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Décisions

Conseil Conc., 25 novembre 1997, n° 97-D-83

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Pratiques mises en œuvre par le Comité Interprofessionnel des Fournisseurs du Laboratoire (CIFL) et certains de ses membres

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré, sur le rapport de Mme Elisabeth Maillot-Bouvier, par M. Barbeau, président, MM. Cortesse, Jenny, vice-présidents.

Conseil Conc. n° 97-D-83

25 novembre 1997

Le Conseil de la concurrence (commission permanente),

Vu la lettre en date du 21 décembre 1993, enregistrée le 22 décembre 1993 sous le numéro F 646, par laquelle l'Association pour le Salon du Laboratoire (ASDL) a saisi le Conseil de la concurrence, en application de l'article 11 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, modifiée relative à la liberté des prix et de la concurrence, de pratiques concertées mises en œuvre par le Comité Interprofessionnel des Fournisseurs du Laboratoire (CIFL) ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application ; Vu la lettre du président du Conseil de la concurrence en date du 13 août 1997 notifiant aux parties et au commissaire du Gouvernement sa décision de porter l'affaire devant la commission permanente, en application de l'article 22 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; Vu les observations présentées par le Comité Interprofessionnel des Fournisseurs du Laboratoire (CIFL), les sociétés Gilson et Labo Moderne ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants du Comité Interprofessionnel des Fournisseurs du Laboratoire (CIFL), de l'Association pour le Salon du laboratoire (ASDL), de la société Gilson et de la société Labo Moderne entendus ; Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et sur les motifs (II) ci-après exposés :

I - CONSTATATIONS

A- Le marché

Le Comité Interprofessionnel des Fournisseurs du Laboratoire (CIFL) est une association régie par la loi du 1er juillet 1901, qui a pour objet la défense des intérêts communs des entreprises concernées par les activités de l'instrumentation analytique et de la biologie, et notamment l'organisation et la promotion d'expositions réunissant les entreprises relevant de ce secteur. Il a pour membres aussi bien des opérateurs que des syndicats ayant un rapport avec la profession des fournisseurs de laboratoire. Il est le créateur du Salon du laboratoire et de l'Association pour le Salon du Laboratoire (ASDL), dont il était le membre le plus important jusqu'en 1993, date de son exclusion.

L'ASDL est une association sans but lucratif, régie par la loi du 1er juillet 1901, qui compte comme membres, outre le CIFL jusqu'en 1993, la chambre syndicale des fabricants et négociants d'appareils de laboratoire (Fabrilabo), le Syndicat des Fabricants de Réactifs de Laboratoire (SFRL), le Groupement des Industries Françaises de l'Optique (GIFO). Elle organise à Paris le Salon du laboratoire qui réunit, tous les deux ans, les différents acteurs du secteur de la fabrication de produits et de la fourniture de services destinés aux laboratoires chimiques en général, et notamment aux laboratoires pharmaceutiques, relevant d'entreprises, d'universités ou d'écoles, ainsi qu'aux centres de recherches.

Avec le CIFL, les trois syndicats membres de l'ASDL représentent 34,6 p. 100 des entreprises intéressées par la clientèle des laboratoires. Les autres entreprises n'adhèrent à aucune association ou syndicat.

Les produits pour le laboratoire regroupent aussi bien des produits chimiques que tous les articles utilisés par les laboratoires chimiques et pharmaceutiques ainsi que pétrochimiques. Ce secteur a bénéficié d'une période de croissance constante pendant vingt ans, mais aucune statistique n'a été publiée sur son évolution. On estime cependant son chiffre d'affaires global en France à environ 10 milliards de francs.

Sur le marché français, l'offre émane d'environ 500 entreprises qui, pour une grande partie d'entre elles, ne sont que distributeurs de firmes multinationales. Les fabricants sont au nombre de 200 environ dont une quarantaine de firmes multinationales qui détiennent près des trois quarts du marché. La demande émane des laboratoires de contrôle des usines de produits pharmaceutiques et chimiques, des laboratoires de recherche de toutes les industries chimiques, pétrochimiques, pharmaceutiques ou autres, des laboratoires de recherche des universités, de toutes les écoles d'ingénieurs, ainsi que de tous les centres de recherche en matière chimique, physique et pharmaceutique.

Le Salon du laboratoire ainsi que les différentes manifestations, telles qu'Insa Lyon, Phirama, Mesucora, le Salon de la physique, le Salon de l'analyse industrielle, les Journées internationales de biologie, ont pour clientèle les divers acteurs du secteur de la fabrication de produits et de la fourniture de services aux laboratoires chimiques. D'autres manifestations et congrès se déroulent également régulièrement : bien que de dimension souvent plus réduite ou spécifique, elles ont cependant toujours pour objet de favoriser le développement technique des produits intéressant le secteur des laboratoires et la communication concernant ces produits.

Le Salon Forum labo a été créé par le CIFL en 1993, alors que les relations entre le CIFL et l'ASDL s'étaient détériorées après le Salon du laboratoire organisé en 1991. Il s'agissait de mettre en place un salon de petite dimension, ayant pour particularité de s'appuyer sur l'organisation "d'ateliers" scientifiques en collaboration avec des sociétés savantes. Ce salon s'est déroulé deux fois, en 1994 et en 1996, la prochaine manifestation étant prévue en avril 1998.

En 1991, le Salon du laboratoire, qui a attiré 50 000 visiteurs, a regroupé 100 p. 100 des industriels de l'analyse physico-chimique et 80 p. 100 du diagnostic biologie clinique. Plus de 450 entreprises y ont participé en tant qu'exposants, sur 18 500 mètres carrés de surface, dont seulement 30 p. 100 d'entre elles étaient membres de l'un des 4 syndicats, appartenant à l'ASDL. Cette même année, les entreprises membres du CIFL occupaient 36 p. 100 de la surface d'exposition du Salon, les autres membres de l'ASDL représentaient une proportion de 19 p. 100 de la surface (9,3 p. 100 pour Fabrilabo, 9,8 p. 100 pour SFRL et 0,6 p. 100 pour GIFO) et les exposants n'appartenant à aucune association étaient déployés quant à eux sur 44 p. 100 de cette surface. Il a dégagé un excédent de recettes important, estimé à 4,5 millions de francs après impôts.

Le Salon de 1993 s'est déroulé sur une surface réduite à 7 230 mètres carrés. avec seulement 286 entreprises exposantes (dont 24 membres du CIFL) et a reçu 18 000 visiteurs ; en 1995, ce sont 274 entreprises qui ont exposé sur une surface de 6 700 mètres carrés attirant 17 000 visiteurs.

B - Les pratiques constatées

Les pratiques du CIFL :

En 1992, un conflit est né entre le CIFL et l'ASDL, pour des raisons tenant notamment au mode de fonctionnement de cette dernière organisation. Les griefs du CIFL, exposés dans un courrier adressé le 19 mai 1992 au président de l'ASDL et repris dans les éditoriaux des bulletins de liaison du CIFL de mai 1992 (n° 3) et juin 1992 (n° 4), portaient sur la non-redistribution aux exposants du trop-perçu lors du Salon de 1991 et l'impossibilité pour le conseil d'administration de l'ASDL (dont le CIFL fait partie) de se prononcer sur la gestion passée. En outre, le CIFL reprochait à l'ASDL de maintenir la date du salon en décembre 1993, contrairement à la demande d'un grand nombre d'exposants. Enfin, des divergences portaient sur la composition même du conseil d'administration, la parité entre les membres de l'ASDL ayant pour effet de limiter la représentativité du CIFL à l'ASDL, les modalités selon lesquelles s'était déroulée l'élection du président de l'ASDL et la participation de celui-ci, à titre personnel, en tant que membre de l'ASDL, à parité avec les organismes fondateurs.

Plusieurs bulletins de liaison du CIFL annoncent que certains adhérents ont décidé de ne pas participer au salon prévu pour 1993 et qu'il est projeté de créer un nouveau salon.

Du compte rendu du conseil d'administration du CIFL, réuni le 21 juillet 1992, il ressort que "le CIFL maintient sa position de non-participation au Salon de 1993" et a décidé de transmettre, à tous ses adhérents, une note d'information confirmant "la position du CIFL, a savoir, non-participation au Salon du laboratoire 1993 et les invitant à une réunion d'information (...)".

L'éditorial du bulletin de liaison du CIFL de juillet 1992 (n° 5), intitulé :

"Position du CIFL concernant le Salon du laboratoire 1993", informe les adhérents des conclusions de cette réunion du conseil d'administration, rappelle les points de désaccord persistant entre le CIFL et l'ASDL et précise : "Devant l'impossibilité de faire avancer les points jugés essentiels par le CIFL, le conseil d'administration du CIFL confirme sa décision de non-participation au Salon du laboratoire de décembre 1993". L'éditorial mentionne la diffusion de la liste des entreprises ayant décidé de ne pas participer au Salon du laboratoire.

Le 7 octobre 1992, le CIFL réunit l'ensemble de ses adhérents sur le thème "l'Avenir du Salon du laboratoire". Dans le document du 15 octobre 1992 intitulé "Synthèse de la réunion d'information du 7 octobre 1992, concernant l'avenir du Salon du laboratoire", le président du CIFL fait part "des décisions et recommandations prises par le conseil d'administration du CIFL". Il est indiqué que : "Le conseil refuse d'apporter sa caution au Salon de 1993, face à cette situation qu'il ne maîtrise plus. Le conseil estime que la tenue du Salon en 1993 ne semble pas indispensable au développement de la profession dans le contexte actuel. Par contre, il recommande fermement la poursuite des discussions avec les autres associations pour aboutir rapidement à un changement de statuts, et le report du Salon du laboratoire de décembre 1993 au printemps 1994".

Au cours de cette réunion, les membres participants ont été consultés sur les termes du débat et une assemblée générale fut fixée au mardi 24 novembre 1992. Le compte rendu susvisé se termine par cette mention :

"Important :

"En attendant les résultats de la négociation et la décision de l'assemblée générale, il est instamment demandé aux sociétés adhérant au CIFL de ne pas retourner leur dossier d'inscription pour le Salon du laboratoire 1993".

L'éditorial du bulletin de liaison n° 7 octobre 1992, signé du président du CIFL, reprend, dans les mêmes termes, l'avertissement figurant en conclusion de la synthèse de la réunion du 7 octobre, par ailleurs diffusé aux membres du CIFL, et rappelé ci-dessus.

Selon les termes du compte-rendu de l'assemblée générale du 24 novembre 1992 "le CIFL recommande à ses membres de ne pas participer au Salon du laboratoire. (...) Cette décision de non-participation au Salon du laboratoire n'est valable que pour 1993, puisque le Salon du laboratoire de décembre 1993 ne répond pas aux attentes de la profession. Pour 1995, rien n'a encore été décidé. En effet, il faut attendre les changements qui interviendront dans le fonctionnement de l'Association pour le Salon du laboratoire avant d'arrêter les orientations de 1995."

En outre, le CIFL organise un vote portant notamment sur le "maintien de la non-participation au Salon du laboratoire 1993". 85 p. 100 des entreprises présentes se sont prononcées pour le maintien de la non-participation au Salon du laboratoire 1993 et 68 p. 100 d'entre elles pour la création d'un nouveau salon.

L'éditorial du bulletin de liaison n° 8 de novembre 1992 évoque la décision de l'assemblée générale : "Lors de l'assemblée générale du 24 novembre 1992, qui avait pour ordre du jour : "La définition des orientations pour le prochain Salon du laboratoire", (...). Les sociétés se sont prononcées massivement pour ne pas participer au Salon du laboratoire de décembre 1993, car ce salon ne répond pas aux attentes de la profession. En outre, et également à une large majorité, ces sociétés ont demandé au CIFL de concevoir un salon professionnel complémentaire et plus spécialisé, qui se tiendrait au printemps 1994, avec la participation active des sociétés savantes."

A l'issue de cette assemblée, le CIFL a diffusé un communiqué de presse, repris par la presse professionnelle, notamment internationale, précisant que, "lors de l'assemblée générale du CIFL qui s'est tenue le 24 novembre dernier, les membres adhérents ont décidé, à une très large majorité, de ne pas participer au Salon du laboratoire de décembre 1993 car le fonctionnement de celui-ci ne correspond plus aux attentes de la profession". Le communiqué comportait la publication de la liste de cinquante-sept sociétés réputées s'être prononcées en ce sens, et la mention finale suivante : "Nous vous remercions par avance de bien vouloir le mentionner dans vos colonnes et restons à votre entière disposition pour toute information complémentaire."

Le compte rendu de l'assemblée générale du 18 janvier 1993 mentionne toutefois : "Afin de lever toute ambiguïté, le CIFL en temps qu'association, n'a à aucun moment interdit à ses membres de participer au Salon du laboratoire de décembre 1993."

Par ailleurs, l'instruction a permis de constater que certaines entreprises ont également diffusé des documents faisant état de leur absence du salon de 1993 et de la défection de nombreuses entreprises du secteur.

La note d'information diffusée par la société Labo Moderne :

La société Labo Moderne a diffusé à ses fournisseurs la note d'information suivante :

"Nous vous informons que notre société ne participera pas au Salon du laboratoire de décembre 1993. Nous avons, en effet, constaté que, depuis quelques années, cette exposition n'était plus rentable pour notre société. Nous vous informons, de plus, que de nombreuses autres sociétés (parmi lesquelles de très importants fabricants et distributeurs de matériel de laboratoire) ont également décidé de ne pas participer au Salon du laboratoire 1993. Nous vous prions de bien vouloir trouver en annexe la liste de ces sociétés."

Suivent les noms de cinquante-huit sociétés présentées comme ayant décidé, au 1er mars 1993 de ne pas participer au salon de 1993.

Le communiqué de la société Gilson :

La société Gilson a diffusé le 20 janvier 1993 un communiqué, présenté comme document interne ne devant pas être diffusé hors de la société Gilson :

"Nous vous informons que Gilson, ainsi que environ soixante-dix autres sociétés adhérant au CIFL, ne participera pas au Salon du laboratoire de décembre 1993. En effet, le fonctionnement de ce dernier ne correspond plus aux attentes de la profession. En remplacement, un salon spécialisé organisé par le CIFL se déroulera les 29, 30 et 31 mars 1994 à la Porte de Versailles. Vous trouverez, ci-après la liste des sociétés ne participant pas au Salon du laboratoire 1993.

"Attention, ce document est confidentiel et ne doit pas être diffusé à une personne étrangère au SCF Gilson".

Une liste de soixante sociétés présentées comme ayant décidé de ne pas participer au salon de 1993 est jointe au communiqué.

II- SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL,

Sur la prescription :

Considérant que aux termes de l'article 27 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, "le Conseil de la concurrence ne peut être saisi de faits remontant à plus de trois ans, s'il n'a été fait aucun acte d'instruction tendant à leur recherche, leur constatation ou leur sanction" ;

Considérant que la société Gilson soutient qu'aucun acte interruptif de prescription n'est intervenu à l'égard des faits qui lui sont reprochés, depuis la saisine du Conseil de la concurrence ;

Mais considérant que le Conseil de la concurrence a été saisi, le 21 décembre 1993 d'un dossier relatif à des pratiques relevées dans le secteur de l'instrumentation analytique et de la biologie ; que l'instruction a notamment donné lieu à l'établissement de deux procès-verbaux d'audition des représentants de l'ASDL et du CIFL, en date des 3 et 30 janvier 1995 ; que ces actes ont interrompu le délai de prescription à l'égard de l'ensemble des faits dont le conseil a été saisi ; que, par suite, la société Gilson n'est pas fondée à opposer la prescription aux pratiques qui lui sont reprochées ;

Sur la procédure :

Considérant que la société Gilson fait valoir, en premier lieu, que la lettre de saisine émanant de l'ASDL met en cause les membres du CIFL et non la société Gilson en particulier; qu'elle soutient en outre que, n'ayant pas été entendue par le rapporteur, le caractère contradictoire de la procédure n'aurait pas été respecté ;

Considérant, d'une part, que, conformément aux dispositions de l'article 45 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 le rapporteur peut procéder à des investigations complémentaires avant d'établir une notification de griefs ; que le conseil n'est en effet lié ni par les qualifications proposées par la partie saisissante, ni par les parties visées par celle-ci ; que, d'autre part, la procédure contradictoire n'a débuté, pour ce qui concerne les destinataires de la notification de griefs, qu'à compter de cette dernière ; que, s'il est loisible au rapporteur chargé d'instruire une affaire de procéder à toute audition qu'il juge nécessaire avant d'établir une notification de griefs, cette faculté ne constitue nullement une obligation ; que par la suite, le fait qu'une société n'ait pas été entendue est sans incidence sur la régularité de la procédure alors que, du reste, elle a été mise en mesure de présenter des observations en temps utile et a par ailleurs adressé spontanément un courrier au rapporteur ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le moyen tiré du non-respect du caractère contradictoire de la procédure doit être rejeté ;

Sur les pratiques constatées :

En ce qui concerne le CIFL :

Considérant que l'organisation d'un salon permet de réunir en un même lieu les différents acteurs d'un marché, au cas particulier ceux du secteur de 1'instrumentation analytique et de la biologie ; que les pratiques tendant à s'opposer à la bonne marche d'une telle manifestation ont pour objet et peuvent avoir pour effet de limiter le jeu de la concurrence sur ce marché ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction, qu'à la suite d'un désaccord avec l'ASDL, le CIFL, lors d'une réunion de son conseil d'administration du 21 juillet 1992, a décidé de ne pas participer au prochain Salon du laboratoire et de réunir l'ensemble des adhérents; que, au cours d'une réunion tenue le 7 octobre sur le thème de "l'avenir du Salon du laboratoire", le CIFL a demandé à ses membres de ne pas retourner leur dossier d'inscription pour le prochain Salon du laboratoire; que lors de l'assemblée générale du 24 novembre suivant, le CIFL a recommandé explicitement à ses adhérents de ne pas participer au Salon de 1993 ; que ces différentes prises de position ont été publiées dans les bulletins de liaison n° 5, 7 et 8 de juillet, septembre et novembre 1992 ; qu'à l'issue de son assemblée générale du 24 novembre 1992, le CIFL a diffusé un communiqué de presse, repris par la presse spécialisée, rappelant la décision adoptée en assemblée générale et donnant une liste des entreprises réputées avoir décidé de ne pas participer au Salon du laboratoire de 1993, sans s'être au préalable assuré auprès de celles-ci de leur choix effectif ; qu'il résulte de ces éléments que le CIFL a mis en œuvre une action concertée ayant eu pour objet et ayant pu avoir pour effet d'empêcher le libre accès des entreprises au Salon du laboratoire organisé en 1993, concurrent de celui qu'elle avait décidé de mettre en place, action assimilable à un boycott ;

Considérant que le CIFL fait valoir que son action ne peut être regardée comme anticoncurrentielle, dès lors qu'il s'est borné à cesser de promouvoir le Salon du laboratoire qui ne correspondait plus aux intérêts de ses adhérents et, qu'en raison des dispositions statutaires de l'ASDL, il ne pouvait obtenir la prise en compte des propositions émanant de ses mandants ; qu'il soutient, de surcroît, que la décision du conseil d'administration du 21 juillet 1992 ainsi que celle votée lors de l'assemblée générale du 24 novembre 1992 entérinent la volonté individuelle des membres de l'association ; que l'action entreprise n'avait pas pour objet de demander aux entreprises de ne pas participer au prochain salon ; que d'ailleurs le CIFL n'avait pas de pouvoir d'influence sur les décisions de ses membres et qu'il a précisé dans le compte-rendu de l'assemblée générale suivante, le 18 janvier 1993, qu'il n'avait à aucun moment interdit à ses membres de participer au Salon de décembre 1993 ; que si le CIFL a demandé à ses adhérents de ne pas retourner leur dossier d'inscription au Salon de 1993, cette mention n'aurait pas eu pour but de les inciter à ne pas s'inscrire mais seulement à attendre l'issue des négociations et de l'assemblée générale de novembre pour le faire; que cette demande, formulée un an avant la tenue dudit salon, ne pouvait s'analyser comme un boycott ;

Considérant, en outre, que le CIFL soutient que le compte-rendu de la réunion du 21 juillet était destiné à garder trace du contenu des discussions et intentions du conseil d'administration ; que la diffusion des bulletins de liaison relève de la mission d'information du conseil d'administration ; que la conférence de presse, qui a suivi l'assemblée générale du 24 novembre 1992 était consacrée à la promotion de Forum labo ; qu'il soutient, par ailleurs, que les faits reprochés n'ont eu aucun effet prouvé sur les résultats du Salon de 1993, la baisse de la fréquentation constatée ayant été ressentie en 1995 avec une intensité plus grande encore, alors même que le CIFL n'était, cette année-là, à l'origine d'aucune intervention ;

Mais considérant que si une organisation professionnelle a notamment pour mission de s'assurer de la défense des intérêts collectifs de ses membres et de les informer des innovations qui peuvent les concerner, comme la création d'un nouveau salon, elle sort du cadre de cette mission, lorsqu'elle diffuse des informations ou mises en garde à l'encontre d'une manifestation existante qui constituent des appels à des mesures de boycott et ont pour objet et peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence ;

Considérant qu'en rendant publique une liste d'environ soixante-dix entreprises - parmi lesquelles figurent les plus importantes de la profession - qui étaient supposées avoir décidé de ne pas participer au Salon du laboratoire de l'automne 1993, le CIFL visait à dévaloriser cette manifestation et à dissuader les entreprises non membres de l'association d'y participer; qu'une telle pratique revêtait un caractère d'autant répréhensible que le CIFL ne s'était pas assuré de la réalité du choix des entreprises figurant sur cette liste, et que d'ailleurs un nombre non négligeable d'entre elles y ont finalement participé; qu'elle a eu pour objet de fausser le jeu de la concurrence sur les marchés concernés; que la circonstance que le CIFL avait décidé d'organiser un salon concurrent du Salon du laboratoire de 1993 ne pouvait l'autoriser à mettre en œuvre une telle pratique;

Considérant, enfin, que si les effets de cette pratique n'ont pu être précisément mesurés, il est constant que le CIFL a diffusé ces informations et recommandations à l'ensemble de la profession ; que l'effet potentiellement anti-concurrentiel d'une telle pratique est ainsi avéré ;

Sur l'application du 2 de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 :

Considérant que le CIFL soutient que la pratique qui lui est reprochée a contribué à une amélioration de la concurrence, la création de Forum labo ayant eu un effet bénéfique sur le marché ;

Mais considérant que, si la création d'un nouveau salon contribue à améliorer la concurrence, les allégations du CIFL ne sont pas de nature à le soustraire à l'application des dispositions de l'article 7 de l'ordonnance précitée ; qu'en effet, l'action menée, qui avait pour objet d'empêcher ou de limiter l'accès au Salon du laboratoire ne pouvait constituer une conséquence inéluctable de l'ouverture à la concurrence que représente la création d'un nouveau salon ; que par la suite, le CIFL ne peut invoquer les dispositions du 2 de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, pour s'exonérer de la prohibition définie à l'article 7 de la même ordonnance ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la pratique du CIFL a eu pour objet et a pu avoir pour effet d'empêcher le libre accès des professionnels au Salon du laboratoire de 1993 et de fausser le jeu de la concurrence sur le marché de l'organisation et la promotion des expositions réunissant les entreprises exerçant leur activité dans le secteur de l'instrumentation analytique et de la biologie; que, par suite, cette pratique est prohibée par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, sans pouvoir bénéficier de celles de l'article 10 du même texte ;

En ce qui concerne les pratiques de certains membres du CIFL :

Considérant que la société Labo Moderne a diffusé, le 1er mars 1993, une note informant ses partenaires commerciaux qu'elle ne participerait pas au Salon du laboratoire de 1993 et précisant que ce choix était partagé par les principales sociétés fabriquant et distribuant des produits de laboratoire ; que la société Gilson a diffusé le 20 janvier 1993 un communiqué reprenant la même information et faisant également référence à la défection de soixante entreprises du secteur ; qu'à ces deux documents, les sociétés Labo Moderne et Gilson ont joint une liste des noms des sociétés réputées avoir décidé de ne pas participer au Salon du laboratoire de 1993 ;

Considérant que la société Labo Moderne soutient que la diffusion à l'ensemble de ses fournisseurs, d'une note d'information et d'une liste d'entreprises ne participant pas au salon, répond à une préoccupation de bonne gestion ; qu'étant une entreprise de dimension modeste, elle craignait que ses fournisseurs ne mettent en doute sa solvabilité et qu'il était donc impératif de leur faire savoir que de très importants fabricants et distributeurs de matériels habituellement présents au Salon du laboratoire avaient eux aussi décidé de ne pas participer au prochain Salon ; que d'ailleurs elle ne peut exercer une influence quelconque auprès d'éventuels exposants; que la société Gilson soutient que la note diffusée avait un caractère confidentiel et était destinée à informer les membres de son réseau commercial, la référence à la liste des entreprises ayant manifesté leur intention de ne pas participer au Salon du laboratoire de 1993 se justifiant par la nécessité, pour la société, de mesurer sa décision par rapport aux autres professionnels du secteur ;

Considérant que si la diffusion d'une liste d'entreprises supposées avoir décidé de ne pas participer au Salon du laboratoire de 1993 pouvait être de nature à inciter des opérateurs qui en auraient pris connaissance à se détourner de cette manifestation, il n'est pas établi que tel était le but recherché par les sociétés mises en cause, que la société Labo Moderne qui exerce une activité de négoce, employait en 1993 seize salariés et réalisait un chiffre d'affaires limité, a adressé cette liste à l'ensemble de ses fournisseurs, une centaine, pour la plupart situés à l'étranger ; que parmi ces fournisseurs, seize d'entre eux seulement étaient habituellement présents au Salon du laboratoire ; qu'il n'est pas exclu que, par cette action, l'entreprise ait pu vouloir justifier le fait que son absence n'était pas due à des difficultés internes ; qu'en tout état de cause elle ne pouvait exercer une véritable influence sur des opérateurs, souvent plus puissants qu'elle et qui avaient déjà été informés d'un mot d'ordre lancé plus de trois mois avant par le CIFL, et repris dans les éditions de janvier 1993 de la presse spécialisée ; que s'agissant de la société Gilson, l'instruction n'a pas permis de mettre en évidence que la diffusion du communiqué accompagné d'une liste d'entreprises supposées ne pas participer au Salon de 1993, avait eu pour objet de relayer l'action menée par le CIFL ; qu'en effet, faute d'éléments précis quant à ses destinataires, il n'est pas établi que le communiqué, présenté comme confidentiel, ait été utilisé à d'autres fins que l'information des membres du réseau commercial de l'entreprise ; qu'en conséquence il n'est pas établi que les sociétés Gilson et Labo Moderne aient enfreint les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du lu décembre 1986 ;

Sur les sanctions :

Considérant qu'aux termes de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, "le Conseil de la concurrence peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières. Il peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement, soit en cas d'inexécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée. (...) Si le contrevenant n'est pas une entreprise, le maximum est de dix millions de francs" ; qu'en application de l'article 22 alinéa 2 de la même ordonnance "la commission permanente peut prononcer les mesures prévues à l'article 13, les sanctions infligées ne pouvant, toutefois, excéder 500 000 F pour chacun des auteurs des pratiques prohibées" ;

Considérant, que le dommage à l'économie doit s'apprécier en tenant compte du fait que les pratiques du CIFL émanent d'un organisme dont les adhérents louent une part importante des surfaces d'exposition du Salon du laboratoire et groupant des entreprises parmi les plus importantes du secteur ; que pour apprécier la gravité des pratiques, il y a lieu de tenir compte de ce que le mot d'ordre a été lancé à une date assez éloignée de la tenue du Salon, qu'il a cessé dès le début de l'année 1993 et qu'il n'est pas établi qu'il ait été appliqué par les adhérents de cette organisation professionnelle ;

Considérant que les ressources du CIFL, constituées de cotisations versées par les adhérents selon leur chiffre d'affaires, se sont élevées, en 1997, à 1 083 300 F ; qu'en fonction de l'ensemble des éléments d'appréciation ci-dessus énoncés, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 75 000 F,

Décide:

Article 1er - Il n'est pas établi que les sociétés Gilson et Labo Moderne aient enfreint les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Article 2 - Il est établi que le Comité Interprofessionnel des Fournisseurs du Laboratoire a enfreint les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du lu décembre 1986.

Article 3 - Il est infligé au Comité Interprofessionnel des Fournisseurs du Laboratoire une sanction pécuniaire de 75 000 F.