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Décisions

Cass. com., 4 mars 1997, n° 95-30.065

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

SCREG Sud-Est (SNC), Colas Rhône-Alpes (SA), Sacer Sud-Est (Sté), Entreprise Jean Lefebvre (SA)

Défendeur :

Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

(faisant fonctions) : M. Nicot

Rapporteur :

Mme Geerssen

Avocat général :

M. Mourier

Avocats :

Mes Le Prado, Ricard, SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez.

TGI Grenoble, prés., du 2 févr. 1995

2 février 1995

LA COUR : - Joint les pourvois nos 95-30.065, 95-30.066, 95-30.067, 95-30.068 qui attaquent la même ordonnance ; - Attendu que par ordonnance du 2 février 1995, le président du Tribunal de grande instance de Grenoble a autorisé des agents de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, en vertu de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 à effectuer une visite et une saisie de documents dans les locaux de dix sociétés à quatorze adresses différentes, fabricantes d'enrobés bitumeux en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles sur le marché de la fourniture, fabrication et mise en œuvre des enrobés bitumeux sur les routes départementales soumis à appel d'offres en 1993 par le conseil général de l'Isère prohibées par les points 1, 2 et 4 de l'article 7 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 ;

Sur le premier moyen des pourvois 95-30.066 et 95-30.067 : - Attendu que les sociétés Colas Rhône Alpes et Sacer Sud-Est font grief à l'ordonnance d'avoir autorisé les visites et saisies litigieuses alors, selon les pourvois, qu'au premier des documents annexés à la requête, soit, la demande ministérielle d'enquête, était joint, sous le numéro 1-a, un "exposé des faits" rapportant que le service de la concurrence de l'Isère avait été saisi par une plainte de la société Routière Chambard, et que M. Philippe Bravin, directeur général de cette société, avait fait une déclaration (dont le procès-verbal constituait l'annexe 7 de la requête) ; que cet "exposé des faits" affirme que "M. Bravin a fait valoir aux enquêteurs que le marché départemental des enrobés bitumeux faisait l'objet d'une répartition dans le cadre d'une entente organisée par le responsable de l'agence locale Jean Lefèbvre, M. Allègre, indication qu'il n'a pas souhaité mentionner dans le procès-verbal précité" ; que l'Administration, qui ne peut faire état d'une déclaration figurant dans un document non détenu par elle de façon apparemment licite ne pouvait, a fortiori, faire état d'une prétendue déclaration ne figurant dans aucun document, dont le prétendu auteur aurait refusé la consignation et la souscription ; qu'en accédant à la demande d'autorisation formulée dans une requête qui faisait état, dans l'une des pièces annexées, d'une prétendue déclaration ne figurant dans aucun document qui pût paraître licitement détenu par l'Administration, la décision attaquée a violé l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Mais attendu que le juge s'est appuyé sur toutes les pièces à charge et à décharge qui lui ont été soumises et qui tendent à établir les présomptions dont fait état l'administration requérante ou à les démentir ; qu'en l'espèce le juge n'a pas méconnu les exigences légales en s'appuyant sur l'exposé des faits annexé à la requête qui fait état d'une déclaration de M. Bravin que ce dernier a refusé de voir figurer dans un écrit signé par lui ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen des pourvois n° 95-30.066 et 95-30.067 : - Attendu que les sociétés Colas Rhône Alpes et Sacer Sud-Est font aussi grief à l'ordonnance d'avoir autorisé les visites et saisies litigieuses alors, selon les pourvois, que le procès-verbal par lequel a été recueillie la déclaration de M. Bravin n'étant pas daté, il ne permet pas au juge d'apprécier s'il avait été rédigé dans le plus court délai prévu par l'article 32 du décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 ; qu'en fondant sa décision sur ce procès-verbal, le juge saisi a violé la disposition dont il s'agit ;

Mais attendu qu'il se déduit de la rédaction d'une seule traite du procès-verbal litigieux que celui-ci a été établi le 8 juin 1994 à l'issue de la troisième intervention des commissaires de la direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes ; que les prescriptions de l'article 31 du décret du 29 décembre 1986 n'ont donc pas été méconnues ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le moyen unique, pris en ses trois branches du pourvoi n° 95-30.065, sur le troisième moyen pris en ses trois branches des pourvois 95-30.066 et 95-30.067, sur le premier moyen, pris en ses trois branches du pourvoi n° 95-30.068, réunis : - Attendu que les sociétés SCREG Sud-Est, Colas Rhône Alpes, Sacer Sud-Est et entreprise Jean Lefèbvre font encore grief à l'ordonnance d'avoir autorisé les visites et saisies litigieuses alors, selon les pourvois, d'une part, qu'il résulte des constatations de l'ordonnance attaquée que le marché litigieux a été passé sur appel d'offres ; que dans une telle procédure, l'Administration est libre de choisir l'offre qu'elle juge la plus intéressante ; que dans ces conditions, ce d'autant qu'elle relevait que selon l'une des entreprises, le vice-président du conseil général de l'Isère aurait annoncé son intention en ce sens, l'ordonnance attaquée qui faisait état de la continuité de l'attribution des lots n'a nullement caractérisé les indices d'une entente tendant à fausser le jeu de la concurrence, privant sa décision de base légale au regard des articles 7 et 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; alors, d'autre part, que les offres dénoncées se caractérisant par une grande diversité selon les lots, l'ordonnance attaquée, qui ne caractérise aucun parallélisme de comportement susceptible d'avoir porté atteinte à la fixation des prix, a de plus fort privé sa décision de base légale au regard desdites dispositions ; et alors, enfin, que l'ordonnance attaquée qui ne constate nullement que les lots auraient été attribués à un prix anormal mais au contraire, la grande proximité des offres moins disantes avec l'évaluation du prix des lots faite par l'Administration a encore une fois privé sa décision de base légale au regard de ces dispositions ; alors, en outre, que la continuité dans l'attribution des lots est dépourvue de toute signification, dès lors surtout que la décision attaquée retient que les attributions paraissaient connues par l' administration départementale dès avant la procédure de passation du marché, et constate que les attributaires ne sont pas systématiquement les moins disants ; que si les attributions ont été a priori décidées par l'Administration, le juge saisi ne pouvait admettre l'existence de présomptions de pratiques destinées à limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises sans entacher sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article 7-1 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; alors, encore, que cette motivation ne permet nullement de conclure à l'existence de présomptions de pratiques tendant à faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché ; que la décision attaquée est entachée d'un défaut de base légale au regard de l'article 7-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que ces motifs ne permettent nullement de conclure à l'existence de présomptions de pratiques tendant à la répartition des marchés ; que la décision attaquée est entachée d'un défaut de base légale au regard de l'article 7-4 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; alors, au surplus, que le point 1 de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 prohibe les actions concertées tendant à "limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises" et que ne constitue pas en elle-même une présomption de pratique prohibée la continuité des attributions des marchés entre 1989 et 1993 ; alors, de surcroît, que le point 2 de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1989 prohibe les actions concertées tendant à "faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse" et que ne constitue pas en elle-même une présomption de pratique prohibée une " continuité d'attribution dans dix lots ", si ces attributions sont régulières ; alors, enfin, que le point 4 de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 prohibe les actions concertées tendant à " répartir les marchés ou les sources d'approvisionnement ", et que ne constitue pas en elle-même une présomption de pratique prohibée le fait pour les entreprises de répondre aux appels d'offres pour les onze lots et d'"en obtenir au moins un tout en faisant des offres de couverture dans les autres lots au bénéfice de celles qui ont été sélectionnées pour certains lots " ;

Mais attendu que les moyens tendent à contester la valeur des éléments retenus par le juge comme moyen de preuve des agissements ; que de tels moyens sont inopérants pour critiquer l'ordonnance dans laquelle le juge a recherché par l'appréciation des éléments fournis par l'Administration, s'il existe des présomptions d'agissements visés par la loi justifiant la recherche de la preuve de ces agissements au moyen d'une visite en tous lieux, même privés, et d'une saisie de documents s'y rapportant ; que les moyens ne peuvent être accueillis en aucune de leurs branches ;

Mais sur le quatrième moyen des pourvois 95-30.066 et 95-30.067, sur le second moyen du pourvoi 95-30.068, réunis : - Vu l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; - Attendu qu'en fixant un délai maximum de 6 mois pour la présentation des requêtes tendant à l'annulation des opérations achevées alors qu'il ne résulte pas de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 qu'un tel recours soit enfermé dans un délai légal ou dans un délai à la discrétion du juge, le président a excédé ses pouvoirs et violé le texte susvisé;

Et attendu qu'il y a lieu de faire application de l'article 627, alinéa 1er, du nouveau Code de procédure civile, la cassation encourue n'impliquant pas qu'il soit à nouveau statué sur le fond ;

Par ces motifs : casse et annule, en ce qu'elle a fixé un délai de 6 mois pour la présentation des requêtes en contestation de la régularité des opérations de visite et saisie domiciliaire, l'ordonnance rendue le 2 février 1995, par le président du Tribunal de grande instance de Grenoble.