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Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 13 avril 1999, n° ECOC9910131X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Dectra (SA), Genet (SA), Satrod (SA), Syndicat national des activités du déchet, Routière de l'Est parisien (SA), Ministre de l'Économie, des Finances et du Budget

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Favre

Substitut général :

M. Woirhaye

Conseillers :

Mme Deubergue, M. Hascher

Avoués :

SCP Roblin-Chaix de Lavarene, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay

Avocats :

Mes Berdou, Gaudin, Azencot

CA Paris n° ECOC9910131X

13 avril 1999

LA COUR statue sur les recours en annulation et réformation formés par les sociétés Routière de l'Est parisien (REP), Dectra, agissant également pour la société Furlan, Genet et Satrod, ainsi que le Syndicat national des activités du déchet (SNAD), à l'encontre de la décision du Conseil de la concurrence n° 98-D-61 du 6 octobre 1998 qui leur a infligé les sanctions financières suivantes:

5 000 000 F à la société Routière de l'Est parisien (REP);

600 000 F à la société Dectra;

40 000 F à la société Dectra venant aux droits de la société Furlan;

400 000 F à la société Genet;

100 000 F à la société Satrod;

100 000 F au SNAD.

Référence faite à cette décision pour l'exposé des faits et de la procédure initiale, il suffit de rappeler les éléments suivants:

La loi n° 92-646 du 13 juillet 1992 relative à l'élimination des déchets ainsi qu'aux installations classées énonce parmi ses objectifs la valorisation des déchets par recyclage des matériaux, valorisation organique (obtenue par compostage ou méthanisation) et incinération. Afin d'atteindre cet objectif, la loi prévoit un délai de dix ans, jusqu'au 1er juillet 2002, pour transformer les décharges, classées en trois catégories, la classe II recevant les ordures ménagères, en centres de stockage qui ne recevront plus que les déchets ultimes, c'est-à-dire les déchets insusceptibles d'être traités.

Parallèlement à cette mesure dont il est escompté une diminution du nombre des décharges auxquelles il est actuellement recouru comme principale modalité d'élimination des déchets, la loi du 13 juillet 1992 précitée a institué une taxe spéciale prévue jusqu'au 30 juin 2002 sur les mises en décharge de déchets ménagers et assimilés à verser à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME).

Un décret n° 93-169 du 5 février 1993, pris en application de la loi, précise que cette taxe est due par "toute personne physique ou morale exploitant une installation de stockage de déchets ménagers et assimilés".

Le décret n'ayant pas prévu de répercussion de la taxe sur les utilisateurs, le SNAD a, le 9 mars 1993, émis une circulaire auprès de l'ensemble des adhérents recommandant de répercuter la taxe et de facturer des frais de gestion "dans la limite de 10 % maximum de son montant".

La facturation des frais de gestion qui correspondaient notamment aux coûts financiers (avances de trésorerie et impayés) a disparu après la publication du décret n° 94-772 du 31 août 1994, modifiant le décret précité du 5 février 1993, qui a allongé d'un mois le versement de la taxe à l'ADEME.

En application de cette consigne syndicale, les sociétés Dectra, Furlan, Genet et Satrod ont facturé des frais de gestion de 2 F par tonne de déchets mis en décharge.

La société REP, qui exerce des activités diversifiées, est également présente sur le marché de l'élimination des ordures ménagères.

Elle détient 54 % des parts du marché de la mise en décharge contrôlée des ordures ménagères en Ile-de-France et consent des remises tarifaires à certains clients, membres comme elle du groupe Vivendi (ex-Compagnie générale des eaux).

Saisi de ces pratiques par le ministre de l'Economie le 16 janvier 1995, le Conseil de la concurrence a relevé:

" que l'application de la consigne syndicale du SNAD par les sociétés Dectra, Furlan, Genet et Satrod a eu pour effet de fausser le jeu de la libre concurrence en détournant ces entreprises d'une appréhension directe de leurs coûts leur permettant de déterminer individuellement leurs prix;

" que la société REP a abusivement exploité la position dominante qu'elle détient sur le marché de la mise en décharge contrôlée des déchets ménagers en Ile-de-France en consentant des tarifs préférentiels aux entreprises du groupe auquel elle appartient et qui ne sont justifiés par aucune contrepartie réelle.

Au soutien de son recours, la société REP fait remarquer en premier lieu que la procédure est irrégulière, faute d'avoir été informée par l'administration de l'objet de l'enquête.

Au fond, la société REP soutient en substance que le marché à retenir n'est pas celui des décharges contrôlées de classe II en Ile-de-France mais celui du traitement des déchets ménagers quelle que soit la technique utilisée, dont les frontières dépassent sur le plan matériel et géographique la définition trop étroite du marché pertinent retenue par le Conseil de la concurrence. Elle affirme qu'en aucun cas elle ne détient une position dominante et que les tarifs préférentiels qu'elle accorde sont le résultat d'une politique de concertation avec ses clients et sont donc justifiés. A titre principal, elle demande à la cour d'annuler la décision du Conseil de la concurrence du 6 octobre 1998, d'ordonner en conséquence le remboursement du montant des sanctions pécuniaires avec capitalisation des intérêts au taux légal à compter du paiement. A titre subsidiaire, elle demande d'ordonner une expertise pour définir le marché pertinent, de réformer le montant de la sanction prononcée à son encontre en ordonnant le remboursement du trop-perçu versé avec capitalisation des intérêts au taux légal à compter du paiement. Elle demande enfin la condamnation du ministre de l'Economie à lui verser 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Le SNAD rappelle que, dans l'accomplissement de sa mission de défense des intérêts de ses membres vis-à-vis des pouvoirs publics, il a appelé l'attention de ses adhérents sur la répercussion de la taxe ADEME en leur demandant de ne pas dépasser 10 % du montant de la taxe en frais de gestion. Il conteste être ainsi à l'origine d'une action concertée de tarification uniforme.

Les sociétés Dectra (et Dectra agissant pour Furlan suite à une fusion-absorption le 1er juin 1993), Genet et Satrod soutiennent que la consigne du SNAD visait à ne pas dépasser un certain maximum en matière de facturation des frais de gestion, qu'il n'y avait donc aucune concertation anticoncurrentielle entre elles et le SNAD, que les agissements reprochés n'ont pas porté atteinte de façon sensible au jeu de la concurrence.

A titre principal, le SNAD et les sociétés Dectra (agissant également pour Furlan), Genet et Satrod, demandent à la cour d'annuler la décision du Conseil de la concurrence du 6 octobre 1998, d'ordonner la restitution des sommes versées au titre des sanctions avec intérêts de droit à compter de la notification de l'arrêt, subsidiairement de supprimer ou de réformer le montant des sanctions prononcées et de condamner l'Etat à leur verser à chacun 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Le Conseil de la concurrence observe que le principe de loyauté a été respecté lors de l'enquête, que la consigne du SNAD en matière de tarification des frais de gestion de la taxe ADEME entre bien dans le champ d'application de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, que les tarifs préférentiels consentis par la société REP sont constitutifs de pratiques discriminatoires réalisant un abus de position dominante.

Le ministre de l'Economie, à l'issue d'observations rejetant les moyens de procédure et de fond avancés par les requérants, conclut à la confirmation de la décision du Conseil de la concurrence et des sanctions pécuniaires prononcées.

La société REP, le SNAD, les sociétés Dectra (agissant également pour Furlan), Genet et Satrod ont répliqué.

Ces derniers demandent également à la cour de leur donner acte de ce que la société Omnium de transport et de nettoiement n'est pas concernée par le recours.

Le Ministère public conclut à la recevabilité des recours et à leur rejet.

Sur ce, LA COUR :

Sur la demande de donner acte :

Considérant que le SNAD, les sociétés Dectra (agissant pour Furlan), Genet et Satrod demandent de leur donner acte de ce que la société Omnium de transport et de nettoiement n'est pas concernée par le recours dirigé contre elle, mais que leurs conclusions qui n'ont pas été déposées dans les délais fixés pour la mise en état de l'affaire sont irrecevables et au surplus sans objet et sans lien avec l'instance ;

Sur la régularité des procès-verbaux des enquêteurs :

Considérant que la société REP soutient qu'aucun des procès-verbaux du 10 mai 1994 ne mentionne l'objet précis et réel de l'enquête en cours comme en ferait obligation l'ordonnance du 1er décembre 1986 en son article 45 ou le Pacte international relatif aux droits civils et politiques à l'article 14, qu'ainsi elle n'a pu être informée des griefs ou des soupçons au titre des pratiques anticoncurrentielles qui lui ont été finalement reprochées, alors que le comportement des enquêteurs l'avait amenée à penser que les investigations concernaient des pratiques restrictives ; que le ministre de l'Economie et le Conseil de la concurrence observent que l'obligation d'informer de l'objet de l'enquête est remplie lorsque le procès-verbal porte, outre la référence à l'ordonnance du 1er décembre 1986, la mention pré-imprimée suivant laquelle les enquêteurs ont justifié de leur qualité et indiqué à leurs interlocuteurs l'objet de leur enquête ;

Considérant que les mentions du procès-verbal de déclaration suivant lesquelles "Nous avons justifié de notre qualité et indiqué l'objet de notre enquête aux représentants de la société REP" ne permettent pas en elles-mêmes de conclure à la loyauté de la procédure suivie par les enquêteurs mais qu'en l'espèce la visite des enquêteurs faisait suite à l'information donnée le 25 mars 1994 dans un courrier adressé par l'administration à la société REP lui précisant que les services du ministère de l'économie procédaient à une enquête relative à la collecte et au traitement des ordures ménagères effectuée sur la base des dispositions de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence et sollicitait la fixation d'un rendez-vous;

Et considérant que la société REP a pu ainsi être clairement informée que l'enquête visait la partie de ses activités dans le traitement des déchets, que les enquêteurs ont précisé le cadre juridique dans lequel ils agissaient et qu'il ne peut leur être reproché de n'avoir pas indiqué avec plus de précision au départ de leurs investigations, dont c'était précisément le but, quelles seraient les infractions, à les supposer constituées, à l'ordonnance du 1er décembre 1986 qui pourraient être retenues ainsi que les suites données à celles-ci, que la société REP ne démontre pas l'existence d'une atteinte aux droits de la défense et ne rapporte pas plus une violation du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966 et notamment de son article 14 auquel elle fait une référence globale et imprécise; que le moyen critiquant la régularité de la procédure n'étant pas fondé, il y a lieu de le rejeter;

Sur l'abus de position dominante de la société REP (article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ):

Sur la définition du marché pertinent:

Considérant que la société REP soutient d'abord que le marché économique de référence est celui du traitement des déchets ménagers et non celui des décharges contrôlées de classe II dont l'existence n'est démontrée ni par des raisons techniques ou réglementaires ni pour des raisons de coût, ensuite, qu'en raison de l'ampleur des mouvements de déchets entre l'Ile-de-France et les départements voisins, le marché est plus vaste que celui artificiellement limité à l'Ile-de-France par la décision critiquée du Conseil de la concurrence, que subsidiairement elle sollicite l'organisation d'une mesure d'expertise pour définir le marché;

Que le ministre de l'Economie et le Conseil de la concurrence observent que la qualité et la nature des services rendus pas les différents modes de traitement des déchets ménagers n'induisent pas aux mêmes coûts, que les déchets collectés en Ile-de-France sont à 95 % traités dans cette région, le coût du transport et les dispositions législatives et réglementaires applicables incitant à un traitement de proximité;

Considérant que la notion de marché concerné implique qu'une concurrence effective puisse exister entre les produits qui en font partie, ce qui suppose un degré suffisant d'interchangeabilité en vue du même usage entre tous les produits faisant partie du même marché;

Considérant que le Conseil de la concurrence s'est à juste titre fondé sur les analyses disponibles à l'époque des pratiques anticoncurrentielles reprochées pour délimiter le marché, et notamment sur l'étude réalisée en 1993 par la société BIPE Conseil pour le compte de l'ADEME selon laquelle le coût moyen du traitement en décharge contrôlée s'élevait en 1992 à 70 F la tonne contre 215 F pour le compostage et 250 à 500 F pour l'incinération, que ces données font ainsi apparaître une première spécificité du traitement en décharge par le coût, qu'il est constant que le traitement des déchets en décharge contrôlée permet de faire disparaître les déchets ultimes générés par les autres traitements comme le recyclage, le compostage ou l'incinération, qu'il s'en déduit une deuxième spécificité par son but et sa technique, qu'en conséquence le traitement des déchets en décharge contrôlée n'est pas un mode substituable d'élimination des déchets en raison de ses spécificités de nature à influer sur le comportement des entreprises et syndicats intercommunaux de collecte des déchets dans le choix de la filière d'élimination, qu'il constitue ainsi un marché suffisamment identifiable à l'époque des faits pour être distinct du marché du traitement des déchets ménagers en général;

Et considérant que l'élément de la distance est important pour la définition du marché géographique en raison du coût du transportgénéralement admis comme étant de 3 F par tonne/kilomètre qui explique notamment selon les observations du ministre de l'Economie que 95 % des déchets collectés en Ile-de-France y soient traités, qu'il apparaît donc ainsi que l'Ile-de-France en tendant vers une autonomie complète pour l'élimination de ses déchets constitue bien un marché de référence pertinent;

Qu'il s'ensuit, que sans qu'il soit nécessaire de recourir à une mesure d'expertise, le marché pertinent est celui retenu par le Conseil de la concurrence;

Sur la position dominante de la société REP:

Considérant que la société REP soutient que sa position dominante n'est pas caractérisée car elle a perdu des marchés et qu'il n'est pas démontré qu'elle a la capacité à s'abstraire de la concurrence, que le ministre de l'Economie observe que la détermination de la position dominante de la société REP a pris en compte l'écart entre la part de marché de celle-ci et celle des entreprises concurrentes;

Considérant que la notion de position dominante, qui s'entend comme le pouvoir de faire obstacle à une concurrence effective, suppose que l'entreprise considérée occupe sur le marché une place prépondérante que lui assurent notamment l'importance des parts de marché qu'elle détient dans celui-ci, la disproportion entre celles-ci et celles des entreprises concurrentes, comme éventuellement son statut et ses modes d'action commerciale;

Considérant qu'il n'est pas contesté que la société REP, qui appartient à un groupe industriel puissant, le groupe Vivendi a, en 1993, traité 54 % des déchets ménagers mis en décharge contrôlée en Ile-de-France tandis que son concurrent le plus immédiat n'en avait traité pour la même période que 19 %, que la position de la société REP est d'autant renforcée que la quasi-totalité des déchets collectés en Ile-de-France y sont traités, que les contraintes réglementaires des décharges contrôlées pour ouvrir ou agrandir celles-ci ainsi que le nombre limité des sites représentent des obstacles à l'augmentation de l'offre et à l'intervention de nouveaux concurrents et confortent la prépondérance de la société REP sur le marché qui, comme le démontre le dossier, détient les décharges les plus importantes, et caractérisent sa position dominante;

Considérant au surplus que la perte de marchés à Noisy-le-Grand en 1996 et à Villemomble en 1997 n'est pas pertinente pour caractériser la situation occupée au moment des faits en 1993 sur le marché par la société REP, que le moyen doit être rejeté;

Sur l'abus de position dominante:

Considérant que la société REP soutient que la politique commerciale par laquelle elle accordait des réductions tarifaires aux clients qui lui assuraient une garantie de tonnage d'enfouissement n'était pas limitée aux sociétés du groupe industriel auquel elle appartient mais pouvait également bénéficier à des entreprises concurrentes et aux collectivités locales, que ces conditions préférentielles représentaient la contrepartie des contraintes techniques pour l'exploitation des décharges, enfin, que le comportement reproché, à le supposer réalisé, constituerait non un abus de position dominante, mais une entente dans le cadre de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Que le ministre de l'Economie et le Conseil de la concurrence observent que les tarifs préférentiels consentis à partir de 1993 aux entreprises du groupe Vivendi constituent des pratiques discriminatoires de nature à favoriser artificiellement les sociétés filialisées par rapport à leurs concurrents;

Considérant que suivant le protocole d'accord du 18 décembre 1992, la société REP a accordé pour l'exercice 1993 à des entreprises du groupe Vivendi qui s'engagent à enfouir un tonnage minimal annuel de 900 000 tonnes une remise de 30 F par tonne sur l'ensemble du tonnage apporté dans la mesure où celui-ci excédera de plus de 10 % le seuil fixé, que dans la mesure où comme l'a relevé dans sa décision le Conseil de la concurrence, d'une part, le tonnage minimal prévu était sans portée réelle puisque les apports des sociétés intéressées du groupe Vivendi étaient en 1992 supérieurs à 1 million de tonnes, d'autre part, le seuil de 900 000 tonnes était très largement supérieur aux tonnages livrés par les entreprises indépendantes, les tarifs préférentiels accordés aux sociétés filialisées par rapport au prix consenti aux autres clients ne s'expliquent par aucune contrepartie réelle de la part des clients du groupe alors que l'évolution du prix moyen pratiqué à l'égard de ces derniers fait apparaître une hausse de 140 % entre 1991 et 1993 comparée à celle de 209,7 % ou de 194,2 % pour la même période à l'égard des sociétés indépendantes bénéficiant également d'un rabais par suite de leur engagement de livrer un tonnage garanti, qu'il n'y avait donc aucune proportionnalité entre le tonnage réalisé et les remises accordées, les sociétés du groupe Vivendi bénéficiant seules du tarif le plus avantageux;

Et considérant que les pratiques commerciales de la société REP qui domine le marché des mises en décharge contrôlée de classe II en lui permettant de différencier les conditions commerciales consenties à ses principaux clients ont eu pour effet de fausser la concurrence au détriment des sociétés n'appartenant pas au groupe Vivendi et d'entraîner un désavantage concurrentiel pour les autres entreprises constituent un abus de position dominante au sens de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, que le moyen allégué suivant lequel ces pratiques relèveraient de l'article 7 de la même ordonnance est inopérant;

Sur l'entente (art. 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ):

Considérant que le SNAD soutient qu'en diffusant sa circulaire du 9 mars 1993 à ses adhérents, il informait ceux-ci des nouvelles dispositions du décret du 5 février 1993 relatif à la taxe sur le stockage des déchets sans demander ou faire pression sur ses adhérents d'appliquer uniformément une majoration de 2 F par tonne de déchets mise en décharge, que n'ayant pas ainsi substitué sa propre appréciation à celle que chaque adhérent peut avoir sur ses prix de revient il ne peut lui être reproché d'avoir mis en place une action concertée avec un objet ou un effet anticoncurrentiel;

Considérant que les sociétés Dectra (agissant également pour Furlan), Genet et Satrod soutiennent qu'en facturant des frais de gestion pour un montant de 2 F par tonne de déchets réceptionnée, conformément à l'estimation forfaitaire effectuée par le SNAD, elles n'avaient pas l'intention de porter atteinte à la concurrence puisque ce montant qui reposait sur les coûts de l'avance de trésorerie, des impayés et de la gestion administrative de la taxe n'était pas artificiel;

Que le ministre de l'Economie et le Conseil de la concurrence observent que le SNAD en incitant ses adhérents à répercuter un taux uniforme et prédéterminé de 2 F s'est immiscé dans la politique commerciale de ses adhérents en entravant leur liberté tarifaire, que les sociétés Dectra, Furlan, Genet et Satrod se sont engagées dans une action concertée ayant un objet anticoncurrentiel puisque ce montant forfaitaire ne tient pas compte des coûts propres à chaque entreprise;

Considérant que selon une circulaire du 9 mars 1993, le SNAD a recommandé à ses adhérents de faire clairement apparaître sur les facturations établies par les exploitants de décharges de classe II une ligne spécifique pour la répercussion de la taxe de 20 F par tonne de tous déchets entrant sur ces sites: "Vous devez intégrer par ailleurs à vos prix habituels HT l'incidence des frais supplémentaires liés à la gestion de cette taxe que les exploitants n'ont pas à supporter:

" coût des contrôles, de la tenue obligatoire du registre d'entrée;

" coût de gestion informatisée spécifique;

" coûts financiers (avances de trésorerie, impayés);

" incidence des frais de relevés topographiques ou mesures densimétriques...

L'estimation de ces charges est fixée à 2 F la tonne soit 10 % de la taxe. Nous vous demandons de ne pas la répercuter à un niveau supérieur";

Considérant que le rapport d'activité du président du SNAD à l'occasion d'une assemblée générale le 20 mars 1993 énonce que "les actions que vous avez entreprises pour négocier de nouveaux contrats ou des avenants de vos marchés ont dans l'ensemble été efficaces, sauf pour la prise en charge des frais de gestion que le syndicat nous avait demandé de facturer, en plus de la taxe de 20 F, dans la limite de 10 % au maximum de ce montant";

Considérant que si les organisations professionnelles ou syndicales ont notamment pour mission la défense des intérêts collectifs de leurs membres ou adhérents, elles sortent du cadre de leur mission en diffusant à leurs membres ou adhérents des coûts ou des méthodes de calcul de coût qui ne prennent pas en considération les coûts effectifs de chaque entreprise, que le SNAD, qui en 1992 représentait plus de 80% des exploitants de décharge du secteur privé, en diffusant la circulaire précitée du 9 mars 1993 et en insistant auprès de ses adhérents pour que ceux-ci fassent preuve de cohésion dans l'application des consignes syndicales relatives à la facturation des frais de gestion a incité ses adhérents à aligner leurs coûts à cet égard les uns sur les autres, que l'absence de caractère impératif de la circulaire du 9 mars 1993 est sans incidence sur l'entrave à la liberté de chaque exploitant de décharge de fixer ses prix en fonction de ses propres données;

Considérant que les sociétés Dectra, Furlan, Genet et Satrod qui ont appliqué les recommandations du SNAD, en tant qu'adhérents ou non de ce syndicat majoritaire dans leur branche professionnelle, ont dès lors adopté une facturation uniforme des frais de gestion de la taxe sur le stockage des déchets sans justifier de la réalité d'un coût de gestion, qu'elles ont ainsi participé à une action concertée ayant pour objet de fausser le jeu de la concurrence;

Considérant que le SNAD soutient que la diffusion de la circulaire du 9 mars 1993 n'a pas eu d'effet anticoncurrentiel comme ne concernant que des frais de gestion marginaux par rapport aux autres composantes du prix de revient de la prestation de mise en stockage, que la facturation uniforme de 2 F a été appliquée pendant une courte période entre le 1er avril 1993 et le 1er septembre 1994;

Que les sociétés Dectra (agissant pour Furlan), Genet et Satrod soutiennent également que leurs pratiques n'ont pas porté atteinte de façon sensible au jeu de la concurrence pour les mêmes raisons, qu'elles ne disposent pas elles-mêmes de décharges en Ile-de-France;

Que le ministre de l'Economie et le Conseil de la concurrence observent que l'effet anticoncurrentiel de la pratique reprochée réside dans la perception par les entreprises, à l'instigation du syndicat représentatif de leur profession, d'un montant de frais de gestion sans rapport avec la réalité de leurs coûts de revient et en se préservant des effets de la concurrence;

Considérant qu'il est constant qu'entre le 1er avril 1993 et le 1er septembre 1994 les sociétés Dectra, Furlan, Genet et Satrod ont répercuté dans leur facturation à des sociétés de l'Ile-de-France un montant uniforme de 2 F au titre des frais de gestion de la taxe ADEME, que, si ce montant est faible, la facturation de celui-ci a néanmoins eu un effet sensible sur le marché par suite du tonnage élevé des déchets ménagers traités en Ile-de-France;

Sur les sanctions:

Considérant que la société REP conteste le montant de la sanction pécuniaire qui lui a été infligée en ce que l'appartenance à un groupe industriel ne confère pas une gravité supplémentaire au comportement qui lui est reproché et qui n'a pas eu de conséquence dommageable pour l'économie;

Que le SNAD et les sociétés Dectra pour elle-même et la société Furlan, Genet et Satrod critiquent également le montant des sanctions pécuniaires qui leur ont été infligées et invoquent notamment l'inexistence du dommage à l'économie ainsi que la courte durée pendant laquelle ont eu lieu les pratiques qui leur sont reprochées, que le SNAD évoque plus particulièrement sa bonne foi et la baisse de ses ressources en raison de la diminution du nombre de ses adhérents;

Que le ministre de l'Economie observe que les sanctions prononcées sont proportionnées et motivées;

Considérant qu'aux termes de l'article 13, alinéa 3, de l'ordonnance du 1er décembre 1986, les sanctions pécuniaires doivent être proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné, qu'elles doivent être déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et motivées pour chaque sanction; que, selon l'alinéa 4 du même article, le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 5 % du montant du chiffre d'affaire hors taxe réalisé en France au cours du dernier exercice clos. Si le contrevenant n'est pas une entreprise, le maximum est de dix millions de francs;

Considérant que la société REP a déclaré avoir réalisé en 1997 un chiffre d'affaires de 537 868 135 F, que la sanction de 5 000 000 F prononcée par le Conseil de la concurrence a tenu compte du poids économique de la requérante et n'est pas excessive ;

Considérant que le SNAD a déclaré avoir perçu en 1997 5 258 803 F à titre de cotisations, que les sociétés Dectra, agissant pour Furlan, Genet et Satrod ont déclaré avoir réalisé en 1997 un chiffre d'affaires de respectivement 70 040 747 F, 249 320 835 F, 336 307 949 F, que les sanctions de 100 000 F pour le SNAD, 100 000 F pour la société Satrod, 400 000 F pour la société Genet, 600 000 F pour la société Dectra et 40 000 F pour la société Dectra venant aux droits de la société Furlan ont tenu compte de la situation individuelle et du comportement de chacune des entreprises concernées, qu'elles ne sont pas excessives;

Considérant dès lors que les mesures prises doivent être maintenues;

Considérant que les recours doivent être rejetés;

Sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile:

Considérant que la société REP sollicite la condamnation du ministre de l'Economie à lui verser 50 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, que le SNAD, les sociétés Dectra (agissant également pour Furlan), Genet et Satrod sollicitent au même titre de la part de l'Etat une indemnité de 20 000 F à chacun, que, compte tenu du rejet des recours, il n'y a pas à faire application des dispositions de l'article précité,

Par ces motifs : Déclare irrecevables les conclusions de donner acte présentées par le SNAD, les sociétés Dectra (agissant pour Furlan), Genet et Satrod; Rejette les recours formés par la société REP, le SNAD, les sociétés Dectra (agissant également pour Furlan), Genet et Satrod contre la décision n° 98-D-61 du Conseil de la concurrence du 6 octobre 1998 ; Déboute la société REP, le SNAD, les sociétés Dectra (agissant également pour Furlan), Genet et Satrod de leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et les condamne aux dépens du recours.