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Décisions

Conseil Conc., 3 décembre 1997, n° 97-D-86

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Pratiques relevées dans le secteur des chronotachygraphes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré, sur le rapport de Mme Nathalie Massias, par M. Barbeau, président, M. Cortesse, vice­président, , M. Gicquel, membre, désigné en remplacement de M. Jenny, vice­président, empêché.

Conseil Conc. n° 97-D-86

3 décembre 1997

Le Conseil de la concurrence (commission permanente),

Vu la lettre enregistrée le 30 décembre 1993, par laquelle le ministre de l'Economie a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre dans le secteur des chronotachygraphes ; Vu l'ordonnance n° 86­1243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 86­1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application ; Vu les observations présentées par la société VDO Kienzle Vente et Service SA et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants de la société VDO Kienzle Vente et Service SA entendus ; Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et les motifs (II) ci­après exposés :

I- CONSTATATIONS

A- Le secteur concerné

1. Le cadre juridique

Les obligations concernant l'installation et l'utilisation des chronotachygraphes sont prévues par le règlement du Conseil des ministres des Communautés européennes n° 3821-85 du 20 décembre 1985 concernant l'appareil de contrôle dans le domaine des transports par route.

Ses dispositions ont été transposées en droit national par le décret n° 86­1130 du 17 octobre 1986 relatif à l'application des dispositions du règlement CEE n° 3820-85 relatif à l'harmonisation de certaines dispositions en matière sociale dans le domaine des transports par route et du règlement CEE n° 3821-85 concernant l'appareil de contrôle.

L'article 3 du règlement n° 3821-85 rend obligatoire sur tout véhicule de transport de marchandises et de voyageurs immatriculé dans un Etat membre, l'installation et l'utilisation d'un chronotachygraphe, appareil de contrôle des transports routiers.

Sont exemptés de l'obligation d'installation, les véhicules mentionnés aux articles 4 et 14 du règlement n° 3820-85, c'est­à­dire les véhicules de transport de marchandises d'un poids inférieur à 3,5 tonnes, les véhicules de l'armée et de la police, les véhicules de pompiers, ou affectés à des états d'urgence, à des missions de sauvetage ou médicales, les véhicules spécialisés de dépannage et les véhicules affectés aux transports nationaux réguliers des voyageurs.

En outre, le règlement n° 3821-85 laisse aux Etats membres le soin d'accorder des dispenses permanentes aux véhicules suivants : véhicules utilisés par les autorités publiques pour des services publics qui ne concurrencent pas les transporteurs professionnels, véhicules transportant des carcasses d'animaux non destinés à la consommation humaine, véhicules utilisés pour le transport d'animaux vivants, des fermes aux marchés locaux, véhicules utilisés comme boutiques et véhicules transportant du matériel à utiliser dans le cadre du métier de leur conducteur et circulant dans un rayon de 50 kilomètres autour de leur point d'attache. L'article 2 du décret n° 91­223 du 22 février 1991, pris pour l'application de l'article 13 de ce règlement, dispense de façon permanente ces catégories.

Certaines dispenses temporaires peuvent être accordées avec l'accord de la Commission.

Au plan national, sont également assujettis à l'obligation d'être équipés d'un chronotachygraphe, les véhicules de transport régulier de voyageurs effectuant des trajets de plus de 150 kilomètres, comportant plus de 23 places et les véhicules de transport scolaire, comportant plus de 9 places.

Le chronotachygraphe doit enregistrer sur disque les renseignements suivants : distance parcourue par le véhicule, vitesse du véhicule, temps de conduite, autres temps de travail ou temps d'attente, interruptions de travail et temps de repos journalier, ouverture du boîtier contenant le disque d'enregistrement. Celui-ci est en papier enduit de paraffine et correspond à une durée d'utilisation d'au moins 24 heures. Il doit être conservé un an après utilisation. Il est divisé en quatre zones d'enregistrement, comportant indication des heures, vitesses, divers temps (temps de conduite, autres temps de travail, temps d'attente et temps de repos) et distance parcourue. Il comporte un espace pour recevoir des inscriptions manuscrites : nom et prénom du conducteur, date et lieu de début et de fin d'utilisation du disque, relevé de départ et d'arrivée du compteur kilométrique.

Tout modèle de chronotachygraphe et de disque d'enregistrement doit faire l'objet d'une demande d'homologation du fabricant auprès de l'Etat membre. Cette homologation est accordée par les autorités compétentes de l'Etat membre, à savoir, pour la France, le ministre chargé de l'industrie.

Seuls les organismes agréés par les autorités compétentes des Etats membres sont autorisés à effectuer les installations, réparations et vérifications périodiques des chronotachygraphes. Les installateurs, réparateurs et vérificateurs ne doivent pas avoir d'activité liée au transport par route ou au commerce des véhicules de transport. Ils exploitent généralement des garages d'entretien et de réparation de poids lourds et véhicules utilitaires.

Une vérification du chronotachygraphe est effectuée systématiquement par les installateurs agréés, après installation, sur des bancs d'essai. Elle consiste à vérifier que l'appareil ne dépasse pas la marge d'erreur maximale autorisée. De plus, une vérification du chronotachygraphe doit être effectuée au moins tous les deux ans par les centres de vérification périodique agréés.

Les chronotachygraphes font l'objet d'une vérification de conformité systématique par les services des directions régionales de l'industrie, dans les ateliers des fabricants et importateurs, pour les appareils neufs et dans ceux des réparateurs, pour les appareils réparés. A cette occasion, ces services apposent des scellements sur les appareils. Ils peuvent, en outre, procéder à des contrôles inopinés.

Enfin, les contrôles des conducteurs et des transporteurs, effectués par les fonctionnaires chargés de constater les infractions au code de la route, portent sur le respect des vitesses autorisées et des temps de conduite et de repos.

2. Les produits

Le chronotachygraphe se présente comme un boîtier, lui­même composé de deux boîtiers reliés par une alimentation électrique. L'un d'eux sert à l'ouverture du chronotachygraphe, il est visible sur le tableau de bord du véhicule et porte les indications de la vitesse, des heures et du kilométrage. L'autre contient le mécanisme de mesure et les stylets servant à l'inscription des informations sur le disque qui s'insère entre les deux boîtiers.

La chaîne cinématique est constituée de l'ensemble des pièces qui relient les roues du véhicule à la boîte de vitesse et transmettent au chronotachygraphe les informations sur la vitesse et la distance. Un adaptateur relie le chronotachygraphe à la boîte de vitesse.

A l'époque des faits relevés par la saisine, il existait en France deux types de chronotachygraphes : d'une part, les appareils mécaniques, standards ou automatiques, ces derniers disposant, pour la transcription sur disque des divers temps, d'un déclenchement automatique ; d'autre part, les appareils électroniques, apparus à partir de 1980, reliés à la boîte de vitesse par cordon électrique générateur d'impulsions et non par câble, contrairement aux chronotachygraphes mécaniques.

L'installation, consécutive à la vente des chronotachygraphes, s'effectue soit en première, soit en seconde monte. La première monte est l'installation initiale des appareils sur les véhicules neufs. La seconde monte est le remplacement, sur les véhicules déjà immatriculés, des appareils défectueux, par des appareils neufs ou réparés.

En raison de la durée de réparation d'un chronotachygraphe et du coût d'immobilisation du véhicule, les appareils défectueux sont remplacés immédiatement par un autre appareil en état de fonctionnement.

Le chronotachygraphe posé en seconde monte est, dans la plupart des cas, un appareil qui a déjà été réparé. La pose d'un tel appareil ressortit soit à la procédure de l'échange­standard, soit à celle de l'échange réparation.

L'échange­standard consiste à remplacer l'appareil défectueux par un appareil d'occasion qui a subi une révision complète des mécanismes d'horlogerie et de mesure des vitesses et des distances.

L'échange réparation consiste à remplacer l'appareil défectueux par un appareil en état de fonctionnement sur lequel n'ont été changées que les pièces défectueuses et les pièces usées se trouvant à proximité immédiate de celles­ci, à réparer l'appareil défectueux du client et à lui facturer le coût des pièces remplacées sur son appareil. Une fois celui­ci réparé, il est posé sur un autre véhicule.

3. La distribution des chronotachygraphes en France

a) Le groupe Kienzle

La société dénommée, en 1992, Mannesmann Kienzle GmbH, devenue VDO Kienzle GmbH depuis le 31 juillet 1995, dont le siège est situé à Villingen, en Allemagne, vend directement des chronotachygraphes neufs à la société française RVI.

Pour la vente en France des chronotachygraphes destinés à la seconde monte et leur réparation, cette société a concédé les droits exclusifs de représentation commerciale et de services techniques à la société dénommée Mannesmann Kienzle en 1992, puis VDO Kienzle SA en 1994 et 1995, puis VDO Kienzle Vente et Service SA depuis le début de l'année 1996.

La société Mannesmann Kienzle, devenue VDO Kienzle Vente et Service SA, commercialise en France, outre les chronotachygraphes, qui représentaient, en 1992, 48 % de son chiffre d'affaires, des produits complémentaires tels que les produits "d'informatique embarquée" (ordinateurs de bord, terminaux portables, carnets de bord, limiteurs de vitesse, indicateurs de consommation instantanée, etc.), les téléphones de véhicules, têtes de lecture des disques et distributeurs de carburant.

A l'époque des faits, le réseau français des distributeurs de la marque Kienzle était divisé en 12 directions régionales. Il comportait 417 installateurs de chronotachygraphes, 17 "centres régionaux de réparation", qui pouvaient être aussi installateurs et 7 "succursales de réparation", étant précisé que les 12 directions régionales étaient assumées par les 7 succursales de réparation et 5 centres régionaux de réparation, dont le champ de compétence géographique en matière de réparation était moins étendu que celui de leur compétence de direction régionale.

En 1992, la société Mannesmann Kienzle était liée à ses installateurs agréés par un contrat intitulé "station service", qui ne comporte pas de clause d'exclusivité géographique mais une obligation d'achat exclusif des produits Kienzle, figurant à l'article 12.1 du contrat.

Les installateurs du réseau Kienzle ne procèdent qu'à l'installation en seconde monte, la clientèle de la première monte, c'est­à­dire celle des constructeurs automobiles et des grands acheteurs dont l'activité n'est pas limitée à la région étant réservée à la société Mannesmann Kienzle en vertu de l'article 6.3 du contrat la liant aux installateurs.

Les réparateurs sont liés à la société Mannesmann Kienzle par un contrat dit de "station agréée pour la réparation des chronotachygraphes mécaniques" ou de "station agréée pour la réparation des chronotachygraphes électroniques". Ils approvisionnent en appareils réparés les installateurs Kienzle dépendant de leur secteur.

b) La société Magneti Marelli

La société Magneti Marelli, qui produit la marque de chronotachygraphes Gitac, est une filiale du groupe Fiat spécialisée dans l'équipement des poids lourds et des véhicules de tourisme. Depuis 1992, elle vend ses chronotachygraphes aux stations services par l'intermédiaire de douze concessionnaires régionaux.

Comme c'est le cas pour le réseau Kienzle, les installateurs du réseau Magneti Marelli n'interviennent que pour la seconde monte, l'article 5 du contrat de concession de la société Magneti Marelli lui réservant la clientèle des constructeurs automobiles. La société Magneti Marelli ne commercialise plus d'échanges­standard depuis 1992. En outre, elle ne vend pas de pièces détachées et n'a pas mis en place en France de réseau de réparateurs.

c) La société Veeder Root

La société Veeder Root, filiale du groupe américain Western Pacific, a comme représentant exclusif en France la société Lucas distribution, société de distribution d'équipement automobile. Cette société est liée avec les stations par de simples accords de partenariat ne comportant pas de clause d'exclusivité. De plus, certaines stations distribuent la marque Veeder Root en dehors de tout accord de partenariat. Comme la société Magneti Marelli, la société Lucas distribution ne commercialise plus d'échanges­standard, ne diffuse pas de pièces détachées et n'a pas mis en place en France de réseau de réparateurs.

d) Les installateurs et réparateurs indépendants des fabricants

Certains installateurs agréés par le ministère de l'industrie exercent leur activité en dehors des réseaux précités. Pour s'approvisionner en chronotachygraphes de seconde monte (échanges­standard ou échanges réparations), ils ont recours soit à des réparateurs indépendants, soit à des installateurs attachés à un réseau, qui exercent, à titre indépendant, une activité de réparateur.

B- Les pratiques constatées

1. L'application de la clause d'approvisionnement exclusif du contrat "station service" Kienzle

L'article 12 du contrat "station service" liant les installateurs à la société Mannesmann Kienzle en 1992 stipule :

"12.1­ Dans le cadre de la réglementation en vigueur, la station service s'engage à n'exercer directement ou indirectement aucune activité pendant la durée du contrat pour des entreprises se trouvant en concurrence avec Mannesmann Kienzle et à ne pas vendre leurs produits sans l'autorisation de Mannesmann Kienzle.

12.2­ Sont considérées comme entreprises concurrentes, les entreprises qui fabriquent ou vendent des produits visés à l'article 1 par leur technique ou leurs possibilités d'application.

12.3­ La station service s'engage à ne pas faire directement concurrence à Kienzle­France ou à Kienzle­Apparate. En particulier, elle ne fabriquera, ni ne vendra d'appareils concurrents ou similaires aux produits mentionnés à l'article 1 y compris pièces de rechange, disques diagramme et accessoires".

L'article 2 du contrat de partenariat actuellement en vigueur stipule : "Le partenaire assure le service exclusivement des produits VDO Kienzle et s'interdit de devenir le distributeur agréé d'une marque concurrente".

L'instruction a révélé que certains signataires du contrat de distribution Kienzle étaient affranchis de l'obligation d'achat exclusif sans pour autant se voir privés du droit d'utiliser l'enseigne Kienzle. Les sociétés SA Roby et SA Arques Electro Diesel notamment, signataires du contrat de distribution, avaient, à l'époque des faits, la possibilité de distribuer plusieurs marques, la clause d'achat exclusif ayant, dans leur cas, été rayée du contrat.

2. Les clauses imposant aux installateurs et aux réparateurs agréés Kienzle un approvisionnement exclusif en outillage auprès de la société Mannesmann Kienzle

L'article 3.3 du contrat "station service" en vigueur jusqu'en 1992 stipule : "La station service achète exclusivement à Mannesmann­Kienzle les outillages nécessaires pour l'exécution des travaux qui lui incombent en vertu du présent contrat".

L'article 3.3.1 du contrat de réparation des appareils mécaniques stipule : "La station (...) doit obligatoirement se doter des outillages spéciaux suivants, nécessaires à la maintenance des chronotachygraphes :

- 1 banc d'essai complet (...)

- 1 liseur à disques (...)

- 1 métrix 202 B

- 1 fer à souder pour circuits électroniques (thermostaté).

Ces outillages, à l'exception des deux derniers, sont achetés auprès de Kienzle France".

L'accord relatif à la réparation des appareils électroniques comporte une clause identique.

3. La clause de réparation exclusive figurant dans les contrats de réparateur agréé Kienzle

Les contrats intitulés "centre régional de réparation" qui lient la société Mannesmann Kienzle aux réparateurs qu'elle agrée stipulent que les réparateurs ne doivent pas réparer de matériels de marques concurrentes.

Ainsi, l'article 1.2 du contrat relatif à la réparation des chronotachygraphes mécaniques en vigueur en 1992 stipule­t­il : "La réparation d'appareils d'une marque concurrente est formellement exclue". L'article 1.1 de l'accord relatif à la réparation des chronotachygraphes électroniques contient la même clause.

4. La clause d'interdiction de rétrocession de pièces détachées figurant dans les contrats de réparateur agréé kienzle

L'article 3.4.1 de l'accord relatif à la réparation des chronotachygraphes mécaniques stipule : "La station service (...) s'engage à ne pas fournir de pièces détachées à un agent ou client qui lui en ferait la demande, sans accord préalable de Kienzle France".

L'article 2.7 de l'accord relatif à la réparation des chronotachygraphes électroniques comporte la même stipulation.

5. Les pratiques relevées sur le marché des disques

L'article 13.3 des conditions générales de vente en vigueur en 1992 indique : "La garantie du vendeur ne joue que dans le cas d'utilisation de pièces ou accessoires de qualité ; en conséquence, l'utilisation de pièces ou accessoires de mauvaise qualité entraîne la suppression de tout droit à garantie. Afin de permettre l'appréciation des causes de la panne, tout appareil présenté à la réparation sous garantie doit l'être avec une photocopie certifiée conforme du dernier disque utilisé, Kienzle se réservant le droit de demander en cas de litige un examen du disque original. A défaut, et si la panne constatée a pour cause la qualité insuffisante du disque, la garantie est exclue".

Outre la garantie prévue dans ses conditions générales de vente, la société propose une garantie de deux ans spécifique au chronotachygraphe électronique 1318. Aux termes de l'article 5 du contrat d'assurance de cet appareil : "Le contrat d'assurance ne produit ses effets qu'à la condition de n'utiliser que des disques d'origine Kienzle. L'utilisation de disques d'une autre origine entraînerait l'annulation immédiate du présent contrat". Le contrat optionnel qui permet au client de souscrire une garantie complémentaire pour les troisième et quatrième années d'utilisation du chronotachygraphe 1318 contient, en son article 5, une clause identique.

L'instruction a révélé que de tels contrats de garantie avaient été conclus à l'époque des faits relevés dans la saisine.

II- SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL,

Sur le marché de référence :

Considérant que le marché à prendre en considération est celui de la seconde monte, sur lequel se rencontrent l'offre de chronotachygraphes de remplacement, constituée essentiellement d'appareils révisés ou réparés, et la demande exprimée par les transporteurs équipés d'un chronotachygraphe défectueux ; que ce marché est distinct de celui de la première monte où se confrontent l'offre de chronotachygraphes neufs par les fabricants et la demande des constructeurs automobiles;

Sur la position occupée sur le marché de la seconde monte de chronotachygraphes par la société VDO Kienzle Vente et Service SA :

Considérant que la société VDO Kienzle Vente et Service SA, venant aux droits de la société Mannesmann Kienzle, estime qu'elle détenait en 1992, 60 % du marché de la seconde monte de chronotachygraphes, la part de marché détenue par les sociétés Magneti Marelli et Veeder Root étant estimée respectivement à 30 et 10 % ; que les sociétés Magneti Marelli et Veeder Root n'ont pas mis en place de réseau d'agents agréés et sont en situation de repli technologique et commercial sur les marchés de la première et de la seconde monte; qu'il résulte de ces éléments et n'est d'ailleurs pas contesté que la société Mannesmann Kienzle occupait, à l'époque des faits, une position dominante sur le marché de la seconde monte de chronotachygraphes;

Sur les pratiques relevées :

En ce qui concerne l'application de la clause d'approvisionnement exclusif des contrats "station service" :

Considérant que si la société Mannesmann Kienzle a signé, avec quelques uns des distributeurs de son réseau, un contrat ne comportant pas de clause d'approvisionnement exclusif, il ne résulte pas de l'instruction que le traitement réservé à ces distributeurs, compte tenu de son caractère exceptionnel, et alors qu'il n'est pas établi que lesdits distributeurs se seraient trouvés en concurrence avec d'autres distributeurs agréés par la société Mannesmann Kienzle, qui se seraient de ce fait trouvés désavantagés en termes de concurrence, ait eu pour objet ou pu avoir pour effet de restreindre la concurrence sur le marché de la seconde monte des chronotachygraphes ni que cette pratique ait constitué un abus de la position dominante détenue par la société Mannesmann Kienzle sur ce marché ;

En ce qui concerne les clauses imposant aux installateurs et aux réparateurs un approvisionnement exclusif en outillage auprès de la société Mannesmann Kienzle :

Considérant que les clauses par lesquelles la société Mannesmann Kienzle aux droits de laquelle vient la société VDO Kienzle Vente et Service SA, oblige ses installateurs et ses réparateurs agréés à ne s'approvisionner qu'auprès d'elle en outillages nécessaires pour l'exécution des travaux ont pour objet et peuvent avoir pour effet, d'une part, de restreindre la concurrence entre les membres des réseaux Kienzle en limitant leurs sources d'approvisionnement et, d'autre part, de restreindre l'accès au marché de ces outillages, sans être nécessaire au maintien de l'image de marque de qualité des stations agréées Kienzle, comme en témoigne l'abandon, en 1992, de la clause concernant les installateurs, dont il n'est pas allégué qu'il aurait entraîné une détérioration de la qualité des services offerts par les stations Kienzle; que ces clauses sont prohibées par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; qu'en outre, elles constituent un abus de la position dominante détenue par la société Mannesmann Kienzle, aux droits de laquelle vient la société VDO Kienzle Vente et Service SA, sur le marché de la seconde monte de chronotachygraphes, abus prohibé par les dispositions de l'article 8 de la même ordonnance ;

En ce qui concerne la clause de réparation exclusive figurant dans les contrats de réparateur agréé :

Considérant que, compte tenu de la position dominante détenue par la société Mannesmann Kienzle sur le marché de la seconde monte de chronotachygraphes, les réparateurs de chronotachygraphes peuvent être incités à privilégier les relations avec cette société et à renoncer, si elle l'exige, à la possibilité de réparer des chronotachygraphes de marques concurrentes; que la société Mannesmann Kienzle, seule en France à disposer d'un réseau de réparateurs, en interdisant à ces derniers de réparer les appareils de marques concurrentes visait à dissuader les transporteurs routiers de choisir les appareils de ces marques, dès lors qu'ils savaient qu'ils éprouveraient plus de difficultés à les faire réparer que s'ils équipaient leurs véhicules d'appareils de marque Kienzle; qu'ainsi, cette clause a pour objet et peut avoir pour effet de restreindre l'accès des marques concurrentes aux marchés de la première et de la seconde monte de chronotachygraphes ; qu'en outre, elle limite la liberté des réparateurs du réseau Kienzle, qui sont tenus de renoncer à réparer les appareils des autres marques ; qu'elle a donc pour objet et peut avoir pour effet de réduire artificiellement l'offre sur les marchés concernés ;

Considérant que si la société Mannesmann Kienzle soutient que c'est à bon droit qu'elle interdit aux réparateurs de son réseau de mettre leur savoir faire, entretenu par la formation professionnelle qu'elle leur dispense, au service de tous ses concurrents, sans que ceux­ci participent en aucune manière à cette formation, se comportant ainsi en "passagers clandestins", il a été reconnu en séance que les dépenses de formation professionnelle sont à la charge des réparateurs du réseau Kienzle et n'incombent en aucune manière à cette société ; qu'en imposant une telle interdiction, celle­ci va donc au­delà de ce qui est nécessaire pour protéger l'identité de son réseau ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la clause de réparation exclusive figurant dans les contrats de réparateur agréé est prohibée par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; qu'en outre, elle constitue un abus de la position dominante détenue par la société Mannesmann Kienzle, aux droits de laquelle vient la société VDO Kienzle Vente et Service SA, sur le marché de la seconde monte de chronotachygraphes, abus prohibé par les dispositions de l'article 8 de la même ordonnance ;

En ce qui concerne l'interdiction de rétrocession de pièces détachées :

Considérant que l'interdiction faite aux réparateurs agréés Kienzle de rétrocéder des pièces détachées Kienzle à des réparateurs non membres du réseau Kienzle empêche ces derniers, bien qu'agréés par les services de la métrologie du ministère chargé de l'industrie, de réparer un appareil de marque Kienzle avec des pièces détachées de cette marque ; qu'ainsi, cette clause a pour objet et peut avoir pour effet de limiter l'accès des réparateurs indépendants au marché de la réparation des chronotachygraphes dans la mesure où les appareils Kienzle constituent la majeure partie de la demande de remplacement et donc de réparation de chronotachygraphes ; que par suite, elle est prohibée par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; qu'en outre, elle constitue un abus de la position dominante détenue par la société Mannesmann Kienzle, aux droits de laquelle vient la société VDO Kienzle Vente et Service SA, sur le marché de la seconde monte de chronotachygraphes, abus prohibé par les dispositions de l'article 8 de la même ordonnance ;

En ce qui concerne les pratiques relevées sur le marché des disques :

Considérant que si certains contrats de garantie des appareils de référence 1318, subordonnant la garantie à l'utilisation exclusive de disques de marque Kienzle ont été signés entre les installateurs du réseau Kienzle et leurs clients jusqu'en 1993, il ne résulte pas de l'instruction qu'ils aient été conclus à l'instigation de la société Mannesmann Kienzle ; qu'il n'est donc pas établi que la société Mannesmann Kienzle, aux droits de laquelle vient la société VDO Kienzle Vente et Service SA ait participé à une entente anticoncurrentielle ni n'ait abusé de la position dominante qu'elle détient sur le marché de la seconde monte des chronotachygraphes ;

Sur l'application des dispositions du 2 de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 :

Considérant qu'aux termes de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : "Ne sont pas soumises aux dispositions des articles 7 et 8 les pratiques : 2. Dont les auteurs peuvent justifier qu'elles ont pour effet d'assurer un progrès économique et qu'elles réservent aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, sans donner aux entreprises intéressées la possibilité d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause. Ces pratiques ne doivent imposer des restrictions à la concurrence que dans la mesure où elles sont indispensables pour atteindre cet objectif de progrès" ;

Considérant que si la société VDO Kienzle Vente et Service SA, venant aux droits de la société Mannesmann Kienzle, invoque, s'agissant des clauses de réparation exclusive et d'interdiction de rétrocession des pièces détachées figurant dans ses contrats de réparateur agréé, son souci de préserver la qualité de la réparation des appareils et la sécurité des utilisateurs, concernant un produit de haute technicité, faisant l'objet d'une réglementation stricte et de contrôles administratifs, il n'est pas établi que les clauses critiquées, qui sont de nature à restreindre la concurrence non seulement sur le marché de la première et de la seconde monte de chronotachygraphes mais aussi sur celui de la réparation des appareils, soient indispensables pour atteindre l'objectif de progrès économique recherché, dès lors que tous les réparateurs de chronotachygraphes sont agréés par les services du ministère chargé de l'industrie et doivent être regardés comme aptes à réparer un chronotachygraphe, quelle que soit sa marque et que tous les appareils réparés sont contrôlés par lesdits services ; que la société VDO Kienzle Vente et Service SA dispose d'autres possibilités contractuelles pour s'assurer de la qualité des réparations dans son réseau et pour que son savoir­faire ne soit pas transmis à ses concurrents ; que le moyen doit, par suite, être écarté ;

Sur les sanctions et injonctions :

Considérant qu'aux termes de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : "Le Conseil de la concurrence peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières. Il peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement, soit en cas d'inexécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 5 % du montant du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos" ;

Considérant que dans l'appréciation du dommage à l'économie, il y a lieu de tenir compte de la circonstance que les transporteurs sont tenus d'être équipés d'un chronotachygraphe ; que ce produit est susceptible de faire l'objet de réparations ; que les pratiques relevées à l'encontre d'une entreprise en position dominante sur le marché de la seconde monte de chronotachygraphes ont pu avoir pour conséquence non seulement d'accentuer cette position sur ce marché mais aussi de renforcer la position de la société VDO Kienzle GmbH sur celui de la première monte de chronotachygraphes ;

Considérant que pour apprécier le degré de gravité des pratiques, il y a lieu de tenir compte de ce que la société Mannesmann Kienzle a mis en place, à partir de 1992, une nouvelle version de son contrat de station service, intitulée "contrat de partenariat", dans laquelle elle a supprimé la clause d'approvisionnement exclusif en outillage pour les installateurs qu'elle agrée ; qu'en revanche, dans ses contrats avec les réparateurs qu'elle agrée, ont été maintenues les clauses relatives à l'obligation d'outillage exclusif, d'interdiction de réparation d'appareils de marque concurrente et d'interdiction de rétrocession de pièces détachées ; qu'il y a également lieu de tenir compte du fait que la société Mannesmann Kienzle, aux droits de laquelle vient la société VDO Kienzle Vente et Service SA n'est pas intervenue pour faire respecter les clauses d'approvisionnement exclusif en outillage qui étaient peu observées par les membres des réseaux ; qu'enfin, la société Mannesmann Kienzle, aux droits de laquelle vient la société VDO Kienzle Vente et Service SA, est la seule société à avoir mis en place un réseau de réparateurs de chronotachygraphes et à avoir organisé à leur intention des stages de formation continue ;

Considérant, par suite, qu'il y a lieu d'enjoindre à la société VDO Kienzle Vente et Service SA de supprimer de son contrat de réparateur agréé les clauses relatives à l'obligation d'outillage exclusif, à l'obligation de réparation exclusive et à l'interdiction de rétrocession de pièces détachées ;

Considérant que le chiffre d'affaires hors taxes réalisé par la société VDO Kienzle Vente et Service SA en France au cours de l'année 1996, dernier exercice clos disponible, s'est élevé à 196 132 273 F ; qu'il y a lieu, compte tenu des éléments généraux et individuels tels que ci­dessus appréciés, de fixer le montant de la sanction à 350 000 F,

Décide :

Article 1er : Il est établi que la société Mannesmann Kienzle, aux droits de laquelle vient la société VDO Kienzle Vente et Service SA, a enfreint les dispositions des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Article 2 : Il est infligé une sanction pécuniaire de 350 000 F à la société VDO Kienzle Vente et Service SA.

Article 3 : Il est enjoint à la société VDO Kienzle Vente et Service SA de supprimer de ses contrats de réparateur exclusif les clauses d'outillage exclusif, de réparation exclusive et d'interdiction de rétrocession de pièces détachées.