 10 millions d'unités de Schering-Plough (43,80 F) ;

- des prix très voisins fixés par les tarifs pour le dosage à 18 millions d'unités de Produits Roche (43,65 F) et le dosage à 30 millions d'unités de Schering-Plough (43,40 F).

Des grilles de prix par catégories d'acheteurs ont été mises en place par les sociétés Produits Roche et Schering-Plough pour compléter les tarifs et préciser les conditions consenties aux diverses catégories d'acheteurs. Intitulées respectivement " politique prix Roferon 1994 " et " grille des prix Introna actuellement en vigueur ", elles révèlent qu'aucun des deux fabricants n'a fait figurer dans sa grille le prix tarif de 45 F par million d'unités, abstraction faite de Schering-Plough pour Introna 1 MUI, ce prix n'étant en pratique pas appliqué, sauf rares fois ; ainsi, le prix le plus élevé mentionné dans l'une comme dans l'autre grille est en fait le prix tarif au conditionnement par 10 qui s'applique à la catégorie d'acheteurs qui, dans l'une et l'autre grille, bénéficient des conditions les moins favorables.

L'examen des grilles de prix des laboratoires fait ressortir des classifications communes, tant pour ce qui concerne la définition des différentes catégories d'acheteurs (cas particuliers mis à part) que pour ce qui est des conditions qui leur sont applicables, qui sont très proches, en particulier pour ce qui concerne les dosages voisins, 4,5 et 5 millions d'unités d'une part, 9 et 10 millions d'unités d'autre part, mais aussi 18 et 30 millions d'unités, les conditions faites à la catégorie d'acheteurs les moins importants coïncidant avec les prix tarifs au conditionnement par 10. Elle révèlent également l'identité des conditions applicables aux deux catégories d'acheteurs les moins importants sur l'un comme sur l'autre dosages à 3 millions d'unités, que l'on ne retrouve pas dans les conditions applicables aux catégories d'acheteurs les plus importants, sauf dans les conditions faites à la catégorie d'acheteurs " CHU-CAC -groupements " de l'une et l'autre grilles sur le dosage à 5 millions d'unités de Produits Roche et sur le dosage à 9 millions d'unités de Schering-Plough (43,20 F).

M. Coquand (Produits Roche) indique encore, concernant ces grilles : " Les conditions commerciales telles que synthétisées dans ce document existent depuis le début de la mise sur le marché de Roferon et sont demeurées inchangées. Des établissements ont en revanche pu, depuis, changer de catégorie. ", M. Scemla (Schering-Plough) précisant pour sa part : " La grille de prix que je vous communique en cote 12 n'a pas bougé depuis quasiment l'origine pour ses niveaux 1,2 et 3.. ".

Ces grilles de prix, propres à chaque laboratoire, leur permettent donc de proposer aux principaux acheteurs, en fonction d'un classement par catégorie d'établissements ou par volume d'achats, une tarification plus avantageuse que celle qui résulte de la simple application des tarifs, issus des anciens prix administrés.

Les acheteurs hospitaliers négocient de surcroît la remise d'unités gratuites ou des remises sur le chiffre d'affaires. Un nombre important de propositions de prix remises par Produits Roche et Schering-Plough lors de consultations engagées pour la fourniture d'interférons alpha aux établissements hospitaliers ont été recueillies lors de l'enquête, portant sur tous les types de structures. Ces propositions de prix s'inscrivent dans le cadre des grilles de prix par catégories d'acheteurs propres à chacun d'eux. Les offres reflètent la stabilité sur plusieurs années des conditions consenties, mis à part pour les plus gros acheteurs, qui sont parvenus à négocier des baisses de prix. Les baisses sont illustrées par des propositions de prix hors taxes remises par les fabricants pour le dosage à 3 millions d'unités, seul dosage commercialisé par l'un comme par l'autre laboratoires et pour lequel des comparaisons ont pu être effectuées. Ces propositions sont équivalentes dans la plupart des cas, mais des propositions différentes ont néanmoins été remises lors d'un certain nombre de consultations. Elles concernent une majorité de centres importants ou des groupements d'achat, même si tous les types de structures hospitalières publiques sont représentés. Les plus significatives sont énumérées ci-après :

- AP-HP (Assistance Publique - Hôpitaux de Paris) :

1991 : Roferon : 112,455 F ; Introna : 112,387 F

1992 : Roferon : 112,455 F ; Introna : 112,387 F

1993 : Roferon : 109,809 F ; Introna : 112,387 F

1994 : Roferon : 109,809 F ; Introna : 109,809 F

- Hospices Civils de Lyon (69) :

1993 : Roferon : 123 ; Introna : 122 F

1994 : Roferon : 123 F ; Introna : 120 F

- CHR Lille (59) :

1989 : Roferon : 127,89 F (130,57 F TTC) ; Introna : 135 F (137,83 F TTC)

1990 : Roferon : 127,89 F ; Introna : 130,50 F (133,24 F TTC)

1991 : Roferon : 127,89 F ; Introna : 130,50 F

1992-1993 : Roferon : 120 F ; Introna : 130,50 F

1993-1994 : Roferon : 120 F ; Introna : 130,50 F

- CHR de Nantes (44) :

période du 1/7/90 au 30/6/92 :

Roferon : 124,50 F ; Introna : 130,50 F

période du 1/7/92 au 30/6/94 :

Roferon : 124,50 F ; Introna : 130,50 F

période du 1/7/94 au 30/6/95 :

Roferon : 124,50 F ; Introna : 130,50 F

- groupement d'achat des hôpitaux du Val d'Oise (95) :

1993-1994 : Roferon : 132,30 F ; Introna :130,50 F

après remise en concurrence pour 1994 : Roferon : 130,00 F ; Introna : 130,50 F

- groupements du Bas-Rhin (88) :

1994 : Roferon : 130,00 F ; Introna : 129,60 F

- groupement d'achats de produits pharmaceutiques pour les hôpitaux du Val-de-Marne(94) et de la Seine-Saint-Denis (93) :

1992 : Roferon : 132,30 F ; Introna : 130,50 F

1993 : Roferon : 132,30 F ; Introna : 130,50 F

1994 : Roferon : 130,50 F ; Introna : 130,50 F

- centre hospitalier du Mans (72) :

1993-1994 : Roferon : 132,30 F ; Introna : 130,50 F

Lorsque les appels d'offres concernent des établissements qui ne sont pas des clients importants et se bornent à délivrer des interférons aux malades dont le traitement a été initié dans de grands centres hospitaliers, les prix demandés sont très proches ou identiques. C'est le cas, par exemple, pour les offres concernant l'achat des dosages à 3 MUI des spécialités Roferon et Introna (boîtes de 10 ou 12) par le groupement interhospitalier d'achat de produits pharmaceutiques du département des Vosges et le centre hospitalier général d'Epinal.

- groupement interhospitalier d'achat de produits pharmaceutiques du département des Vosges :

1994 : Roferon : 132,30 F ; Introna : 132,30 F

1996 : Roferon : 132,30 F ; Introna : 132,30 F

- centre hospitalier général d'Epinal :

1996 : Roferon : 132,30 F ; Introna : 132,30 F

En ce qui concerne la remise d'unités gratuites, chaque laboratoire a une politique commerciale qui lui est propre.

M. Coquand (Produits Roche) déclare, concernant un document saisi dans ses locaux, qu'il s'agit d'un : " récapitulatif de l'ensemble des unités gratuites remises, celles qui ont fait l'objet d'une négociation, et celles qui ont été remises à la demande du pharmacien". Parmi les renseignements communiqués par la direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes de la Seine-et-Marne figure en outre une " note de présentation de deux marchés négociés passés pour la fourniture de médicaments avec les laboratoires Roche ". Ce document indique, concernant le " Marché n°2 - Société Produits Roche " et à la rubrique " INTERFERON ALPHA " : " Les prix consentis jusqu'à ce jour par les deux laboratoires concernés étaient rigoureusement identiques (132,30 F pour le dosage à 3 millions d'unités). C'est la proposition du laboratoire Roche qui est retenue car celui-ci offre soixante unités gratuites pour une valeur de 8 105 F et le montant net du lot est de 202 617 F (la remise d'unités gratuites correspondant par conséquent à une remise de 4% du montant du marché) ".

Plusieurs pièces saisies dans les locaux de la société Produits Roche montrent que la remise d'unités gratuites ou d'échantillons répond le plus souvent à une demande formulée par l'acheteur, soit de remise d'unités gratuites ou d'échantillons à proprement parler, soit de prix inférieurs à ceux initialement proposés par Produits Roche. Il s'agit de documents intitulés " fiche de renseignements (ou " fiche d'information ") appel d'offres " ou " rapport de visite : pharmacien hospitalier ", établis par les visiteurs ou délégués médicaux officiant sur le terrain et adressés à la " direction commerciale ventes hôpital ", qui se font l'écho notamment des demandes d'unités gratuites ou d'échantillons formulées par les pharmaciens hospitaliers acheteurs et émettent le cas échéant des suggestions sur ces demandes, considérées comme de nature à favoriser, voire à introduire Roferon dans l'établissement, ou, a posteriori, à titre de geste commercial de remerciement, en tout état de cause le plus souvent à titre de remise (apparaissent le plus fréquemment les pourcentages de 2 et 10 %) et en alternative à une baisse de prix, ce que confirment les propos suivants de M. Coquand : " Aussi avons-nous pour règle de ne pas revenir sur le prix donné, quitte à rechercher une alternative dans la négociation (unités gratuites) ".

Dans les mêmes conditions, sont également susceptibles d'être remis des unités gratuites ou des échantillons d'autres produits que Roferon, comme en attestent plusieurs documents saisis dans les locaux de la société Produits Roche. Certains documents saisis dans ses locaux établissent de surcroît que la société Produits Roche pratique, dans le même ordre d'idées, la reprise ou l'échange de produits périmés.

En revanche, M. Scemla (Schering-Plough) déclare pour sa part : " ... Nous ne remettons pas d'unités gratuites d'Introna et d'ailleurs assez peu non plus des autres produits mais alors sur des produits vendus essentiellement en ville et qui se vendent tout seuls à l'hôpital ". Ce que confirment un état émanant d'un visiteur médical, saisi dans les locaux de Schering-Plough, concernant un marché du centre hospitalier du Havre et rapportant la demande de l'acheteur que la Clarityne lui soit donnée, demande qui semble pouvoir recueillir un avis favorable, et les informations communiquées par la brigade interrégionale d'enquête de Paris, émanant de la DGCCRF de la Seine-Maritime qui rapporte des éléments concernant également le CHG du Havre, selon lesquels : " La mise en concurrence effectuée en décembre 1993 a montré que les laboratoires Schering et Roche proposaient ce produit (le dosage à 3 millions d'unités) au même prix. Le laboratoire Schering a été retenu après la négociation de remise de Gentiline gratuitement ". Les propos de M. Scemla se trouvent néanmoins contredits par un " Mémo " saisi dans les locaux de Schering-Plough qui fait apparaître la remise d'unités gratuites d'Introna (" 200KF d'UG Introna en 91/92 "), intéressant un important centre : l'AP de Marseille. Cette pratique apparaît néanmoins beaucoup plus marginale chez Schering-Plough que chez Produits Roche.

S'agissant des remises sur le chiffre d'affaires, M. Coquand (Produits Roche) déclare : " Certains établissements bénéficient en outre d'une remise maximale de 2% sur leur chiffre d'affaires total... ". La société Schering-Plough ne paraît pas proposer un avantage comparable, qui est fréquemment proposé par la société Produits Roche.

II - Sur la base des constatations qui précèdent, le conseil,

Sur le marché concerné par la saisine :

Considérant que les interférons sont des protéines d'origine endogène, c'est-à-dire naturellement produites par les cellules de l'organisme en réponse à une infection virale, et capables d'agir non pas directement sur le virus qui affecte une cellule, mais, en transférant la résistance de l'affection virale à d'autres cellules, d'inhiber la production virale, et donc de protéger les cellules non encore affectées mais sensibles à une affection virale en les rendant résistantes pendant un certain temps à une gamme étendue de virus ; que les interférons humains appartiennent, selon leurs origines, à trois grandes familles ou classes : les interférons alpha, d'origine leucocytaire, bêta, d'origine fibroplastique, et gamma, d'origine lymphocytaire de type T ; qu'en plus de leur propriété antivirale, les interférons possèdent une activité antiprolifératrice et une activité immuno-modulatrice ; que ce n'est qu'au milieu des années 1980 que les techniques de recombinaison génétique ont permis d'obtenir un interféron alpha dit recombinant, d'une très grande qualité, de structure identique à celle de l'interféron alpha humain et reproductible en quantité suffisante par la maîtrise des conditions d'obtention ; que les interférons recombinants ont permis la réalisation d'études cliniques établissant que les interférons alpha étaient plus efficaces que les chimiothérapies cytotoxiques traditionnelles pour le traitement de certaines formes de cancer (leucémie à tricholeucocytes) ou au moins comparables aux méthodes traditionnelles (mélanome malin disséminé et sarcome de Kaposi associé au SIDA) ; que les sociétés Schering-Plough et Hoffmann La Roche (groupe Roche) produisent un interféron alpha recombinant, issu des biotechnologies, distribué par leurs filiales en France auprès des établissements hospitaliers, sous les noms de Roferon et Introna ;

Considérant que, si le commissaire du Gouvernement a rappelé que " tant la commission d'autorisation de mise sur le marché que la commission de la transparence ont estimé que les deux molécules (...), issues de recherches menées par les deux laboratoires (...), ne sont pas identiques ", il est constant que les sociétés Produits Roche et Schering-Plough France commercialisent chacune en France un interféron alpha depuis le début de l'année 1987, sous les noms de Roferon et Introna ; que les dosages commercialisés par les laboratoires découlent des posologies recommandées après essais cliniques pour les indications thérapeutiques dans lesquelles leur spécialité a obtenu une autorisation de mise sur le marché, c'est-à-dire les pathologies au traitement desquelles sont destinés ces produits ; que les indications, publiées dans l'édition annuelle du Vidal, sont identiques pour les trois premières indications obtenues par ces spécialités, et au total pour huit d'entre elles ; que les spécialités Roferon et Introna correspondaient aux mêmes indications à la date de la saisine, à l'exception de l'indication supplémentaire unique concernant le lymphome cutané à cellules T, propre à Roferon ; que M. Tabuteau, directeur général de l'agence du médicament, a par ailleurs déclaré, en ce qui concerne les dosages : " La circonstance que les dosages ne sont pas communs (...) à l'exception du dosage à 3 MUI qui est employé le plus fréquemment, notamment pour le traitement de l'hépatite C, ne révèle pas nécessairement un partage du marché. En fait, les autres dosages sont voisins, par exemple 4,5 et 5 MUI, 9 et 10 MUI, ou 18 et 20 MUI et il faut savoir que le prescripteur se fonde sur le poids du malade ou la façon dont il tolère le traitement pour choisir un dosage particulier. Le cas échéant, plusieurs dosages peuvent être utilisés pour obtenir un résultat thérapeutique déterminé (...) Les dosages proposés (pour la mise sur le marché) ont été acceptés dès lors que les experts ont établi qu'ils répondaient tous à des besoins thérapeutiques " ; que la commission de la transparence, consultée préalablement à l'inscription sur la liste des médicaments réservés aux collectivités, a ainsi précisé dans son avis du 17 décembre 1986 concernant la spécialité Roferon : "Le Roferon A est un interféron alpha 2 A humain, produit par génie génétique. Il se distingue d'Introna par une séquence d'acides aminés très légèrement différente sans toutefois entraîner des différences notables au plan des résultats et des indications thérapeutiques " ; que les notes internes saisies par les enquêteurs au siège des sociétés Produits Roche et Schering-Plough établissent que les responsables de la politique commerciale des laboratoires estiment que les spécialités Roferon et Introna entrent directement en concurrence sur le marché hospitalier ; que l'unique principe actif de l'une comme de l'autre spécialité est l'interféron alpha issu des biotechnologies, s'agissant, pour Roferon, de l'interféron dit " alpha 2 a recombinant " et, pour Introna, de l'interféron dit " alpha 2 b recombinant ", le terme " recombinant " signifiant que le principe actif est obtenu par génie génétique et non par la culture in vitro de cellules d'origine humaine ou animale, qui permet d'obtenir un interféron alpha par extraction ; que les spécialités Roferon et Introna sont les seuls interférons alpha recombinants bénéficiant en France d'une autorisation de mise sur le marché ;

Considérant que, s'agissant de produits pharmaceutiques, il convient de se placer non du point de vue du malade, utilisateur final, mais de celui du prescripteur, pour porter une appréciation sur la demande; qu'en effet, c'est au moment de la prescription que le médecin est l'agent économique responsable du choix des spécialités en cause; que, même si le suivi du traitement est assuré par un médecin de ville, le diagnostic et la prescription initiale demeurent réservés au prescripteur hospitalier; que, dans sa décision n° 96-D-12 en date du 16 mars 1996 relative aux pratiques mises en œuvre par la société Lilly France dans le secteur des spécialités pharmaceutiques destinées aux hôpitaux, confirmée par un arrêt de la cour d'appel de Paris (chambre Bconomique et financière) en date du 6 mai 1997, le Conseil de la concurrence a estimé que " Les possibilités de substitution entre médicaments sont limitées par leurs indications et contre-indications thérapeutiques respectives, ainsi que par leurs diverses propriétés pharmacologiques (...) " et que " l'acheteur n'a en réalité, qu'un rôle limité à jouer, puisqu'il est tenu de se procurer la spécialité pharmaceutique requise par le médecin ; que le pharmacien d'hôpital est tenu de ce procurer ce produit dès lors que le médecin (...) lui en a fait la demande et ne peut pas, de sa propre initiative, commander un autre produit " ;

Considérant que les spécialités Roferon et Introna sont toutes deux disponibles avec un dosage de 3 millions d'unités et sont par ailleurs disponibles dans des dosages voisins : 4,5 et 5 millions d'unités, 9 et 10 millions d'unités, voire 18 et 30 millions d'unités ; qu'ainsi, en tout état de cause, les prescripteurs choisissent au stade de l'initiation du traitement entre l'un ou l'autre produit, dans les indications communes aux spécialités Roferon et Introna, qui sont substituables ;

Considérant que les spécialités Roferon et Introna acquises par les établissements de soins à un prix négocié, qui ont le même principe actif et partagent les mêmes indications, sont appelées à entrer en concurrence ; que, dans ces conditions, les pratiques dénoncées par la lettre de saisine concernent exclusivement le marché des interférons alpha recombinants vendus aux établissements hospitaliers sous les noms de Roferon et Introna, avec l'ensemble des indications des interférons dans les deux gammes proposées par les laboratoires, et qui sont prescrits par les praticiens de ces établissements ;

Sur la concertation entre les sociétés Produits Roche et Schering-Plough pour la mise sur le marché des spécialités Roféron et Introna :

Considérant qu'aux termes du " Mémo " du responsable des ventes hospitalières de la société Schering-Plough concernant la politique de remise du laboratoire pour les appels d'offres de l'année 1994 et la spécialité Introna : " Pour ce produit, les pouvoirs publics nous ont imposé vis à vis de notre concurrent : un dépôt d'AMM simultané et des indications identiques (alors que nous avions revendiqué des indications spécifiques (...) " ; qu'il ressort du compte rendu de la réunion en date du 25 octobre 1988 entre les représentants des sociétés Produits Roche et Schering-Plough et de l'accord intervenu entre les deux laboratoires, dont le directeur de la pharmacie et du médicament a été informé par lettre en date du 13 juillet 1989, que l'objet de la concertation entre les laboratoires était le dépôt sous une forme identique de tout dossier visant à l'obtention pour Roferon et Introna d'une extension d'A.M.M ; qu'ainsi, chacun des laboratoires s'engageait à faire profiter son concurrent du bénéfice des études cliniques, selon un mode de réciprocité, si l'un et l'autre en avaient effectivement réalisées, mais aussi par l'un ou l'autre, de manière unitalérale, si l'un ou l'autre n'en avait pas réalisées ; que le but recherché était l'obtention conjointe et simultanée des extensions d'AMM sollicitées ; que les trois premières indications des interférons alpha, concernant respectivement la leucémie à tricholeucocytes, le mélanome malin disséminé et le sarcome de Kaposi associé au SIDA, ont été délivrées entre le 1er septembre 1986 et le 24 novembre 1986 aux deux laboratoires, cinq extensions d'AMM ont été octroyées entre le 8 septembre 1989 et le 30 décembre 1991 aux spécialités Roferon et Introna dans le cadre des conditions prévues à l'accord, c'est-à-dire conjointement et simultanément à l'un et l'autre laboratoires ;

Considérant, en premier lieu, que le directeur général de l'Agence du médicament a observé que " (...) la mise en commun des résultats des essais pharmacologiques ou toxicologiques ou des essais cliniques peut être très utile si l'information donnée à l'administration n'est pas biaisée. Je pense que le point juridique concernant l'application de la réglementation aux médicaments essentiellement similaires a été communiqué à l'administration, qui n'a pas fait connaître son opposition " ; qu'il a, en outre, constaté l'intérêt qui s'attachait à ce qu'un des laboratoires ne puisse bénéficier d'un monopole dans une indication nouvelle des interférons alpha en rappelant que " (...) les prix (...) ont cessé d'être administrés à partir de l'année 1987 (...) et il pouvait être opportun de ne pas laisser à l'un des deux laboratoires le monopole d'indications nouvelles, les deux spécialités apparaissant très proches l'une de l'autre. Les hôpitaux ont ainsi été mis à même de mettre en concurrence les deux laboratoires pour obtenir des conditions plus avantageuses, sachant que pour les malades, l'un ou l'autre des médicaments pouvait être utilisé " ; que cette concertation a ainsi été imposée par l'administration de la santé, dans le but de permettre aux acheteurs hospitaliers de s'adresser à au moins deux fournisseurs ;

Considérant, en second lieu, que les spécialités Roferon et Introna sont substituables dans leurs indications thérapeutiques initiales comme dans les nouvelles indications thérapeutiques obtenues dans le cadre de la concertation, en dépit de la diversité des dosages offerts, aucun laboratoire autre que Produits Roche et Schering-Plough n'ayant par ailleurs demandé à cette époque la mise sur le marché d'un interféron alpha recombinant issu des biotechnologies, dans les mêmes indications ; qu'il ressort des offres de prix faites par les deux laboratoires aux acheteurs hospitaliers que les prescripteurs ont été mis à même de choisir au sein des deux gammes de Roferon et Introna, dont les prix étaient libres depuis 1987, les dosages les mieux adaptés aux besoins des patients, dans les principales indications de ces deux spécialités ; qu'aucun élément du dossier ne permet d'établir que les deux laboratoires auraient visé un partage de ce marché ; qu'il n'est pas, par ailleurs, établi que la concertation a eu un objet ou a pu avoir un effet anticoncurrentiel en limitant l'effort de recherche fondamentale de l'un ou l'autre laboratoires sur les indications ou présentations possibles des interférons alpha ; que, par suite, l'obtention d'extensions d'AMM simultanées ou à un intervalle très rapproché concernant la leucémie myéloïde chronique, le cancer rénal métastasé, le myélome multiple, puis les hépatites B et C, rendue possible par le temps gagné lors de la préparation des dossiers à la suite de l'accord notifié au directeur de la pharmacie et du médicament, n'a eu ni pour objet, ni pour effet d'organiser une concertation tendant à empêcher, restreindre ou fausser le jeu de la concurrence par un partage du marché des interférons alpha vendus aux établissements hospitaliers ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède qu'il n'est pas établi que la concertation entre les sociétés Produits Roche et Schering-Plough, pour la mise sur le marché des spécialités Roferon et Introna, soit prohibée par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ou de l'article 85-1 du traité de Rome ;

Sur les comportements des sociétés Produits Roche et Schering-Plough en termes de tarifs, prix et conditions commerciales :

Considérant qu'il résulte de l'instruction que les consultations lancées par les acheteurs publics pour la fourniture d'interférons alpha aux établissements hospitaliers révèlent que les propositions de prix remises par produits Roche et Schering-Plough, notamment pour leur dosage à trois millions d'unités, sont parfois identiques ; qu'aux termes de la lettre de saisine, " il existe un accord de volontés, au moins tacite, entre les sociétés Produits Roche et Schering-Plough, pour maintenir les prix de ces produits réservés à l'usage hospitalier, chaque entreprise ayant une connaissance suffisante de la politique commerciale de l'autre, puisqu'il est possible de connaître les conditions tarifaires consenties aux hôpitaux publics ", le commissaire du Gouvernement précisant de surcroît que " la très forte croissance du marché pour chacune des deux spécialités, si elle ne rendait pas nécessaire, comme l'a souligné le rapporteur, un ajustement des prix au niveau des prix internationaux, très supérieur à celui fixé par les pouvoirs publics, aurait dû, bien au contraire, entraîner une baisse des prix permettant de gagner des parts de marché sur le produit concurrent, les deux produits étant substituables " ;

Mais considérant que le parallélisme de comportements ne peut être regardé comme une entente au sens de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 que si les comportements identiques ne peuvent s'expliquer ni par les conditions du marché auxquelles chaque entreprise est soumise ni par la poursuite de l'intérêt individuel de chacune d'elles; que la Cour de justice des Communautés européennes considère que " l'exigence d'autonomie " n'exclut " pas (pour les entreprises) le droit d'adapter intelligemment leur comportement, mais elle s'oppose à toute prise de contact directe ou indirecte (...) ayant pour objet ou pour effet, soit d'influencer le comportement sur le marché d'un concurrent actuel ou potentiel, soit de dévoiler à un tel concurrent le comportement que l'on est décidé, ou que l'on envisage de tenir soi-même sur le marché " et précise que " Le parallélisme de comportements ne peut être considéré comme la preuve d'une concertation que si la concertation en constitue la seule explication plausible. Il convient donc de vérifier si le parallélisme de comportements constaté ne peut pas, compte tenu de la nature des produits, de l'importance et du volume du marché en cause, s'expliquer autrement que par la concertation, en d'autres termes, si les éléments du comportement parallèle constituent un faisceau d'indices sérieux, précis et concordants d'une concertation préalable " (cf. C.J.C.E., 16 décembre 1975, Suiker Unie c/ Commission ; 31 mars 1993, Ahlstroem c/ Commission) ;

Considérant que le parallélisme de comportements des laboratoires est constaté pour les offres remises notamment à de petits acheteurs, sur la base des tarifs qui leur sont communiqués ; que, pour les acheteurs importants, les sociétés Produits Roche et Schering-Plough se trouvent en situation de concurrence par les prix sur un marché en croissance sur lequel l'une comme l'autre peut développer son chiffre d'affaires ; qu'une " veille concurrentielle " existe entre les deux offreurs, chacun se réservant la possibilité de faire une offre plus compétitive que celle du concurrent, directement sur le plan du prix ou par l'attribution d'autres avantages commerciaux, notamment par la remise d'unités gratuites ou de remises sur le chiffre d'affaires ; que la concurrence par les prix joue sur un marché qui était encore encadré par les pouvoirs publics lors de la mise sur le marché de Roferon et d'Introna, qui a vu l'attribution, à l'une comme à l'autre, du même prix réglementé, à partir duquel les deux laboratoires ont mis en place leurs tarifs ainsi que leurs grilles de prix par catégories d'acheteurs et, partant, soumis leurs offres ; qu'ainsi, l'équivalence des tarifs et grilles de prix mis en place par les sociétés Produits Roche et Schering-Plough, en particulier pour le dosage à trois millions d'unités, s'explique par la référence originelle commune à un prix réglementé fixé par les pouvoirs publics dans un contexte d'encadrement des prix des médicaments et par l'alignement réciproque de chacune des entreprises sur son concurrent après la mise en place en 1987 d'un régime de liberté des prix pour les spécialités pharmaceutiques non remboursées aux assurés sociaux ; qu'enfin, si ces paramètres sont, pour l'essentiel, demeurés inchangés après la libération des prix malgré l'importante croissance du marché en volume, liée au développement des indications thérapeutiques, les offres de prix aux établissement hospitaliers figurant au dossier et analysées au I-D-2 ci-dessus révèlent des ajustements à la baisse au profit d'acheteurs importants, tels que l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, les Hospices Civils de Lyon, le CHR de Lille, le groupement d'achat des hôpitaux du Val-d'Oise et le groupement d'achat des hôpitaux du Val-de-Marne et de la Seine-Saint-Denis, les documents intitulés " fiches de renseignements ", " rapport de visite " ou " Mémos " saisis par les enquêteurs dans les locaux des deux entreprises confirmant par ailleurs l'attribution d'avantages commerciaux tels que ceux décrits ci-dessus ;

Considérant que la société Produits Roche détenait 76,87 % du marché national en 1987 avec sa spécialité Roferon, la part de la société Schering-Plough étant seulement de 23,13 % avec sa spécialité Introna ; que la situation a évolué au profit de ce laboratoire, puisque la spécialité Introna détenait 58,57 % du marché en 1994, contre 41,43 % pour Roferon ; que cette évolution est intervenue alors que le marché français des interférons alpha passait de 43,413 millions de francs en 1987 à 241,555 millions de francs en 1994 ; que les acheteurs interrogés par les enquêteurs imputent cette situation à la facilité d'emploi de la spécialité Introna, qui offre des dosages plus nombreux que la spécialité Roferon (1, 3, 5, 10, 30 MUI contre 3 et 4,5 MUI ainsi que 9 et 18 MUI) et à la baisse des prix offerts par la société Schering-Plough ; qu'en outre, un dosage intermédiaire (4,5 MUI) a été lancé en 1992 par la société Produits Roche, un négociateur à la direction des achats de la pharmacie centrale des Hôpitaux de Paris ayant aussi observé, s'agissant de l'évolution des conditions dont bénéficie cet établissement : " En 1994, nos prix ont baissé de 2,4 % par rapport à 1990-1991. En fait, le mouvement à la baisse est à dater de 1992-1993 et a pour origine la prise de conscience par produits Roche de sa perte de vitesse sur le marché de l'interféron alpha " ;

Considérant, en l'espèce, que le parallélisme de comportements des sociétés Produits Roche et Schering-Plough peut s'expliquer par une offre limitée à deux entreprises, par la connaissance que chacune peut avoir de la politique de tarification de son concurrent et par la circonstance que les spécialités en cause sont substituables, plus particulièrement au stade de la prescription initiale, sans qu'il soit possible de mettre en évidence la supériorité de l'une d'entre elles; que, dès lors, le parallélisme de comportements des laboratoires ne révèle pas une entente anticoncurrentielle, même tacite, et n'a pas eu pour objet ou pour effet de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché ou de répartir les marchés; que, dans ces conditions, il n'est pas établi que les pratiques des deux laboratoires pour la vente des médicaments en cause aux établissements hospitaliers soient prohibées par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ou de l'article 85-1 du traité de Rome,

Décide :

Article unique : Il n'est pas établi que les sociétés Schering Plough et Produits Roche aient enfreint les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ou de l'article 85-1 du traité de Rome.