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Décisions

Conseil Conc., 25 juin 1997, n° 97-D-52

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Pratiques relevées dans le secteur du travail temporaire dans les départements de l'Isère et de la Savoie

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré, sur le rapport de M. Henri Génin, par M. Cortesse, vice-président, , MM. Callu, Marleix, Rocca, Sloan, Thiolon, membres.

Conseil Conc. n° 97-D-52

25 juin 1997

Le Conseil de la concurrence (section I),

Vu la lettre enregistrée le 15 décembre 1992 sous le numéro F 565 par laquelle le ministre de l'économie a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques dans le secteur du travail temporaire dans les départements de l'Isère et de la Savoie ; Vu l'ordonnance n° 86­1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence modifiée, et le décret n° 86­1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application ; Vu les observations présentées par la Fédération nationale du bâtiment, la Fédération du bâtiment et des travaux publics de l'Isère, la Fédération du bâtiment et des travaux publics de Savoie, les sociétés : Adia France SA, Bis France, le groupe Elan travail temporaire venant aux droits et obligations de Centrale temporaire, Centre intérim SA, Ecco travail temporaire, Elitt, Manpower France, Regitt, Sataic venant aux droits et obligations de Central intérim et Central intérim 2000, Taga travail temporaire, Sade Sud­Est et Servinter (Cetras) et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants de la Fédération nationale du bâtiment, de la Fédération du bâtiment et des travaux publics de Savoie, des sociétés Adia France, Bis France, Groupe Elan travail temporaire, Centre intérim, Ecco, Les Compagnons, Manpower France, Regitt, Sataic, Servinter, Sade Sud­Est, et Elitt entendus, la Fédération du bâtiment et des travaux publics de l'Isère, les sociétés SIS intérim, Synergie et Taga travail temporaire ayant été régulièrement convoquées ; Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et les motifs (II) ci­après exposés :

I­ CONSTATATIONS

A­ Les caractéristiques du secteur d'activité

1. La prestation de mise à disposition de main­d'œuvre temporaire

Les pratiques anticoncurrentielles dénoncées par le ministre de l'économie ont été relevées dans le secteur du travail temporaire.

Les entreprises doivent en principe embaucher leurs salariés par contrat de travail à durée indéterminée lorsqu'il s'agit de pourvoir durablement les emplois liés à leur activité normale et permanente. Néanmoins, pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire dénommée "mission", les entreprises peuvent parfois avoir recours aux services de "loueurs" de main­d'œuvre : les entreprises de travail temporaire (ETT).

La prestation de service considérée, c'est­à­dire la fourniture de main­d'œuvre temporaire, est réalisée aux termes d'un contrat par lequel l'ETT met à la disposition de l'entreprise utilisatrice un salarié répondant à la qualification requise pour l'exécution d'une mission spécifiée qui doit entrer dans les prévisions légales de l'article L. 124­2­1 du Code du travail.

Les articles L. 124­1 à L. 124­21 et R. 124­1 à R. 124­21 du Code du travail réglementent les conditions de recours à cette forme d'emploi afin d'éviter les abus et garantir les droits des salariés temporaires.

Seules les entreprises régulièrement déclarées et ayant souscrit une garantie financière obligatoire sont habilitées à recruter de la main­d'œuvre temporaire (art L. 24­10). En outre, il doit s'agir de leur activité exclusive (art. L. 124­1).

Un contrat de travail est conclu entre l'ETT et le salarié qu'elle embauche. En sa qualité d'employeur, elle le rémunère intégralement et s'acquitte de l'ensemble des cotisations sociales ; elle est, en outre, parfois tenue de lui fournir un équipement individuel, voire d'assurer sa formation.

La rémunération du salarié se compose d'un salaire de base auquel s'ajoutent divers compléments ou accessoires : indemnité compensatrice de congés payés, indemnité de fin de mission destinée à compenser la précarité de sa situation d'un taux égal à 10 % du montant de la rémunération totale brute, indemnités de déplacements, notamment.

En principe, cette rémunération est librement négociée entre l'ETT et le salarié et échappe juridiquement au contrôle de l'entreprise utilisatrice, à la réserve près qu'elle ne saurait être inférieure au SMIC ni à celle que percevrait dans l'entreprise utilisatrice après période d'essai un salarié de qualification équivalente occupant le même poste de travail. Cette rémunération minimum prévue par les articles L. 124­3 (§ 6) et L. 124­4­2 du Code du travail est appelée "salaire de référence".

Afin de garantir le respect du salaire de référence, la loi exige que son montant figure impérativement dans le contrat de travail, comme dans le contrat de mise à disposition liant l'utilisateur à l'ETT (art. L. 124­3 et L. 124­4).

Comme tout employeur, une ETT peut rembourser ses salariés de l'intégralité des frais exposés par ces derniers à l'occasion de leur travail. En cas de déplacements, notamment, les frais de repas, de transport, voire de logement pourront être pris en charge par l'employeur.

L'ETT s'acquitte des cotisations sociales sur l'ensemble des rémunérations versées, dans le respect de la législation en vigueur qui l'autorise, sous certaines conditions, à déduire de ces rémunérations les remboursements de frais professionnels de son salarié. Le régime de ces déductions pour le calcul de l'assiette des cotisations sociales est prévu par l'article L. 242­1 du Code de la sécurité sociale et par l'arrêté du 26 mai 1975 "relatif aux frais professionnels déductibles pour le calcul des cotisations de sécurité sociale". A cet égard, les ETT précisent que dans leur domaine d'activité les remboursements de frais s'effectuent selon le mode des allocations forfaitaires plafonnées. Si, le plus souvent, elles appliquent les normes ACOSS fixées par arrêté, il peut leur arriver, à la demande des utilisateurs, de faire bénéficier les salariés des règles internes à l'entreprise. Cette décision résulte alors d'un accord entre l'ETT et ses clients. Mais, l'obligation de s'acquitter des charges sociales et de respecter, le cas échéant, le régime de déduction des frais professionnels incombe à l'ETT et à elle seule. Dans ses rapports avec les organismes de sécurité sociale, elle agit en sa qualité d'employeur des salariés intérimaires et non de mandataire des entreprises utilisatrices, alors même qu'en cas de défaillance et d'insuffisance de sa caution, l'utilisateur est substitué à l'ETT pour le paiement des sommes restant dues aux salariés et aux organismes de sécurité sociale dont relèvent ces salariés, pour la durée de la mission accomplie (art. L. 124­8). Cette substitution garantit le paiement du salaire et de ses accessoires, de l'indemnité compensatrice de congés payés, de l'indemnité de fin de contrat et de l'ensemble des cotisations sociales obligatoires. Elle joue quand bien même l'utilisateur se serait acquitté en tout ou partie des sommes dues à l'ETT pour sa prestation. Enfin, dans ce cas, la fixation forfaitaire de l'assiette des cotisations sociales pour absence ou insuffisance constatée dans la comptabilité de l'ETT est opposable à l'utilisateur substitué. Et ce dernier ne peut établir le caractère excessif de l'assiette ainsi fixée en se fondant sur les salaires qu'il verse à ses propres salariés.

En cas de substitution, l'utilisateur est subrogé dans les droits des créanciers contre l'entrepreneur de travail temporaire (art. R. 124­4).

Le prix de la fourniture de main­d'œuvre temporaire relève entièrement du principe de liberté édicté par l'ordonnance du 1er décembre 1986. Il résulte des explications des entrepreneurs de travail temporaire recueillies au cours de l'instruction que, pour fixer le prix de leurs prestations, ils appliquent généralement à la rémunération de base des salariés mis à disposition un coefficient multiplicateur négocié avec l'entreprise qui doit leur permettre de couvrir l'ensemble des indemnités non comprises dans le salaire, les charges patronales et leur marge. Néanmoins, certaines entreprises de travail temporaire facturent distinctement certains éléments de rémunération accessoires, notamment les indemnités de déplacements.

2. Les entreprises et les organisations professionnelles

De 1989 à 1991, environ 70 agences de travail temporaire recensées proposaient la mise à disposition de salariés aux entreprises du secteur du bâtiment et des travaux publics dans les bassins d'emploi de l'Isère et de la Savoie. Certaines de ces agences étaient des établissements secondaires à l'enseigne de sociétés importantes telles Bis France, Manpower, Ecco travail temporaire, Adia France, les autres étaient des entreprises régionales, voire purement locales, dont un grand nombre a aujourd'hui disparu.

Dans le département de l'Isère, le Syndicat Général des Entrepreneurs du Bâtiment et des Travaux Publics (SGEBTP), nouvellement dénommé Fédération du Bâtiment et des Travaux Publics de l'Isère (FBTP de l'Isère), regroupait 85 sociétés en 1989 et 81 en 1991 au sein de sa section maçonnerie. Ces entreprises employaient environ 2 500 salariés permanents et réalisaient à peu près 50 % du marché isérois.

Le département de la Savoie comptait 1 600 entreprises dans le secteur du BTP, dont 182 sociétés adhérentes au SGEBTP, nouvellement dénommé Fédération du Bâtiment et des Travaux Publics de Savoie (FBTP de Savoie). La part de marché réalisée par les entreprises syndiquées était estimée approximativement à 70 %.

Toutes les entreprises membres des fédérations départementales du bâtiment sont adhérentes à la fédération nationale du bâtiment. Les Fédérations du bâtiment et des travaux publics de l'Isère et de la Savoie sont elles­mêmes affiliées à la Fédération nationale du bâtiment.

3. Le secteur géographique concerné

Les pratiques ont été relevées dans les deux départements de l'Isère et de la Savoie dans lesquels sont implantées les entreprises affiliées aux deux organisations professionnelles en cause et desquelles émanait la demande de main­d'œuvre adressée aux entreprises de travail temporaire implantées localement. Compte tenu des comportements professionnels des entreprises dans ce secteur d'activité, il apparaît que l'offre de main­d'œuvre temporaire proposée par des entreprises plus éloignées n'apparaît pas substituable à celle des entreprises locales. Cette zone correspond, par ailleurs, à l'espace géographique sur lequel ont été réalisés l'essentiel des travaux nécessités par les Jeux Olympiques d'hiver d'Albertville de 1992.

B­ Les pratiques constatées

Les pratiques relevées résultent de la signature de "protocoles" et de leur mise en œuvre en 1989, 1990 et 1991 par les SGEBTP de l'Isère et de la Savoie et une cinquantaine d'entreprises de travail temporaire implantées dans ces deux départements.

A partir de l'année 1987, une reprise de l'activité économique dans le secteur du bâtiment et des travaux publics a été enregistrée dans le Dauphiné et en Savoie en raison, notamment, des travaux d'aménagement réalisés pour accueillir les Jeux Olympiques d'Albertville en février 1992. Cette intensification de l'activité a conduit les entreprises régionales à recourir plus largement aux délégations de main­d'œuvre. L'augmentation de cette demande a eu des effets sensibles sur ce marché. De nombreuses officines de travail temporaire se sont établies pour la circonstance dans la région. L'intensité de la concurrence qui les opposait sur le marché s'est traduite par une hausse sensible des rémunérations versées aux salariés intérimaires et par une augmentation corrélative de la charge financière de cette main­d'œuvre pour les entreprises du bâtiment utilisatrices.

Mais les organisations professionnelles du bâtiment considéraient, en outre, cette hausse des rémunérations des salariés intérimaires disproportionnée avec leurs niveaux de qualification et dénonçaient le débauchage de salariés permanents des entreprises du bâtiment par les entreprises de travail temporaire.

Pour remédier à ces phénomènes jugés contraires aux intérêts des entreprises du bâtiment et de travaux publics, les SGEBTP de l'Isère et de la Savoie ont respectivement décidé de réagir par l'élaboration de protocoles départementaux dont l'un des objectifs était d'encadrer la rémunération des salariés délégués pour parvenir à maîtriser le coût de cette main­d'œuvre. Dès le 15 juillet 1987, un projet rédigé par la section maçonnerie du syndicat de l'Isère indiquait déjà que : "Compte tenu des pratiques constatées depuis quelques mois sur le marché du travail du bâtiment et des travaux publics tendant à favoriser un phénomène d'inflation en matière de salaires, frais de déplacement et primes", il convenait "d'essayer d'organiser le marché du travail temporaire des ouvriers du bâtiment et des travaux publics". De très nombreuses entreprises de travail temporaire les ont approuvés sans réserves et ont décidé de les appliquer ; ainsi, le représentant de la société Orper a déclaré : "Je suis tout à fait pour la démarche du SGEBTP de Savoie qui tend à harmoniser les tarifs et à réglementer cette concurrence sauvage entre les ETT locales", et celui de la société Soginter a indiqué : "Pour moi ce protocole est une bonne chose dans la mesure où il permet d'empêcher le débauchage, aussi bien entre entreprises du bâtiment et ETT, qu'entre ETT".

Aux termes de ces protocoles, les entreprises de travail temporaire signataires s'engageaient à aligner les salaires qu'elles versaient aux intérimaires sur ceux des salariés de qualification équivalente embauchés par contrat de travail à durée indéterminée par l'entreprise utilisatrice. A cette fin, il était prévu un encadrement de tous les éléments de rémunération.

Les protocoles de l'Isère de 1989 et 1990 prévoyaient que les bases de rémunération devaient être "conformes à celles de la grille des salaires du SGEBTP de l'Isère avec une tolérance de 10 % maximum". Cette tolérance a été supprimée dans le protocole de 1991 qui mentionnait simplement que les rémunérations de base devaient être "conformes à celles de la grille des salaires du SGEBTP de l'Isère". Les petits déplacements devaient être indemnisés "en jours ouvrés ; les conditions à appliquer étant celles de la convention collective départementale du SGEBTP de l'Isère pour l'indemnité kilométrique et l'indemnité de temps de trajet". Pour l'indemnité "de panier", les conditions à appliquer étaient "celles en vigueur dans l'entreprise utilisatrice", sans que le montant de cette indemnité puisse "dépasser le montant prévu dans la convention collective du SGEBTP pour les petits déplacements". Le protocole de 1991 précisait en outre que le montant de cette indemnité de panier était fixé à la somme forfaitaire de 60 F HT et qu'il devait couvrir également "les indemnités et primes, d'outillage, de vêtements de travail, et de chaussures de sécurité". Enfin, les grands déplacements devaient être indemnisés en jours calendaires tout compris en respectant un barème forfaitaire arrêté par les protocoles selon les destinations régionales. Ce barème a été réévalué chaque année en deçà des niveaux résultant de l'application de l'arrêté du 26 mai 1975 (règles ACOSS). Ainsi, par exemple, le montant de l'indemnité de grand déplacement dans la région de l'Oisans et de la Savoie est arrêté à la somme forfaitaire de 190 F par le protocole d'Isère de 1991, alors que le barème d'exonération des indemnités de déplacement de l'ACOSS fixait cette indemnité à 260 F par jour, soit 16 fois la valeur minimum garantie conformément à l'arrêté du 26 mai 1975. Dans ce cas, les ETT se voyaient obligées par les protocoles de respecter des niveaux d'indemnisation inférieurs aux plafonds légaux et susceptibles de s' avérer inférieurs à ceux pratiqués dans l'entreprise utilisatrice.

Les protocoles isérois prévoyaient aussi que le coefficient tarifaire appliqué par les entreprises de travail temporaire à la rémunération de base des salariés pour le calcul du prix de leurs prestations était "laissé à l'initiative des parties", mais devait "intégrer les journées intempéries, les équipements individuels de travail et de sécurité". Cette dernière précision signifiait qu'il était interdit à l'ETT de facturer à l'utilisateur le paiement des journées d'intempéries et les frais d'équipements individuels, dû à leurs salariés, de façon distincte.

Dans les protocoles de Savoie de 1989 et 1990, il était prévu que les rémunérations devaient être "conformes à celles pratiquées dans l'entreprise utilisatrice conformément à l'article L. 124­3 du Code du travail" et que "par commodité" était admise "une tolérance de 10 % maximum par rapport à la grille des salaires applicables en Savoie pour tenir compte des variations existant dans les entreprises". Toutefois, cette majoration ne devait avoir "aucun caractère d'automaticité". Cette tolérance a été abandonnée dans le protocole de 1991 ainsi rédigé : "Les rémunérations devront être conformes à celles pratiquées dans l'entreprise utilisatrice conformément à l'article L. 124­3 du Code du travail. Le salaire devra donc respecter les minimaux conventionnels et être conformes à ceux pratiqués dans l'entreprise utilisatrice pour un salarié de même qualification". Les protocoles successifs prévoyaient tous que l'indemnisation des petits déplacements devrait se faire "conformément à leur objet dans le respect de la législation en matière de Sécurité Sociale", que les montants prévus devraient être "conformes à ceux en vigueur dans l'entreprise de travail temporaire (règles spécifiques de l'ACOSS pour le travail temporaire)", et qu'à défaut "ils ne pourraient excéder les valeurs déterminées par l'accord collectif paritaire sur l'indemnisation des petits déplacements applicables en Savoie". Enfin, les protocoles de Savoie donnaient une définition de la notion de "grand déplacement" en précisant qu'il devait s'apprécier par rapport au domicile fiscal et correspondre à un trajet de plus de 50 km d'une durée supérieure à 1h30 interdisant au salarié de regagner chaque soir son domicile. Ils indiquaient que l'indemnisation des grands déplacements se ferait "dans le respect des accords professionnels en vigueur concernant les ouvriers du bâtiment et des travaux publics, et dans le respect des règles définies par l'ACOSS. Comme pour les petits déplacements, les montants ne pourraient être supérieurs à ceux de l' entreprise utilisatrice pour le chantier visé par le contrat".

Les protocoles de Savoie recommandaient simplement qu'à l'occasion de la libre négociation du coefficient tarifaire soit prise en compte "la prise en charge ou non" par le fournisseur de la main­d'œuvre de frais divers ou d'éléments de rémunération accessoires, tels la fourniture des équipements de sécurité, le paiement des journées d'intempéries ou des jours fériés.

En contrepartie du respect de ces niveaux de rémunérations, les SGEBTP s'engageaient à "promouvoir" les ETT signataires auprès de leurs adhérents. Ni la nature, ni les modalités de cette promotion n'étaient explicitées par les conventions. Mais elle s'est traduite par l'engagement des entreprises du bâtiment utilisatrices de main­d'œuvre temporaire affiliées aux syndicats à recourir, sinon de façon exclusive du moins prioritairement, aux services des ETT signataires dont les noms figuraient sur des listes tenues à jour et périodiquement diffusées par les syndicats à leurs adhérents. Ainsi, le président de la FBTP de la Savoie, a déclaré : "Dès la signature des protocoles, nous en avons informé nos adhérents et nous leur avons indiqué la liste des entreprises de travail temporaire signataires, c'est à dire la quasi-totalité des entreprises implantées localement". Cette liste était également adressée pour information aux ETT signataires. Au surplus, le SGEBTP de l'Isère a adressé plusieurs circulaires à ses adhérents, notamment les 23 mars 1989, 11 juillet 1989 et 24 avril 1990, pour les inciter à réserver leur clientèle aux seules entreprises signataires. Il était indiqué, en ce sens, dans la première de ces circulaires : "Il est indispensable que toutes nos commandes de personnels à titre temporaire soient réservées spécialement aux signataires du protocole", ou bien encore dans la seconde : "Nous vous demandons de réserver en priorité vos consultations de recherche de main­d'œuvre temporaire aux signataires de cette convention". S'il n'est pas établi que le SGEBTP de Savoie ait formulé par écrit de telles recommandations à ses membres, néanmoins aucun doute ne subsistait à cet égard pour les gérants d'agences d'intérim. L'un d'entre eux a notamment déclaré : "Le syndicat du bâtiment ne peut que conseiller les entreprises utilisatrices à travailler en priorité avec les entreprises de travail temporaire qui ont signé le protocole d'accord", et un autre : "Le syndicat du BTP a incité les ETT à signer le protocole faute de quoi il laissait entendre qu'il ne manquerait pas d'informer les adhérents des entreprises non signataires".

L'inscription sur les listes conditionnait la signature des contrats de mise à disposition de main­d'œuvre temporaire avec les entreprises du bâtiment affiliées aux syndicats. Le gérant de la société Taga a ainsi déclaré : "Avant mon adhésion, l'employée commerciale qui prospectait sur le plateau voironnais a eu de grosses difficultés à entrer en relation professionnelle avec les entreprises du bâtiment (...). Lors des démarches commerciales (...) les conducteurs de travaux sur le chantier même exigeaient notre appartenance à la dite convention avant toute mise à disposition de personnel intérimaire". Le gérant de l'agence Novasam a déclaré : "La signature du protocole nous permettait d'être reconnu par les professionnels du bâtiment", celui de l'agence RMO : "La majorité des entreprises m'ont dit que je devais signer cette charte pour travailler avec elles", enfin la gérante de l'agence Manpower de Grenoble a clairement indiqué : "L'intérêt de cet accord pour les entreprises de travail temporaire était de pouvoir travailler avec les adhérents du SGEBTP".

Des procédures d'adhésion, destinées à solenniser l'engagement des entreprises à respecter les niveaux de rémunérations fixés et à contrôler la régularité de leur situation au regard de la législation, étaient prévues. Une commission paritaire, composée d'entrepreneurs du bâtiment et de représentants des entreprises de travail temporaire, devait statuer, en dernier ressort, sur l'agrément des candidatures. Dans l'Isère, la procédure d'adhésion résulte d'une pratique arrêtée par délibération de la "commission maçonnerie/ETT" réunie au siège du syndicat le 7 juillet 1989 aux termes de laquelle les sociétés qui souhaitaient adhérer à la convention devaient désormais le faire par écrit auprès du syndicat, pour permettre à la commission de statuer sur leurs demandes. Dans le premier protocole mis en place en Savoie, l'engagement des ETT n'était soumis à aucune condition particulière. Mais, dès le 5 décembre 1989, la commission de contrôle chargée de veiller à la bonne application du protocole a décidé qu'il convenait, "pour tenir compte des enseignements de l'année (écoulée)" de soumettre les adhésions à la constitution d'un dossier de candidature comprenant une attestation de caution et un document de présentation de la société et de l'agence, la signature du protocole et l'acceptation de tout contrôle effectué par une commission mixte dont l'avis était requis. L'instruction n'a révélé aucun cas de refus d'adhésion opposé à une entreprise de travail temporaire dans le département de la Savoie. En revanche, la société Bis de Grenoble n'a pu obtenir de figurer sur la liste des signataires du protocole isérois diffusée par le SGEBTP en juillet 1989. Par lettre du 20 avril 1989 adressée au SGEBTP de l'Isère, le directeur régional de cette société avait sollicité son adhésion au protocole et demandé que certaines de ses dispositions soient revues pour les mettre "plus en harmonie avec la législation en vigueur" (sic). Le 11 juillet 1989 le SGEBTP a transmis une liste des sociétés adhérentes sur laquelle ne figurait pas la société Bis. Le représentant de cette dernière protestait par une lettre du 27 juillet 1989 demeurée sans réponse écrite. Mais, il lui était signifié verbalement qu'il devait signer le protocole en l'état s'il ne voulait pas perdre la clientèle de certaines entreprises avec lesquelles il travaillait déjà.

Au total, une cinquantaine d'agences d'intérim implantées dans les deux départements ayant adhéré aux protocoles ont pu être recensées. Il s'agit pour le département de l'Isère des entreprises : ABCI, AZ intérim, Bis travail temporaire, CAAP, Centrale temporaire, Cetras, CIP le temps choisi, Centrale intérim, Ecco travail temporaire, Elitt, IDEF intérim, Interpro, Intérim 38, Isajob travail temporaire, Inter orga service, Liac intérim, LPR travail temporaire, Manpower travail temporaire, Pack intérim, Regitt, Reliance travail temporaire, RMO travail temporaire, SAE travail temporaire, Société française intérim, Silco travail temporaire, SIS intérim, Socottemp, Sogepi travail temporaire, Soginter CRI industrie, Soteral, Synergie, Taga travail temporaire, et Top inter. Il s'agit pour le département de la Savoie des entreprises : RMO travail temporaire, Adia intérim, Bis travail temporaire, Ecco travail temporaire, Manpower travail temporaire, MOI , Soginter, Synergie, Interpro, Elitt, Reliance, Centre intérim, Cetras, 73 Intérim, LIC, Orper 73, Centrale intérim 2 000, Top inter, Sade Sud­Est, Les compagnons alpins (anciens S.N.I.), CAAP, Creyf service, Topeda et Performances. Un grand nombre de ces entreprises ont aujourd'hui disparu, quinze d'entre elles seulement subsistent. Il s'agit des sociétés : Adia France, Bis France, groupe Elan, Centre intérim, Ecco travail temporaire, Elitt, Les Compagnons, Manpower France, Regitt, Sade Sud­Est, Sataic (Central intérim), Servinter, SIS intérim, Synergie, Taga travail temporaire.

Au cours de la période des faits examinés, le respect par les entreprises de travail temporaire de leurs engagements en matière de rémunération pouvait être contrôlé et, en cas de manquements constatés, les ETT pouvaient alors faire l'objet d'avertissements et de sanctions.

Les protocoles savoyards disposaient "qu'une commission de contrôle sera composée de deux entreprises de travail temporaire et deux entrepreneurs. Le secrétariat sera assuré par le syndicat des entrepreneurs qui assistera la commission dans tous ses déplacements comme observateur. Lors de ses contrôles à l'extérieur la commission sera réduite à ses membres n'appartenant pas à la partie contrôlée". Une procédure de "radiation" était expressément prévue en ces termes : "Toute ETT ne respectant pas le présent protocole sera radiée après avis motivé de la commission de contrôle".

Les protocoles isérois convenaient qu'une commission SGEBTP/INTERIM serait chargée de faire fonctionner le protocole et d'instruire les éventuels différends, et enfin proposerait le cas échéant au bureau de la section professionnelle de prononcer des sanctions. Ces dispositions ont été précisées par une note du secrétaire général de l'organisation syndicale en date du 26 juillet 1989 qui énonce qu'en ce qui concerne une ETT qui ne respecterait pas sa signature, il serait proposé de la radier purement et simplement de la liste des signataires diffusée par le SGEBTP à ses adhérents. L'exclusion de la convention signifiait donc, en pratique, la radiation des listes et par voie de conséquence la perte de la clientèle des entreprises affiliées aux SGEBTP Un membre de la commission de l'Isère a précisé que le contrôle exercé portait plus particulièrement sur "la transparence entre la fiche de paie du salarié et le contrat signé entre l'ETT et l'entreprise".

Dans le département de l'Isère, des contrôles ont été réalisés par la commission et ont parfois été suivis d'avertissements comme en attestent les comptes rendus de réunions des 6 juillet et 25 septembre 1989, des 25 janvier, 29 juin et 17 juillet 1990 qui font état au total de 16 contrôles d'entreprises de travail temporaire et de l'envoi de 7 lettres d'avertissement. Les responsables des entreprises RMO, Ecco et Synergie, entendus au cours de l'instruction, ont attesté du déroulement de ces visites au cours desquelles les contrats et les bulletins de salaire des intérimaires étaient examinés. Le responsable de l'agence Performances a été, quant à lui, convoqué pour s'expliquer sur d'éventuels manquements à ses engagements devant la commission le 29 juin 1990, mais ne s'est pas présenté. Au cours de l'année 1990, comme en attestent divers procès­verbaux, les sociétés Taga, Interpro, Bis et Ecco ont été sanctionnées par une mesure de radiation. Les entreprises du bâtiment Pascal et Enbatra ont reçu respectivement le 26 et le 19 septembre 1990 un rappel à l'ordre de leur syndicat leur demandant de veiller plus efficacement au respect des niveaux de rémunérations protocolaires par les entreprises de travail temporaire.

Les protocoles ont donc reçu une application sensiblement différente d'un département à l'autre. Ainsi, dans le département de l'Isère ont été constatés, un cas de refus d'adhésion, la pratique de nombreux contrôles opérés aux sièges des agences d'intérim par la commission paritaire, l'envoi de lettres d'avertissement aux entreprises ne respectant pas leurs engagements et enfin l'exclusion de la convention de quatre sociétés de travail temporaire. En revanche, il n'a pas été établi que l'application des protocoles en Savoie se soit accompagnée de telles mesures de contrôle, de refus d'adhésion ou d'exclusion néanmoins prévues par les protocoles de ce département.

II­ SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL,

Sur la prescription :

Considérant que les sociétés Centre intérim, Sade Sud­Est et Elitt relèvent qu'un délai de plus de trois ans s'est écoulé entre la saisine ministérielle du Conseil de la concurrence en date du 14 décembre 1992 et la notification des griefs le 23 mai 1996 ; qu'en outre, la société Sade Sud­Est soutient qu'un délai de plus trois ans s'est écoulé entre l'abandon de poste du gérant de son agence de Chambéry, signataire du protocole, le 22 septembre 1989, et la saisine du Conseil de la concurrence par le ministre de l'économie le 14 décembre 1992 ; que les sociétés Sataic (Central intérim) et Servinter (Cetras) se bornent à souligner l'ancienneté des pratiques relevées ; que dans ces conditions lesdites entreprises considèrent que les pratiques qui leur sont reprochées seraient prescrites ;

Mais considérant que les faits dont a été saisi le conseil, qui remontent à 1989 et qui se sont poursuivis jusqu'en 1991, ont fait l'objet d'actes réguliers tendant à leur recherche, à leur constatation et à leur sanction jusqu'à la notification de griefs ; que la prescription a, en effet, été interrompue tout d'abord par les mesures d'investigations diligentées dans le cadre de l'enquête administrative de la direction régionale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes de Lyon entre le 10 avril 1991 et le 26 février 1992, puis par la saisine ministérielle du 14 décembre 1992 et enfin par la convocation pour audition par le rapporteur du président de la Fédération départementale du bâtiment et des travaux publics de la Savoie en date du 14 novembre 1995 suivie de l'établissement d'un procès­verbal de carence en date du 13 décembre 1995 ; que, notamment, la convocation se référant à la saisine ministérielle, adressée par le rapporteur régulièrement désigné pour instruire le dossier au représentant d'un organisme mis en cause par ladite saisine, tendait directement à la recherche, à la constatation et à la sanction des faits dénoncés et a interrompu la prescription ; que l'abandon de poste du gérant de l'agence Sade Sud­Est ne saurait constituer le point de départ du délai de prescription, le conseil étant saisi de pratiques mises en œuvre par des entreprises et non pas de l'examen de responsabilités individuelles ; que, dans ces conditions, les faits ne sont pas couverts par la prescription prévue à l'article 27 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et peuvent être valablement qualifiés au regard des dispositions de ladite ordonnance ;

Sur la procédure :

En ce qui concerne la régularité de la saisine ministérielle unique relative aux pratiques imputées aux Fédérations du bâtiment et des travaux publics de l'Isère et de la Savoie ayant fait l'objet d'une seule et même instruction devant le Conseil de la concurrence ;

Considérant que la société Centre intérim dénonce l'imbrication des procédures et conteste la validité de leur réunion dans un même dossier par le ministre de l'économie ; que, pour sa part, la Fédération du bâtiment et des travaux publics de Savoie estime que le fait d'avoir retenu les deux fédérations dans la même notification de griefs entretient un malentendu qui lui est préjudiciable ;

Considérant que les pratiques dénoncées ont fait l'objet successivement de deux enquêtes administratives diligentées par la brigade interrégionale d'enquête de Lyon, la première dans le département de l'Isère, la seconde dans celui de la Savoie, mais ont conduit à une saisine unique du Conseil de la concurrence par le ministre de l'économie et ont fait l'objet d'une instruction commune ;

Considérant que le ministre de l'économie a pu valablement saisir le Conseil par une même lettre ; qu' en effet, les pratiques imputées aux fédérations de l'Isère et de la Savoie sont de même nature, ont été relevées sur des marchés semblables, ceux du travail temporaire, et ont été mises en œuvre au cours de la même période en majeure partie par les mêmes entreprises; que, si la notification des griefs établit des rapprochements entre les situations des deux départements, elle a également pris soin de relever les différences apparaissant dans la rédaction des protocoles et dans leur mise en œuvre d'un département à l'autre ; que cette analyse a d'ailleurs conduit à la notification de griefs distincts à l'encontre des deux syndicats ; que la Fédération du bâtiment et des travaux publics de la Savoie et la société Centre intérim, ont pu faire régulièrement valoir leurs droits au cours de la procédure ; que, dans ces conditions, il n'est pas démontré en quoi la saisine unique du ministre et l'absence de disjonction auraient porté atteinte aux droits de la défense; que, dès lors, ce moyen est doit être écarté ;

En ce qui concerne la violation des droits de la défense qui résulterait du défaut d'audition des représentants de certaines sociétés de travail temporaire :

Considérant que les sociétés Elitt, Sataic, Sade Sud­Est, Servinter (Cetras) et Adia France invoquent une violation des droits de la défense qui résulterait, selon elles, du défaut d'audition de leurs représentants ; que la société Ecco estime que le principe du contradictoire n'a été que partiellement respecté à son égard dans la mesure où seul son responsable local a fait l'objet d'une audition au cours de l'enquête ;

Mais considérant qu' aucune disposition de l'ordonnance du 1er décembre 1986 n'oblige le rapporteur à entendre la partie poursuivie dans le cadre de l'instruction dès lors que les représentants des entreprises ont été mis en mesure d'exercer les droits qui leur sont reconnus par les dispositions des articles 21 et 25 de l'ordonnance du 1er décembre 1986; qu' en l'espèce lesdites sociétés ont fait valoir leurs observations pour leur défense au vu de la notification des griefs et du rapport, ou ont eu la possibilité de le faire, et ont été entendues lors de la séance ou régulièrement convoquées; que, dans ces conditions, le moyen doit être écarté ;

En ce qui concerne la violation des droits de la défense et du principe du contradictoire qui résulterait d'une délivrance incomplète des copies de pièces de la procédure à la société Centre intérim :

Considérant que par lettre datée du 13 juillet 1996, enregistrée le 16 juillet 1996, le conseil de la société Centre intérim a sollicité la délivrance d'une copie "des actes d'adhésion de la société Centre intérim aux protocoles de la Fédération du bâtiment et des travaux publics de la Savoie visés à la page 38 de la notification de griefs" ainsi que la prorogation, en sa faveur, du délai de deux mois prévu à l'article 21 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que, par télécopie du 24 juillet 1996, le conseil de la société Centre intérim a indiqué qu'il n'avait pas reçu les copies du rapport des enquêteurs ni des pièces afférentes à la procédure relatives au département de la Savoie mais seulement celles des pièces relatives à l'enquête diligentée dans le département de l'Isère ne concernant pas sa cliente, et a sollicité à nouveau la délivrance "des pièces utiles" initialement réclamées ; qu'en conséquence, la société Centre intérim, n'ayant pu obtenir la délivrance de copies de pièces de la procédure, soutient qu'elle n'a pas été mise en mesure de se défendre utilement ; qu'elle invoque une atteinte au principe du contradictoire qui, selon elle, entacherait la procédure d'irrégularité ;

Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article 21 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; "Sans préjudice des mesures prévues à l'article 12, le conseil notifie les griefs aux intéressés ainsi qu'au commissaire du Gouvernement, qui peuvent consulter le dossier et présenter des observations dans un délai de deux mois ; le rapport est ensuite notifié aux parties, au commissaire du Gouvernement et aux ministres intéressés [...]" ;

Considérant qu'il résulte de ces dispositions que la notification simultanée des griefs et des pièces fondant lesdits griefs n'est imposée qu'au stade du rapport, c'est­à­dire de l'établissement définitif des griefs finalement retenus sur lesquels le conseil aura à se prononcer; qu' au stade de la notification des griefs le caractère contradictoire de la procédure devant le conseil et le droit pour la défense d'être informée de manière détaillée de ces mêmes griefs sont assurés par la faculté offerte aux intéressés de consulter au siège du conseil l'intégralité du dossier; qu'il n'est pas contesté par la société Centre intérim que, conformément aux dispositions de l'article 18 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, elle a pu consulter l'intégralité des pièces dans le délai de deux mois qui a suivi la notification des griefs et a ainsi pu avoir accès à toutes les pièces du dossier ; que, de même, il n'est pas contesté que l'intégralité des pièces sur lesquelles se fondait le rapporteur figurait en annexe à son rapport et que les parties ont disposé d'un délai de deux mois pour y répondre ; que dans ces conditions le caractère contradictoire de la procédure a été respecté et que, par suite, le moyen doit être écarté ;

Sur les pratiques constatées :

En ce qui concerne l'élaboration et la diffusion des protocoles :

Considérant qu'en 1987 les SGEBTP de l'Isère et de la Savoie ont respectivement décidé d'élaborer des protocoles dont l'un des objectifs était de contenir la hausse des rémunérations des salariés "délégués" afin de parvenir à maîtriser le coût de cette main­d'œuvre supporté par les entreprises du bâtiment ; que les protocoles, comme il est exposé au 1B de la présente décision, disposaient en 1989 et en 1990 que les rémunérations des salariés temporaires du BTP devaient être conformes aux salaires minimaux conventionnels fixés par les conventions collectives départementales, "avec une tolérance de 10 % au maximum", tolérance supprimée en 1991 ; et, enfin, que les indemnités diverses et notamment les indemnités de déplacement devaient être également calculées conformément aux règles fixées par les conventions collectives départementales ; que ces protocoles ont été soumis aux entreprises de travail temporaire exerçant leur activité dans la région ;

Considérant ainsi que, dans le département de l'Isère, en 1989, 1990 et 1991, les entreprises de travail temporaire Bis France, Elan (Centrale temporaire), Ecco, Elitt, Manpower, Regitt, Sataic (Centrale intérim), Servinter (Cetras), SIS intérim, Synergie et Taga ont signé ces protocoles et se sont engagées, en premier lieu, à respecter la conformité des bases de rémunérations des intérimaires "à celles de la grille des salaires du SGEBTP de l'Isère" avec jusqu'en 1990 "une tolérance de 10 % maximum", en deuxième lieu, en 1991, à respecter les montants forfaitaires des indemnités de grand déplacement applicables aux salariés temporaires fixés par les protocoles de l'Isère et le montant forfaitaire de "l'indemnité de panier" fixé par le protocole à la somme de 60 F englobant "les indemnités et primes d'outillage, de vêtements de travail et de chaussures de sécurité", en troisième lieu, à intégrer dans le prix global de la prestation le paiement des journées d'intempéries et des équipements de sécurité et à s'interdire de les facturer séparément ; que dans le département de la Savoie, en 1989, 1990, 1991, les entreprises de travail temporaire Adia France, Bis France, Elan (Centrale temporaire), Centre intérim, Ecco, Elitt, Les Compagnons, Manpower, Sade Sud­Est, Sataic (Centrale intérim), Servinter (Cetras), Synergie et Taga ont signé ce protocole et se sont engagées à respecter la conformité des bases de rémunérations des intérimaires à "celles pratiquées dans l'entreprise utilisatrice" avec jusqu'en 1991 "une tolérance de dépassement de 10 % maximum" par rapport à la grille des salaires applicable en Savoie ;

Considérant que, pour "promouvoir" les entreprises de travail temporaire ayant adhéré aux protocoles, les SGEBTP de l'Isère et de la Savoie ont périodiquement diffusé des listes sur lesquelles figuraient les entreprises de travail temporaire ayant signé les protocoles, et ont ainsi incité leurs adhérents à recourir, sinon de façon exclusive du moins prioritairement, aux services desdites entreprises ;

Considérant que les SGEBTP des départements de l'Isère et de la Savoie ont prévu que la mise en œuvre des protocoles s'accompagnerait de procédures de contrôle des rémunérations effectivement versées par les entreprises de travail temporaire signataires et de la radiation des entreprises qui ne respecteraient pas leurs engagements, comme il a été indiqué au I­B de la présente décision ;

Considérant, en pratique, que les entreprises de travail temporaire s'interdisaient de rémunérer leurs salariés au delà des niveaux maximum de rémunération fixés par les protocoles ; qu'ainsi, les déclarations des représentants des agences Novasam, Manpower, Bis et Taga attestent que l'adhésion aux protocoles entraînait l'obligation pour les ETT de se conformer à ces niveaux sans aucune possibilité de les discuter ; que les gérants des agences Taga et Bis de Grenoble ont même déclaré avoir signé les protocoles pour ne pas perdre des marchés alors même qu'ils étaient en désaccord sur les niveaux de rémunération fixés ; qu'en outre, l'application des protocoles au montant des rémunérations effectivement versées pouvait être contrôlé par les membres d'une commission et que des contrôles ont été effectivement réalisés dans le département de l'Isère comme il a été indiqué au I­B de la présente décision ; que, dès lors, la parité des rémunérations exigée par les protocoles, comme l'a déclaré le président du SGEBTP de Savoie, impliquait que les rémunérations des salariés temporaires, à qualification égale, ne soit pas supérieure à celles versées aux salariés permanents de l'entreprise ;

Considérant, enfin, que la tolérance de dépassement de 10 % prévue par les protocoles en 1989 et 1990 n'était nullement destinée à assouplir le principe de parité des rémunérations édicté ; qu'en effet, les protocoles de Savoie spécifiaient que cette tolérance ne devait avoir "aucun caractère d'automaticité" et n'était destinée qu'à "tenir compte des variations (du salaire de référence) existant entre les entreprises" ; qu'il résulte également des explications fournies par le secrétaire général du SGEBTP de l'Isère que la tolérance de dépassement de 10 % au maximum des grilles de salaires conventionnelles, supprimée en 1991 à la suite de la revalorisation d'environ 11 % des rémunérations conventionnelles, n'était pas destinée à instaurer une liberté dans la fixation des salaires au profit des entreprises de travail temporaire, mais qu'elle devait simplement leur permettre de respecter le salaire de référence chaque fois que celui­ci avait été réévalué dans l'entreprise utilisatrice par rapport aux niveaux conventionnels ;

Considérant que ces protocoles constituent des conventions entre les fédérations et les entreprises de travail temporaire signataires; que ces conventions visaient, d'une part, à limiter la liberté de ces entreprises dans l'établissement de leurs tarifs, et d'autre part, à évincer du marché les entreprises de travail temporaire qui ne les auraient pas appliquées;

Quant à l'atteinte à l'autonomie des entreprises de travail temporaire dans leurs décisions de prix :

Considérant que, de même que tout opérateur sur un marché peut spécifier les caractéristiques du produit ou du service qu'il souhaite en fonction de ses propres besoins, il est loisible pour une entreprise ayant recours à de la main­d'œuvre temporaire de formuler sa demande en fonction des rémunérations qu'elle souhaite voir appliquer aux salariés temporaires, dès lors que la loi prévoit seulement que la rémunération des intérimaires est au moins égale à celle des salariés permanents et n'exige pas des entreprises de travail temporaire la communication aux utilisateurs du montant, librement négocié, des rémunérations qu'elles versent à leurs salariés ; que les fédérations du bâtiment pouvaient, sans outrepasser leur rôle de défense des intérêts de la profession ou d'aide à la gestion de ses membres, appeler leurs adhérents à la vigilance sur le coût de la main­d'œuvre temporaire compte tenu, notamment, des salaires pratiqués par les entreprises de travail temporaire ;

Mais considérant que la concurrence entre les entreprises de travail temporaire s'exerce, notamment, par les prix qui relèvent entièrement du principe de liberté édicté par l'ordonnance du 1er décembre 1986; qu' il appartient, en conséquence, à chaque entreprise de définir de façon autonome sa politique tarifaire en fonction des ressources qu'elle mobilise; que, compte tenu de la pratique en usage pour le calcul du prix de la prestation de main­d'œuvre, fixé proportionnellement au salaire de base, comme il a été indiqué au I­B de la présente décision, les protocoles signés entre les syndicats du bâtiment et les entreprises de travail temporaire avaient une incidence directe sur les niveaux de ces prix; qu'en ce sens la FBTP de Savoie a indiqué dans ses observations que les protocoles contenaient "des informations utiles à la détermination des prix des prestations fournies par les entreprises de travail temporaire" ; qu'il ressort des déclarations de nombreux entrepreneurs de travail temporaire qu'ils ont également adhéré aux protocoles pour atténuer l'intensité de la concurrence qui les opposait sur le marché au cours de la période considérée marquée par une très forte demande ; qu'ainsi le représentant de la société Orper a déclaré : "Je suis tout à fait pour la démarche du SGEBTP de Savoie qui tend à harmoniser les tarifs et à réglementer cette concurrence sauvage entre les ETT locales" ; que celui de la société Soginter a indiqué : "Pour moi ce protocole est une bonne chose dans la mesure où il permet d'empêcher le débauchage, aussi bien entre entreprises du bâtiment et ETT, qu'entre ETT".

Considérant, dans ces conditions, que les fédérations départementales de l'Isère et de la Savoie en élaborant et en mettant en œuvre ces protocoles d'une part, les sociétés Adia France, Bis France, Elan (Centrale temporaire), Centre intérim, Ecco, Elitt, Les Compagnons, Manpower France, Regitt, Sade Sud­Est, Sataic (Central intérim), Servinter (Cetras), SIS intérim, Synergie et Taga en adhérant auxdits protocoles d'autre part, ont participé à une action concertée ayant pour objet et ayant pu avoir pour effet de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché; que ces pratiques sont prohibées par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986;

Quant à l'éviction du marché de certaines entreprises de travail temporaire :

Considérant que les Fédérations départementales de l'Isère et de la Savoie affirment que la diffusion des listes des ETT signataires était effectuée à titre d'information et n'avait aucune incidence sur l'orientation de la demande de leurs adhérents vers les seules entreprises de travail temporaire signataires ;

Mais considérant que les syndicats eux­mêmes, aux termes des protocoles, s'étaient engagés à "promouvoir" les signataires ; que les représentants des entreprises Piarulli, Di Foggia et Enbatra ont confirmé qu'ils réservaient en priorité leur demande de main­d'œuvre aux entreprises signataires ; que les responsables des agences d'intérim Orper et Bis ont déclaré, pour leur part, qu'ils n'ignoraient pas que la signature des protocoles conditionnait l'établissement de relations commerciales avec les entreprises adhérentes aux syndicats ; qu'enfin, le représentant de la société Taga a relaté que les conducteurs de travaux chargés du recrutement de la main­d'œuvre sur les chantiers exigeaient la justification de l'appartenance de l'entreprise à la convention avant toute mise à disposition de personnel intérimaire ; qu'au surplus, le SGEBTP de l'Isère a adressé plusieurs circulaires à ses adhérents, notamment les 23 mars 1989, 11 juillet 1989 et 24 avril 1990, pour les inciter à réserver leur clientèle aux seules entreprises signataires ;

Considérant dans ces conditions que la diffusion des listes d'entreprises signataires par les organisations professionnelles du bâtiment était de nature à conférer à ces entreprises l'apparence de fournisseurs agréés et à créer une discrimination injustifiée au détriment de leurs concurrentes ; qu'ainsi, les SGEBTP de l'Isère et de la Savoie ont limité l'accès au marché du travail temporaire ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises ;

Considérant que l'adhésion était subordonnée non seulement à l'engagement de l'entreprise de travail temporaire de respecter les niveaux de rémunérations prévus par les protocoles, mais également à l'agrément des candidatures par une commission paritaire, composée d'entrepreneurs du bâtiment et de représentants des entreprises de travail temporaire, comme il a été indiqué au I­B de la présente décision ; qu'ainsi, dans le département de l'Isère, au cours de la réunion de la commission du 29 juin 1990 les candidatures des entreprises Interpro et Elitt ont été examinées et il a été décidé qu'elles devraient faire l'objet d'une visite de contrôle préalable à leur adhésion ; que la société Bis de Grenoble n'a pu obtenir de figurer sur la liste des signataires du protocole isérois diffusée par le SGEBTP en juillet 1989 alors qu'elle avait expressément sollicité son adhésion par une lettre du 20 avril 1989 en raison d'un désaccord opposant son représentant régional et le syndicat du bâtiment au sujet de la rédaction de la convention ; qu'en revanche, l'instruction n'a révélé aucun cas de refus d'adhésion opposé à une entreprise de travail temporaire dans le département de la Savoie ;

Considérant que les SGEBTP des départements de l'Isère et de la Savoie ont prévu que la mise en œuvre des protocoles s'accompagnerait de procédures de contrôle des rémunérations effectivement versées par les entreprises de travail temporaire signataires et de la radiation des entreprises qui ne respecteraient pas leurs engagements, dans les conditions décrites au I­B de la présente décision ;

Considérant que dans le département de l'Isère de nombreuses opérations de contrôle au siège des agences de travail temporaire ont été conduites par la commission paritaire instituée par les protocoles pour en surveiller l'application et ont été suivies de l'envoi de lettres d'avertissement adressées tant aux entreprises de travail temporaire qu'aux entreprises utilisatrices ; que plusieurs entreprises de travail temporaire ont fait l'objet de mesures d'exclusion, notamment la société Taga, au motif qu'elle payait mensuellement les indemnités compensatrices de congés de ses salariés, et la société Elitt qui n'a pu obtenir les motifs de sa radiation malgré une demande adressée au syndicat par lettre du 11 mai 1990, mais qui, de son propre aveu, facturait distinctement les journées d'intempéries et laissait les équipements de sécurité à la charge de l'utilisateur ; qu'enfin, le SGEBTP de l'Isère n'a pas démenti que le compte­rendu manuscrit de la réunion de la commission du 3 avril 1990 mentionnant que les entreprises Bis, Ecco et Interpro étaient "virées" signifiait bien qu'elles étaient sanctionnées par une mesure d'exclusion ; qu'un contrôle de la société Interpro avait d'ailleurs été ordonné le 25 janvier 1990 à la suite de "griefs précis" portant notamment sur des contrats passés avec divers entrepreneurs et qu'un avertissement lui avait déjà été adressé le 6 juillet 1989 ; que des représentants des entreprises de travail temporaire participaient aux réunions de la commission au cours desquelles plusieurs exclusions ont été décidées ; qu'ainsi, notamment, ont émargé au procès­verbal de la réunion de la commission paritaire du 3 avril 1990 les représentants des sociétés Central intérim, Bis et Centrale temporaire ;

Considérant, en revanche, que l'instruction n'a pas établi la mise en œuvre de telles pratiques dans le département de la Savoie ;

Considérant, dans ces conditions, que dans le département de l'Isère la Fédération du bâtiment et des travaux publics en élaborant et en mettant en œuvre ces protocoles assortis de procédures de contrôle et de sanction, d'une part, les entreprises de travail temporaire Bis France, Elan (Centrale temporaire), Ecco, Elitt, Manpower, Regitt, Sataic (Centrale intérim), Servinter (Cetras), SIS intérim, Synergie et Taga en adhérant auxdits protocoles, d'autre part, ont participé à une action concertée ayant pour objet et ayant eu pour effet d'exclure du marché des entreprises de travail temporaire ; que ces pratiques sont prohibées par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Considérant que dans le département de la Savoie, la Fédération du bâtiment et des travaux publics en élaborant et en mettant en œuvre ces protocoles assortis de procédures de contrôle et de sanction, d'une part ; les entreprises de travail temporaire Adia France, Bis France, Elan (Centrale temporaire), Centre intérim, Ecco, Elitt, Les Compagnons, Manpower, Sade Sud­Est, Sataic (Centrale intérim), Servinter (Cetras), Synergie et Taga en adhérant auxdits protocoles, d'autre part, ont participé à une action concertée ayant pour objet et ayant pu avoir pour effet d'exclure du marché des entreprises de travail temporaire ; que ces pratiques sont prohibées par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

En ce qui concerne l'adhésion des entreprises de travail temporaire aux protocoles anticoncurrentiels :

Considérant que les sociétés Ecco, Elitt, Servinter (Cetras), groupe Elan (Centrale temporaire), Regitt, Adia France, Sade Sud­Est intérim et Sataic (Central intérim, Centrale intérim 2 000) contestent leur adhésion aux protocoles et estiment la preuve de leur participation aux pratiques insuffisamment rapportée en l'absence d'indices graves, précis et concordants et, notamment, à défaut de production d'un document signé par l'un de leurs représentants ;

Mais considérant que l'entente au sens de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 résulte d'un concours de volontés qui n'exige pas nécessairement une convention au sens du droit des obligations, ni une décision prise en commun ; qu'il suffit d'une adhésion consciente à un comportement collectif ; que, dès lors, la preuve de l'adhésion peut être rapportée par tout moyen ; qu'au demeurant la signature des protocoles n'était pas exigée en pratique pour recueillir l'adhésion des ETT comme en attestent les déclarations du gérant de l'agence Novasam ; qu'en l'espèce, la mention du nom desdites entreprises sur les listes des "entreprises signataires" des protocoles, établies, diffusées et périodiquement remises à jour par les SGEBTP, atteste sans équivoque de leur adhésion aux pratiques anticoncurrentielles, alors même que ces documents n'émanent pas des entreprises elles­mêmes mais de leurs partenaires ; qu'en outre, il n'est pas contesté par les SGEBTP de l'Isère et de la Savoie que ces listes rendent compte fidèlement de la réalité des engagements des ETT et que les sociétés Centre intérim, Manpower, Taga, Bis France, dont les noms apparaissent sur ces listes, ne contestent pas non plus la réalité de la signature des chartes en cause par l'un de leurs responsables locaux ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que plusieurs entreprises de travail temporaire ont été associées à l'élaboration et à la mise en œuvre des protocoles par les SGEBTP de Savoie et d'Isère ; qu'ainsi, dans le département de l'Isère, les sociétés Bis France, Manpower, Ecco travail temporaire, SIS intérim, Regitt, Synergie, Centrale temporaire (groupe Elan) ont signé un projet de protocole établi le 15 juillet 1987 aux termes duquel lesdites entreprises se proposaient avec le concours de la section maçonnerie du SGEBTP "d'organiser le marché" pour remédier aux "pratiques nuisibles à l'ensemble des parties" ; que les entreprises Ecco, Bis France, Synergie, SIS intérim et Regitt ont participé le 1er mars 1989 à une réunion au cours de laquelle les montants forfaitaires de primes et indemnités ont été négociés ; que le gérant de l'agence Manpower de Grenoble a déclaré avoir participé à une réunion au siège du syndicat "pour la discussion de la convention 1991" ; que, pareillement, plusieurs représentants des agences d'intérim de Savoie ont déclaré se réunir annuellement pour discuter de la reconduction des protocoles et de la fixation des indemnités ; qu'il résulte de ces déclarations ou des procès­verbaux de réunions que les entreprises de travail temporaire se sont concertées sur la définition, la reconduction annuelle et la mise en œuvre des protocoles ;

Considérant, en outre :

- que la société Ecco a signé le 15 juillet 1987 le projet de protocole élaboré par le SGEBTP de l'Isère et que son nom figure sur les listes des signataires diffusées par le syndicat du bâtiment en 1989, 1990 et 1991 ; que la preuve de son adhésion en 1989 résulte également d'une lettre circulaire en date du 23 mars 1989 qui mentionne : "à ce jour ont signé le protocole d'accord les sociétés : ... ECCO ..." ; que son adhésion est en outre confirmée par sa participation aux réunions de travail de la commission chargée de suivre la mise en œuvre des protocoles, notamment le 1er mars, 3 mai, 7 juillet et 2 octobre 1989 et le 25 janvier 1990, et par les visites de contrôle dont elle a été l'objet notamment au cours du premier semestre 1989 ; que la société Ecco figure également sur les listes des signataires des protocoles établis par le SGEBTP de Savoie et diffusées en 1989 et 1990 ;

- que la société Elitt figure sur les listes des adhérents aux protocoles diffusées par le SGEBTP de l'Isère en 1989 et 1991 ; que son adhésion pour l'année 1990 résulte expressément des termes d'un compte­rendu de réunion tenue au SGEBTP le 6 juillet 1990 ; que dès juillet 1989 cette entreprise a fait l'objet d'une visite de contrôle comme en atteste le procès­verbal de réunion de la commission en date du 6 juillet 1989 ; que le nom de la société Elitt figure sur la liste des signataires diffusée par le SGEBTP de Savoie en 1989, mais n'y figure plus en 1990 ;

- que la société Servinter (Cetras) figure sur les listes diffusées par le SGEBTP de l'Isère en 1989 ; qu'elle a, en outre, fait l'objet d'une visite de contrôle en juillet de la même année ; qu'elle est également mentionnée sur les listes des adhérents aux protocoles de Savoie pour 1989 et 1990 ;

- que la société Sataic figure sur la liste diffusée par le SGEBTP de l'Isère en 1990 sous le nom commercial de Central intérim ; qu'en outre, son adhésion est confirmée par la participation d'une responsable de l'agence de Grenoble à la réunion de la commission du 3 avril 1990, comme en atteste l'émargement du procès­verbal de réunion, et figure également sous le nom commercial de Central intérim 2 000 sur la liste des adhérents au protocole de Savoie en 1990, mais n'était pas encore signataire du protocole l'année précédente ;

- qu'un responsable local de la société Centrale temporaire (groupe Elan) a signé le projet de protocole établi le 15 juillet 1987 par le SGEBTP de l'Isère ; que le nom de cette société figure sur les listes des signataires diffusées en 1989, 1990 et 1991 dans le département ; que son adhésion est en outre confirmée par sa participation aux réunions de travail de la commission chargée de suivre la mise en œuvre des protocoles, notamment le 3 avril 1990 ; qu'en revanche elle n'apparaît pas sur les listes diffusées en Savoie ;

- que le responsable de la société Regitt a signé le 15 juillet 1987 le projet de protocole élaboré par le SGEBTP de l'Isère ; que le nom de cette société figure sur la liste des adhérents au protocole arrêtée le 6 juillet 1989 par le syndicat du bâtiment et que, dès cette date, cette entreprise a fait l'objet d'une visite de contrôle conformément à la procédure d'adhésion en vigueur ; qu'en outre, un représentant de la société Regitt a participé aux réunions de la commission paritaire chargée de veiller au respect des protocoles, notamment le 1er mars 1989 ; qu'en revanche, le nom de la société ne figure plus sur les listes diffusées les années suivantes dans le département de l'Isère et est absent de celles diffusées en Savoie ;

- que la mention de l'agence Sade Sud­Est de Chambéry accompagnée du nom de son gérant figure sur la liste diffusée par le SGEBTP de Savoie en 1989 ;

- que la mention de l'agence Adia d'Albertville et le nom de son représentant figurent sur la liste des signataires du protocole établi par le SGEBTP de Savoie diffusée en 1989 mais n'y figure plus en 1990 ; que, contrairement à ses allégations, la société anonyme Adia France a bien exploité un établissement secondaire, sis 5­7 place Million à Albertville, du 8 juin 1988 au 6 juillet 1992, lequel était régulièrement immatriculé au registre du commerce et des sociétés sous le numéro 89 B 236, jusqu'au 9 mars 1994 ;

- que la société Bis France a signé le 15 juillet 1987 le projet de protocole élaboré par le SGEBTP de l'Isère et que son nom figure sur la liste des signataires diffusée par le syndicat du bâtiment de l'Isère en 1990 ; que son adhésion est en outre confirmée par sa participation aux réunions de travail de la commission chargée de suivre la mise en œuvre des protocoles notamment le 3 avril 1990 et le 4 mars 1991 ; que la société Bis France figure également sur les listes des signataires des protocoles établies par le SGEBTP de Savoie et diffusées en 1989 et 1990 ;

- que la société Synergie a signé le 15 juillet 1987 le projet de protocole élaboré par le SGEBTP de l'Isère et que son nom figure sur la liste des signataires diffusée par le syndicat du bâtiment de l'Isère en 1989 et 1990 ; que son adhésion est en outre confirmée par sa participation aux réunions de travail de la commission chargée de suivre la mise en œuvre des protocoles, notamment le 3 avril 1990 ; que la société Bis France figure également sur les listes des signataires des protocoles établies par le SGEBTP de Savoie et diffusées en 1989 et 1990 ;

- que la société Manpower France a signé le 15 juillet 1987 le projet de protocole élaboré par le SGEBTP de l'Isère et que son nom figure sur la liste des signataires diffusée par le syndicat du bâtiment de l'Isère en 1989 et 1990 ; que son adhésion est en outre confirmée par sa participation aux réunions de travail de la commission chargée de suivre la mise en œuvre des protocoles notamment le 4 avril 1991 ; que la société Manpower France figure également sur les listes des signataires des protocoles établies par le SGEBTP de Savoie et diffusées en 1989 et 1990 ;

- que la société SIS intérim a signé le 15 juillet 1987 le projet de protocole élaboré par le SGEBTP de l'Isère et que son nom figure sur la liste des signataires diffusée par le syndicat du bâtiment de l'Isère en 1989 et 1990 ; que son adhésion est en outre confirmée par sa participation aux réunions de travail de la commission chargée de suivre la mise en œuvre des protocoles, notamment le 3 avril 1990 ;

- que la société Taga figure sur les listes diffusées en 1989 et 1990 par le SGEBTP de l'Isère et en 1989 par le SGEBTP de Savoie ;

- que la société Centre intérim figure sur les listes diffusées en Savoie en 1989 et 1990 ;

- que la société Les Compagnons figure sur la seule liste diffusée en 1989 par le SGEBTP de Savoie ;

Considérant, dans ces conditions, que la preuve de l'adhésion des entreprises Bis France, Ecco, Elitt, Manpower, Sataic, Servinter, Synergie et Taga aux protocoles dans les deux départements, des sociétés Regitt et SIS intérim aux seuls protocoles de l'Isère et des sociétés Adia France, Centre intérim, Les Compagnons et Sade Sud­Est aux seuls protocoles de Savoie est établie ; que ces entreprises ne sont pas fondées à soutenir que ne pouvait leur être reprochée leur participation aux pratiques prohibées par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ci­dessus examinées ;

En ce qui concerne la Fédération nationale du bâtiment :

Considérant que la Fédération nationale du bâtiment estime que sa participation à l'élaboration et à la mise en œuvre des protocoles n'est pas établie et affirme n'avoir jamais été consultée par ses fédérations départementales, entités juridiques autonomes, sur la conduite d'actions locales dont la définition ne relèverait pas de ses attributions ;

Considérant que, en premier lieu, M. O'Lanyer, directeur de la société Bis de Grenoble, a adressé une lettre le 20 avril 1989 au président de la section maçonnerie du SGEBTP de l'Isère dans laquelle il indique : "J'ai pris bonne note que vous me feriez parvenir une nouvelle rédaction de ladite convention après conseil des juristes de la Fédération nationale du bâtiment" ; qu'en deuxième lieu, aux termes de l'article 3 de ses statuts, la Fédération nationale du bâtiment a notamment pour objet : "d'étudier toutes les questions d'ordre général, professionnel, économique, social et technique, intéressant les industries du bâtiment, et de défendre les solutions adoptées, de fournir aux groupements adhérents toutes études et documentations" et "d'examiner toutes propositions ayant pour objet le développement et la défense des industries qu'elle représente" ; qu'en troisième lieu le délégué général de la Fédération nationale a reconnu que le SGEBTP de l'Isère avait bien porté à sa connaissance l'existence du protocole pour l'année 1990 ;

Mais considérant que ces éléments ne peuvent être considérés comme suffisamment précis, graves et concordants pour caractériser le concours apporté par la Fédération nationale du bâtiment à ses adhérents et aux fédérations départementales affiliées dans l'élaboration des protocoles ;

Sur l'imputabilité des pratiques à certaines entreprises de travail temporaire :

Considérant, en premier lieu, que la société Centrale temporaire a été radiée du registre du commerce et des sociétés le 27 janvier 1994 par suite de sa "fusion absorption" par la société Groupe Elan ; que la société Groupe Elan s'estime, dans ces conditions, étrangère aux pratiques qui lui sont reprochées dans la mesure où elles ont été mises en œuvre par la société Centrale temporaire antérieurement à son absorption ;

Mais considérant que la société Centrale temporaire a cédé la totalité de son activité économique au terme d'un acte sous seing privé en date du mois d'octobre 1993 et n'existe plus en tant qu'entreprise; que, dans ces conditions, l'entreprise cessionnaire, la société groupe Elan, qui assure la continuité économique et fonctionnelle de l'entreprise absorbée, doit être considérée comme responsable de la pratique incriminée;

Considérant, en deuxième lieu, que la société Ecco estime que la notification des griefs lui a imputé à tort des pratiques qui n'engageraient que la responsabilité de ses seules agences locales d'Isère et de Savoie ; qu'elle verse à l'appui de ses allégations, d'une part, un extrait du "Manuel qualité Ecco" qui expose les principes généraux d'organisation et de fonctionnement internes de la société et, d'autre part, copie des contrats de travail de ses chefs d'agence, "responsables recrutement" et "responsables d'antenne" qui consentent des délégations de pouvoirs et prévoient des délégations de responsabilité ; qu'elle fait valoir, au vu de ces documents, que chaque agence est organisée en "centre de profit" indépendant avec un responsable d'établissement, la tenue d'un compte d'exploitation mensuel et un intéressement de l'équipe de l'agence lié aux résultats ;

Mais considérant qu' il incombe à l'entreprise qui prétend que les pratiques illicites relevées ne lui sont pas imputables de fournir au Conseil de la concurrence tous éléments de preuve établissant que son agence locale bénéficiait à la date des faits et pour le marché considéré de l'autonomie commerciale, financière et technique dans la zone économique concernée;

Considérant qu' en l'espèce, les éléments produits par la société Ecco relatifs à l'organisation des compétences et des responsabilités en son sein n'établissent pas l'indépendance commerciale et technique de ces établissements secondaires, dépourvus de la personnalité juridique, dont il n'est pas rapporté la preuve de leur pleine liberté de décider de leurs investissements et de leur pouvoir de définir leur propre stratégie industrielle et commerciale; qu' au contraire, il résulte des contrats de travail produits par la société Ecco que les fonctions de directeur d'agence "consistent à réaliser les objectifs de la Société";

Considérant, en troisième lieu, que la société Bis France fait valoir que les gérants de ses établissements signataires des protocoles n'étaient pas personnellement habilités à engager la société qui n'aurait pu l'être valablement que par la personne de son président­directeur général, d'un "directeur opérationnel" ou d'un directeur régional et estime que, dans ces conditions, l'imputation des pratiques doit être limitée aux seules agences impliquées dont les responsables ont signé les protocoles ;

Mais considérant qu' il importe peu que les gérants desdits établissements signataires des protocoles aient reçu ou non mandat de leur employeur pour engager juridiquement la société au regard des tiers, dès lors que la société Bis France exploite directement les fonds de commerce de ses agences locales et ne fournit aucune justification qui pourrait être de nature à établir que ces établissements secondaires constituent des entreprises autonomes au sens de l'ordonnance du 1er décembre 1986;

Considérant, en quatrième lieu, que les sociétés Sataic et Servinter (Cetras) font valoir que sur le marché du travail temporaire "la tarification se fixe au fur et à mesure des contrats de mise à disposition et qu'aucune instruction générale ne peut être donnée" pour en déduire que seules les agences locales peuvent se voir reprocher les pratiques relevées ;

Mais considérant que lesdites sociétés ne justifient pas, de la sorte, de l'autonomie commerciale, financière et technique de leurs établissements secondaires dépourvus, au demeurant, de la personnalité juridique ;

Considérant, dans ces conditions, que les sociétés Bis France, Ecco, Sataic et Servinter (Cetras) se sont vues imputer, à juste titre, les pratiques en cause ;

Considérant que la société Taga travail temporaire fait remarquer qu'elle n'a pas participé à l'élaboration des protocoles et que son adhésion lui a été "imposée par les circonstances économiques et la propre survie de l'entreprise" ; qu'en d'autres termes elle a été contrainte d'adhérer pour conserver la clientèle des entrepreneurs affiliés aux SGEBTP ;

Mais considérant qu'il convient d'observer qu'aux termes de la notification des griefs il est reproché à cette entreprise de s'être livrée à une action concertée par son adhésion aux protocoles élaborés par les SGEBTP de l'Isère, et non d'avoir pris part personnellement à l'élaboration de ces documents ; que, par ailleurs, la circonstance, au demeurant non établie en l'espèce, que l'entreprise aurait été économiquement contrainte d'adhérer aux protocoles est sans incidence sur la qualification des pratiques illicites, dès lors que l'entreprise répondant aux conditions d'autonomie requises a participé à la pratique anticoncurrentielle, mais peut simplement être prise en compte dans l'appréciation des suites à donner ;

Sur l'application des dispositions de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 :

En ce qui concerne l'application du 1 de l'article 10 :

Considérant que les fédérations départementales du bâtiment et certaines ETT soutiennent que la "parité" des rémunérations des salariés temporaires et des salariés permanents prévue par les protocoles était imposée par les dispositions légales qui régissent le contrat de travail temporaire, qu'elle résultait de l'application d'un principe général d'égalité des rémunérations et qu'enfin elle était liée au respect des niveaux de qualification des salariés mis à disposition ;

Considérant qu'aux termes du 1 de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : "Les pratiques qui résultent de l'application d'un texte législatif ou d'un texte réglementaire pris pour son application" ne sont pas soumises aux dispositions des articles 7 et 8 de cette même ordonnance ; que, par ailleurs, ces dispositions ne trouvent à s'appliquer que pour autant que les pratiques constatées sont la conséquence directe et nécessaire de ces textes ;

Mais considérant, en premier lieu, que les dispositions des protocoles qui se bornent à rappeler des exigences légales ou réglementaires, à savoir, d'une part, les prescriptions relatives aux règles de calcul de l'assiette des cotisations de sécurité sociale applicables aux indemnités pour frais professionnels et, d'autre part, les conditions posées à l'adhésion des ETT tenant au respect de leurs obligations statutaires légales de déclaration et de souscription de garantie, ne sont pas en cause ;

Considérant, en deuxième lieu, que le rappel de la portée des dispositions des articles L. 124­3 et L. 124­4­2 du Code du travail, exposé précédemment, démontre que les exigences relatives à la fixation de la rémunération de base des salariés temporaires prévues par les protocoles de l'Isère et de la Savoie excèdent le strict respect des prescriptions légales relatives au "salaire de référence" qui constitue seulement une rémunération minimum ;

Considérant, en troisième lieu, que le principe d'égalité des rémunérations à qualification égale traduit l'interdiction des discriminations par l'employeur à l'égard de ses propres salariés et ne se conçoit, en outre, qu'à situation équivalente ; que dans ces conditions les entreprises utilisatrices, qui n'ont pas la qualité d'employeur à l'égard des intérimaires, ne sauraient invoquer ce principe alors que, de surcroît, la situation précaire des salariés temporaires ne peut être considérée comme équivalente à celle des salariés embauchés par contrat de travail par l'entreprise ;

Considérant, en dernier lieu, que la fixation du montant des rémunérations versées au salarié temporaire par son employeur résulte de la libre concurrence sur le marché du travail ; que la prétendue nécessité d'éviter un décalage entre le niveau de qualification du salarié temporaire et le montant de sa rémunération ne résulte de l'application d'aucun texte légal ou réglementaire ;

Considérant que, dès lors qu'il est établi que les pratiques discriminatoires décrites ci­dessus tendant à restreindre l'accès des opérateurs au marché ou à les en exclure ne peuvent trouver une justification dans un texte légal ou réglementaire, les conditions de l'exonération prévues au 1. de l'article 10 de l'ordonnance de 1986 ne sont pas réunies ;

En ce qui concerne l'application du 2 de l'article 10 :

Considérant que la Fédération départementale de l'Isère soutient que les protocoles poursuivaient un but de "moralisation" du comportement des opérateurs sur le marché et concouraient au progrès économique face à des "pratiques anarchiques" ; qu'ils ont notamment permis de lutter efficacement contre le débauchage des salariés permanents par les entreprises de travail temporaire ; que la société Adia France fait valoir que les pratiques dénoncées étaient de nature à assurer un progrès économique dans la mesure où elles favorisaient le versement d'indemnités de petit ou de grand déplacement conformes au barème ACOSS ; que pour la société Ecco les protocoles ont permis de lutter efficacement contre des pratiques déloyales ; que la société Bis France estime que les accords ont "induit une modération des coûts salariaux" qui a eu pour conséquence de "minorer le coût global des travaux et de bénéficier de manière incontestable aux maîtres d'ouvrage qui étaient en l'espèce notamment les collectivités locales", et qu'en définitive ces pratiques auraient permis "d'améliorer la qualité du service rendu en préservant la paix sociale et l'équilibre économique de la région" ; qu'enfin, la société Taga se borne à invoquer le bénéfice des dispositions de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Considérant que selon les dispositions du 2 de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 les pratiques anticoncurrentielles d'entente ne sont pas soumises aux prohibitions édictées par l'article 7 de l'ordonnance lorsque leurs auteurs peuvent justifier qu'elles ont pour effet d'assurer un progrès économique et qu'elles réservent aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte sans donner aux entreprises intéressées la possibilité d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits ou prestations de services en cause ; que ces dispositions sont d'interprétation stricte ;

Considérant que le progrès invoqué doit constituer, en soi, un progrès pour la collectivité dans son ensemble et non simplement permettre une amélioration conjoncturelle de la situation des entreprises intéressées ; qu'il doit, notamment, être établi que le progrès économique allégué est la conséquence directe des pratiques en cause et n'aurait pu être obtenu par d'autres voies ; que la preuve doit également être rapportée que ce progrès est suffisamment important pour justifier les atteintes à la concurrence observées ;

Considérant que, si la stabilisation et l'harmonisation des rémunérations et la lutte contre l'inflation liée à une pénurie conjoncturelle de main­d'œuvre, ainsi que le respect de la parité des rémunérations des salariés intérimaires avec leur niveaux de qualification, peuvent apparaître dans une certaine mesure susceptibles de favoriser le progrès économique, et que à supposer même que les pratiques aient eu pour effet de modérer les coûts salariaux et de minorer le coût global des travaux pour les entreprises utilisatrices de main­d'œuvre temporaire, il n'est pas démontré que cette baisse ait bénéficié aux maîtres d'ouvrage ; qu'en outre il n'est pas rapporté que ces mêmes objectifs n'auraient pu être obtenus par d'autres voies sans qu'il eut été nécessaire de recourir aux pratiques illicites de concertation qui ont éliminé la concurrence pour une partie substantielle des prestations de service en cause ;

Considérant que les deux fédérations départementales du bâtiment font valoir que les pouvoirs publics les avaient incitées à mettre en place ces protocoles et que, dès le 8 janvier 1982, la direction départementale du travail de Savoie invitait le SGEBTP à informer ses adhérents sur les conditions du recours au travail temporaire ;

Mais considérant que cette lettre, antérieure à la période considérée, invite les entreprises à plus de vigilance sur le respect de la réglementation, mais ne les incite en aucune manière à mettre en œuvre des pratiques anticoncurrentielles ; que postérieurement au dépôt de la présente saisine le même directeur départemental du travail a adressé au syndicat mis en cause par le ministre de l'économie une lettre, en date du 11 décembre 1995, aux termes de laquelle il est indiqué notamment que les protocoles ne correspondaient nullement à une volonté d'entente cherchant à faire pièce aux règles de la concurrence mais visaient principalement à obtenir une application suffisante de principes fondamentaux du droit du travail ;

Considérant que, si certains des objectifs poursuivis par les SGEBTP pouvaient satisfaire les recommandations de la direction départementale du travail, les prescriptions contenues dans les lettres de l'administration ne sont pas de nature à justifier les pratiques incriminées ; que, même à supposer que les fédérations aient interprété l'attitude des pouvoirs publics comme une approbation voire un encouragement, cette circonstance, qui peut être prise en considération pour l'appréciation des suites à donner, ne saurait être valablement invoquée pour faire échapper une pratique aux interdictions édictées par les articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Sur les suites à donner :

Considérant que la société anonyme Soginter, immatriculée au registre du commerce et des sociétés à Lyon sous le numéro B 304 577 588, a transféré son siège 23/41 rue Delizy à Pantin le 1er juillet 1992 et a été immatriculée au RCS de Bobigny sous la raison sociale Delizy travail temporaire sous le même numéro ; que la société Delizy a cessé toute activité et a été radiée du registre du commerce le 8 juillet 1996 ; qu'en conséquence, les griefs retenus à l'encontre de la société Delizy travail temporaire ne peuvent plus donner lieu au prononcé de sanctions ;

Sur les sanctions :

Considérant qu'aux termes de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 le Conseil de la concurrence peut "infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement, soit en cas d'inexécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est pour une entreprise de 5 p. 100 du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos. Si le contrevenant n'est pas une entreprise le maximum est de dix millions de francs. Le Conseil de la concurrence peut ordonné la publication de sa décision dans les journaux ou la publication qu'il désigne. Les frais sont supportés par la personne intéressée" ;

Considérant que la gravité des pratiques doit être appréciée en tenant compte du fait qu'elles visaient délibérément à faire obstacle au jeu normal de la concurrence sur un marché, qu'elles ont été mises en œuvre pendant trois années consécutives, d'une part par les fédérations professionnelles du bâtiment et des travaux publics de l'Isère et de la Savoie et, d'autre part, par la quasi-totalité des entreprises de travail temporaire ayant une activité significative dans ces deux départements parmi lesquelles figurent les plus importantes sociétés au plan national, que les protocoles qui comportaient des dispositifs contraignants ont été très largement respectés et que des pratiques d'éviction du marché ont été mises en œuvre dans le département de l'Isère ; que, pour apprécier le dommage à l'économie, il y a lieu de tenir compte du fait que ces pratiques n'ont concerné qu'un secteur de l'activité des entreprises de travail temporaire et les seules entreprises locales du bâtiment et des travaux publics adhérant aux deux fédérations alors que la majeure partie des travaux liés à la préparation des Jeux Olympiques a été réalisée par des entreprises du bâtiment et des travaux publics d'envergure nationale ;

En ce qui concerne la Fédération départementale du bâtiment et des travaux publics de l'Isère :

Considérant que la Fédération départementale du bâtiment et des travaux publics de l'Isère a été à l'origine des pratiques prohibées en élaborant des protocoles anticoncurrentiels et en participant activement à leur mise en œuvre tendant à l'éviction de certaines entreprises de travail temporaire du marché au cours des années 1989, 1990 et 1991 ;

Considérant que le montant annuel des cotisations perçues par cette fédération en 1996 s'élevait à 4 980 019 F ; qu'en fonction des éléments généraux et individuels tels qu'appréciés ci­dessus il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 300 000 F ;

En ce qui concerne la Fédération départementale du bâtiment et des travaux publics de Savoie :

Considérant que la Fédération départementale du bâtiment et des travaux publics de Savoie a été à l'origine des pratiques prohibées en élaborant des protocoles anticoncurrentiels et en participant activement à leur mise en œuvre en 1989, 1990 et 1991 ; que cependant aucun cas d'éviction d'entreprises de travail temporaire du marché n'a été rapporté par l'instruction dans le département ;

Considérant que le montant annuel des cotisations perçues par cette fédération en 1996 s'élevait à 2 319 303 F ; qu'en fonction des éléments généraux et individuels tels qu'appréciés ci­dessus il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 100 000 F ;

En ce qui concerne la société Adia France :

Considérant que la société Adia France est une entreprise d'envergure nationale qui, en adhérant aux protocoles, leur a apporté sa caution et a contribué à en assurer l'application ; que néanmoins cette pratique, limitée au département de la Savoie n'a été mise en œuvre que pour la seule année 1989 ;

Considérant que cette entreprise a réalisé en 1996, dernier exercice clos disponible, un chiffre d'affaires en France de 1 329 364 133 F ; qu'en fonction des éléments généraux et individuels tels qu'appréciés ci­dessus il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 50 000 F ;

En ce qui concerne la société Bis France :

Considérant que la société Bis France est une entreprise d'envergure nationale qui, en adhérant aux protocoles de l'Isère en 1990 et de la Savoie en 1989 et 1990, leur a apporté sa caution et a contribué à en assurer l'application ; qu'elle a, en outre, participé aux réunions de travail de la commission chargée de suivre la mise en œuvre des protocoles ;

Considérant que cette entreprise a réalisé en 1996, dernier exercice clos disponible, un chiffre d'affaires en France de 6 758 965 602 F ; qu'en fonction des éléments généraux et individuels tels qu'appréciés ci­dessus il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 1 500 000 F ;

En ce qui concerne la société groupe Elan :

Considérant que la société groupe Elan s'est associée aux pratiques anticoncurrentielles en adhérant aux protocoles de l'Isère en 1989, 1990 et 1991 et qu'elle a en outre participé aux réunions de travail de la commission chargée de suivre la mise en œuvre des protocoles ; qu'en revanche elle n'apparaît pas sur les listes diffusées en Savoie ;

Considérant que cette entreprise a réalisé en 1996, dernier exercice clos disponible, un chiffre d'affaires en France de 947 982 804 F ; qu'en fonction des éléments généraux et individuels tels qu'appréciés ci­dessus il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 200 000 F ;

En ce qui concerne la société Centre intérim :

Considérant que la société Centre intérim s'est associée aux pratiques anticoncurrentielles en adhérant aux protocoles en 1989 et en 1990 dans le seul département de la Savoie ;

Considérant que cette entreprise a réalisé en 1996, dernier exercice clos disponible, un chiffre d'affaires en France de 82 119 521 F ; qu'en fonction des éléments généraux et individuels tels qu'appréciés ci­dessus il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 20 000 F ;

En ce qui concerne la société Ecco travail temporaire :

Considérant que la société Ecco travail temporaire est une entreprise d'envergure nationale qui, en adhérant aux protocoles de l'Isère en 1989, 1990 et 1991 et de la Savoie en 1989, leur a apporté sa caution et a contribué à en assurer l'application ; qu'elle a en outre participé aux réunions de travail de la commission chargée de suivre la mise en œuvre des protocoles ;

Considérant que cette entreprise a réalisé en 1996, dernier exercice clos disponible, un chiffre d'affaires en France de 12 337 331 932 F ; qu'en fonction des éléments généraux et individuels tels qu'appréciés ci­dessus il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 4 000 000 F ;

En ce qui concerne la société Elitt :

Considérant que la société Elitt s'est associée aux pratiques anticoncurrentielles en adhérant aux protocoles pour ce qui concerne l'Isère en 1989, 1990 et 1991 et la Savoie en 1989 ;

Considérant que cette entreprise a réalisé en 1996, dernier exercice clos disponible, un chiffre d'affaires en France de 78 332 273 F ; qu'en fonction des éléments généraux et individuels tels qu'appréciés ci­dessus il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 20 000 F ;

En ce qui concerne la société Les Compagnons :

Considérant que la société Les Compagnons s'est associée aux pratiques anticoncurrentielles, mais que son adhésion s'est limitée au protocole de la Savoie pour 1992 ;

Considérant que cette entreprise a réalisé en 1996, dernier exercice clos disponible, un chiffre d'affaires en France de 118 246 928 F ; qu'en fonction des éléments généraux et individuels tels qu'appréciés ci­dessus il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 10 000 F ;

En ce qui concerne la société Manpower France :

Considérant que la société Manpower France est une entreprise d'envergure nationale qui, en adhérant aux protocoles de l'Isère en 1989 et 1990 et de la Savoie en 1989 et 1990, leur a apporté sa caution et a contribué à en assurer l'application ; qu'elle a, en outre, participé aux réunions de travail de la commission chargée de suivre la mise en œuvre des protocoles notamment le 4 avril 1991 ; que néanmoins, il y a lieu de tenir compte du fait que son agence de Grenoble a été exclue du protocole en 1990 ;

Considérant que cette entreprise a réalisé en 1996, dernier exercice clos disponible, un chiffre d'affaires en France de 10 921 545 652 F ; qu'en fonction des éléments généraux et individuels tels qu'appréciés ci­dessus il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 3 000 000 F ;

En ce qui concerne la société Regitt :

Considérant que la société Regitt s'est associée aux pratiques anticoncurrentielles en adhérant au protocole de l'Isère pour 1989 et qu'un de ses représentants a participé aux réunions de la commission paritaire chargée de veiller au respect des protocoles ;

Considérant que cette entreprise a réalisé en 1996, dernier exercice clos disponible, un chiffre d'affaires en France de 587 135 773 F ; qu'en fonction des éléments généraux et individuels tels qu'appréciés ci­dessus il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 100 000 F ;

En ce qui concerne la société Sade Sud­Est :

Considérant que la société Sade Sud­Est s'est associée aux pratiques anticoncurrentielles en adhérant au seul protocole de la Savoie en 1989 ;

Considérant que cette entreprise a réalisé en 1996, dernier exercice clos disponible, un chiffre d'affaires en France de 15 580 620 F ; qu'en fonction des éléments généraux et individuels tels qu'appréciés ci­dessus il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 10 000 F ;

En ce qui concerne la société Sataic venant aux droits de la société Central intérim :

Considérant que la société Sataic est une entreprise d'envergure nationale qui, en adhérant aux protocoles de l'Isère en 1990 et de la Savoie en 1990, leur a apporté sa caution et a contribué à en assurer l'application ; qu'en outre, un représentant de la société Sataic a participé aux réunions de la commission paritaire chargée de veiller au respect des protocoles ;

Considérant que cette entreprise a réalisé en 1996, dernier exercice clos disponible, un chiffre d'affaires en France de 980 020 F ; qu'en fonction des éléments généraux et individuels tels qu'appréciés ci­dessus il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 4 800 F ;

En ce qui concerne la société Servinter :

Considérant que la société Servinter est une entreprise d'envergure nationale qui, en adhérant aux protocoles de l'Isère en 1989 et de la Savoie en 1989 et 1990, leur a apporté sa caution et a contribué à en assurer l'application ;

Considérant que cette entreprise a réalisé en 1996, dernier exercice clos disponible, un chiffre d'affaires en France de 1 192 041 498 F ; qu'en fonction des éléments généraux et individuels tels qu'appréciés ci­dessus il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 100 000 F ;

En ce qui concerne la société SIS intérim :

Considérant que la société SIS intérim s'est associée aux pratiques anticoncurrentielles en adhérant aux protocoles de l'Isère en 1989 et 1990 ; qu'elle a en outre participé aux réunions de travail de la commission chargée de suivre la mise en œuvre des protocoles ;

Considérant que cette société n'exploite plus directement son fonds de commerce de Grenoble ; qu'elle a donné son fonds en location gérance le 1er février 1993 ; qu'elle n'a pas répondu à la demande de communication de son chiffre d'affaires et ne dépose plus ses comptes au greffe du tribunal de commerce depuis le 31 décembre 1991 ;

Considérant dans ces conditions qu'il y a lieu de prendre en considération le chiffre d'affaires de l'entreprise réalisé en 1991, dernier exercice clos disponible, qui s'élève à la somme de 16 617 308 F ; qu'en fonction des éléments généraux et individuels tels qu'appréciés ci­dessus il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 10 000 F ;

En ce qui concerne la société Synergie :

Considérant que la société Synergie est une entreprise d'envergure nationale qui, en adhérant aux protocoles de l'Isère en 1989 et 1990 et de la Savoie en 1989 ; leur a apporté sa caution et a contribué à en assurer l'application ; qu'elle a, en outre, participé aux réunions de travail de la commission chargée de suivre la mise en œuvre des protocoles ;

Considérant que cette entreprise a réalisé en 1996, dernier exercice clos disponible, un chiffre d'affaires en France de 1 362 431 608 F ; qu'en fonction des éléments généraux et individuels tels qu'appréciés ci­dessus il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 400 000 F ;

En ce qui concerne la société Taga travail temporaire :

Considérant que la société Taga travail temporaire s'est associée aux pratiques anticoncurrentielles en adhérant aux protocoles de l'Isère en 1989 et 1990 et de la Savoie en 1989 ;

Considérant qu'il convient, toutefois, de tenir compte des conditions dans lesquelles cette entreprise a été contrainte à signer ces conventions ;

Considérant que cette entreprise a réalisé en 1996, dernier exercice clos disponible, un chiffre d'affaires en France de 15 145 939 F ; qu'en fonction des éléments généraux et individuels tels qu'appréciés ci­dessus il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 5 000 F ;

Décide :

Article 1er : ­ Il est établi que les Fédérations départementales du bâtiment et des travaux publics de l'Isère et de la Savoie ainsi que les sociétés Adia France, Bis France, Elan, Centre intérim, Adecco, Elitt, Les Compagnons, Manpower France, Regitt, Sade Sud­Est, Sataic venant aux droits de Central intérim, Servinter, SIS intérim, Synergie et Taga ont enfreint les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Article 2 : ­ Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :

300 000 F à la Fédération du bâtiment et des travaux publics de l'Isère ;

100 000 F à la Fédération du bâtiment et des travaux publics de Savoie ;

50 000 F à la société Adia France ;

1 500 000 F à la société Bis France ;

200 000 F à la société Elan ;

20 000 F à la société Centre intérim ;

4 000 000 F à la société Adecco ;

20 000 F à la société Elitt ;

10.000 F à la société Les Compagnons ;

3 000 000 F à la société Manpower France ;

100 000 F à la société Regitt ;

10 000 F à la société Sade Sud­Est ;

4 800 F à la société Sataic ;

100 000 F à la société Servinter ;

10 000 F à la société SIS intérim ;

400 000 F à la société Synergie ;

5 000 F à la société Taga travail temporaire.