Conseil Conc., 18 mai 1993, n° 93-D-14
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Pratiques de la société Roblot
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Adopté sur le rapport de Mme Marie Picard, par MM. Barbeau, président, Jenny, vice-président ; MM. Blaise, Sloan, Thiolon, Urbain, membres.
Le Conseil de la concurrence (section III),
Vu la lettre enregistrée le 8 août 1989 sous le numéro F. 267 par laquelle la société Pompes funèbres de France a saisi le Conseil de la concurrence des pratiques de la société Roblot sur l'agglomération de Cannes ; Vu les ordonnances nos 45-1483 et 45-1484 du 30 juin 1945 modifiées relatives respectivement aux prix et à la constatation, la poursuite et la répression des infractions à la législation économique ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence modifiée, ensemble le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application ; Vu le Code des communes ; Vu la loi n° 86-29 du 9 janvier 1986 portant dispositions diverses relatives aux collectivités locales, et notamment ses articles 31 et suivants ; Vu les observations présentées par les parties et le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés SRDSF (Pompes funèbres de France) et Pompes funèbres du Sud-Est (Roblot) entendus, Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et sur les motifs (II), ci-après exposés :
I. - CONSTATATIONS
Le service des pompes funèbres comprend, outre le service intérieur dans les édifices cultuels, d'une part, le service extérieur, d'autre part, les prestations dites libres, qui dépendent de la seule initiative des familles.
A. - L'organisation du service extérieur
Le service extérieur constitue un service public. Dans le régime issu de la loi du 28 décembre 1904, ce service appartenait exclusivement aux communes et comportait des prestations limitativement énumérées correspondant au transport des corps, à la fourniture des corbillards, cercueils, tentures extérieures des maisons mortuaires, aux voitures de deuil ainsi qu'aux fournitures et personnel nécessaires aux inhumations et crémations. La loi n° 93-23 du 8 janvier 1993 relative à la législation dans le domaine funéraire a maintenu le caractère de service public du service extérieur des pompes funèbres, en a élargi les missions mais a supprimé toute exclusivité au profit des communes sous réserve de dispositions transitoires.
Titulaires exclusifs du monopole légal du service extérieur jusqu'à la réforme de 1993, les communes n'étaient pas tenues d'organiser ce service.
L'article L. 362-l du Code des communes laissait également aux communes ayant décidé d'organiser ce service le choix entre la régie ou la délégation. L'exercice du monopole était alors protégé puisque les entreprises organisant des funérailles devaient, pour ce qui concerne les prestations du service extérieur, s'adresser au titulaire du monopole, régisseur ou concessionnaire.
La loi n° 86-29 du 9 janvier 1986, entrée en vigueur le 1er janvier 1987, a assoupli la contrainte qui obligeait les familles à s'adresser au titulaire du monopole de ce service dans la commune de mise en bière, lorsque le service extérieur était organisé, en leur offrant la faculté de s'adresser également à la régie ou au concessionnaire du service extérieur dans la commune de résidence du défunt ou du lieu d'inhumation ou de crémation et, si le service n'y était pas organisé, à toute entreprise de funérailles située dans une de ces trois communes.
Les chambres funéraires
Implantées en France dans les années soixante, les chambres funéraires sont, aux termes de l'article R. 361-35 du Code des communes dans sa rédaction issue du décret n° 87-28 du 14 janvier 1987, " destinées à recevoir avant l'inhumation ou la crémation, les corps des personnes dont le décès n'a pas été causé par une maladie infectieuse ".
Les chambres funéraires sont gérées dans les conditions prévues pour les services publics communaux, les communes pouvant également passer convention avec un établissement de soins en vue de l'utilisation de la chambre mortuaire de celui-ci.
Le décret du 14 janvier 1987 a modifié le régime des frais de transfert en chambre funéraire et prévu que ceux-ci sont à la charge de l'établissement dans lequel la personne est décédée, si le transfert a eu lieu à la demande du directeur de l'établissement ; ils restent à la charge des familles si c'est à leur demande que le corps du défunt a été transporté à la chambre funéraire. A l'intérieur des chambres funéraires, les prestations effectuées relèvent, pour l'essentiel, du secteur libre.
B. - Les caractéristiques du marché
Les villes de Cannes et Antibes ainsi que les communes limitrophes de Mandelieu, Mougins, Le Cannet, Théoule et Vallauris constituent une agglomération d'environ 220 000 habitants ; le nombre de décès enregistrés dans cette agglomération est d'environ 3 000 par an.
Toutes ces communes ont confié l'organisation du service extérieur des pompes funèbres à la société Roblot.
Cette société occupe, dans ce secteur d'activité, le deuxième rang derrière la société Pompes funèbres générales dont elle était une filiale, avant de faire l'objet d'une absorption par convention du 18 mai 1991, approuvée par une assemblée générale du 27 juin 1991, qui a également adopté un projet d'apport partiel d'actif de la société des Pompes funèbres générales à la société des Pompes funèbres du Sud-Est, comportant notamment les fonds de commerce exploités à Cannes et à Antibes par la société Roblot. Cette dernière compte par ailleurs plusieurs filiales (Pompes funèbres rhodaniennes, Pompes funèbres méridionales, Pompes funèbres provençales, Agences funéraires du Midi). La société des Pompes funèbres du Sud-Est, qui vient aux droits et obligations de la société Roblot, dont elle a conservé la dénomination commerciale, a réalisé en 1992 un chiffre d'affaires de 494 millions de francs.
L'agglomération, telle que définie ci-dessus, se caractérise également par la présence à Cannes d'une agence de la société Agences funéraires du Midi (Pompes funèbres azuréennes) et d'une agence de la société Pompes funèbres réunies (sous le nom commercial Borniol-Lamy-Trouvain), filiale de la société des Pompes funèbres générales.
Par ailleurs, interviennent dans cette même agglomération de petites sociétés indépendantes créées par d'anciens franchisés Michel Leclerc. C'est ainsi qu'en décembre 1985 M. Delecour a créé au Cannet la SARL La Liberté, qui a fusionné en 1990 avec la SRDSF (SARL Société de recherche et développement des services funéraires), ainsi que la société des Pompes funèbres de France, enseigne reprise par la SRDSF. La SARL Funé-Cannes exerce à Cannes sous l'enseigne Pompes funèbres de la Liberté. En mai 1990 s'est constituée la société des Pompes funèbres mondiales, localisée à Cannes.
Installée depuis le début du siècle à Cannes et à Antibes, la société Roblot organise environ 60 p. 100 des convois dans l'agglomération ci-dessus définie. Sur la ville de Cannes, où sont enregistrés 60 p. 100 des décès intervenus dans cette même agglomération, les positions des différentes entreprises sont les suivantes :
EMPLACEMENT TABLEAU
Au plan national, on rappellera que, si le nombre de concessionnaires du service extérieur de pompes funèbres apparaît élevé en France (environ 500), l'offre de prestations du service extérieur est en fait dominée par la société Pompes funèbres générales et par ses filiales. La société Pompes funèbres générales est une filiale de la société Omnium de gestion et de financement, elle-même filiale de la Société Lyonnaise des Eaux-Dumez. Disposant d'une implantation nationale, avec un réseau de 220 agences environ, la société Pompes funèbres générales est concessionnaire avec ses filiales du service extérieur dans plus de 3 000 communes ou groupements de communes en 1989, couvrant 45 p. 100 de la population. Ces sociétés assurent l'organisation d'environ 42 p. 100 des funérailles en France. La position détenue par les entreprises de ce groupe apparaît d'autant plus importante qu'il n'existe aucune autre entreprise de taille équivalente dans ce secteur, qui compte environ 2 500 entreprises artisanales.
Les sociétés appartenant au groupe des Pompes funèbres générales détiennent environ un tiers des concessions accordées par les communes pour la gestion des chambres funéraires.
C. - Les pratiques
La société Roblot a été titulaire à Cannes de la concession du service extérieur des pompes funèbres jusqu'au 31 décembre 1991, date à laquelle la ville de Cannes a alors renoncé à organiser le service extérieur. Elle est concessionnaire de ce service public dans toutes les communes limitrophes. La société Roblot a en même temps obtenu à partir de 1962 la concession de la chambre funéraire de Cannes, dénommée " athanée ", qu'elle avait pris l'initiative de faire construire. Aux termes d'une convention de juillet 1981, le centre hospitalier de Cannes qui a fermé sa morgue la même année, utilise 1' " athanée " comme chambre mortuaire. C'est également vers l'" athanée " que sont dirigés les corps de personnes décédées dans les établissements de soins et de retraite privés de l'agglomération.
L'auteur de la saisine, après avoir constaté que pratiquement toute personne décédée à Cannes est orientée vers la chambre funéraire, dénonçait ce transfert systématique des défunts vers l'" athanée ", parfois contre le gré des familles, ainsi que la facturation aux familles, sans s'assurer de leur accord, des frais de transfert des corps des personnes décédées dans les établissements privés.
L'instruction a permis de confirmer qu'environ 90 p. 100 des personnes décédées à Cannes ou dans ses environs sont dirigées vers 1' " athanée ". Il est également apparu que la société Roblot facture systématiquement aux familles les frais de transfert à 1' " athanée " des personnes décédées dans les établissements privés, en partant du principe que " les cliniques demandent toujours l'accord des familles ", selon les déclarations du directeur de l'agence Roblot de Cannes. Trois familles ont témoigné de leur désaccord à un tel transfert (transfert de corps de Mme Fontaine le 25 février 1988 et de M. Snakers le 3 avril 1988 et de Morra le 1er juillet 1989).
La société Pompes funèbres de France ajoutait que la société Roblot abusait également de sa position dominante en développant des activités commerciales dans des locaux de la chambre funéraire et en entretenant une confusion systématique entre ses activités de concessionnaire du service extérieur, de gestionnaire de la chambre funéraire et enfin d'entreprise de funérailles. L'enquête a permis de constater que, jusqu'à l'automne 1988, la société Roblot a affecté deux bureaux au sein de l'" athanée" à la réception des familles, puis ouvert à compter de l'été 1989 un bureau provisoire dans un local attenant, utilisé pour les besoins de la concession du service extérieur.
Selon la partie saisissante, une telle confusion pouvait également résulter de la circonstance qu'à Mougins la société Roblot dispose, en vertu d'une convention passée avec la mairie, d'un bureau dans les locaux municipaux.
La saisine dénonçait également le fait qu'à plusieurs reprises la société Roblot avait tenté d'empêcher l'utilisation de l'" athanée " par des clients d'autres entreprises de pompes funèbres. Ces incidents commerciaux, parfois accompagnés de dénigrement envers la société des Pompes funèbres de France, ont consisté :
- à exiger le paiement préalable des frais de séjour en case réfrigérée du corps d'un défunt, avant d'autoriser le gérant de la société Pompes funèbres de France à accéder à l'" athanée ", le 5 décembre 1986 ;
- à faire des difficultés pour la location d'un salon d'exposition à deux familles les 9 décembre 1986 et 17 janvier 1987.
La société des Pompes funèbres de France dénonçait également les refus d'accès qui lui avaient été opposés aux cimetières de Cannes, de Mandelieu et d'Antibes.
Par ailleurs, l'examen des devis établis par les succursales d'Antibes et de Cannes de la société Roblot sur la période du 25 février au 15 mars 1990 a montré que les prix ne sont pas détaillés, seul un prix global pour les prestations de service, d'une part, et pour les produits, d'autre part, étant indiqué, qu'ils relèvent ou non du service extérieur. La société Roblot a reconnu avoir ainsi globalisé ses offres pendant une période de six mois au cours de l'année 1990.
Les directeurs de ces mêmes succursales de Cannes et d'Antibes ont également indiqué proposer à leur clientèle des modèles de cercueils équipés et des services complets comprenant, outre le corbillard, la mise à disposition de personnel d'exécution et l'accomplissement des démarches. Les cercueils ainsi présentés comprennent à la fois des éléments du service extérieur et des accessoires n'en relevant pas. Or, le catalogue mis à la disposition de la clientèle ne permet pas de compléter commodément son information.
L'enquête administrative a, par ailleurs, mis en évidence que ce type de présentation permettait d'associer systématiquement des accessoires plus onéreux. Ainsi, le premier prix des poignées sur les modèles exposés s'élève à 175,01 F, alors que l'ensemble de poignées le moins cher sur le catalogue de la société Roblot ressort à 73,96 F.
Les dirigeants de deux entreprises de pompes funèbres locales appartenant au groupe des PFG (Pompes funèbres réunies et Pompes funèbres azuréennes) ont, en outre, indiqué qu'ils ne pouvaient plus obtenir du concessionnaire certaines fournitures et prestations de service, tels le corbillard de 1re classe et les poignées prévues par le contrat de concession, le concessionnaire ne proposant plus que les prestations de classe supérieure et, donc, beaucoup plus chères.
Enfin, la société saisissante a fait valoir que la société Roblot, en rachetant plusieurs entreprises de pompes funèbres locales, dont elle a conservé en outre la dénomination commerciale, a fait une exploitation abusive de sa position dominante.
II. - SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL
Sur le marché à prendre en considération :
Considérant que les prestations funéraires comportent, comme il a été dit ci-dessus, outre le service intérieur dans les édifices cultuels, les prestations du service extérieur énumérées à l'article L. 362-1 du Code des communes, dans sa rédaction issue de la loi du 28 décembre 1904, et enfin des prestations dites libres ; que les mêmes dispositions ont confié le service extérieur aux communes à titre de service public, celles-ci pouvant l'assurer "soit directement, soit par entreprise, en se conformant aux lois et règlements sur les marchés de gré à gré et adjudications" ; qu'eu égard au comportement des familles comme aux pratiques des entreprises, l'ensemble des fournitures et services funéraires doit être considéré comme indissociable;
Considérant que, sous l'empire de la législation en vigueur à l'époque des faits, pour des funérailles en un lieu donné, les familles ne pouvaient s'adresser, dès lors que le service extérieur était organisé, qu'au titulaire du monopole, soit directement, soit par l'intermédiaire d'une agence de funérailles ; que si la loi susvisée du 9 janvier 1986 a élargi les possibilités de choix des familles, en prévoyant que celles-ci pouvaient s'adresser à la régie ou au concessionnaire non seulement de la commune de mise en bière, mais aussi du domicile ou encore du lieu d'inhumation, il ressort de l'instruction, et notamment des informations fournies par l'enquête, que les décès survenus à Cannes et dans les communes limitrophes d'Antibes, Le Cannet, Mandelieu, Mougins, Théoule et Vallauris concernent presque exclusivement des personnes qui y sont domiciliées et que les familles font appel dans la majorité des cas aux entreprises locales ;
Considérant qu'au moment des faits la société Roblot était concessionnaire du service extérieur des pompes funèbres pour l'ensemble de ces communes, l'assurant à travers ses agences de Cannes et Antibes ;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que, pour des funérailles dont les familles demandent l'organisation dans cette agglomération, situation la plus fréquente, le marché des pompes funèbres présente des caractéristiques telles que l'offre de produits et de services émanant d'entreprises ou des régies municipales extérieures à cette zone n'est pas substituable, en droit ou en fait, à celle des entreprises locales;
Sur l'existence d'une position dominante :
Considérant que sur le territoire ainsi défini par les communes de Cannes, Antibes, Le Cannet, Mandelieu,
Mougins, Théoule et Vallauris la société Roblot réalise entre 58 et 68 p. 100 des convois selon les années, sa filiale Les Pompes funèbres azuréennes en réalisant environ 5 p. 100 ; que les autres entreprises présentes sur ce marché ne réalisent qu'entre 5 p. 100 et 10 p. 100 des convois, seule la société des Pompes funèbres de France organisant un peu plus de 20 p. 100 des convois à partir de 1989 ; que la société Roblot est en outre chargée de l'exploitation de la chambre funéraire de Cannes, dite " athanée ", où sont admis, dans 90 p. 100 des cas, les corps des personnes décédées dans cette agglomération ; que, dès lors, la société Roblot doit être regardée comme occupant sur le territoire correspondant à ces sept communes une position dominante ;
Sur l'exploitation abusive de la position dominante :
En ce qui concerne les incidents commerciaux et les pressions dénoncés par la société Pompes funèbres de France.
Considérant, en premier lieu, que les pièces versées au dossier constatant les refus d'accès aux cimetières de l'Abadie à Cannes, d'Antibes et de Mandelieu opposés au représentant de la société des Pompes funèbres La Liberté ne permettent pas d'imputer de telles pratiques à la société Roblot ;
Considérant, en second lieu, qu'il n'est pas établi que, par les contacts qu'entretient normalement le concessionnaire avec le concédant, la société Roblot aurait fait pression sur les autorités communales pour amener celles-ci à empêcher l'activité de sociétés concurrentes ;
Considérant, en troisième lieu, que la circonstance que la société des Pompes funèbres générales ait racheté au cours des cinq dernières années plusieurs entreprises locales de pompes funèbres ne peut être qualifiée d'abus de position dominante ; que, de la même façon, ne peut être considéré comme constituant l'exploitation abusive d'une position dominante le fait pour la société des Pompes funèbres générales d'avoir poursuivi l'activité des entreprises locales qu'elle a acquises en conservant leur dénomination commerciale ; qu'enfin il n'est pas établi que la société Roblot aurait procédé à des détournements de clientèle sur le marché constitué par l'agglomération cannoise et les communes limitrophes en versant des commissions à des fonctionnaires locaux ou à des agents hospitaliers ;
En ce qui concerne l'orientation de la clientèle :
Considérant que l'installation jusqu'à l'automne 1988 de locaux commerciaux de l'entreprise Roblot à l'intérieur de la chambre funéraire de Cannes a aggravé la confusion par les familles entre les prestations du service extérieur et les prestations libres offertes dans la chambre funéraire, confusion rendue possible par le jeu des concessions dont bénéficie la société Roblot dans l'ensemble des communes ci-dessus défini;
Considérant, en outre, qu'en facturant aux familles les frais de transport des corps des personnes décédées dans les cliniques et maisons de retraite de l'agglomération sans s'assurer de l'accord de ces familles la société Roblot incite les directeurs de ces établissements à procéder au transfert des corps des défunts vers la chambre funéraire, en leur évitant ainsi d'avoir à en supporter le coût en cas de désaccord des familles ; que cette pratique, alors que le centre hospitalier général de Cannes décidait, après avoir supprimé sa morgue en 1981, de passer convention avec la société Roblot pour l'utilisation de l'" athanée ", a eu pour effet de renforcer le rôle de cette société, l'" athanée " accueillant, dans la quasi-totalité des cas, les corps des personnes décédées dans l'agglomération ;
Considérant, enfin, que les difficultés mises à l'accès à la chambre funéraire à l'encontre de certaines familles qui n'avaient pas choisi la société Roblot, concessionnaire du service extérieur, pour organiser l'ensemble des funérailles, ont eu pour objet d'empêcher la concurrence de se développer sur ce marché;
Considérant que l'ensemble de ces pratiques ont eu pour objet et pour effet de détourner la clientèle au profit de la société Roblot, ce qui lui a permis de restreindre le développement de la concurrence sur ce marché; que ces pratiques constituent, dès lors, une exploitation abusive de la position dominante de la société Roblot, prohibée par les articles 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986;
En ce qui concerne les autres pratiques :
Considérant que la présentation de cercueils munis d'accessoires, qui apparaissent n'être jamais choisis parmi les moins onéreux, ne permet pas aux familles de distinguer les fournitures relevant du service concédé et des prestations libres; qu'il ressort, en outre, de l'instruction qu'au cours des six premiers mois de l'année 1990 les devis soumis aux familles ne comportaient, contrairement à la réglementation en vigueur, qu'un prix global, d'une part, pour les fournitures et, d'autre part, pour les prestations de service; que ces pratiques, en empêchant les familles de mener un choix éclairé en ce qui concerne les prestations et fournitures, constituent une exploitation abusive de la position dominante que détient la société Roblot sur ce marché;
Considérant, enfin, qu'en ne fournissant pas aux agences de funérailles certains des produits et prestations de services les moins onéreux, pourtant prévus au contrat de concession, la société Roblot oblige ces agences à reporter leur demande sur des prestations plus coûteuses et limite ainsi artificiellement leur compétitivité; qu'elle fait par là également une exploitation abusive de sa position dominante;
Sur les justifications invoquées :
Considérant que la société Roblot ne peut valablement, pour s'exonérer, invoquer les violations du monopole qu'auraient commises les entreprises de l'agglomération indépendantes du groupe des Pompes funèbres générales; que s'il lui appartenait, en effet, d'user des voies de droit appropriées pour faire respecter le monopole légal dont bénéficie le concessionnaire du service extérieur, elle ne pouvait répondre à d'éventuelles infractions à la législation funéraire par des pratiques prohibées par l'ordonnance susvisée du 1er décembre 1986; qu'elle ne saurait non plus invoquer le fait que les incidents commerciaux qui lui sont reprochés dans l'agglomération de Cannes et des communes limitrophes ont déjà fait l'objet de condamnations par la juridiction pénale, dès lors que ceux-ci n'ont jamais été qualifiés au regard tant de l'article 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945 que de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Sur la sanction :
Considérant qu'aux termes de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 susvisée, applicable en l'espèce dès lors que les faits ayant donné lieu aux griefs ci-dessus retenus se sont produits et se sont poursuivis après l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 1er décembre 1986, le " Conseil de la concurrence ... peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement, soit en cas d'inexécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 5 p. 100 du montant du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos " ;
Considérant que les difficultés mises à l'accès à la chambre funéraire à l'encontre des familles n'ayant pas fait appel au concessionnaire pour l'organisation des funérailles ont cessé après janvier 1987 ; que la société Roblot a également cessé d'utiliser une partie de la chambre funéraire à des fins commerciales à compter de l'automne 1988 ; que l'instruction n'a pas permis d'établir que la présentation des devis qui, contrairement à la réglementation, globalisait le montant des fournitures, d'une part, et des prestations de services, d'autre part, aurait perduré au-delà des six premiers mois de l'année 1990 ; qu'à partir de 1989 la société concurrente Pompes funèbres de France a enregistré un développement important de son activité ;
Considérant, en revanche, que la société Roblot a persisté à facturer systématiquement aux familles le transfert à l'" athanée " des corps des personnes décédées dans les établissements privés de retraite ou de soins, sans s'assurer au préalable de l'accord de ces familles ; que, s'agissant de l'information des familles, tant sur l'étendue des prestations monopolisées que sur les tarifs, ses pratiques ont eu pour objet et pour effet d'empêcher celles-ci de faire un choix éclairé ; qu'ainsi, alors que le concessionnaire de service public a été choisi pour sa capacité à offrir des funérailles décentes au meilleur prix, le comportement de la société Roblot a eu pour objet et pour effet de renchérir le coût réel des funérailles, certaines des prestations les moins onéreuses de la concession n'apparaissant même plus être fournies ;
Considérant que, pendant la période de 1986 à 1990, les pratiques constatées ont empêché le libre jeu de la concurrence par les prix sur les prestations funéraires ; que le marché affecté par ces pratiques concerne environ 3 000 familles par an dans cette agglomération, qui connaît un taux de mortalité plus élevé que la moyenne nationale ; que le secteur des pompes funèbres, hormis les sociétés dépendant du groupe des Pompes funèbres générales, comporte essentiellement des entreprises artisanales travaillant sous la forme d'agences de funérailles ;
Considérant que l'ancienneté de l'implantation de la société Roblot comme l'importance de son rôle de concessionnaire de service public dans l'agglomération cannoise et les communes limitrophes lui ont permis de développer les pratiques sus analysées, aucune entreprise indépendante du groupe Pompes funèbres générales ne s'étant implantée durablement dans cette zone jusqu'en 1985 ;
Considérant que le secteur des pompes funèbres a fait l'objet de la part du Conseil de la concurrence d'un avis en 1988 (n° 88-A-01 des 12 et 21 janvier 1988) et d'une décision en 1990 (n° 90-D-06 du 16 janvier 1990) à l'encontre de la société des Pompes funèbres générales, pour des faits constatés dans la région de Fontainebleau et largement similaires à ceux qui sont reprochés à la société Roblot, dont celle-ci, appartenant au groupe des Pompes funèbres générales, ne pouvait ignorer la teneur ;
Considérant, enfin, que le comportement de la société Roblot est d'autant plus répréhensible que les familles des défunts se trouvent au moment où elles lui accordent leur confiance dans un état de dépendance lié, d'une part, à la nécessité d'organiser les funérailles et, d'autre part, au désarroi que le deuil est de nature à leur causer ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu d'infliger à la société des Pompes funèbres du Sud-Est, à laquelle sont imputables les pratiques des agences Roblot de Cannes et d'Antibes et dont le chiffre d'affaires est pour le dernier exercice clos de 494 millions de francs, une sanction pécuniaire de 1 000 000 F.
Décide :
Article 1er. Il est infligé à la société des Pompes funèbres du Sud-Est (Roblot) une sanction pécuniaire de 1 000 000 F.
Article 2 : Dans un délai maximum de trois mois suivant sa notification, le texte intégral de la présente décision sera publié, aux frais de la société des Pompes funèbres du Sud-Est (Roblot), dans la Gazette des communes, des départements et des régions et dans le journal Nice-Matin (édition des Alpes-Maritimes). Cette publication sera précédée de la mention " Décision du Conseil de la concurrence du 18 mai 1993 relative à des pratiques de la société des Pompes funèbres du Sud-Est (Roblot) à Cannes et dans les communes limitrophes ".