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Décisions

Cass. com., 21 octobre 1997, n° 96-30.016

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Bianco produits pétroliers (SA), Marty (SA), Streichenberger distribution (SNC), Streichenberger (SA), BP France (SA), Etablissements Thusy frères (SA), Etablissements Joseph Revillard et fils (SA)

Défendeur :

Directeur général de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bézard

Rapporteur :

Mme Geerssen

Avocat général :

Mme Piniot

Avocats :

SCP Rouvière, Boutet, Mes Choucroy, Blanc, Ricard.

TGI Annecy, prés., du 19 oct. 1995

19 octobre 1995

LA COUR : - Joint les pourvois nos 96-30.016, 96-30.017, 96-30.018, 96-30.019, 96-30.020, 96-30.021 et 96-30.022 qui attaquent la même ordonnance ; - Attendu que, par ordonnance du 19 octobre 1995, le président du tribunal de grande instance d'Annecy a autorisé des agents de la Direction générale de la concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes, en vertu de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, à effectuer une visite et une saisie de documents dans les locaux de sept sociétés de fourniture et de distribution de combustibles liquides dans la région d'Annecy, en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles prohibées par les points 1, 2 et 4 de l'article 7 de l'ordonnance précitée sur ce marché ;

Sur le premier moyen du pourvoi n° 96-30.016, pris en ses quatre branches, le premier moyen des pourvois n° 96-30.017, 96-30.021 et 96-30.022, le moyen unique des pourvois n° 96-30.018, 96- 30.019 et 9630.020, pris en ses première et deuxième branches, réunis : - Attendu que les sociétés anonymes Bianco produits pétroliers, Marty, Etablissements Thusy frères, établissements Joseph Revillard et fils, la SNC Streichenberger distribution, la société anonyme BP France, venant aux droits de la société anonyme Streichenberger distribution, font grief à l'ordonnance d'avoir autorisé les visites et saisies litigieuses, alors, selon les pourvois, d'une part, que l'ordonnance ne pouvait être rendue au vu d'une requête de M. Rezel, directeur régional de la Concurrence de Lyon, désignant M. Jean-Pierre Billon-Lanfray, directeur départemental à Annecy, pour le représenter devant le tribunal de grande instance sans qu'il soit constaté que M. Rezel, désigné lui-même par le directeur régional de la Concurrence pour le représenter à la suite de la demande d'enquête du ministre, était absent ou empêché en violation des articles 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, 411 et suivants du nouveau Code de procédure civile; alors, d'autre part, qu'à supposer que M. Billon- Lanfray soit tenu pour habilité, il ne pouvait à son tour, et de surcroît en l'absence d'empêchement justifié, donner mandat à MM. Barathieu et Mercier pour présenter tous éléments nécessaires à la délivrance d'une ordonnance de saisie en violation des articles 48 et de l'ordonnance du 1er décembre 1986, 117, 411 et suivants du nouveau Code de procédure civile; alors, qu'au surplus, le mandat du 5 octobre 1995 n'est pas visé par l'ordonnance du président du tribunal de grande instance, ce qui exclut que le juge, comme il en avait l'obligation, ait vérifié que la personne lui présentant la requête ait reçu régulièrement mandat à cette fin en violation des articles 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, 455 et 458 du nouveau Code de procédure civile; alors, de plus, que l'ordonnance est entachée d'un manque de base légale caractérisé dans la mesure où, à travers les délégations et mandats successifs, la demande a visé un marché différend de celui concerné par la demande d'enquête du ministre de l'Économie et des Finances en violation des articles 4 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et 1989 du Code civil; alors, en outre, que lorsque l'auteur de la requête se fait représenter par délégation devant le président du tribunal de grande instance, il appartient à celui-ci de constater dans l'ordonnance que le fonctionnaire ainsi habilité par l'auteur de la requête s'est présenté en raison de l'absence ou de l'empêchement de ce dernier ; alors, encore plus, que, si le ministre chargé de l'économie a pu, le 13 septembre 1995, donner mandat à M. Rezel, directeur régional de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes, "ou à tout fonctionnaire de catégorie A désigné par lui pour le représenter" afin de saisir le président du tribunal de grande instance, et si M. Rezel a pu, le 20 septembre 1995, donner mandat aux mêmes fins à M. Billon-Lanfray, directeur départemental, ce dernier ne pouvait à son tour donner mandat à MM. Barathieu et Mercier, inspecteurs, pour présenter la demande sans violer les articles 48, alinéa 1, de l'ordonnance du 1er décembre 1986, 117 et 411 du nouveau Code de procédure civile et 1989 du Code civil; et alors, enfin, que les mandats donnés par le ministre chargé de l'Économie et par le directeur régional de la Concurrence visaient les marchés des "combustibles liquides" dans la "région d'Annecy" et que le dernier mandat donné par le directeur départemental de la Concurrence à deux inspecteurs visait les marchés des "carburants"; qu'ainsi, le magistrat ne pouvait ordonner des opérations concernant les marchés des combustibles liquides et en d'autres lieux que la région d'Annecy sans violer les articles 48, alinéas 1, et 3 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, 117 et 411 du nouveau Code de procédure civile et 1989 du Code civil ;

Mais attendu, en premier lieu, que l'ordonnance constate que la requête a été présentée par le chef de service en vertu des pouvoirs qui lui ont été conférés par le directeur de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes agissant par délégation de signature du ministre chargé de l'Economie; qu'en constatant que la requête de M. Rezel, directeur régional à Lyon, chef de la Brigade interrégionale d'enquête de Rhône-Alpes-Bourgogne-Auvergne-Franche-Comté lui était présentée par M. Jean-Pierre Billon-Lanfray, directeur départemental à Annecy en vertu d'un mandat produit par ce dernier et à lui donné par le signataire de la requête, le président du tribunal a procédé à la vérification lui incombant; que l'exigence, selon laquelle l'autorisation ne peut être donnée que dans le cadre d'enquête ordonnée par le ministre chargé de l'Économie ou le Conseil de la Concurrence, n'implique pas que la demande de mise en œuvre des dispositions de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 soit adressée au juge par le ministre ou une personne ayant délégation de signature de ce ministre ;

Attendu, en second lieu, que la demande d'enquête du ministre figurant aux pièces de la procédure est celle retenue par l'ordonnance, peu important à cet égard que le mandat, donné par le directeur départemental à deux de ses inspecteurs figurant aux pièces de la procédure et dont l'ordonnance ne dit pas qu'il a été utilisé, vise un marché de "carburants" et non de combustibles liquides ; que les moyens ne sont fondés en aucune de leurs branches ;

Mais sur le deuxième moyen des pourvois n° 96-30.017, 96-30.021 et 96-30.022 : - Vu l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; - Attendu que si l'Administration peut être fondée à garantir l'anonymat de certaines personnes entendues au cours de l'enquête et doit respecter le secret des affaires, dès lors qu'elle produit des pièces pour justifier de présomptions de pratiques anticoncurrentielles au soutien d'une demande d'autorisation de visite et saisie, l'ordonnance qui l'accorde en visant et analysant lesdites pièces ne peut les soustraire à l'examen contradictoire des parties nécessaire à l'exercice du recours qu'elles sont en droit d'introduire contre ladite ordonnance ;

Attendu que le président du tribunal de grande instance décide que le procès-verbal d'audition d'un plaignant souhaitant garder l'anonymat et la lettre arrivée le 21 octobre 1994 à la Direction départementale de la Concurrence de Haute-Savoie qui émane du même plaignant souhaitant garder l'anonymat, seront restitués à l'auteur de la requête ;

Attendu qu'en statuant ainsi, ce dont il résulte que ces documents ne pouvaient être consultés par les personnes auxquelles le recours en cassation est ouvert alors que celles-ci, pour exercer cette voie de recours, seule offerte par la loi, doivent être en mesure d'apprécier les griefs dont l'ordonnance est susceptible et, à cette fin, avoir connaissance des pièces sur lesquelles le juge s'est fondé, le président a violé le texte susvisé ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : casse et annule, dans toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue le 19 octobre 1995, par le président du tribunal de grande instance d'Annecy ; dit n'y avoir lieu à renvoi.