Cass. com., 12 janvier 1999, n° 97-30.135
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Interfuel (Sté)
Défendeur :
Directeur général de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bézard
Rapporteur :
Mme Mouillard
Avocat général :
M. Raynaud
Avocats :
Mes Blanc, Ricard.
LA COUR : - Attendu que, par ordonnance du 9 octobre 1996, le président du Tribunal de grande instance de Lille a, en vertu de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, autorisé des agents de la direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes à effectuer une visite et des saisies de documents dans les locaux de six entreprises dont ceux de la société Interfuel, en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles prohibées par les points 1, 2 et 4 de l'article 7 de l'ordonnance précitée dans le secteur de la distribution du fuel domestique ;
Sur le premier moyen, pris en ses cinq branches : - Attendu que la société Interfuel fait grief à l'ordonnance d'avoir ainsi statué, alors, selon le pourvoi, d'une part, que l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, ratifiée implicitement (Com. 6/10/92, Bull. civ. IV, n° 294 (1), p 206 ; CE 7/2/94, Rec. p55), a valeur législative ; que l'article 48 dudit texte donne compétence au ministre chargé de l'Economie de demander des enquêtes en vertu desquelles les enquêteurs pourront procéder aux visites en tous lieux ainsi qu'à la saisie des documents sur autorisation judiciaire ; que la compétence ainsi donnée audit ministre trouvant sa source dans une loi, seule une autre loi pouvait en autoriser la délégation ; que le décret n° 95-1248 du 28 novembre 1995 relatif aux attributions du ministre délégué aux finances et au commerce extérieur, s'il peut être regardé comme autorisant la délégation de compétence du ministre de l'Economie et des Finances au ministre délégué, est sans valeur pour autoriser la délégation de compétence que le premier tient de l'ordonnance à valeur législative, en sorte que l'autorisation judiciaire est irrégulière (violation de l'article 38 de la Constitution du 4 octobre 1958 et des articles 7 et 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986) ; alors, d'autre part, qu'à supposer que le décret du 28 novembre 1995 puisse constituer une autorisation régulière de la délégation de compétence, l'autorisation donnée par un texte à une autorité de déléguer sa compétence à une autre autorité ne suffit pas et suppose également un acte exprès de délégation de compétence ; qu'il appartenait ainsi au juge saisi de rechercher si le ministre délégué avait reçu du ministre de l'Economie et des Finances une délégation expresse (manque de base légale au regard des articles 1, 2, 3 et 4 du décret du 28 novembre 1995, 7 et 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986) ; alors, en outre, qu'à supposer qu'il existe, et une délégation de compétence régulière, et un acte exprès de délégation, l'ordonnance autorisant les visites et saisies en matière de réglementation économique doit faire preuve par elle-même de sa régularité sans que les productions ultérieures puissent être prises en considération ; qu'ainsi, la production a posteriori de ces actes ne saurait conférer un fondement légal à ladite ordonnance (violation de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986) ; alors, au surplus, qu'à supposer que la production postérieure d'une autorisation de délégation de compétence soit admise, encore faudra-t-il que celle-ci procède d'une loi puisque la compétence dévolue au ministre chargé de l'Economie procède d'un texte à valeur législative et, à défaut, elle sera sans valeur (violation de l'article 38 de la Constitution du 4 octobre 1958 et des articles 7 et 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986) ; alors, enfin, qu'à supposer que la production postérieure d'une décision de délégation de compétence soit admise, encore faudra-t-il que cet acte ait été publié car, à défaut, il sera sans valeur (violation de l'article 2 du décret du 5 novembre 1870) ;
Mais attendu que, si les visites et saisies prévues par l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 peuvent être autorisées dans le cadre des enquêtes demandées, soit par le ministre chargé de l'Economie, soit par le Conseil de la concurrence, elles peuvent l'être également par le ministre délégué aux Finances et au Commerce Extérieur dès lors que ce dernier exerce, aux termes de l'article 1er du décret du 28 novembre 1995, les attributions qui lui sont confiées par le ministre de l'Economie et des Finances relatives à la consommation, à la concurrence, aux marchés publics et au commerce extérieur ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses cinq branches ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses deux branches : - Attendu que la société Interfuel reproche encore à l'ordonnance d'avoir accordé cette autorisation, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'à supposer que les règles de la procédure pénale, applicables à l'instance de cassation, soient applicables à l'ordonnance, tout jugement doit, à peine de nullité, être signé par le président et le greffier (violation de l'article 486 du Code de procédure pénale) ; alors, d'autre part, qu'à supposer que, dans le contexte de l'ordonnance, les règles de la procédure civile soient applicables, tout jugement doit, à peine de nullité, être signé par le président et le greffier (violation des articles 456 et 458 du nouveau Code de procédure civile) ;
Mais attendu que l'ordonnance prévue à l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 n'a pas à être rendue en audience publique et que, ni le défaut d'assistance du juge par un secrétaire, ni l'absence de signature d'un greffier n'entachent la décision d'irrégularité ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses deux branches ;
Et sur le troisième moyen, pris en ses deux branches : - Attendu que la société Interfuel fait aussi grief à l'ordonnance d'avoir statué comme elle a fait, alors, selon le pourvoi, d'une part, que le directeur régional de Lille, chef de la brigade interrégionale Nord-Pas-de-Calais-Picardie, n'a pas compétence hors de sa circonscription et ne pouvait, dès lors, demander au président du tribunal d'autoriser le directeur régional à Paris, chef de la brigade interrégionale Ile-de-France, Haute et Basse-Normandie, à désigner des enquêteurs aux fins d'opérer dans les départements des Yvelines et de Seine-Maritime (violation des articles 45 et 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, 4 du décret n° 85-1152 du 5 novembre 1985) ; et alors, d'autre part, que le directeur régional de Lille n'avait pas demandé au président du tribunal d'autoriser le directeur régional à Paris à désigner des enquêteurs aux fins d'opérer dans les départements des Yvelines et de Seine-Maritime et que ce président a ainsi méconnu les termes du litige (violation de l'article 1134 du Code civil) ;
Mais attendu que le président du tribunal, statuant en application de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, peut autoriser des agents de l'Administration autres que ceux qui présentent la demande, dès lors qu'ils sont habilités par le ministre chargé de l'Economie à procéder aux enquêtes prévues par ce texte ; qu'ayant retenu, par une décision motivée, des présomptions d'agissements communs aux entreprises visées par la demande d'autorisation nécessitant une action simultanée dans les locaux de ces entreprises et ayant relevé que certains de ces locaux étaient situés hors de la compétence territoriale du chef de la brigade interrégionale Nord-Pas-de-Calais-Picardie, qui lui présentait la requête, le président du tribunal a pu autoriser le chef de la brigade interrégionale d'Ile-de-France Haute et Basse-Normandie, dont il a constaté l'habilitation à procéder aux enquêtes prévues à l'article 48, à lui apporter son concours pour les opérations relevant de sa compétence territoriale ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses deux branches ;
Par ces motifs, rejette le pourvoi.