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Décisions

Conseil Conc., 18 mars 1997, n° 97-D-04

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Pratiques de la société Etablissements J. Beaudré réunis à Pontivy et dans les communes environnantes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré, sur le rapport de M. Alain Dupouy, par M. Barbeau, président, M. Cortesse, vice-président, , M. Rocca, membre, désigné en remplacement de M. Jenny, vice-président, empêché.

Conseil Conc. n° 97-D-04

18 mars 1997

Le Conseil de la concurrence (commission permanente),

Vu la lettre enregistrée le 27 juillet 1994 sous le numéro F 690 par laquelle la société Pompes funèbres Saint­Niel a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques de la société Pompes funèbres Pontivyennes, devenue société Etablissements J. Beaudré réunis ; Vu l'ordonnance n° 86­1243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 86­1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application ; Vu le Code des communes ; Vu la décision n° 94­MC­12 du Conseil de la concurrence en date du 23 novembre 1994, relative à une demande de mesures conservatoires présentée par la société Pompes funèbres Saint­Niel ; Vu les lettres du président du Conseil de la concurrence en date du 15 novembre 1996 notifiant aux parties et au commissaire du Gouvernement sa décision de porter l'affaire devant la commission permanente, en application de l'article 22 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; Vu les observations présentées par la société Etablissements J. Beaudré réunis et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés Pompes funèbres Saint­Niel et Etablissements J. Beaudré réunis entendus ; Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et sur les motifs (II) ci­après exposés :

I- CONSTATATIONS

A- L'organisation du service des pompes funèbres

1. La réglementation

Le service extérieur des pompes funèbres est une mission de service public dont le contenu actuel est défini par l'article L. 362­1 du Code des communes dans sa rédaction issue de la loi n° 93­23 du 8 janvier 1993 relative à la législation dans le domaine funéraire. Les prestations relevant du service extérieur sont les suivantes :

- le transport des corps avant et après mise en bière ;

- l'organisation des obsèques ;

- les soins de conservation ;

- la fourniture des housses, des cercueils et de leurs accessoires intérieurs et extérieurs ainsi que des urnes cinéraires ;

- la fourniture des tentures extérieures des maisons mortuaires ;

- la gestion et l'utilisation des chambres funéraires ;

- la fourniture des corbillards et des voitures de deuil ;

- la fourniture de personnel et des objets et prestations nécessaires aux obsèques, inhumations, exhumations et crémations, à l'exception des plaques funéraires, emblèmes religieux, fleurs, travaux divers d'imprimerie et de la marbrerie funéraire.

Sous l'empire de la législation antérieure, le transport des corps avant mise en bière et la gestion et l'utilisation des chambres funéraires ne faisaient pas partie des prestations du service extérieur.

La loi du 8 janvier 1993 a mis fin au monopole dont disposaient depuis la loi du 28 décembre 1904 les communes pour l'organisation du service extérieur des pompes funèbres. Désormais, cette mission peut être assurée non seulement par les communes ou leurs délégataires, mais aussi par toute autre entreprise ou association bénéficiaire d'une habilitation délivrée par le préfet. Toutefois, la loi du 8 janvier 1993 a prévu que pendant une période de trois ans, les contrats de concession conclus avant la date de publication de la loi continueraient à produire effet jusqu'à leur terme, ceux venant à échéance durant cette période ne pouvant être prorogés ni renouvelés.

Pour accroître la liberté de choix des familles, la loi n° 86­29 du 9 janvier 1986 avait assoupli les conditions d'exercice du service extérieur des pompes funèbres en prévoyant que " lorsque la commune du lieu de mise en bière n'est pas celle du domicile du défunt ou du lieu d'inhumation ou de crémation, la personne qui a qualité pour pourvoir aux funérailles ou son mandataire, si elle ne fait pas appel à la régie ou au concessionnaire de la commune du lieu de mise en bière, ... peut s'adresser à la régie, au concessionnaire ou, en l'absence d'organisation du service, à toute entreprise de pompes funèbres soit de la commune du lieu d'inhumation ou de crémation, soit de la commune du domicile du défunt ".

La création ou l'extension des chambres funéraires, qui permettent de recevoir le corps des personnes décédées avant l'inhumation ou la crémation, sont, en application de la loi de 1993, autorisées par décision préfectorale après avis du conseil municipal (décret n° 94­1024 du 23 novembre 1994). L'autorisation ne peut être refusée qu'en cas d'atteinte à l'ordre public ou de danger pour la salubrité publique.

L'article L. 361­19­1 du Code des communes, issu de la loi du 8 janvier 1993, dispose que "les établissements de santé publics et privés qui remplissent les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat doivent disposer d'une chambre mortuaire dans laquelle doit être déposé le corps des personnes qui y sont décédées". Le décret prévu par ce texte n'ayant pas encore été publié, continuent à s'appliquer les dispositions du décret n° 74­27 du 14 janvier 1974 relatif aux règles de fonctionnement des centres hospitaliers et des hôpitaux locaux (article 73), qui créent une obligation pour tout établissement public de santé de disposer d'une chambre mortuaire, sans préciser toutefois si cette chambre mortuaire doit obligatoirement se situer dans les locaux de l'hôpital.

2. La situation à Pontivy et dans les communes voisines

La situation de la concurrence à Pontivy et dans les communes voisines, dont a été saisi le Conseil de la concurrence, doit être appréciée au regard des dispositions applicables au moment des faits.

Par délibération du 28 mars 1990, la ville de Pontivy avait confié la concession du service extérieur des pompes funèbres à la société Pompes funèbres pontivyennes. La durée du contrat de concession était fixée à six ans. Après l'absorption de la société Pompes funèbres pontivyennes par la société Etablissements J. Beaudré réunis en 1992, la concession a été reprise par cette société avec l'accord de la ville de Pontivy. Depuis le 9 janvier 1996, trois ans après la publication de la loi du 8 janvier 1993, la société Etablissements J. Beaudré réunis ne bénéficie plus d'aucune exclusivité pour l'exploitation du service extérieur des pompes funèbres de la ville de Pontivy.

La commune de Saint­Thuriau, limitrophe de Pontivy, a conclu le 17 mai 1988 une convention avec la société Pompes funèbres pontivyennes pour la création et l'exploitation d'une chambre funéraire à Saint­Thuriau. La convention prévoit que les aménagements et équipements nécessaires au bon fonctionnement de la chambre funéraire sont à la charge des Pompes funèbres pontivyennes. L'admission à la chambre funéraire est de droit pour toute personne décédée sur le territoire de la ville de Saint­Thuriau, mais l'installation peut accueillir également les corps des personnes décédées hors de la commune.

Conclue pour une durée de six années à compter de la date de mise en service de la chambre funéraire, la convention est renouvelée par tacite reconduction par période de trois ans. Aucune exclusivité n'est prévue en faveur des Pompes funèbres pontivyennes, mais il est précisé qu'au cas où la ville de Saint­Thuriau autoriserait l'aménagement d'une ou plusieurs autres chambres funéraires sur son territoire, les parties se rencontreraient pour réexaminer les dispositions financières de la convention.

Une autre convention a été conclue le 11 juin 1990 par la société des Pompes funèbres pontivyennes avec le centre hospitalier de Pontivy. Cette convention, établie pour une durée de trois ans, renouvelable par tacite reconduction, prévoyait initialement que la chambre funéraire de Saint­Thuriau était la chambre mortuaire du centre hospitalier de Pontivy et recevait en conséquence les corps des personnes décédées à l'hôpital.

Pour tenir compte des observations de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales du Morbihan, cette clause a été supprimée par avenant du 24 mai 1991 et remplacée par les dispositions suivantes :

"Sur demande expresse des familles, les corps des personnes décédées au centre hospitalier de Pontivy seront transférés au funérarium de la société des Pompes funèbres pontivyennes.

Cette faculté ne s'oppose en aucun cas au transfert du corps, dans le délai légal de 18 heures après le décès, directement du centre hospitalier vers le domicile ou une autre structure funéraire dont la famille a le libre choix".

Une lettre de la direction du centre hospitalier en date du 18 juin 1996 fait toutefois apparaître que l'hôpital continue de régler à la société Etablissements J. Beaudré réunis les frais de séjour du corps à la chambre funéraire de Saint­Thuriau pendant les trois jours suivant le décès (seul est facturé aux familles un forfait de 396 F (chiffre 1994) pour le transport et le dépôt en cellule réfrigérée).

Dans une lettre du 17 juillet 1996 adressée à la société Pompes funèbres Saint­Niel, le directeur du centre hospitalier de Pontivy a fait connaître son intention de ne pas renouveler dans son contenu actuel la convention conclue avec la société Etablissements J. Beaudré réunis, à sa prochaine échéance en mai 1997.

B- Les caractéristiques du marché

Malgré la suppression progressive des restrictions au libre choix des familles, il apparaît que dans la très grande majorité des cas, les familles font appel pour l'organisation des funérailles à des entreprises locales, dont les bureaux se trouvent à proximité, selon les cas, du domicile du défunt, de la mairie de déclaration du décès, de la chambre funéraire ou du cimetière.

L'instruction a mis en lumière l'existence d'une zone d'attraction sanitaire constituée autour du centre hospitalier de Pontivy.

Cette zone, qui compte environ 70 000 habitants, regroupe les cantons suivants du Morbihan : Pontivy, Cléguérec, Guéméné, Rohan, Baud (en partie), Locminé (en partie), Gourin (en partie), Plouay (en partie), ainsi qu'une partie de quatre cantons des Côtes d'Armor (Mur­de­Bretagne, Gouarec, Rostrenen, Corlay).

Le nombre de décès survenant dans cette zone peut être estimé à environ 700 par an. En 1993, 531 décès ont été enregistrés à l'état civil de la mairie de Pontivy, dont 440 intervenus au centre hospitalier de Pontivy. En 1994, 391 décès sur 467 enregistrés à la mairie de Pontivy ont eu lieu au centre hospitalier ; en 1995, 378 sur 475 et en 1996, 406 sur 482. A ces chiffres s'ajoutent ceux des décès survenus en dehors de Pontivy et ayant donné lieu ou non à admission en chambre funéraire (64 décès extérieurs à Pontivy à la chambre funéraire de Saint­Thuriau en 1993 et 70 en 1994).

Le principal intervenant dans cette zone géographique est la société Etablissements J. Beaudré réunis. Cette société, dont le siège est à Dinan (22100), est l'ancien concessionnaire du service extérieur de la ville de Pontivy, l'exploitant de la chambre funéraire de Saint­Thuriau et le régisseur du cimetière de Pontivy. Cette société est une filiale de la société des Pompes funèbres générales Ouest, dont le siège est à Rennes. Depuis leur absorption par la société Etablissements J. Beaudré réunis, les Pompes funèbres pontivyennes, dont la dénomination commerciale a été conservée, sont devenues un établissement secondaire de cette société. La société Etablissements J. Beaudré réunis a réalisé en 1995 un chiffre d'affaires de 40 297 303 F.

L'établissement de Pontivy de la société a effectué 217 convois funéraires en 1994, dont 162 de personnes décédées à Pontivy. Elle en a effectué 188 en 1995 et 195 en 1996, dont respectivement 140 et 156 concernaient des personnes décédées à Pontivy. Le nombre total d'admissions à la chambre funéraire de Saint­Thuriau a été de 233 en 1994, 223 en 1995 et 205 en 1996.

La société à responsabilité limitée Pompes funèbres Saint­Niel est la seconde entreprise en importance de la zone (62 convois réalisés en 1994 et 56 en 1995). Installée à Noyal­Pontivy, elle dispose d'agences sur les communes de Rohan, Brehan et Kerfourn. Depuis juillet 1992, elle exploite une chambre funéraire à Noyal­Pontivy (51 passages en 1994 et 49 en 1995). Son chiffre d'affaires était de 1 212 273 F en 1993­1994 (exercice clos le 31 mars) et de 724 893 F en 1994­1995.

Une vingtaine d'autres entreprises exercent une activité de pompes funèbres dans la zone géographique considérée. Il s'agit d'entreprises de dimension modeste, dont l'activité de pompes funèbres est parfois exercée à titre accessoire (ambulanciers, menuisiers, etc) et qui n'interviennent pas ou peu en dehors de leur commune d'implantation. Plusieurs d'entre elles exploitent une chambre funéraire.

C- Les pratiques

1. L'orientation de la clientèle vers la chambre funéraire de Saint­Thuriau

L'auteur de la saisine dénonce le transfert quasi systématique des corps des personnes décédées au centre hospitalier de Pontivy vers la chambre funéraire de Saint­Thuriau exploitée par la société Etablissements J. Beaudré réunis, permettant à cette société d'organiser les funérailles de la plupart de ces personnes.

A l'origine, la convention passée entre le centre hospitalier de Pontivy et les Pompes funèbres pontivyennes prévoyait que les corps des personnes décédées à l'hôpital étaient transférés dans la chambre funéraire de Saint­Thuriau faisant office de chambre mortuaire de l'hôpital. Cette clause d'exclusivité a été supprimée en 1991 et remplacée par une disposition subordonnant à une demande expresse des familles le transfert des corps vers la chambre funéraire de Saint­Thuriau.

La société saisissante considère toutefois que cette modification contractuelle n'empêche pas la poursuite des pratiques de pression sur les familles afin que les corps soient transférés vers la chambre funéraire des Etablissements J. Beaudré réunis. Elle produit plusieurs témoignages en ce sens de personnes dont un parent est décédé à l'hôpital.

L'instruction a permis d'établir que lorsqu'un décès survient au centre hospitalier de Pontivy, une note d'information sur le fonctionnement du service mortuaire est remise aux familles, puis lorsqu'elles ont fait part de leur volonté quant au lieu de destination du corps, il leur est demandé de remplir et signer une demande de transport de corps avant mise en bière (sauf lorsque le corps ne quitte pas le territoire de la commune de Pontivy).

La première note d'information diffusée par l'hôpital rappelait la liberté de choix des familles pour le transfert du corps de leur défunt, mais ne mentionnait que le nom du funérarium de Saint­Thuriau et les conséquences financières du choix de cette destination. La note diffusée depuis le 25 janvier 1994 fournit la liste des principales chambres funéraires de la région de Pontivy.

Le formulaire de demande de transport de corps avant mise en bière utilisé par l'hôpital jusqu'au dernier trimestre de 1994 comportait la mention pré-imprimée : "demande de transport au funérarium de la société des Pompes funèbres pontivyennes". Le formulaire employé à partir de cette date porte seulement la mention : "demande de transport à (adresse exacte)".

Dans l'attente du choix des familles, les corps des personnes décédées sont déposés dans une morgue­relais de l'hôpital, d'une capacité de deux places.

Les données chiffrées recueillies lors de l'enquête administrative font apparaître, d'une part, que les transferts vers des chambres funéraires concernent selon les années entre la moitié et les deux tiers des décès survenant au centre hospitalier de Pontivy et, d'autre part, que le funérarium de Saint­Thuriau représente environ la moitié du total des admissions en chambre funéraire en provenance de l'hôpital.

2. L'installation de locaux commerciaux dans le bâtiment abritant la chambre funéraire

L'enquête administrative a révélé qu'en mai 1993, la société Etablissements J. Beaudré réunis avait transféré la majeure partie de son activité commerciale de ses anciens locaux situés rue du Général de Gaulle à Pontivy vers le bâtiment de Saint­Thuriau abritant le funérarium. Depuis cette date, les dossiers d'obsèques sont traités dans les locaux de Saint­Thuriau, les locaux de Pontivy étant essentiellement utilisés pour la vente d'articles funéraires.

L'article L. 361­19 du Code des communes dispose que les locaux où l'entreprise ou l'association gestionnaire de la chambre funéraire offre les autres prestations de pompes funèbres doivent être distincts de ceux abritant la chambre funéraire.

Le plan remis aux enquêteurs par le directeur de l'établissement de Pontivy de la société Etablissements J. Beaudré réunis permet de constater que la chambre funéraire et le local commercial sont séparés par un mur intérieur dépourvu de porte de communication. L'entrée de la chambre funéraire est située au centre du bâtiment, celle des bureaux commerciaux sur la droite du bâtiment. La première est signalée à l'attention du public par un panneau "funérarium", la seconde par un panneau "bureau Pompes funèbres".

Il a également été constaté qu'un classeur est à la disposition du public dans le hall d'accueil du funérarium : il comporte la convention d'exploitation, les tarifs et le règlement intérieur de la chambre funéraire, ainsi que la liste des entreprises de pompes funèbres de la région de Pontivy (nom, adresse, numéro de téléphone) précédée de la mention : "les familles sont libres du choix de leur entreprise de pompes funèbres". Cette liste est affichée à l'entrée du funérarium.

Par ailleurs, il existe depuis 1994 deux lignes téléphoniques distinctes pour le funérarium et les locaux commerciaux de Saint­Thuriau. Un troisième numéro permet d'appeler le local situé rue du Général de Gaulle à Pontivy.

3. La garantie­obsèques

L'auteur de la saisine dénonce également l'attribution au personnel du centre hospitalier de Pontivy d'une garantie­obsèques souscrite auprès du Groupement Association de Prévoyance Familiale (GAPF), organisme qui serait une émanation de la société Pompes funèbres générales dont la société Etablissements J. Beaudré réunis est une filiale.

Ce régime de prévoyance, auquel adhéreraient environ 150 des 680 agents que compte le centre hospitalier de Pontivy, ouvre droit, en cas de décès de l'agent ou de son conjoint, au versement d'une somme forfaitaire, au titre notamment des frais d'obsèques.

Selon le directeur régional des Pompes funèbres générales Ouest, interrogé par les enquêteurs, le Groupement association de prévoyance familiale n'a aucun lien, même si leurs sigles sont identiques, avec le Groupement auxiliaire de prévoyance funéraire, qui gère les contrats de prévoyance funéraire souscrits par les clients des Pompes funèbres générales.

Les éléments recueillis au cours de l'instruction ne permettent pas de conclure à l'existence de liens d'ordre institutionnel ou financier entre le groupe des Pompes funèbres générales et l'association de prévoyance familiale.

4. La présentation des cercueils

Une pièce des locaux commerciaux de la société Etablissements J. Beaudré réunis à Saint­Thuriau est utilisée comme salle d'exposition des cercueils proposés aux familles. Les enquêteurs ont constaté qu'aucun des cercueils exposés ne correspondait à ceux qui devaient obligatoirement être proposés aux familles en vertu du contrat de concession. Alors que les trois modèles de cercueils entrant dans le cadre du service extérieur concédé avaient des prix compris entre 922 F TTC et 2 621 F TTC, ceux présentés au public étaient choisis parmi des modèles d'une gamme supérieure, dont les tarifs variaient entre 2 950 F TTC et 5 424 F TTC. En outre, ils étaient équipés de fournitures dont certaines seulement étaient prévues par le contrat de concession, les autres, plus onéreuses, ne relevant pas du service concédé.

II- SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL,

Sur la saisine du Conseil :

Considérant que la société Etablissements J. Beaudré réunis soutient que le Conseil de la concurrence ne peut examiner les pratiques ayant fait l'objet des griefs notifiés dès lors qu'elles ne sont pas visées dans la saisine de la société Pompes funèbres Saint­Niel, laquelle serait irrecevable en l'absence de tout élément probant, et qu'elles n'ont pas donné lieu à une saisine d'office ;

Mais considérant que le Conseil de la concurrence, qui s'est prononcé sur la recevabilité de la saisine de la société Pompes funèbres Saint­Niel dans sa décision du 23 novembre 1994, est saisi in rem et n'est lié ni par les demandes de la partie saisissante, ni par les faits énoncés dans la saisine, ni par les qualifications proposées; qu'il peut examiner, sans avoir à se saisir d'office en application de l'article 11 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, les pratiques anticoncurrentielles révélées au cours de l'instruction dès lors que, comme c'est le cas en l'espèce, ces pratiques concernent les mêmes marchés ou des marchés connexes, sont antérieures à l'acte de saisine, se rattachent aux comportements économiques dénoncés, visent au même objet ou peuvent avoir le même effet ;

Sur le marché à prendre en considération :

Considérant, en premier lieu, que les prestations funéraires comportent les prestations du service extérieur, celles qui relèvent du service intérieur dans les édifices religieux et enfin des prestations dites libres ; qu'eu égard au comportement des familles et aux pratiques des opérateurs, l'ensemble des produits et services funéraires est indissociable; qu'ainsi, les services assurés dans les chambres funéraires appartiennent au même marché que celui sur lequel sont proposées les autres prestations de pompes funèbres;

Considérant, en second lieu, que pour l'organisation des funérailles, les familles font appel dans la majorité des cas à des entreprises locales ; que, dès lors, l'offre de services d'entreprises éloignées du domicile de la famille ou du lieu du décès n'est pas substituable dans les faits à celles des entreprises locales; qu'il résulte de l'instruction que le centre hospitalier de Pontivy accueille des malades domiciliés à Pontivy mais aussi dans une quarantaine de communes environnantes ; que, de ce fait, une proportion importante des décès enregistrés à la mairie de Pontivy concerne des personnes qui étaient hospitalisées dans cette ville mais n'y étaient pas domiciliées ; qu'il convient de relever par ailleurs que de toutes les communes faisant partie de la zone d'attraction sanitaire de l'hôpital, la ville de Pontivy était la seule à avoir organisé le service extérieur de pompes funèbres en le confiant par voie de concession à la société Etablissements J. Beaudré réunis; que cette situation a mis la société Beaudré en mesure d'intervenir dans toutes les communes de la zone ; qu'il résulte de ce qui précède que le marché géographique à prendre en considération coïncide en l'espèce avec le ressort territorial des communes constituant la zone d'attraction sanitaire du centre hospitalier de Pontivy;

Sur la position de la société Etablissements J. Beaudré réunis sur le marché de référence :

Considérant que la société Etablissements J. Beaudré réunis réalise environ 30 % des convois funéraires de la zone de référence ; que, dans la moitié des cas environ, les corps des défunts séjournant en chambre funéraire sont transférés à la chambre funéraire de Saint­Thuriau exploitée par cette société ; qu'il existe une vingtaine d'autres entreprises de pompes funèbres dans cette zone et neuf autres chambres funéraires, dont celle exploitée par la société saisissante ; que, si la position de la société Etablissements J. Beaudré réunis reste forte sur la ville de Pontivy malgré les possibilités d'intervention ouvertes à d'autres opérateurs depuis la loi du 9 janvier 1986, le nombre d'obsèques de personnes décédées à Pontivy qu'elle organise a connu une diminution au cours des dernières années ; qu'en outre, la convention définissant les conditions de transfert en chambre funéraire des corps des personnes décédées à l'hôpital de Pontivy ne prévoit plus d'exclusivité au profit de la société Etablissements J. Beaudré réunis depuis mai 1991 ; qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que la société Etablissements J. Beaudré réunis ne peut être regardée comme occupant une position dominante sur le marché des pompes funèbres de la ville de Pontivy et des communes environnantes ;

Sur l'application de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 :

Considérant que la société saisissante allègue que la société Etablissements J. Beaudré réunis fait pression sur la direction du centre hospitalier de Pontivy pour amener celle­ci à orienter la clientèle vers la chambre funéraire de Saint­Thuriau plutôt que vers d'autres chambres funéraires existant dans la zone de référence ; qu'elle soutient en outre que le Groupement Association de Prévoyance Familiale (GAPF), auprès duquel le personnel du centre hospitalier de Pontivy peut souscrire une garantie­obsèques à des conditions préférentielles, serait une émanation de la société des Pompes funèbres générales, dont la société Etablissements J. Beaudré réunis est une filiale ;

Mais considérant qu'en l'absence de position dominante de la société Etablissements J. Beaudré réunis révélée par l'instruction, les pratiques qui lui sont reprochées par la société Pompes funèbres Saint­Niel ne sont pas susceptibles d'être qualifiées au regard des dispositions de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 prohibant les abus de position dominante,

Décide :

Article unique : Il n'est pas établi que la société Etablissements J. Beaudré réunis ait enfreint les dispositions de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.