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Décisions

Conseil Conc., 14 mai 1997, n° 97-D-30

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Pratiques en matière d'honoraires mises en œuvre par le barreau de Clermont-Ferrand

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré, sur le rapport de M. André-Paul Weber, par M. Barbeau, président, MM. Cortesse, Jenny, vice-présidents.

Conseil Conc. n° 97-D-30

14 mai 1997

Le Conseil de la concurrence (commission permanente),

Vu la lettre enregistrée le 13 octobre 1993 sous le numéro F 629, par laquelle la Confédération syndicale du cadre de vie a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques en matière d'honoraires mises en œuvre par les barreaux d'Aurillac, Clermont­Ferrand, Digne, Gap, Bonneville et Marseille ; Vu l'ordonnance n° 86­1243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 86­1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application ; Vu la loi n° 71­1130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, modifiée, et le décret n° 91­1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat ; Vu les observations présentées par l'Ordre des avocats du barreau de Clermont­Ferrand, par la Confédération syndicale du cadre de vie et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants de la Confédération syndicale du cadre de vie et du conseil de l'Ordre des avocats du barreau de Clermont­Ferrand entendus, Mes Savary et Espinasse, Mes Chassaigne et Pailloncy, Me Bertrand­Mercier et Me Gette­Soulier ayant été régulièrement convoqués ; Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et les motifs (II) ci­après exposés.

Par lettre susvisée, la Confédération syndicale du cadre de vie a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques en matière d'honoraires mises en œuvre par différents barreaux. La présente décision a trait aux pratiques relevées dans le ressort du barreau de Clermont­Ferrand.

I­ CONSTATATIONS

A- La profession d'avocat

La profession d'avocat est régie par la loi du 31 décembre 1971, modifiée, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques. La profession est constituée en barreaux établis auprès des tribunaux de grande instance. Chaque barreau est doté de la personnalité civile et est administré par un conseil de l'Ordre. Les membres du conseil de l'Ordre sont élus pour trois ans, au scrutin secret, par tous les avocats inscrits au tableau du barreau, par les avocats stagiaires ayant prêté serment avant le 1er janvier de l'année au cours de laquelle a lieu l'élection et par les avocats honoraires ressortissant dudit barreau. A sa tête est élu pour deux ans un bâtonnier ; il représente le barreau dans tous les actes de la vie civile. Il lui revient de prévenir ou, le cas échéant, de concilier les différends d'ordre professionnel entre les membres du barreau et d'instruire toute réclamation formée par les tiers.

Les missions du conseil de l'Ordre sont définies par l'article 17 de la loi précitée. Il a vocation à traiter de toutes questions intéressant l'exercice de la profession et à veiller à l'observation des devoirs des avocats ainsi qu'à la protection de leurs droits. Il est en particulier tenu "d'arrêter et, s'il y a lieu, de modifier les dispositions du règlement intérieur, de statuer sur l'inscription au tableau des avocats...d'exercer la discipline...de maintenir les principes de probité, de désintéressement, de modération et de confraternité sur lesquels repose la profession et d'exercer la surveillance que l'honneur et l'intérêt de ses membres rendent nécessaires...de veiller à ce que les avocats soient exacts aux audiences et se comportent en loyaux auxiliaires de la justice...".

Sur réquisition du procureur général, toute délibération ou décision du conseil de l'Ordre étrangère aux attributions qui lui sont reconnues ou contraires aux dispositions législatives ou réglementaires est annulée par la cour d'appel. Les délibérations ou décisions du conseil de l'Ordre de nature à léser les intérêts professionnels d'un avocat peuvent également, à la requête de l'intéressé, être déférées à la cour d'appel. De même, les décisions du conseil de l'Ordre relatives à une inscription au barreau ou sur la liste du stage, à l'omission ou au refus d'omission du tableau ou de la liste du stage sont susceptibles d'être déférées à la cour d'appel par le procureur général ou par l'intéressé.

Selon les articles 22 et suivants de la loi du 31 décembre 1971, le conseil de l'Ordre, siégeant comme conseil de discipline, a la faculté de poursuivre et de réprimer les infractions et fautes commises par les avocats inscrits au barreau ou sur la liste du stage. Il intervient d'office, à la demande du procureur général ou à l'initiative du bâtonnier. Le conseil de l'Ordre peut suspendre provisoirement de ses fonctions l'avocat qui fait l'objet d'une poursuite pénale ou disciplinaire. Dans les mêmes conditions ou à la requête de l'intéressé, il peut mettre fin à cette suspension. Les décisions du conseil de l'Ordre en matière disciplinaire peuvent être déférées à la cour d'appel par l'avocat intéressé ou par le procureur général. Toute juridiction estimant qu'un avocat a commis à l'audience un manquement aux obligations que lui impose son serment peut saisir le procureur général en vue de poursuivre cet avocat devant le conseil de l'Ordre dont il relève.

Par application de l'article 1er de l'ordonnance du 1er décembre 1986, le montant des honoraires demandés par l'avocat est librement déterminé. A l'exception de la tarification de la postulation et des actes de procédure qui est régie par les dispositions sur la procédure civile, l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971 prévoit que "les honoraires de consultations, d'assistance, de conseil, de rédaction d'actes juridiques sous seing privé et de plaidoirie sont fixés en accord avec le client. A défaut de convention entre l'avocat et son client, l'honoraire est fixé selon les usages, en fonction de la situation de fortune du client, de la difficulté de l'affaire, des frais exposés par l'avocat, de sa notoriété et des diligences de celui­ci. Toute fixation d'honoraires, qui ne le serait qu'en fonction du résultat judiciaire, est interdite. Est licite la convention qui, outre la rémunération des prestations effectuées, prévoit la fixation d'un honoraire complémentaire en fonction du résultat obtenu ou du service rendu".

Les différends susceptibles de survenir entre l'avocat et son client quant au montant et au recouvrement des honoraires sont réglés par les articles 174 et suivants du décret du 27 novembre 1991. Les réclamations sont soumises au bâtonnier par toute partie, sans condition de forme. Selon l'article 175 du décret, le bâtonnier accuse réception de la réclamation. Sa décision doit être prise dans un délai de trois mois. A défaut, il lui appartient de saisir le premier président de la cour d'appel. Selon l'article 176 du décret, la décision du bâtonnier est susceptible d'un recours devant le premier président de la cour d'appel. La décision du bâtonnier, non déférée au premier président de la cour d'appel, peut être rendue exécutoire par ordonnance du président du tribunal de grande instance à la requête de l'avocat ou de la partie.

L'article 183 du décret du 27 novembre 1991 prévoit enfin que "...toute infraction aux règles professionnelles, tout manquement à la probité... expose l'avocat qui en est l'auteur à des sanctions disciplinaires.". Énumérées à l'article 184 du décret, ces sanctions, qui vont de l'avertissement au blâme, à l'interdiction temporaire ­ qui ne peut excéder trois années ­, à la radiation du tableau ou de la liste du stage, ou au retrait de l'honorariat, sont prononcées par le conseil de l'Ordre sous le contrôle de la cour d'appel. La loi reconnaît, ainsi, au client un droit de contestation des honoraires, qu'en cas de litige le bâtonnier est appelé à régler et tout manquement au devoir de modération dans le montant des honoraires demandés est susceptible de donner lieu à une action disciplinaire de la part du conseil de l'Ordre.

B- Les faits à qualifier

Pour chacune des années 1986, 1991, 1993 et 1994, l'Ordre des avocats au barreau de Clermont­Ferrand a établi et diffusé une plaquette présentant la profession d'avocat, donnant la liste des membres du conseil de l'Ordre, la liste des sociétés professionnelles d'avocats et l'état des "usages en matière d'honoraires des avocats du barreau de Clermont­Ferrand". En préambule, chacun de ces documents rappelait que "la liberté de l'honoraire demeur(ait) le principe même de nos usages...que l'honoraire (devait) tenir compte de la situation du justiciable, mais également du coût et des difficultés des dossiers, du résultat obtenu et de la notoriété de l'avocat...que dans tous les cas une convention d'honoraires (pouvait) être établie". Il était enfin précisé la nécessité qu'il y avait d'informer le justiciable quant au montant des honoraires susceptibles d'être demandés.

Le document concernant l'année 1993 a résulté d'une délibération du conseil de l'Ordre en date du 15 février 1993. Il a fait l'objet d'une décision du bâtonnier le 24 mars 1993. Le document relatif à l'année 1994 a, pour sa part, résulté d'une délibération du conseil de l'Ordre en date du 11 avril 1994 et a donné lieu à une décision prise le même jour par le bâtonnier.

La version pour l'année 1993 des "usages en matière d'honoraires des avocats du barreau de Clermont­Ferrand" précise : "Les usages qui suivent sont indicatifs et concernent uniquement les honoraires, à l'exclusion des frais et émoluments de postulation" (article 1). Les usages s'appliquent à toute procédure "qui se déroulera dans le ressort de la Cour d'appel de Riom" (article 2) et à "une procédure principale devant une seule juridiction. Les procédures annexes ou incidentes font l'objet d'honoraires distincts. L'avocat est fondé à demander, en outre, le remboursement des frais particuliers ou exceptionnels de l'affaire" (article 3). L'article 4 précise que "...Les chiffres indiqués ci­après à titre d'exemple pour les affaires les plus courantes...sont considérés comme conformes à la fois aux règles de probité, de désintéressement et de modération imposées aux avocats et à la nécessité d'assurer la juste rémunération des prestations fournies et du service rendu, compte tenu des frais et charges s'imposant aux cabinets...". Lorsque l'affaire est terminée et qu'un résultat est intervenu, l'article 5 prévoit qu'"il est conforme aux usages de fixer un honoraire supplémentaire dit de résultat". Cet honoraire est établi sur la base suivante :

" de 25 000 à 125 000 F : 10 % ;

de 125 000 à 250 000 F : 8 % ;

de 250 000 à 500 000 F : 5 % ;

à partir de 500 000 F : 2 %. "

Par ailleurs, pour près de quatre­vingt­dix prestations relevant des domaines judiciaire ou juridique, l'article 6 donne, conformément aux usages, les "tranches" dans lesquelles se situent les honoraires ; dans certains cas, le document fait état de rémunérations minimales. Certaines des mentions figurant à l'article 6 sont ci­après reproduites :

" En matière judiciaire :

I. - Droit des personnes

I. - 1. Divorce pour faute : 6 000 à 15 000 ;

I. - 2. Divorce, requête conjointe :

Une partie : 6 000 à 15 000 ;

Deux parties et autres : 8 000 à 20 000 ;

I. - 3. Procédures après divorce : 2 500 à 5 000 ;

I. - 4. Incapacités : 2 500 à 5 000 ;

I. - 5. Assistance éducative : 2 000 à 4 000 ;

XV. - Consultations et vacations :

XV. - 1. Consultations orales : 250 ;

XV. - 2. Consultations écrites : 800 ;

XV. - 3. Vacation horaire : 600 à 1 400 ;

En matière juridique :

I. - Droit des sociétés :

Constitution SA (numéraire) : 10 000 à 15 000 ;

Constitution SA (apport en nature) : 12 000 à 14 000 ; + 2 % sur apports avec un minimum de 15 000 ;

Constitution SARL : 6 000 à 8 000 ;

Constitution EURL : 5 000 à 7 000 ;

Apport partiel : 2 % avec minimum de 15 000 ;

II. - Droit social :

Contrat de travail non cadre : 1 500 à 2 000 ;

Contrat de travail cadre : 3 000 à 5 000 ;

Autres contrats : 3 000 à 5 000 ;

Vacation horaire : 500 à 1 000. "

Selon les termes de l'article 7, le barème ci­dessus s'entendait hors taxe. Les articles 8 et 9 prévoyaient enfin "qu'en matière de transaction réalisée avec le concours de l'avocat, les honoraires correspondants aux usages sont dus" et que "les présents usages seront portés à la connaissance de Monsieur le procureur général près la Cour d'appel de Riom et à celle de tous les avocats du barreau de Clermont­Ferrand".

L'examen des "usages" pour les années 1991 et 1993 a fait apparaître que le nombre de prestations pour lesquelles des montants d'honoraires ont été répertoriés a été très sensiblement accru : 28 en 1991, 92 en 1993. Aux mêmes dates, la comparaison des fourchettes d'honoraires a fait apparaître de très sensibles augmentations comme relevé dans le tableau ci­dessous.

EMPLACEMENT TABLEAU

En 1994, les fourchettes d'honoraires sont, par rapport à l'année 1993, restées stables.

Par procès­verbal d'audition en date du 26 mai 1994, le bâtonnier en exercice a indiqué que ces documents avaient été édités à environ 3 000 exemplaires et diffusés "à l'ensemble des avocats du barreau de Clermont­Ferrand et auprès des autres barreaux de France". Elles ont également été mises à la disposition du public. Il a également déclaré que "les usages en matière d'honoraires représentent une photographie des honoraires pratiqués par les avocats du barreau. Ils résultent d'une délibération des 21 membres du conseil de l'Ordre. Ceux­ci confrontent en séance les informations qu'ils détiennent en matière d'honoraires pratiqués. Les tarifs indiqués dans la plaquette ne constituent ni un minimum ni un maximum. Ce principe est rappelé au tout début de l'arrêté sur les usages en matière d'honoraires".

Par procès­verbal d'audition en date du 13 décembre 1995, le bâtonnier a précisé que des représentants des organisations professionnelles et des avocats stagiaires avaient été associés à l'établissement des "usages", que les fascicules, destinés aux justiciables et aux membres des juridictions, avaient fait l'objet d'une large diffusion et que "les augmentations d'honoraires constatées en 1993 par rapport à 1991 ont été la conséquence d'une prise de conscience par les avocats de la paupérisation de leur activité ; elles ne résultent nullement d'une action concertée". Il a enfin été signalé que "l'année judiciaire de l'année 1995 ne comport(ait) pas de mention relative à la question des honoraires perçus".

Me Gette­Soulier a, par procès­verbal de déclaration du 15 juin 1994, indiqué : "Pour établir le montant de mes honoraires, je ne fonctionne pas par rapport à ce barème. Je procède avec mon client à une évaluation prenant en compte divers paramètres : nature de la procédure, temps passé, difficultés susceptibles d'être rencontrées, situation de fortune du client". De même, Me Martin­Dethoor a déclaré par procès­verbal du 29 juin 1994 : "Dans le cadre de mon activité, je n'utilise pas les usages en matière d'honoraires figurant dans la plaquette éditée par le barreau de Clermont­Ferrand chaque année, ni pour tarifer mes honoraires, ni comme référence pour mes clients". Une remarque identique a été formulée par Me Pailloncy par procès­verbal d'audition du 29 juin 1994 : "J'établis mes honoraires en fonction des quatre paramètres classiques : difficultés de l'affaire et travail, résultat et situation de fortune du client. Je n'utilise pas les usages en matière d'honoraires qui sont publiés dans la plaquette éditée chaque année par l'Ordre des avocats au barreau de Clermont­Ferrand, et qui constituent une sorte de photographie des pratiques moyennes du barreau".

Pour sa part, Me Bertrand­Mercier a déclaré par procès­verbal du 14 juin 1994 : "Concernant les usages en matière d'honoraires publiés par l'Ordre des avocats du barreau de Clermont­Ferrand j'en ai toujours eu connaissance depuis que je suis inscrite à ce barreau. Je ne m'y réfère pas mais je l'utilise pour l'information de mes clients lorsqu'ils souhaitent connaître par avance le montant des honoraires car il est très difficile de fixer les honoraires par avance". De leur côté enfin, Mes Savary et Espinasse (procès­verbal de déclaration du 14 juin 1994) ont déclaré : "Chaque année, l'Ordre des avocats du barreau de Clermont­Ferrand nous envoie la brochure "Année judiciaire" dans laquelle figurent les usages en matière d'honoraires des avocats. Ces usages ne peuvent être qualifiés de barème dans la mesure où nos honoraires sont librement déterminés. En ce qui concerne notre cabinet, nos honoraires se situent dans la fourchette indiquée. En principe on ne fonctionne jamais en­dessous du bas de la tranche sauf exception lorsqu'il s'agit d'amis".

Par lettre en date du 7 novembre 1988, le directeur régional de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes de Clermont­Ferrand a appelé l'attention du bâtonnier sur le fait que les indications d'honoraires portées sur la plaquette "Année judiciaire" de l'année 1986, résultant d'une délibération du conseil de l'Ordre en date du 4 novembre 1986 relevaient des dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; il a alors demandé à l'Ordre des avocats du barreau de Clermont­Ferrand de renoncer à son édition et à sa diffusion.

II­ SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL,

Sur la procédure :

Considérant que l'Ordre des avocats au barreau de Clermont­Ferrand fait valoir que l'auteur de la saisine n'avait pas qualité à saisir le Conseil de la concurrence ; qu'il soutient par ailleurs que la saisine serait irrecevable car les faits invoqués par l'auteur de la saisine n'étaient pas appuyés d'éléments suffisamment probants ;

Considérant, en premier lieu, que, conformément aux dispositions de l'article 11 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, le Conseil de la concurrence peut être saisi par le ministre chargé de l'économie ; qu'il peut se saisir d'office ou être saisi par les entreprises ou, pour toute affaire dont elles ont la charge, par les collectivités territoriales, les organisations professionnelles et syndicales, les chambres de métiers, les chambres de commerce et d'industrie et par les organisations de consommateurs agréées ; que, par lettre enregistrée le 13 octobre 1993, le président de la Confédération syndicale du cadre de vie a "conformément à l'article 11 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, en qualité d'organisation de consommateurs agréée...saisi le Conseil de la concurrence pour les pratiques anticoncurrentielles mises en place par les avocats des barreaux d'Aurillac, Clermont­Ferrand, Digne­les­Bains, Gap, Bonneville et Marseille" ; que, selon les mentions portées sur le document de saisine, la Confédération syndicale du cadre de vie, membre du bureau européen des unions de consommateurs, est une organisation de consommateurs agréée ; que le président de la Confédération syndicale du cadre de vie avait, conformément aux dispositions de l'article 28 des statuts de la confédération, annexés au rapport, qualité pour saisir le Conseil de la concurrence ; qu'en conséquence, le moyen tiré du défaut de qualité à agir de la CSCV doit être écarté ;

Considérant, en second lieu, que, par application de l'article 19 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, "Le Conseil de la concurrence peut déclarer, par décision motivée, la saisine irrecevable s'il estime que les faits invoqués n'entrent pas dans le champ de sa compétence ou ne sont pas appuyés d'éléments suffisamment probants" ; que la lettre de saisine enregistrée le 13 octobre 1993 était accompagnée de différentes pièces et en particulier d'un document portant en titre "année judiciaire 1993", qui comportait une nomenclature d'actes assortis de fourchettes et de montants minimaux d'honoraires, telle que rapportée au I de la présente décision ; que c'est en particulier sur la base de ce document que, par lettre du 3 mars 1994, le président du Conseil de la concurrence a demandé au directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes de faire procéder à une enquête conformément aux dispositions des articles 47 et 50 de l'ordonnance ; que cette enquête a révélé que des grilles d'honoraires avaient été diffusées dans des plaquettes éditées en 1988, 1990, 1991 et 1993 ; qu'ainsi l'Ordre des avocats au barreau de Clermont­Ferrand est mal fondé à soutenir que la saisine n'aurait pas été appuyée d'éléments suffisamment probants conformément aux prescriptions de l'article 19 de l'ordonnance précitée ;

Considérant que l'Ordre des avocats au barreau de Clermont­Ferrand soutient enfin "qu'aucune force probante ne saurait être accordée aux prétendues "preuves" (témoignages anonymes, affirmations incontrôlables) obtenues par M. Giordano par des procédés déloyaux et des moyens contestables" et que ni le rapport administratif d'enquête ni le rapport notifié aux parties n'ont "défini le marché, alors que cette définition est indispensable pour apprécier l'impact sur la concurrence" ; qu'en particulier le rapport notifié aux parties se caractérise par une "absence d'analyse relative aux offreurs", par "l'absence d'une définition des prestations juridiques" et par le fait qu'il "ne définit toujours pas la demande" ;

Mais considérant que la saisine de la Confédération syndicale du cadre de vie était notamment appuyée sur le document "année judiciaire 1993" établi par l'Ordre des avocats au barreau de Clermont­Ferrand ; que le bâtonnier de l'Ordre des avocats au barreau de Clermont­Ferrand a déclaré par procès­verbal du 13 décembre 1995 que "les fascicules (étaient) destinés aux justiciables et aux membres des juridictions" et "qu'ils avaient fait l'objet d'une large diffusion (3000 exemplaires par an)" ; que, par ailleurs, si l'Ordre des avocats au barreau de Clermont­Ferrand soutient, sans apporter aucun élément à l'appui de ses allégations, que, dans l'élaboration du dossier de saisine, la Confédération syndicale du cadre de vie aurait bénéficié du concours d'une relation familiale de M. Giordano travaillant à la direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes du Vaucluse, il est constant que les responsabilités confiées à cet agent étaient circonscrites à ce seul département et que ses missions relevaient du secteur des marchés publics ; que, dès lors, il ne peut être sérieusement soutenu que le représentant de la Confédération syndicale du cadre de vie aurait obtenu le document litigieux fondant la saisine par "des procédés déloyaux et des moyens contestables" ; que, par suite, le moyen tiré du caractère déloyal de la recherche des preuves doit être écarté ;

Considérant que le marché est défini comme le lieu sur lequel se rencontrent l'offre et la demande pour un produit ou un service spécifique ; qu'en l'espèce, la demande correspond aux besoins en prestations juridiques exprimés par des personnes physiques ou morales ; que l'offre émane notamment des professionnels du droit que sont les avocats et comporte les différentes prestations décrites au I de la présente décision ; que, si les demandeurs peuvent s'adresser à des avocats relevant d'autres barreaux, il n'est pas contesté que, dans la majorité des cas, s'agissant en particulier d'affaires simples, ils auront recours à un avocat exerçant dans leur environnement proche ; qu'il existe, ainsi, un marché des prestations juridiques sur lequel opèrent les avocats au barreau de Clermont­Ferrand ;

Sur les pratiques constatées :

Considérant que l'Ordre des avocats au barreau de Clermont­Ferrand a, en 1991, 1993 et 1994, établi et diffusé auprès de ses membres des documents portant en en­tête "année judiciaire" et présentant notamment des relevés "d'usages en matière d'honoraires" ; que l'édition relative à l'année 1993 comporte la liste de plus de quatre­vingt­dix prestations susceptibles d'être fournies dans le cadre de diverses procédures et pour lesquelles sont indiquées soit des fourchettes d'honoraires, soit, plus exceptionnellement, des montants d'honoraires ou des montants minimums ; que, si le document en cause prévoit à l'article 1er que "les usages qui suivent sont indicatifs et concernent uniquement les honoraires, à l'exclusion des frais et émoluments de postulation", il comporte également des indications de caractère normatif ; qu'ainsi, selon l'article 2, "ces usages s'appliquent à toute procédure qui se déroulera dans le ressort de la Cour d'appel de Riom" ; qu'aux termes de l'article 3 : "Ces usages s'appliquent à une procédure principale devant une seule juridiction. Les procédures annexes ou incidentes font l'objet d'honoraires distincts." ; que l'article 4 prévoit également que : "Sous réserve de toute situation particulière et sans préjudice des dispositions des articles 174 et suivants du décret du 27 novembre 1991, sont considérés comme conformes à la fois aux règles de probité, de désintéressement et de modération imposées aux avocats et à la nécessité d'assurer la juste rémunération des prestations fournies et du service rendu, compte tenu des frais et charges s'imposant aux cabinets, les chiffres indiqués ci­après à titre d'exemple pour les affaires les plus courantes" ; qu'aux termes de l'article 5 : "Lorsque l'affaire est terminée et qu'un résultat est intervenu, il est conforme aux usages de fixer un honoraire supplémentaire dit de résultat sur la base suivante :

" de 25 000 F à 125 000 F : 10 % ;

de 125 000 F à 250 000 F : 8 % ;

de 250 000 F à 500 000 F : 5 % ;

à partir de 500 000 F : 2 % ; "

que l'article 6 détermine les "tranches" dans lesquelles se situent les "usages" ; qu'il est encore prévu à l'article 8 "qu'en matière de transaction réalisée avec le concours de l'avocat les honoraires correspondants aux usages sont dus" ; et que, selon l'article 9 : "Les présents usages seront portés à la connaissance de Monsieur le procureur dénéral près la Cour d'appel de Riom ainsi qu'à celle de tous les avocats au barreau de Clermont­Ferrand" ;

Considérant qu'il résulte de la comparaison des documents intitulés "année judiciaire" pour les années 1991 et 1993 que le nombre des prestations qui comportent des montants d'honoraires a été sensiblement accru ; qu'entre ces mêmes dates, les fourchettes d'honoraires, s'agissant de différentes prestations, ont fait l'objet d'augmentations ;

Considérant que si le bâtonnier de l'Ordre a déclaré par procès­verbal du 13 décembre 1995 que les "usages en matière d'honoraires" correspondent à une "photographie des montants des honoraires perçus" et que l'Ordre des avocats de Clermont­Ferrand a soutenu qu'il n'avait eu d'autre objectif que de donner "un ordre de grandeur de prix des prestations juridiques les plus courantes et non la volonté de faire respecter des tarifs", il est constant que ces documents ont été établis à la suite de réunions rassemblant les vingt et un membres du conseil de l'Ordre ainsi que des représentants des organisations professionnelles et des avocats stagiaires entendus à titre consultatif et qu'il n'est apporté aucun élément permettant d'établir qu'ils auraient été élaborés sur la base d'une enquête auprès de l'ensemble des membres de la profession, qu'aurait supposée l'élaboration d'une mercuriale ;

Considérant, par ailleurs, que lesdits "usages" comportent pour diverses prestations, des montants minimums, et, fréquemment des fourchettes d'honoraires, mentions leur conférant un caractère normatif; que ce caractère est confirmé par les indications introduites dans l'édition 1993 de la plaquette ; qu'il y est ainsi précisé, que les "usages" s'appliquent à toute procédure "qui se déroulera dans le ressort de la Cour d'appel de Riom" et à "une procédure principale devant une seule juridiction", que les "procédures annexes ou incidentes font l'objet d'honoraires distincts" et que "l'avocat est fondé à demander, en outre, le remboursement des frais particuliers ou exceptionnels de l'affaire" ; qu'il est encore précisé que "...les chiffres indiqués ci­après à titre d'exemple pour les affaires les plus courantes... sont considérés comme conformes à la fois aux règles de probité, de désintéressement et de modération imposées aux avocats et à la nécessité d'assurer la juste rémunération des prestations fournies et du service rendu, compte tenu des frais et charges s'imposant aux cabinets..." ; qu'en outre, en constatant dans ses observations que "...de nombreuses factures d'honoraires sont inférieures aux prétendus "minima" diffusés par les "usages", et en produisant de telles factures, l'Ordre des avocats au barreau de Clermont­Ferrand a reconnu que les montants d'honoraires indiqués dans ces documents ne correspondaient pas à une "photographie" des honoraires effectivement perçus par ses membres ; qu'enfin les très sensibles augmentations d'honoraires qui ont été relevées entre 1991 et 1993 dans les "usages" ne peuvent être seulement interprétées, comme le soutient l'Ordre des avocats de Clermont­Ferrand comme "la conséquence d'un prise de conscience par les avocats de la paupérisation de leur activité", mais confirment que, dans un contexte concurrentiel accru par l'intégration des conseils juridiques, a été élaborée une norme minimale que l'ensemble des membres du barreau étaient appelés à respecter ;

Considérant que l'Ordre des avocats au barreau de Clermont­Ferrand ne peut, par ailleurs, soutenir qu'il a cherché, en établissant et en diffusant les documents en cause, à favoriser la transparence de l'information au bénéfice des justiciables ; que la transparence recherchée pouvait, en effet, être assurée par chaque cabinet et qu'elle ne supposait nullement l'adoption d'un système collectif d'information ;

Considérant, enfin, que l'Ordre des avocats au barreau de Clermont­Ferrand a soutenu que les usages n'avaient ni objet ni effet anticoncurrentiel ;

Mais considérant, en premier lieu, que, par lettre en date du 7 novembre 1988, le directeur régional de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes a attiré l'attention du bâtonnier sur le fait que les indications d'honoraires portées sur la plaquette "année judiciaire" de l'année 1986, résultant d'une délibération du conseil de l'Ordre des avocats au barreau de Clermont­Ferrand du 4 novembre 1986, relevaient des dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; qu'il avait alors demandé à l'Ordre des avocats au barreau de Clermont­Ferrand de renoncer à son édition et à sa diffusion ; qu'en dépit de cette mise en garde, l'Ordre des avocats au barreau de Clermont­Ferrand a établi et diffusé de nouvelles plaquettes en 1991, 1993 et 1994 présentant chacune un état des "usages en matière d'honoraires" ;

Considérant, en second lieu, qu'en élaborant et en diffusant ces "usages en matière d'honoraires", le barreau des avocats de Clermont­Ferrand a pu conduire ses membres à fixer leurs honoraires, non selon les conditions d'exploitation propres de leurs cabinets, mais à partir des indications qui y étaient reproduites; qu'en déclarant utiliser ces usages "pour l'information de (ses) clients lorsqu'ils souhaitent connaître par avance le montant des honoraires", Me Bertrand­Mercier, tout en soulignant personnellement ne pas s'y référer, a de fait reconnu que les honoraires effectivement pratiqués dans le ressort du barreau de Clermont­Ferrand pouvaient être établis conformément aux indications reproduites dans les documents examinés; que, de leur côté, Mes Savary et Espinasse ont déclaré que leurs "honoraires se situaient dans la fourchette indiquée" "et qu'en principe on ne fonctionne jamais en­dessous du bas de la tranche sauf exception lorsqu'il s'agit d'amis";

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède qu'en élaborant et en diffusant les "usages en matière d'honoraires des avocats au barreau de Clermont­Ferrand" pour les années 1991, 1993 et 1994 ci­dessus analysés, l'Ordre des avocats au barreau de Clermont­Ferrand a mis en œuvre des pratiques qui ont eu pour objet et ont pu avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur le marché considéré; que de telles pratiques sont prohibées par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Sur les sanctions :

Considérant qu'aux termes de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : "Le Conseil de la concurrence peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières. Il peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement, soit en cas d'inexécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 5 p. 100 du montant du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos. Si le contrevenant n'est pas une entreprise, le montant maximum est de dix millions de francs... Le Conseil de la concurrence peut ordonner la publication de sa décision dans les journaux ou publications qu'il désigne, l'affichage dans les lieux qu'il indique et l'insertion de sa décision dans le rapport établi sur les opérations de l'exercice par les gérants, le conseil d'administration ou le directoire de l'entreprise. Les frais sont supportés par la personne intéressée" ;

Considérant qu'il convient, par application de l'article 13 ci­dessus rappelé, de prévenir la poursuite de telles pratiques en enjoignant à l'Ordre des avocats du barreau de Clermont­Ferrand de ne plus élaborer ni diffuser de barème d'honoraires et d'en informer tous les membres du barreau ;

Considérant que pour apprécier le dommage à l'économie, il y a lieu de retenir que les documents en cause donnaient des indications d'honoraires, comportant notamment des montants minimums, pour une liste de près de quatre­vingt­dix prestations (version 1993) concernant de nombreuses procédures devant les différentes juridictions ;

Considérant que la gravité des pratiques doit s'apprécier en tenant compte de la circonstance que les documents intitulés usages en matière d'honoraires des avocats au barreau de Clermont­Ferrand" ont été tirés à 3.000 exemplaires et diffusés à l'ensemble des membres du barreau de Clermont­Ferrand ; que, par ailleurs, le ministère d'avocat est, s'agissant de différentes procédures, obligatoire ; qu'enfin le conseil de l'Ordre des avocats au barreau de Clermont­Ferrand ne pouvait ignorer les dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; et ceci d'autant moins que, par lettre du 7 novembre 1988, le directeur régional de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes de Clermont­Ferrand avait appelé l'attention du bâtonnier sur le fait que les indications d'honoraires portées sur la plaquette "année judiciaire" de l'année 1986 relevaient des dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Considérant que, pour l'année 1996, les ressources de l'Ordre des avocats au barreau de Clermont­Ferrand se sont élevées à 1 428 880 F ; qu'en fonction des éléments tels qu'appréciés ci­dessus, il y a lieu d'infliger à l'Ordre des avocats au barreau de Clermont­Ferrand une sanction pécuniaire de 220 000 F,

Décide :

Article 1er ­ Il est établi que l'Ordre des avocats du barreau de Clermont­Ferrand a enfreint les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Article 2 ­ Il est enjoint à l'Ordre des avocats du barreau de Clermont­Ferrand, d'une part, de ne plus élaborer ni diffuser des "usages en matière d'honoraires" et, d'autre part, d'adresser, dans un délai de deux mois à compter de sa notification, la copie de la présente décision à l'ensemble des avocats constituant le barreau de Clermont­Ferrand.

Article 3 ­ Il est infligé à l'Ordre des avocats du barreau de Clermont­Ferrand une sanction pécuniaire de 220 000 F.