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Décisions

Cass. ass. plén., 14 mars 1997, n° 94-15.133

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

SPIE Batignolles (Sté); SPIE Trindel (Sté)

Défendeur :

Ministre de l'Économie, des Finances et du Budget

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Rapporteur :

M. Chardon

Avocat général :

M. Joinet

Avocats :

SCP Piwnica, Molinié, Me Ricard.

Paris, du 26 avr. 1994

26 avril 1994

LA COUR : - Attendu, selon les énonciations de l'arrêt attaqué (Paris, 26 avril 1994), rendu sur renvoi après cassation, que le ministre chargé de l'Économie, à la suite d'une enquête de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, a saisi, le 23 octobre 1983, la Commission de la concurrence de faits qu'il prétendait pouvoir être qualifiés de concertations entre entreprises à l'occasion de marchés de travaux d'installation ou d'entretien électrique passés par la RATP, l'établissement public du Parc de la Villette, le Centre national d'art et de culture Georges Pompidou et la Ville de Paris avec quarante-trois sociétés ; que le Conseil de la concurrence, devenu compétent, a retenu, par décision n° 89-D-42 du 12 décembre 1989, que les pratiques constatées tombaient sous le coup des dispositions de l'article 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945 et de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 sans pouvoir bénéficier des dispositions des articles 51 ou 10 de l'un ou l'autre de ces textes, a infligé aux quarante-trois entreprises concernées, parmi lesquelles se trouvaient les sociétés SPIE Batignolles et SPIE Trindel, des sanctions pécuniaires d'un montant variant entre 25 millions de francs et 5 000 francs, en ordonnant en outre la publication dans sept journaux ;

Sur le premier moyen : - Attendu que les sociétés SPIE Batignolles et SPIE Trindel font grief à l'arrêt d'avoir été prononcé en audience ordinaire, par la première chambre de la Cour d'appel de Paris, alors, selon le pourvoi, que les renvois après cassation d'un arrêt sont portés aux audiences solennelles de la cour de renvoi, qui se tiennent devant deux chambres sous la présidence du premier président ; qu'en l'espèce, statuant sur renvoi après la cassation intervenue par l'arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 8 décembre 1992, qui avait annulé en toutes ses dispositions l'arrêt rendu le 19 septembre 1990 par la Cour d'appel de Paris et qui avait renvoyé les parties devant la même juridiction autrement composée, la Cour d'appel de Paris devait entendre les parties et prononcer sa décision lors d'une audience solennelle ; qu'en statuant par un arrêt de la seule Première chambre, section concurrence, prononcé au cours d'une audience ordinaire, la Cour d'appel de Paris a violé les dispositions de l'article R. 212-5 du Code de l'organisation judiciaire ;

Mais attendu que l'arrêt attaqué a été rendu par un président et quatre conseillers dont aucun ne participait à la formation de trois magistrats qui avaient rendu la décision cassée, et que l'indication, dans les arrêts rendus sur renvoi après cassation, de l'empêchement du premier président et de la chambre à laquelle appartenaient les magistrats ayant siégé, ne figure pas parmi les mentions prévues à peine de nullité par l'article 454 du nouveau Code de procédure civile ; que le moyen ne peut donc être accueilli ;

Sur les deuxième et troisième moyens, pris en leurs deux branches : - Attendu que les sociétés SPIE Batignolles et SPIE Trindel font grief à l'arrêt de les avoir condamnées respectivement à une sanction pécuniaire de 25 millions et 5 millions de francs, alors, selon le pourvoi, que le chiffre d'affaires qui sert de base au calcul de la sanction pécuniaire maximum qui peut être infligée à une entreprise ayant participé à une entente prohibée est, lorsque l'entreprise visée exploite des secteurs d'activités différents, celui du ou des secteurs où a été commise l'infraction ; que l'identification de ce ou ces secteurs d'activité, au sein de chaque entreprise sanctionnée, ne se confond pas avec la définition du marché sur lequel est intervenue l'entente prohibée, qui sert de base à l'appréciation de l'effet anticoncurrentiel des pratiques poursuivies sur l'économie de ce marché ; que saisie de faits constitutifs d'ententes illicites concernant plusieurs appels d'offres, la Cour d'appel de Paris s'est bornée à définir le marché global sur lequel ces ententes étaient intervenues comme étant celui des travaux électriques industriels, et en a déduit, pour le calcul de la sanction pécuniaire infligée aux deux sociétés, que le chiffre d'affaires qu'il convenait de retenir était celui réalisé par ces entreprises au plan national dans le secteur des travaux électriques en général, sans rechercher si les marchés des travaux électriques d'entretien de la RATP, qui faisaient seulement l'objet des pratiques reprochées aux sociétés SPIE Batignolles et SPIE Trindel, ne constituaient pas, au sein de ces entreprises, un secteur d'activité distinct, privant ainsi sa décision de base légale au regard des dispositions des articles 50 et 53 de l'ordonnance du 30 juin 1945 ; et alors, d'autre part, que les sociétés faisaient valoir, dans leurs écritures, que les travaux électriques d'entretien de la RATP, qui exigent un grand nombre d'interventions par petites équipes travaillant de nuit dans des conditions dangereuses, sont réalisés par des personnels qualifiés qui, affectés exclusivement à ces travaux, sont rémunérés de façon spécifique ; qu'elles exposaient également que ces marchés sont conclus selon des modalités particulières et leurs établissements secondaires d'Ile-de-France, dotés de services administratifs et tenant une comptabilité distincte, avaient été spécialement créés pour les besoins de cette activité ; qu'en se bornant à affirmer que les appels d'offres concernés par les pratiques poursuivies faisaient partie du marché global des travaux électriques industriels, sans répondre aux conclusions des deux sociétés, dont il résultait que les faits qui leur étaient reprochés concernaient exclusivement les travaux électriques d'entretien de la RATP qui, au sein de ces entreprises, constituait un secteur d'activité distinct à raison du caractère spécifique des travaux et des modalités de conclusion des marchés, et faisaient l'objet d'une gestion autonome, de sorte que le montant maximum de la sanction pécuniaire devait être apprécié au regard du chiffre d'affaires réalisé dans ce seul secteur, la Cour d'appel de Paris a méconnu les dispositions de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que la cour d'appel a constaté que le marché pertinent dans lequel était impliqué, avec les autres entreprises, les sociétés SPIE Batignolles et SPIE Trindel, était celui du secteur d'activité des travaux électriques industriels mettant en œuvre des techniques et des matériels identiques voisins ou complémentaires par des personnels de même qualification eu égard aux prestations spécifiquement fournies par chaque société ; qu'ayant également refusé de limiter le marché à la région Ile-de-France au motif allégué qu'il était celui de l'exécution des travaux concernant la RATP, la cour d'appel a souverainement retenu, effectuant les recherches nécessaires et répondant aux conclusions prétendument omises, que le montant du chiffre d'affaires des autres secteurs d'activités devait être pris en considération pour déterminer le quantum de la sanction au regard des dispositions des articles 50 et 53 de l'ordonnance du 30 juin 1945 ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le quatrième moyen : - Attendu que la société SPIE Batignolles fait grief à l'arrêt de lui avoir infligé une sanction pécuniaire d'un montant de 25 millions de francs, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'il appartient à la partie poursuivante d'établir les pratiques anticoncurrentielles qui fondent sa demande et l'entreprise à laquelle les pratiques alléguées sont imputables ; qu'en déclarant, pour décider que la société SPIE Batignolles était responsable de faits constitutifs d'ententes sur des marchés de travaux électriques d'entretien de la RATP, que cette société ne justifiait pas de l'autonomie de l'établissement de Pelleport par rapport à la société mère, la Cour d'appel de Paris a inversé la charge de la preuve de l'imputabilité des pratiques anticoncurrentielles alléguées et a ainsi violé les dispositions des articles 50 et 53 de l'ordonnance du 30 juin 1945, ensemble l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ; et alors, d'autre part, que la délégation du pouvoir de représenter la société à l'effet de conclure des marchés et de prendre les engagements financiers correspondants s'établit par tous moyens ; qu'en excipant du fait que la société SPIE Batignolles ne produisait pas de délégation au chef de l'agence de Pelleport pour décider que les éléments de preuve versés aux débats par la société SPIE Batignolles, et notamment les attestations produites, ne suffisaient pas à caractériser concrètement l'autonomie de cet établissement secondaire, la Cour d'appel de Paris a violé les dispositions des articles 53 de l'ordonnance du 30 juin 1945 et 1134 du Code civil ;

Mais attendu que c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu qu'il appartenait à la société SPIE Batignolles, dont le ministre de l'Economie et des Finances avait démontré la participation aux pratiques prohibées, de faire la preuve de l'autonomie économique de son agence de Pelleport ; qu'ayant souverainement apprécié les éléments de preuve versés au débat et relevé que, faute par cette société de justifier de l'existence d'une délégation donnée au chef de l'agence et de l'étendue de celle-ci à l'effet de conclure des contrats, de passer des marchés, et de l'étendue du contrôle hiérarchique, notamment sur le montant des engagements financiers, ces éléments ne suffisaient pas à caractériser l'autonomie de l'agence de Pelleport propre à en faire une entreprise distincte, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;

Sur le cinquième moyen, pris en ses deux branches : - Attendu que la société SPIE Trindel fait grief à l'arrêt de lui avoir infligé une sanction pécuniaire de 5 millions de francs, alors, d'une part, selon le pourvoi, qu'il appartient à la partie poursuivante d'établir les pratiques anticoncurrentielles qui fondent sa demande et l'entreprise à laquelle les pratiques alléguées sont imputables ; qu'en déclarant, pour décider que la société SPIE Trindel était responsable de faits constitutifs d'ententes sur des marchés de travaux électriques d'entretien de la RATP, que cette société ne justifiait pas de l'autonomie de l'établissement de Crimée par rapport à la société mère, la Cour d'appel de Paris a inversé la charge de la preuve de l'imputabilité des pratiques anticoncurrentielles alléguées et a ainsi violé les dispositions des articles 50 et 53 de l'ordonnance du 30 juin 1945, ensemble l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ; et alors, d'autre part, que la délégation du pouvoir de représenter la société à l'effet de conclure des marchés et de prendre des engagements financiers correspondants s'établit par tous moyens ; qu'en excipant du fait que la société SPIE Trindel ne produisait pas de délégation au chef de l'agence de Crimée pour décider que les éléments de preuve versés aux débats par la société SPIE Trindel, et notamment une attestation détaillée de l'ancien commissaire aux comptes de l'agence de Crimée, ne suffisaient pas à caractériser concrètement l'autonomie de cet établissement, la Cour d'appel de Paris a violé les dispositions des articles 53 de l'ordonnance du 30 juin 1945 et 1134 du Code civil ;

Mais attendu que c'est encore à bon droit que la cour d'appel a retenu qu'il appartenait à la société SPIE Trindel, dont le ministre de l'Economie et des Finances avait démontré la participation aux pratiques prohibées, de faire la preuve de l'autonomie économique de son agence de Crimée ; qu'ayant souverainement apprécié les éléments de preuve versés au débat, dont une attestation de l'ancien commissaire aux comptes, et relevé que, faute par cette société de justifier des pouvoirs délégués au chef de l'agence en matière de signature de contrats de passation de marchés et des engagements financiers correspondants, ces éléments ne suffisaient pas à caractériser l'autonomie économique de l'agence de Crimée propre à en faire une agence distincte, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;

Sur les sixième et septième moyens, pris en leur deuxième branche : Attendu que les sociétés SPIE Batignolles et SPIE Trindel font grief à l'arrêt de les avoir respectivement condamnées à une sanction pécuniaire de 25 millions de francs et de 5 millions de francs, alors que, selon le pourvoi, les sociétés SPIE Batignolles et SPIE Trindel faisaient valoir, dans leurs écritures, que le comportement de la RATP à l'occasion des appels d'offres litigieux avait été irrégulier et fautif, en se fondant notamment sur le rapport de la Direction nationale des enquêtes de concurrence aux termes duquel l'initiative prise par le service acheteur de réunir les quinze entreprises les mieux placées à l'issue du premier appel d'offres apparaissait " critiquable au regard des règles de la concurrence " ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen pertinent tiré de la faute commise par la RATP, susceptible à tout le moins d'atténuer la responsabilité des deux sociétés, la Cour d'appel de Paris a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que, contrairement aux allégations du moyen concernant le comportement de la RATP, la cour d'appel a répondu aux conclusions prétendument délaissées en énonçant " que l'organisation par la RATP, entre les deux appels d'offres, d'une réunion de quinze entreprises les moins disantes, au nombre desquelles Fouga et Norelec, auxquelles il a été demandé de motiver leur offre, n'a pas transformé le marché en négociation de gré à gré puisqu'aussi bien un nouvel appel d'offre a été lancé " ; que le moyen manque en fait ;

Sur les sixième et septième moyens, pris en leurs première, troisième et quatrième branches : - Attendu que les sociétés SPIE Batignolles et SPIE Trindel font grief à l'arrêt de les avoir respectivement condamnées à une sanction pécuniaire de 25 millions de francs et 5 millions de francs, alors, d'une part, selon le pourvoi, que le montant de la sanction pécuniaire infligée à une entreprise en application des dispositions de l'article 53 de l'ordonnance du 30 juin 1945 doit être proportionnée à la gravité des faits, à l'importance du dommage causé à l'économie ainsi qu'à la situation financière et la dimension de l'entreprise visée ; qu'ayant retenu, contrairement au Conseil de la concurrence, que le dommage causé à l'économie était réduit, la plupart des marchés concernés ayant été passés à des prix inférieurs ou égaux à l'estimation du maître de l'ouvrage, et que la gravité des faits était atténuée dès lors que les pratiques poursuivies ne tendaient pas à exclure une entreprise concurrente du marché, la Cour d'appel de Paris a confirmé le montant des sanctions pécuniaires prononcées par le Conseil de la concurrence à l'encontre des sociétés SPIE Batignolles et SPIE Trindel, sans énoncer en quoi les infractions imputées à cette société justifiaient, en dépit des circonstances atténuantes constatées, le maintien de la sanction que le Conseil de la concurrence leur avait infligée, et a ainsi violé les dispositions de l'article 53 de l'ordonnance du 30 juin 1945 ; alors, d'autre part, u'en se bornant à déclarer, pour estimer que le dommage causé à l'économie était constitué par la conclusion du marché n° 1 de la RATP à un montant supérieur de 40 % à celui initialement estimé par le maître de l'ouvrage, sans rechercher si, ainsi que le faisait valoir les sociétés SPIE Batignolles et SPIE Trindel, le second appel d'offre lancé par la RATP en vue de la conclusion de ce marché n'avait pas été réalisé sur la base d'une nouvelle série de prix, qui ne permettait pas de comparaison avec le premier appel d'offres, la Cour d'appel de Paris a privé sa décision de base légale au regard des dispositions de l'article 53 de l'ordonnance du 30 juin 1945 ; alors, encore, que le montant de la sanction pécuniaire infligée à une entreprise en application des dispositions de l'article 53 de l'ordonnance du 30 juin 1945 doit être proportionnée à la gravité des faits, à l'importance du dommage causé à l'économie ainsi qu'à la situation financière et la dimension de l'entreprise visée ; qu'en omettant de rechercher si les sanctions pécuniaires prononcées étaient proportionnées à la situation financière de la société SPIE Batignolles et de la société SPIE Trindel, la Cour d'appel de Paris a privé sa décision de base légale au regard des dispositions susvisées ; et alors, enfin, que la société SPIE Batignolles exposait, dans ses écritures, qu'elle se heurtait à de graves difficultés financières, ayant perdu 952 000 000 F en 1991, et demandait, dans l'hypothèse où la cour d'appel lui infligerait une sanction pécuniaire, que le montant en soit réduit ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen tiré de la nécessaire prise en compte, pour l'évaluation de la sanction pécuniaire, de la situation financière déficitaire de la société SPIE Batignolles, la Cour d'appel de Paris a méconnu les dispositions de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que, pour fixer le montant de la sanction, la cour d'appel a apprécié les divers éléments qui permettaient, conformément aux dispositions de l'article 53 de l'ordonnance du 30 juin 1945, seule applicable en l'espèce, de déterminer le montant des sanctions pouvant être infligées aux sociétés ayant participé aux pratiques litigieuses ; que si l'arrêt a relevé que l'atteinte portée à l'économie n'était pas établie " pour l'ensemble des marchés incriminés ", il a cependant constaté, effectuant ainsi les recherches qui lui étaient demandées, que tel n'était pas le cas pour le marché n° 1 de la RATP, qui représentait près des trois quart du montant " des marchés attribués " et auxquels avaient participé les sociétés SPIE Batignolles et SPIE Trindel ; que, tenant compte du montant du chiffre d'affaires des deux sociétés au moment des faits litigieux, de leur participation respective aux pratiques prohibées et notamment du fait que la société SPIE Batignolles avait " joué un rôle de chef de file dans les ententes incriminées ", quelles que fussent ses difficultés financières alléguées, la cour d'appel a pu statuer ainsi qu'elle l'a fait ; que les moyens ne sont fondés en aucune de leurs branches ;

Par ces motifs, rejette le pourvoi.