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Décisions

Conseil Conc., 9 mars 1999, n° 99-D-21

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Pratiques constatées dans le secteur des implants intraoculaires et des substances viscoélastiques

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré, sur le rapport de M. Loïc Guérin, par Mme Hagelsteen, présidente, présidant la séance en remplacement de M. Jenny, vice-président, empêché, Mme Boutard-Labarde, MM. Gicquel, Robin, membres.

Conseil Conc. n° 99-D-21

9 mars 1999

Le Conseil de la concurrence (section II),

Vu les lettres enregistrées les 28 décembre 1993 et 6 octobre 1994 sous les n° F 648 et F 704 par lesquelles le ministre de l'Economie a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques relevées sur le marché des implants intraoculaires et des substances viscoélastiques ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application ; Vu les observations présentées par les sociétés Pharmacia et Upjhon et Domilens et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés Pharmacia & Upjhon et Domilens entendus; Après en avoir délibéré hors la présence du rapporteur et du rapporteur général; Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et les motifs (II) ci-après exposés :

I. - Constatations

A. - Les produits

A la fin des années 1970 est apparue une nouvelle thérapie de la cataracte : l'implantation de cristallins artificiels. Expérimentée vingt ans auparavant mais abandonnée en raison de graves complications, l'utilisation d'implants artificiels a réellement débuté au début des années 1980. En 1992, la quasi-totalité des 150 000 opérations effectuées a conduit à la pose d'un implant.

Jusqu'en 1984/1985, l'opération la plus fréquente consistait à extraire la totalité du cristallin, puis à placer l'implant dans la chambre antérieur de l'oeil. La technique de l'intervention " extra-capsulaire " s'est imposée à partir de 1985. Elle consiste, après extraction du noyau du cristallin, à introduire l'implant dans le sac capsulaire, derrière l'iris. Cette méthode connaît deux variantes, qui peuvent être associées à une observation par système vidéo-scopique : l'extraction manuelle avec incision de 7 à 10 mm de la partie supérieure de la cornée et la pharcoémulsification. Cette dernière, développée vers 1990 et particulièrement bien adaptée à la mise en place d'implants souples qui peuvent être " glissés " dans le sac capsulaire sans élargissement de l'incision initiale, permet de réduire les complications post-opératoires et apporte un plus grand confort au patient. Le " phacoémulsificateur " est une sonde à ultra-sons qui fragmente le noyau du cristallin et permet son aspiration grâce à une canule de faible diamètre (4 mm).

Les nouvelles techniques d'opération font appel à un adjuvant, un gel appelé substance viscoélastique ou produit visqueux, qui protège l'iris et la cornée lors des manipulations d'extraction et de mis en place du cristallin et, en cas d'utilisation d'un phacoémulsificateur, permet d'aspirer les débris du cristallin. L'apparition des produits visqueux a accru de façon déterminante la sécurité des patients en favorisant l'opération de type " extracapsulaire ", si bien qu'aujourd'hui la quasi-totalité des opérations est effectuée selon cette technique.

Environ 73 % des interventions des années 1992 et 1993 ont été effectuées dans des cliniques privées et seulement 27 % à l'hôpital public. L'explication de cet écart tiendrait dans une meilleure adaptation des cliniques privées à l'évolution des techniques opératoires, notamment à la phacoémulsification.

Un implant est une prothèse qui se substitue au cristallin déficient. Il est généralement constitué d'une lentille et de deux anses souples destinées à le centrer ; il se compose, dans 99 % des cas, de polyméthylmétacrylate (PMMA).

Depuis quelques années, certaines sociétés, dont Allergan, LPO, Chiron, Staar et Opsia, proposent des implants souples à base de silicone ou d'hydrogel (matière plastique). Ils présentent l'avantage de pouvoir être pliés et donc de se glisser dans l'incision de 4 à 6 mm effectuée pour extraire le cristallin par phacoémulsification, diminuant ainsi les problèmes de suture et les risques d'effets secondaires.

L'implant intraoculaire est un appareil et non un médicament : il ne nécessite donc pas d'autorisation de mise sur le marché (AMM) et n'est pas soumis au monopole pharmaceutique, bien que son remboursement puisse être pris en charge par les caisses d'assurance maladie dans le cadre d'un tarif interministériel des prestations sanitaires (TIPS). Le 13 décembre 1990, la Commission consultative des prestations sanitaires a donné un avis favorable à l'instauration d'un TIPS conduisant à limiter le montant de prise en charge des implants auparavant remboursés sur présentation de la facture. Un arrêté ministériel en date du 3 mai 1991 fixe en son article 1er un " tarif de responsabilité " de 1 450 francs (TTC) et 1 750 (TTC) selon les types d'implants.

Les substances viscoélastiques (SVE), qui se présentent sous la forme d'un gel translucide, sont employées en chirurgie oculaire pour la protection endothéliale cornéenne, le maintien du volume et des espaces du segment antérieur de l'oeil et l'amélioration de la sécurité des manipulations intraoculaires.

Les substances viscoélastiques sont considérées, en France comme dans la plupart des pays européens, comme des médicaments et soumises à ce titre à la procédure de l'autorisation de mise sur le marché (AMM). La première AMM accordée le 22 juillet 1980 à une telle substance, le Healon, précisait que ce produit était un adjuvant en chirurgie oculaire, notamment dans les cas de glaucome ou de cataracte. En fait, la quasi-totalité des substances viscoélastiques sont utilisées aujourd'hui dans les cas d'opération de la cataracte (150 000 pour l'année 1992). Leur commercialisation est soumise à autorisation préalable, en application de l'alinéa 1er de l'article L. 601 du Code de la santé publique dans sa rédaction issue de la loi n° 93-5 du 4 janvier 1993, et elle est limitée par la règle du monopole pharmaceutique définie aux articles L. 511 et L. 512 du Code de la santé publique. Les praticiens peuvent les prescrire librement en fonction de la " classe " pharmaceutique à laquelle elles appartiennent (décret n° 94-1030 du 2 décembre 1994) : soit par tout médecin, soit sur prescription initiale hospitalière, soit pour un usage exclusivement hospitalier. Au moment des faits, les médicaments étaient répartis en neuf classes différenciant, entre autres, les " présentations pharmaceutiques à usage humain destinées tant à la médecine de ville qu'au milieu hospitalier (classe 3) " des " présentations pharmaceutiques destinées exclusivement au milieu hospitalier (classe 5.5) ". Les substances viscoélastiques ont été classées d'emblée en classe 5 à l'exception toutefois de l'Healonid, la première présente sur le marché, qui a appartenu jusqu'en octobre 1991 à la classe 3. La prise en charge du remboursement d'un médicament par les organismes sociaux est fonction de son inscription sur la liste des médicaments remboursables. Celle-ci est décidée par le ministre chargé de la Santé après avis de la Commission de la transparence, dont le fonctionnement est précisé aux articles R. 163-8 et R. 163-12 du Code de la sécurité sociale. L'avis de la Commission porte notamment sur l'intérêt du produit dont l'inscription est sollicitée, sur son prix et sur son taux de prise en charge par la sécurité sociale. S'agissant du remboursement des substances viscoélastiques utilisées par les praticiens opérant dans le secteur privé, la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) s'est toujours opposée à leur remboursement estimant que leur coût était couvert par les " frais de salle d'opération ".

B. - Les Secteurs

Les prescripteurs des biens et produits utilisés dans le traitement de la maladie doivent être distingués des demandeurs de soins. Le diagnostic et la prescription sont effectués par un ophtalmologue qui peut opérer dans un établissement hospitalier appartenant au secteur public ou au secteur privé.

Les statistiques de la CNAM pour l'année 1991 recensent 4 543 praticiens en ophtalmologie dont 2 210 appartenant au " secteur 1 " (conventionnés sans dépassement d'honoraires) et 2 063 au " secteur 2 " (conventionnés mais autorisés à effectuer des dépassements d'honoraires non remboursés par les caisses de sécurité sociale).

L'instruction n'a pas permis de recueillir d'informations fiables sur le nombre d'ophtalmologues opérant de la cataracte, la classification selon la nomenclature des actes chirurgicaux dite en " KC " ne distinguant pas entre les différents types d'interventions. La CNAM n'a pas davantage connaissance du nombre d'opérations effectuées du fait des dispositions légales protégeant le secret médical. Selon la société Pharmacia, 700 ophtalmologues réalisent 80 % de ces opérations. Cette concentration tendrait à s'accentuer en raison de l'évolution des techniques d'opération nécessitant une pratique régulière pour " garder le tour de main " et du coût de l'équipement nécessaire, celui d'un phacoémulsificateur pouvant atteindre jusqu'à 300 000 francs.

Le chirurgien ophtalmologiste est le prescripteur : il décide de la nature et de la marque de l'implant qui doit être posé à son patient. Le destinataire de la facture d'achat, est dans la plupart des cas, la clinique ou l'hôpital qui aura à en effectuer le paiement à charge pour eux d'en obtenir le remboursement auprès de la caisse d'assurance maladie du patient.

Dans les établissements publics, les achats sont effectués généralement selon la procédure de l'appel d'offres. S'agissant des implants ou des phacoémulsificateurs, les chefs de service référencent les produits qui seront utilisés selon leurs propres choix par les praticiens qu'ils dirigent. Les services économiques de l'hôpital passent alors les marchés, parfois sous une forme groupée. La procédure d'achat des substances viscoélastiques est identique mais, par application des dispositions de l'article L. 618 du Code de la santé publique, seuls les médicaments ayant reçu un agrément spécial du ministre de la Santé qui statue sur avis de la Commission de la transparence peuvent théoriquement être achetés et utilisés par les hôpitaux publics. En matière de substance viscoélastique, le choix est réduit à trois produits : Amvisc, Viscoat et Healon, qui sont les seuls avec Occucoat, non retenu à l'Hôpital probablement à cause de son spectre d'utilisation trop étroit, à posséder l'agrément collectivités.

Dans les cliniques privées, où seraient effectuées 70 % des opérations de la cataracte, le chirurgien choisit en général la marque de l'implant qu'il désire poser et celle de la substance viscoélastique utilisée. Dans l'échantillon d'établissements retenus, rares sont les gestionnaires qui, comme la clinique des Chandiots à Clermont-Ferrand, retiennent les fournisseurs d'implants qui consentent la meilleure remise. L'implant commandé par la clinique lui est facturé par le fournisseur. Une fois celui-ci posé, " il est refacturé au nom du patient ". La substance viscoélastique est soit livrée avec l'implant à titre gracieux, soit, dans l'hypothèse où le praticien souhaite utiliser une autre substance viscoélastique que celle proposée par son fournisseur d'implant, achetée par la clinique sous réserve de la disponibilité du produit.

S'agissant des phacoémulsificateurs et autres appareils, " ce sont souvent les prescripteurs qui se sont portés acquéreurs, d'autant plus facilement que les fournisseurs d'implants leur consentaient des conditions d'achat préférentielles liées à la prescription de leurs produits ".

Implants intraoculaires, substances viscoélastiques et phacoémulsificateurs, ne sont pas nécessairement fabriqués par les mêmes entreprises. L'accroissement du nombre d'opérations de la cataracte selon la technique de l'extraction extracapsulaire avec phacoémulsification a cependant conduit les offreurs d'implants à proposer aux praticiens un service plus complet que la simple fourniture de prothèses. La fourniture de la substance viscoélastique et, dans une certaine mesure, d'un phacoémulsificateur sont ainsi parfois devenues des conditions nécessaires à la fourniture d'implant.

1. Les implants intraoculaires

L'implant intraoculaire n'étant pas un médicament, la règle du monopole pharmaceutique de fabrication et de distribution posée par les articles L. 511, L. 512 et L. 596 du Code de la santé publique n'a pas lieu de s'appliquer. Tous les fournisseurs d'implants n'ont d'ailleurs pas le statut de laboratoire.

Pendant la période concernée, le marché des implants était relativement atomisé : 12 producteurs ou importateurs se partageaient un marché estimé à 210 000 unités en 1992, alors qu'en 1990 seuls deux fabricants, 3 M et Iolab, étaient présents sur un marché évalué à 5 000 unités.

Créée en 1983 par M. Bonabosch, la société des Laboratoires Domilens n'a obtenu la qualité de laboratoire pharmaceutique que le 16 juillet 1992 par transfert du statut de sa filiale Biodomi qu'elle a absorbée, ainsi que la société Domilens Promotion, le 1er janvier 1993. Les premiers implants de marque Domilens ont été commercialisés en 1984 et, dès 1986, cette société devenait le premier producteur français. A côté des implants classiques vendus seuls, la société Domilens a commercialisé, à partir de 1988, une gamme de produits dénommée " Bioplus " dans laquelle l'implant bénéficiait d'un traitement thermique supplémentaire et était livré accompagné d'une substance viscoélastique. Fin 1992, M. Bonabosch, qui détenait 79 % de Fidomi, société holding du groupe, a cédé sa participation au Crédit Lyonnais. A cette date, Fidomi contrôlait les Laboratoires Domilens, conjointement avec la société Essilor, respectivement à hauteur de 60 % et 40 %.

La société Iolab a été radiée du registre du commerce et des sociétés le 6 janvier 1992 après son absorption le 20 décembre 1991 par la société Johnson & Johnson Santé, qui revendique la place de premier groupe pharmaceutique mondial et qui a réalisé en France un chiffre d'affaires de 164 millions de francs en 1991. En 1992, le chiffre d'affaires relatif aux implants était de 32,2 millions de francs. La société Iolab, qui avait le statut de laboratoire, était un des plus anciens distributeurs d'implants présents sur le marché national. Le nom de société Iolab sera utilisé en tant que de besoin en lieu et place de Johnson & Johnson Santé.

La société Pharmacia et Upjhon était une filiale française du groupe suédois Procordia contrôlée à hauteur de 42,5 % par le constructeur automobile Volvo et de 42,5 % par l'Etat suédois. Cette société, qui a distribué la première substance viscoélastique sur le marché français, a absorbé le 28 décembre 1990 la société Kabi Pharmacia et pris le nom de Kabi Pharmacia SA, en septembre 1992. Cette dernière société a été absorbée le 1er janvier 1995 par la société Pharmacia France Holding dont les activités sont exercées par la société Pharmacia & Upjhon. En 1991 la société Pharmacia réalisait un chiffre d'affaires de 861 millions de francs. Le chiffre d'affaires de la division ophtalmologie est, en 1992, de l'ordre de 100 millions de francs dont 40 millions pour les liquides viscoélastiques et 22 pour les implants, le solde étant constitué par des ventes de matériels (couteaux, trépans, phacoémulsificateurs). La société Pharmacia, qui a la qualité de laboratoire pharmaceutique, était le seul fournisseur de substances viscoélastiques sur le marché français de 1980 à 1988. Elle s'est intéressée à partir de 1982 aux implants et a racheté le fabricant hollandais Medical Worshops qui produisait des implants aux anses rapportées inadaptées au marché français surtout consommateur d'implants monoblocs. La société Pharmacia choisit alors de s'approvisionner auprès de la société Domilens avec laquelle un premier contrat de fourniture fut signé en 1985 puis, à partir de 1987, substitua progressivement ses propres implants, dont la technologie avait été entre-temps modifiée, aux implants Domilens.

Les autres fournisseurs d'implants sont : la société des Laboratoires Alcon, filiale du groupe Nestlé, qui disposait d'une substance viscoléastique (Viscoat) en cours d'obtention d'AMM au moment des faits : la société Cornéal, qui a d'abord distribué des implants de marque Domilens, fabrique, depuis la fin de l'année 1988, ses propres implants, accompagnés de Healonid, puis, en avril 1991, de " Collugel ", substance viscoélastique de la société Vision-Biologie dont elle était distributeur exclusif pour l'Europe jusqu'en 1993 où la tentative d'obtention d'une AMM a échoué ; la société Hexavision, créée en 1987 et rachetée en mars 1990 par la société Smith & Nephew, dont elle est devenue la division ophtalmologique, qui vend les implants " Hexalens " livrés avec une substance viscoélastique qui a d'abord été Headlonid puis, à la suite d'accords passés avec les sociétés Dalloz et Storz (devenue Whyeth Lederle), respectivement " Hyal " et " Occucoat " ; la société Allergan, qui n'a pas le statut de laboratoire, présente sur le marché dès 1986, à développé la vente d'implants souples en silicone, production dans laquelle elle s'est spécialisée ; la société Wyeth Lederle qui a absorbé le 18 avril 1996 la société des Laboratoires Lederle et ses quatre filiales, les sociétés Cyanamid France, Laboratoires Novalis, Exploitation et Recherches Chirugicales Lederle (ERCL), la société Storz étant une filiale de la société ERCL spécialisée dans la commercialisation des implants ; la société Lederle qui a repris en 1987 la société américaine Coburn, fabriquant notamment des implants commercialisés en France depuis 1990, produisait et commercialisait également la seule substance viscoélastique à base de méthylcellulose : Occucoat ; la société LPO qui distribue des implants pour partie fabriqués par la société Opsia, pour partie importés ; enfin, la société Christian Dalloz SA, dans laquelle la société Essilor avait pris une participation de 40 %, avait essayé de lancer, en 1991, une activité de fabrication d'implants selon la technique originale de l'injection ; elle a dû céder son activité ophtalmologique à la société Domilens et a été radiée du registre du commerce et des sociétés le 27 juillet 1993.

De 1986 à 1989, les vendeurs d'implants les plus importants étaient, par ordre décroissant, les sociétés Domilens, Pharmacia et Iolab pour un total de ventes en France passé de 60 000 à 151 000 unités. En 1993, ce total était passé à 231 000, dont 73 % dans le secteur privé et 24 % dans le secteur hospitalier. La société Domilens venait toujours en tête (18,78 % du total), suivie par les sociétés Alcon (14,54 %), Cornéal (12,86 %), Iolab (11,37 %) et Pharmacia (11,59 %).

Le prix de revient industriel des implants serait de l'ordre de 250 à 300 francs (dont environ 20 % pour les matières consommables). En 1992, les prix d'achat ou d'importation des sociétés qui font fabriquer leurs implants à l'étranger variaient entre 250 francs et 552 francs. Le prix de vente des implants aux revendeurs est de 400 francs à 500 francs en 1992. Les implants réservés à l'exportation, dont les standards de qualité sont parfois inférieurs, auraient un prix moyen de vente inférieur de l'ordre de 275,74 francs par implant pour la société Domilens en 1992.

Les prix de vente au secteur privé sont passés, de 1987 à 1991, de 1 250 à 2 091 francs pour Domilens, de 1 900 à 3 800 francs pour Alcon, de 2 300 à 3 900 francs pour Iolab et de 1 887 à 2 985 francs pour Pharmacia. En 1992, après que les implants ont été inscrits au TIPS par arrêté du 3 mai 1991 du ministère de la santé, ces prix sont passés à 1 263 francs pour Domilens et de 1 374 francs pour Alcon, Iolab et Pharmacia.

2. Les substances viscoélastiques

En 1992, une vingtaine de substances viscoélastiques étaient commercialisées ou en cours d'expérimentation en France où, au contraire de la plupart des autres pays qui considèrent les substances viscoélastiques comme un matériel médical, celles-ci sont considérées par la réglementation comme des médicaments et à ce titre font l'objet de restrictions de commercialisation : les articles L. 511, L. 512 et L. 596 du Code de la santé publique, dans leur rédaction en vigueur au moment des faits, posent le principe selon lequel un médicament ne peut être fabriqué, détenu ou dispensé au stade de gros ou de détail que par un pharmacien ou un établissement pharmaceutique dont un pharmacien est propriétaire ou participe à la gérance ; l'article R. 5106, dans sa rédaction issue du décret n° 69-13 du 2 janvier 1969, en vigueur à l'époque des faits, distinguait les fabricants de produits pharmaceutiques, qui se livrent en vue de la vente à la préparation totale ou partielle des produits définis aux articles L. 511 et L. 512, des grossistes-répartiteurs, qui se livrent à l'achat en vue de la revente aux pharmaciens ou aux établissements pharmaceutiques des articles définis aux articles précités, et des dépositaires qui se livrent pour le compte d'un ou plusieurs fabricants au stockage et à la distribution aux grossistes-répartiteurs et aux pharmaciens des produits pharmaceutiques dont ils ne sont pas propriétaires. En outre, la prescription et l'usage des produits pharmaceutiques dont l'autorisation de mise sur le marché commence par les chiffres " 5.5... " sont strictement réservés à un usage hospitalier.

Pour vendre une substance viscoélastique sur le marché français, il faut donc théoriquement obtenir, à la suite d'une procédure longue et coûteuse, une autorisation de mise sur le marché (AMM). La société ERCL (Storz Lederle) estime à 380 000 francs, non compris les frais de développement et d'études cliniques réalisés aux USA, le coût d'obtention de l'AMM d'Occucoat, alors qu'il ne s'agissait que de la simple adaptation à la France d'un dossier international. La société Opsia estime quant à elle à 800 000 francs les frais engagés pour l'obtention de l'AMM de Coatel et la société Cornéal estime avoir dépensé 3 millions pour Cellugel.

Les " fabricants " de substances viscoélastiques, que ce soit sur le territoire national ou à l'étranger, sont généralement fabricants d'implants. Certaines substances viscoélastiques bénéficient d'une autorisation administrative de mise sur le marché (AMM), d'autres pas.

Le Healonid (Healon à l'étranger), substance viscoélastique produite par la société Pharmacia & Upjhon (dénommée KB Pharmacia au moment des faits), était la seule présente sur le marché français de 1980 au début de l'année 1989. Il s'agit d'un hyaluronate de sodium dilué, extrait de crêtes de coq, protégé jusqu'en 1996 par brevet portant sur le procédé de purification. L'hyaluronate de sodium se retrouve en forte concentration dans les tissus vitreux de l'oeil et dans de plus faibles concentrations dans l'humeur aqueuse et l'endothélium ; il assure également la lubrification biologique et " l'amortissement " des articulations du corps. Bien que ce produit soit un extrait naturel, le haut niveau de technologie demandé pour produire un " compound " non inflammatoire de poids moléculaire constant expliquerait son prix élevé. La société Pharmacia a obtenu la première AMM de ce produit le 22 juillet 1980 pour une présentation en seringues de 0,75 ml et de 2 ml ; le 9 juin 1981 était ajoutée une présentation en seringues de 0,4 ml, agréée par arrêté du 21 février 1984, pour un usage en collectivités et dont le prix maximum était fixé à 349,50 francs. Les AMM de ces produits ont été depuis lors régulièrement renouvelées, mais, le 18 octobre 1991, l'AMM du Healonid 0,4 ml a été modifiée entraînant une restriction à l'usage hospitalier. Une solution plus visqueuse, le Healon GV, obtint à son tour une AMM le 4 février 1993.

Amvisc, introduit en France par la société Iolab, a reçu son AMM le 7 juillet 1989 et son agrément pour les collectivités le 22 mars 1990. Il s'agit d'un produit très proche, sinon identique, au Healonid (même molécule, même origine), si bien que la société Pharmacia ayant entamé une procédure en contrefaçon contre la société Iolab, Amvisc fut temporairement retiré du marché français en 1990. La commercialisation put cependant reprendre rapidement sous condition du paiement par la société Iolab d'une redevance.

Viscoat, commercialisé par la société Alcon, a reçu son AMM le 5 mars 1990 et son agrément pour les collectivités le 4 août 1990. Il s'agit d'un mélange, dans la proportion 1/4 - 3/4, d'un soluté à 4 % de chondroitine sulfate et d'un soluté à 4 % d'hyaluronate de sodium. La première molécule, qui se retrouve dans la cornée de l'oeil et les cartilages, est extraite d'ailerons de requins, la seconde est obtenue par fermentation bactérienne. La société Alcon a également obtenu une AMM pour un produit dénommé Provisc, hyaluronate de sodium semblable à Amvisc et à Healonid. Un différend ayant trait à la propriété industrielle de ce produit a conduit les sociétés Alcon et Pharmacia à un accord.

Occucoat, commercialisé par les Laboratoires ERCL (Storz Lederle), a obtenu une AMM en juillet 1991. C'est une solution à 2 % d'hydroxypropyl-méthylcellulose (HPMC) extraite de la pulpe de végétaux. A la différence des hyaluronates qui doivent être conservés au froid, Occucoat peut être conservé à température ambiante. En 1989/1991, avant de posséder sa propre substance viscoélastique, la société ERCL (Storz Lederle) distribuait Healonid, acheté auprès de la société CERP, un grossiste-répartiteur.

Hyal et Ialum, respectivement distribuées par les sociétés Dalloz et Domilens, sont deux substances viscoélastiques constituées d'un hyaluronate de sodium fabriqué par la société italienne Fidia à partir de crêtes de coq. La société Fidia a concédé une licence de distribution pour le territoire français à la société Suisse Trans Bussan SA qui a signé avec la société Dalloz, le 26 novembre 19914, et Domilens, le 19 juin 1992, deux accords de distribution semi-exclusifs concernant la France.

La société Dalloz a obtenu une AMM en 1991 pour Hyal, mais l'inscription sur " la liste des collectivités " lui a été refusée au motif qu'à " la différence des autres viscoélastiques, tous présentés en seringues prêtes à l'emploi, Hyal est présenté en flacon de 2 ml muni d'un bouchon de caoutchouc. Cette présentation est inadaptée pour des raisons de sécurité d'emploi ". La société Dalloz a présenté une demande d'AMM pour la seule présentation seringue.

Parmi les substances viscoélastiques dépourvues d'AMM ou en phase d'évolution au moment des faits, il convient de citer Cellugel (polymère synthétique de carbohydrate proche d'un méthylcellulose type Occucoat), fabriqué par la société Vision Biology, USA, avec laquelle la société Cornéal a signé, en avril 1991, un contrat de distribution exclusive pour la France sous réserve d'obtention d'une AMM qui, celle-ci n'ayant pu être obtenue dans un délai de deux ans, a été dénoncé, Coatel (methylcellulose comparable à Occucoat de la société Opsia, fabricant d'implants intraoculaires, acquise par la société Cauvin), Biovisc (Hyaluronate de la société Chauvin), Vitrax (hyaluronate fabriqué par la société Allergan aux USA et distribué sans AMM) et Orcolon (de la société Optical radiation Corporation, USA, distribuée par la société Ophtalab avec une AMM obtenue en 1991, dont le composant principal est la polyacrylamide ; un incident de fabrication a entraîné un arrêt de la production). Enfin la société Domilens a développé conjointement avec l'Institut Mérieux au début des années 1990 une substance viscoélastique qui n'aurait pas obtenu d'AMM au motif qu'il contenait des protéines placentaires humaines.

Les prix de vente unitaires constatés sur factures ou les prix moyens déclarés par les opérateurs figurent au tableau ci-après. Toutes les substances viscoélastiques n'y sont pas représentées dans la mesure où les produits dépourvus d'AMM ne peuvent pas être vendus et sont donc distribués à titre gratuit.

EMPLACEMENT TABLEAU

Il est constaté l'antériorité de la commercialisation de Healonid sur celle des autres substances viscoélastiques, l'antériorité de l'usage des substances viscoélastiques dans le secteur privé par rapport au secteur public, la forte augmentation du prix du Healonid entre 1988 et 1991 (+ 50 %) et la quasi-identité, à partir de l'année 1991, des prix du Healonid, de l'Amvisc et du Viscoat.

La tableau ci-après présente, en nombre de seringues, une répartition des principales substances viscoélastiques distribuées, c'est-à-dire vendues ou données en guise " d'échantillons ", seuls les produits bénéficiant d'une AMM pouvant être vendus et seuls ceux bénéficiant d'un agrément particulier pouvant l'être auprès des établissements publics hospitaliers : la différence entre ventes et dons d'échantillons n'a pu être précisée que pour les seuls produits bénéficiant d'une AMM. La société Pharmacia & Upjhon n'a pas été en mesure de produire une répartition des produits distribués entre cliniques, hôpitaux et " échantillons " avant l'année 1992. Les termes " d'échantillon " ou de " don " utilisés ci-après correspondent à des unités de substance viscoélastique associées aux implants pour former "un produit" qui présenté comme étant un implant, bénéficiera d'un remboursement sur facture alors que la substance viscoélastique seule ne l'aurait pas été.

EMPLACEMENT TABLEAU

Ainsi, à l'exception du cas de la société Pharmacia & Upjhon pour l'année 1992, les quantités de substance viscoélastique données aux établissements privés par les fournisseurs sont plus importantes que les quantités vendues. A partir de 1989, la société Pharmacia & Upjhon, qui était l'unique fournisseur de substances viscoélastiques, connaît une période de détérioration régulière de sa part de marché qui l'amènera, en 1992, à ne plus distribuer que 37 % des quantités totales. Elle reste cependant prédominante dans le secteur public (66,30 %) et en termes de ventes aux établissements privés (27,33 %). Cette érosion des positions de la société Pharmacia & Upjhon a bénéficié à ses concurrents, distribuant soit un produit ayant une AMM (Alcon et Iolab), soit des substances viscoélastiques encore en cours d'agrément, distribuées gratuitement dans les établissements privés. Les sociétés dont les produits bénéficient d'une AMM réalisent les chiffres d'affaires les plus importants, puisqu'elles sont les seules à pouvoir légalement effectuer des ventes. Le tableau ci-après indique les pourcentages du chiffre d'affaires de chaque entreprise dans le chiffre d'affaires total du secteur :

EMPLACEMENT TABLEAU

C. - Les pratiques relevées

L'examen, au cours de la période considérée, de 1986 à 1993, des relations entre distributeurs et fabricants d'implants intraoculaires et de substances viscoélastiques et les prescripteurs et utilisateurs de ces produits du secteur privé ont fait apparaître trois séries de pratiques : des dons de substance viscoélastique, la modification des modalités de distribution de cette dernière et l'établissement de relations particulières avec la société Domilens et des accords de prix entre les sociétés Pharmacia et Domilens.

1. Les dons de substance viscoélastique

La fourniture gratuite d'une substance viscoélastique à l'occasion de la vente d'un implant a d'abord été pratiquée par la société Pharmacia & Upjhon avant d'être généralisée à l'ensemble du secteur.

De 1982 à 1989, la société Pharmacia était le seul opérateur proposant aux chirurgiens ophtalmologiques une substance viscoélastique permettant de réaliser des opérations d'extraction extra-capsulaire du cristallin. L'utilisation de ce produit innovant s'est progressivement imposée, mais il n'était pas remboursé par les caisses de sécurité sociale : son coût devait donc être imputé.

Mme Ameye, directeur général de la société Pharmacia & Upjhon, a déclaré, le 29 mars 1993 : " En ce qui concerne les cliniques, s'est posé le problème du financement du Healon étant donné la suppression du forfait médicament cher. Nous avons demandé le remboursement du visqueux, ce qui nous a été refusé après négociations... Les chirurgiens privés estimant l'utilisation du viscoélastique indispensable ont jugé nécessaire de pouvoir disposer facilement de ce produit d'où la possibilité que nous avons offerte de pouvoir fournir, s'ils le souhaitaient, avec l'implant intraoculaire, une seringue de Healon. Cette proposition a répondu à la demande. "

Le produit Healonid (couramment appelé Healon) était donc proposé soit seul, soit associé à un implant. La dénomination de l'ensemble implant + substance viscoélastique a évolué, comme le montrent les mentions portées sur les factures émises. En revanche, l'identité des prix indiqués sur ces mêmes factures selon qu'elles mentionnaient à la fois Viscolens et la référence d'un implant, ou seulement cette référence, démontre l'existence des dons de la substance viscoléastique.

La part des ventes d'implants accompagnées de dons de substance viscoélastique dans les ventes totales d'implants de la société Pharmacia aux établissements du secteur privé n'a été produite que pour l'année 1992 : 17250 Viscolens ont été vendus contre seulement 167 implants solitaires, alors que 22 250 seringues de Healonid étaient commercialisés. La tableau ci-après reprend quelques exemples de facturation (HT) comparée de Viscolens et Healonid pour les années 1986 à 1991, les implants contenus dans les packs Viscolens étant comparables :

EMPLACEMENT TABLEAU

Proposé seul, Healonid ne bénéficiait pas d'un remboursement par les organismes de sécurité sociale puisque la Caisse nationale d'assurance maladie estimait que les dépenses engagées du fait de son utilisation étaient comprises dans les " frais de salle d'opération " qui couvraient, selon un arrêté du 29 juin 1987, " l'utilisation de la salle d'opération ou d'accouchement, du matériel... ainsi que la pharmacie nécessaire à l'opération... ". Par contre, le pack Viscolens était totalement remboursé sur présentation de la facture d'achat, dans la mesure où seul l'implant était censé être acheté par l'établissement hospitalier, la substance viscoélastique qui lui était associée étant délivrée gratuitement. Ainsi, la société Pharmacia a pratiqué, à partir de l'année 1984 et au moins jusqu'en 1992, une politique de vente d'implants intraoculaires accompagnés de la substance viscoélastique qu'elle avait développée et qu'elle était seule, jusqu'en 1989, à pouvoir offrir aux ophtalmologues opérant de la cataracte. Un tel système permettait aux cliniques d'économiser la dépense induite par l'utilisation de la substance viscoélastique, qui aurait dû être imputée sur les frais de salle d'opération.

A la suite de la société Pharmacia, les autres fournisseurs d'implants ont commencé à distribuer leur substance viscoélastique à titre gratuit. M. Meyer, de la société Domilens, a déclaré : " La société Domilens s'est vue contrainte pour ne pas disparaître du marché français d'adopter les pratiques alors en cours, à savoir la fourniture du produit viscoélastique avec les implants intraoculaires. " M. Romano, alors directeur commercial de la même société a ajouté : " En ce qui concerne la fourniture d'un viscoélastique gratuit, la première société à le faire a été KB Pharmacia , rapidement suivie, courant 1989, par Alcon et Iolab... Confronté à la demande des cliniques et des chirurgiens qui s'en faisaient les porte-paroles. Domilens a été contraint d'imaginer une solution visant à fournir le viscoélastique gratuitement... La sortie de la gamme Bioplus (avec augmentation du prix de l'implant mentionnée ci-avant), a permis non seulement la fourniture gratuite du viscoélastique mais également de dégager une marge autorisant la remise de dons aux chirurgiens. " Le produit dénommé Bioplus associait, comme Viscolens, une dose de substance viscoélastique à un implant.

M. Desjardins, de la société Smith & Nephew-Hexavision, a décrit le processus qui a conduit à la généralisation de la pratique de don de substance viscoélastique : " Dans les années 1987-1988, l'utilisation du viscoélastique s'est accrue fortement.. lorsque j'ai débuté l'activité d'Hexavision en mai 1987 jusqu'à la fin 1988, il était possible, à cette époque, de vendre des implants sans disposer de visqueux bien que l'on soit en position concurrentielle défavorable par rapport à ceux qui en disposaient. En 1989, devant la pression croissante de la clientèle et comme d'autres concurrents, Hexavision s'est procuré du Healon auprès des officines pour accompagner l'implant. " M. Flaischaker, responsable commercial de la société Iolab, a déclaré : " Dans les discussions avec les chirurgiens, Iolab essayait de faire valoir la qualité de l'Amvisc qui était délivré gratuitement. " En 1989, la société Iolab distribuera par exemple 15 130 échantillons de substance viscoélastique pour 18 025 implants M. Pellat, ophtalmologue pratiquant à Chambéry, a confirmé que la société ERCL (Storz-Lederle) avait adhéré à la pratique : " Je me souviens qu'au début (à partir de 1988 où le visqueux est devenu indispensable pour la pose des implants de chambre postérieure), en ce qui me concerne, les patients devaient acheter le Healon en pharmacie. Dès que Storz, a eu une AMM pour Occucoat, il a distribué des échantillons de ce visqueux avec ses implants ". De même, MM. Sagaut et Reich, de la société Storz-Lederle-ERCL, ont déclaré distinguer deux périodes selon que la société disposait ou non d'un produit bénéficiant d'une AMM : " Nous ne disposions pas de produit viscoélastique dans le groupe ; nous achetions les produits viscoélastiques auprès de la société CERP, grossiste-répartiteur pour les années 1989 à 1990 inclus, (il s'agissait) des produits viscoélastiques Healonid de Kabi Pharmacia. Ces produits étaient ensuite adressés par nos soins à la clinique qui avait acheté les implants. La livraison de ces produits était effectuée à titre gracieux... En 1990, cela représentait 2 338 unités de produits viscoélastiques donnés gracieusement. Entre mai 1991 et juillet 1991, date de notre AMM pour le produit Occucoat, nous avons vendu l'implant au tarif TIPS accompagné du produit Occucoat délivré gracieusement. "

M. Bouvier, directeur de la clinique Sainte Barbe à Strasbourg, a déclaré : " Pour la société Allergan, l'achat du liquide viscoélastique se fait chez Alcom et Allergan nous le rembourse. " Slon M. Clidière, président-directeur général de la société Alcom, les produits de sa société étaient commercialisés sous trois formes : " implant seul (IOLS) : 10 005 unités ; Viscoat seul : 6 484 unités ; pack (Viscopack) : 3 475 unités. Les formes n° 1 et 2 concernant hôpitaux et cliniques. La forme n° 3 concernant uniquement les cliniques. La facture correspondante à la forme n° 3 fait apparaître un prix global Viscopack. Du fait que la pratique de pack implant + viscoélastique était utilisée par Kabi Pharmacia et Domilens liées commercialement, nous avons été contraints de nous aligner. L'instauration du TIPS sur les implants n'a pas modifié les procédés de commercialisation ". Les factures communiquées par M. Clidière, concernant les années 1990 et 1991, confirment la gratuité de la substance viscoélastique. Mais la société Alcon procède aussi parfois à l'octroi de remises du montant de la substance viscoélastique ; " pour faire suite à votre demande de prix, nous avons le plaisir de vous adresser ci-joint notre meilleure proposition qui annule et remplace notre proposition du 19 novembre pour la fourniture à la clinique de nos implants : implant prix tarif : 1 450 francs TTC ; Viscoat prix tarif : 576,76 francs TTC ; soit remise : implant + Viscoat : 1 450 francs TTC. "

M. Kita, président du conseil d'administration de la société Cornéal, a déclaré : " Lorsque j'ai commencé à travailler dans ce secteur d'activité (1981/1982), les chirurgiens n'utilisaient pas de viscoélastiques. KB Pharmacia a créé le besoin et à partir de ce moment-là le produit viscoélastique était en vente libre. Pour conquérir le marché des implants Pharmacia a proposé le produit viscoélastique gratuit à tous les chirurgiens s'ils posent leurs implants, ce qui évitait aux malades et aux cliniques cet achat. "

La société Opsia a reconnu pour sa part que " le nombre de viscoélastiques 1993 est supérieur aux quantités d'implants vendus car il faut donner des viscoélastiques avec les dépôts-ventes d'implants... ".

Au total, le don de substance viscoélastique lors de l'achat d'un implant s'est généralisé à partir de l'année 1989 pour devenir le fait de tous les fournisseurs : en 1992, 70 % des substances viscoélastiques consommées par les établissements de soins privés ont été donnés gratuitement par les fournisseurs d'implants. Parmi les fournisseurs de substances viscoélastiques, seule la société Pharmacia vendait plus d'unités qu'elle n'en donnait aux établissements de soins privés.

Selon M. Romano, cadre de la société Domilens : " A partir de fin 1988 la gamme Bioplus est apparue et pour un prix d'implant supérieur de 150 % au prix habituellement pratiqué, l'implant vendu était accompagné d'une ampoule d'Healon ". De même, MM. Kita, Sabaria et Desjardins, respectivement des sociétés Cornéal, Iolab et Smith et Nephew-Hexavision, ont déclaré : " C'est pour cette raison, notamment, que l'implant est passé à 3 800-4 000 francs, les sociétés qui devaient acheter du Healon augmentant les prix de leurs propres implants ". " Cette pratique a été une des causes de l'augmentation abrupte des prix de vente des implants facturés aux cliniques, ces sociétés récupérant le prix de vente de la seringue de Healonid achetée en pharmacie entre 560 et 780 francs " et : " il est indéniable que devoir fournir le visqueux a entraîné une augmentation du pack implant + visqueux. En facturation nous portions le libellé Hexalens sans préciser qu'il y avait fourniture d'un visqueux ".

Les variations de prix enregistrées entre 1987, avant la généralisation en 1989 de la pratique de don de substance viscoélastique, et 1991, après l'instauration du TIPS figurent, en progression annuelle, au tableau ci-dessous.

EMPLACEMENT TABLEAU

Ces hausses ne s'expliquent ni par l'augmentation des coûts d'achat des implants soit en régression, soit en très légère progression sur la période considérée (environ 500 francs en 1992), ni entièrement par l'évolution du coût de la substance viscoélastique qui atteindra au maximum le prix de 560 francs en 1991. L'écart entre prix extrêmes pratiqués en 1987 (1 250 et 2 300 francs) est le même, environ 950 francs, que celui constaté quatre ans plus tard avant l'instauration du TIPS, alors que ces prix ont presque doublé (2 985 et 3 900 francs). L'écart type de l'échantillon de prix (hors LPO en 1991) est d'ailleurs en diminution sur la période, passant de 306 francs à 281 francs.

2. Distribution de Healonid par la société Pharmacia & Upjhon et relations avec la société Domilens

Jusqu'en 1989, Healonid était la seule substance viscoélastique présente sur le marché. Elle était distribuée, en l'absence de restrictions de prescriptions, par l'intermédiaire du réseau des grossistes et officines conformément aux dispositions du Code de la santé publique. Les substances viscoélastiques entrées à partir de l'année 1989 sur le marché supporteront par contre des restrictions qui en cantonneront la diffusion aux établissements hospitaliers. Le régime de Healonid ne sera modifié qu'en octobre 1991, date à laquelle il obtiendra une AMM soumise aux mêmes limitations que ses concurrents.

Entre 1987 et 1991, la société Pharmacia et Upjhon a refusé la vente de substance viscoélastique à certains de ses concurrents, telle la société Hexavision. M. Desjardins, responsable de la division Hexavision, à l'époque dotée de la personnalité morale, au sein de la société Smith et Nephew, a déclaré le 16 avril 1993 : " Nous avons commandé du Healonid directement auprès de KB qui refusait de fournir sous prétexte du suivi et du contrôle pharmaceutique ". Melle Ameye, directeur général de la société Pharmacia, a déclaré : " Dès que l'utilisation du viscoélastique est devenue de bonne pratique opératoire nous avons eu plusieurs demandes de distributeurs d'implants en ce qui concerne la distribution de notre viscoélastique. En ce qui concerne les demandes puisque nous assurions par nos propres moyens la distribution du produit soit à l'hôpital public soit aux cliniques, soit aux officines par l'intermédiaire de l'OCP. "

Avant le 6 décembre 1990, la distribution du Healonid était effectuée par l'intermédiaire de l'OCP et des officines, comme tout médicament ayant un Code d'identification pharmaceutique appartenant à la " classe 3 " : les concurrents de la société Pharmacia et Upjhon sur le marché des implants pouvaient, sous réserve qu'ils aient le statut de laboratoire pharmaceutique, s'approvisionner auprès du réseau des grossistes-répartiteurs ou d'officines faute de pouvoir obtenir Healonid à une date non connue, mais antérieure au 27 novembre 1990, date d'une note interne de la société Pharmacia comportant la liste des " demandes de seringues de Healon répertoriées comme inhabituelles ", recensant des commandes passées par des pharmacies, des grossistes ou d'autres distributeurs d'implants ayant la qualité de laboratoire pharmaceutique considérées comme " inhabituelles " et permettant de contrôler la destination du Healonid.

M. Paccioni, pharmacien responsable de la société Pharmacia, a déclaré que des refus de vente ont été directement opposés à certains concurrents, telles les sociétés LPO, Allergan ou Hexavision.

Lorsque la qualité du demandeur ne semblait pas suffisamment établie pour permettre le rejet immédiat de sa demande, des actions de persuasion et d'explication ont été engagées : certaines officines ont ainsi été dissuadées de formuler des commandes " anormales " au regard de leur statut. Une fiche de " commande téléphonique " du 5 décembre 1990 révèle par exemple que M. Doustaly, pharmacien à Tarascon, qui avait passé une commande de 40 Healonid par mois, a accepté, après avoir été " sensibilisé ", " de ne pas renouveler cette commande définitivement annulée ". A ce sujet, M. Paccioni a déclaré : " Suite à l'arrêt des ventes de Healonid à l'OCP nous avons repris nos ventes directes aux officines. En tant que pharmacien responsable et sachant que l'utilisation normale de Healonid était une utilisation en hôpital ou en clinique et quelquefois en usage ambulatoire pour des quantités faibles, j'ai demandé à mon service commercial de m'informer de toute demande inhabituelle d'officines ou d'autres clients. Le document daté du 27 novembre 1990 récapitule un certain nombre de ces cas. En ce qui concerne l'OCP de Toulouse, ce dernier nous a déclaré qu'il s'agissait d'une demande d'Opsia. Je lui ait dit que cela me gênait qu'il livre un laboratoire concurrent. Je lui ai précisé que l'objectif d'un grossiste-répartiteur était de livrer les hôpitaux, les cliniques et les officines. En ce qui concerne la pharmacie KB de Lorient et Dambrine à Ploëmel, je leur ai rappelé que leur rôle était de vendre les produits à des patients et non à des sociétés. Ces pharmaciens m'avaient signalé que ces viscoélastiques étaient destinés à Hexavision. A la suite de cette conversation, ils ont annulé leur commande téléphonique. En fin de page, figure une commande LPO pour 500 seringues : j'ai répondu que mon rôle n'était pas de distribuer un produit pharmaceutique en dehors du circuit pharmaceutique. Nous n'avons donc pas livré LPO.

Le 6 décembre 1990, la société Pharmacia & Upjhon a adressé une circulaire aux responsables des services d'ophtalmologie et aux pharmaciens hospitaliers dans laquelle elle dénonce l'atteinte " aux règles de bonne distribution exigées pour toute spécialité pharmaceutique ", qui résulterait de la mise en place par quelques distributeurs d'implants de " circuits de distributions parallèles " du Healonid, alors que : " la spécialité Healonid, AMM n° 324625.6 est un médicament Pharmacia dont la distribution et l'utilisation sont régis par le Code de la santé publique " et qu'à ce titre cette spécialité " ne peut être livrée aux cliniques, au bon soin du pharmacien hospitalier que par les circuits de distribution pharmaceutique autorisés, à savoir : directement auprès de Pharmacia France ou auprès d'un établissement ayant le statut de grossiste-répartiteur ", et, enfin, " qu'aucun accord de quelque nature que ce soit n'a été signé avec des fabricants ou des distributeurs d'implants intraoculaires les autorisant à se procurer du Healonid et à en faire la distribution à titre onéreux ou gratuit ". La publication dans un journal professionnel d'une " mise au point " rappelait les termes de cette circulaire qui semble vouloir garantir le maintien de la distribution par grossistes-répartiteurs, alors que celle-ci avait cessé peu avant sa diffusion ainsi que l'attestent, d'ailleurs les plaintes de certains pharmaciens relayés par leur Ordre.

Melle Ameye a justifié comme suit cette réforme des conditions de distribution : " Le produit a été agréé aux collectivités. Parallèlement, pour des quantités faibles, nous avons obtenu la dérogation de délivrer en officines des seringues réservées à la chirurgie ambulatoire (à la demande du chirurgien). Jusqu'en 87/88... les ventes en officines sont restées relativement modestes. Par la suite, nous avons constaté une augmentation très nette de nos ventes à l'OCP (apparemment supérieures aux besoins de l'ambulatoire). La DPHM nous a alors alerté sur ce développement contraire à nos engagements initiaux de vente modérée aux officines. Nous avons décidé de ne plus passer par l'OCP mais par contre de continuer à livrer les officines à condition qu'ils respectent nos conditions commerciales... "

M. Paccioni a confirmé l'intervention de la DPHM mais il a reconnu, le 29 mars 1993 : " Je ne me souvient plus quel est le fonctionnaire de la direction de la pharmacie qui nous a signalé que nos ventes à l'OCP s'envolaient. " Toutefois , l'examen des " déclarations relatives aux ventes de spécialités pharmaceutiques adressées à cette même direction montre que les ventes de Healonid aux pharmacies et répartiteurs ont évolué de la façon suivante : 1986 : 17 226 ; 1987 : 30 384 ; 1988 : 35 561 ; 1989 : 22 593 ; 1990 : 22 668 et n'ont donc pas suivi l'évolution décrite par les représentants de la société Pharmacia.

S'agissant des relations entre les sociétés Pharmacia & Upjhon et Domilens, plusieurs accords ont été signés de 1986 à 1989 portant sur la fourniture d'implants par la seconde à la première. Pour la période 1989-1991, cet accord couvrait environ 50 % des besoins de la société Pharmacia, soit en moyenne 11 500 implants à un prix fixe de 500 francs puis 450 francs.

Au sujet de la fourniture de Healon à Domilens, Melle Ameyre, directeur général de la société Pharmacia, a déclaré le 29 mars 1993 : " Il n'y a pas eu de contrat de fourniture de Healon à Domilens. Il n'y a pas eu à ma connaissance de demande formelle par écrit. A l'occasion d'essais cliniques, nous avons pu leur fournir un certain nombre de doses ".

Elle a également déclaré le 14 mai 1993, après avoir fait état des pressions exercées par la société Domilens pour obtenir du Healonid afin de pouvoir réaliser les études comparatives nécessaires à l'obtention d'une AMM pour Collagel : " Concomitamment, Domilens opérait un développement à l'international... ils ont souhaité avoir une certaine quantité de Healonid pour leur développement à l'étranger. Compte tenu du fait que ces transactions ne devaient pas concerner le marché français, nous nous sommes mis d'accord pour livrer une société hors de France. J'ignore quelle était la destination de ces produits et notamment s'ils revenaient en France ".

En revanche, M. Romano, directeur commercial de la société Domilens, a déclaré : " A partir de fin 88, la gamme Bioplus est apparue et, pour un prix d'implant supérieur de 150 % au prix habituellement pratiqué, l'implant vendu était accompagné d'une ampoule de Healon. Cet implant bénéficiait également d'un plus technique (traitement thermique). Le Healon nous était fourni par KB et nous en avions autant qu'il nous en fallait... Ces livraisons de Healon étaient probablement garanties par les relations privilégiées entre les deux directions générales de Domilens et KB. Nous avons bénéficié de livraison d'Healon jusqu'en 1990, KB, ayant constaté que la fourniture du Healon à d'autres fournisseurs d'implants se faisait au détriment de leur part du marché d'implants, a décidé de limiter la livraison et en ce qui nous concerne a décidé d'arrêter les livraisons. " Pour sa part, M. Bonabosch, président du conseil d'administration de la société Domilens au moment des faits, a déclaré le 12 juillet 1993 : " C'est en 1986 que le responsable ophtalmologique de Kabi Pharmacia, dont je ne me souviens plus du nom, est venu à Lyon afin de conclure un accord de fourniture... Nos ventes stagnaient en France surtout du fait que nous ne disposions pas de produit visqueux et c'est pourquoi nous avons demandé à Kabi Pharmacia de nous livrer son viscoélastique en 1989. L'accord de fourniture d'implants à Pharmacia a fait l'objet d'un contrat écrit. L'accord d'achat de Healon à Pharmacia est resté oral. Kabi Pharmacia a accepté à condition : que nos implants soient identiques en qualité aux implants fabriqués par nous-mêmes pour Pharmacia, que nous obtenions, nous Domilens, le statut de laboratoire pharmaceutique, que nous pratiquions les prix hauts du marché, soit 2 700 francs en 1984, que nous nous interdisions de casser le marché. Pour respecter la clause laboratoire pharmaceutique, nous avons été amenés à créer Bioplus... Pour ne pas gêner l'activité de la société mère Pharmacia Suède, la société Pharmacia France nous a livré du Healon en utilisant un circuit particulier : Pharmacia vendait le Healon à la société Rockmed en Hollande dont le dirigeant était Tom Rock ; Rockmed facturait ensuite à Domilens. A mon sens, il ne s'agissait que d'un jeu d'écritures comptables, aucune marge n'était prélevée par les différents intermédiaires. J'estime que nos achats de Healon représentaient environ 20 000 à 25 000 seringues pour l'année 1990 ".

3. Les accords de prix entre les sociétés Pharmacia et Domilens

Selon les déclarations précitées de M. Bonabosch, président du conseil d'administration de la société Domilens au moment des faits, la société Pharmacia & Upjhon aurait accepté de livrer du Healonid à son concurrent dans le cadre de l'accord exposé ci-dessus sous réserve que la société Domilens pratique " les prix hauts du marché, soit 2 700 francs en 1984, et que nous nous interdisions de casser les prix ".

L'indication du millésime 1984 est probablement une erreur de plume puisqu'il a été explicitement fait référence à l'accord de fourniture daté de 1989. L'évolution du prix des implants " standard " de la société Domilens est le suivant : avant le 1er janvier 1989, le prix de ces implants était de 1 550 francs (HT). Les implants Bioplus (implants + Healonid) ont été vendus 3 150 francs le 1er janvier 1989, prix qui sera porté à 3 650 francs en août 1990, alors que le prix des implants de la société Pharmacia & Upjhon n'a atteint que 2 985 francs avant l'instauration du TIPS en mai 1991.

Il a été fait grief, d'une part, à la société Pharmacia & Upjhon d'avoir abusé de sa position dominante sur le marché des substances viscoélastiques en délivrant gratuitement cette substance aux acheteurs de ses implants alors que les autres fabricants d'implants devaient acquérir cette substance pour proposer le même produit qu'elle, d'avoir accepté de vendre pendant l'année 1990 des doses de substances viscoélastiques à la société Domilens en échange de ses implants alors qu'elle refusait simultanément la vente de cette substance à d'autres opérateurs, d'avoir enfin, du mois de novembre 1990 jusqu'au mois d'octobre 1991, réorganisé la distribution du Healonid de façon à priver ses concurrents d'un produit indispensable à la vente de leurs implants.

Il a aussi été fait grief, d'autre part, aux sociétés Pharmacia & Upjhon et Domilens d'avoir en 1989 passé un accord portant sur la fourniture par Pharmacia de substances viscoélastiques à Domilens, fabricant d'implants, accord qui s'est poursuivi jusqu'au mois de septembre 1990 ; il a été soutenu qu'en permettant à la société Domilens pendant l'année 1990 de continuer à s'approvisionner en Healonid directement auprès de la société Pharmacia alors que cette fourniture était refusée par Pharmacia aux autres fabricants d'implants, cet accord a conféré à la société Domilens un avantage aux dépens des autres opérateurs qui a eu pour objet et a pu avoir pour effet de fausser la concurrence sur le marché des implants ; une telle pratique, si elle était établie, est prohibée par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

II. - Sur la base des constatations qui précèdent, le Conseil,

Sur la procédure :

Considérant que la société Pharmacia & Upjhon fait valoir que le rapport aurait dû être notifié au ministre chargé de la Santé, ministre intéressé au sens de l'article 21 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, dès lors qu'était en cause une question d'interprétation des règles du droit pharmaceutique ;

Mais considérant que le rapport n'a fait que tirer les conséquences au regard du droit de la concurrence du changement d'attitude de la société Pharmacia & Upjhon en ce qui concerne les règles de distribution du Healonid dans le courant de l'année 1990, alors que les conditions législatives et réglementaires de la distribution du médicament, qu'elle ne pouvait ignorer, restaient inchangées ; que, par suite, l'interprétation des dispositions de l'article R. 5106 du Code de la santé publique dans sa rédaction résultant du décret n° 69-13 du 2 janvier 1969 est indifférente à la solution du litige; que le ministre chargé de la Santé ne peut donc être regardé comme " ministre intéressé " au sens de l'article 21, alinéa 2, de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur les marchés concernés :

Considérant, en premier lieu, que la société Pharmacia & Upjhon fait valoir que la substance viscoélastique est inséparable de l'implant et que leur association constitue un produit nouveau destiné à une nouvelle discipline, l'opération de la cataracte par le biais de la visco-chirurgie ; qu'à l'appui de son affirmation elle cite une étude du professeur Montet selon laquelle : " De nombreux produits industriels sont des packages pour lesquels il existe de manière évidente des marchés distincts de chaque élément entrant dans l'ensemble (...). Dans le cas du package substances viscoélastiques + implants intraoculaires, il est extrêmement difficile de voir le marché indépendant des substances. La liaison technologique entre les deux est tellement forte que les deux produits sont vendus en packs de façon quasiment naturelle et à la demande même des utilisateurs (...) ce sont les acheteurs qui souhaitaient la fourniture conjointe d'une substance viscoélastique et d'un implant. Il ne serait donc pas absurde dans le cas d'espèce de considérer que le marché pertinent est bien celui du package substances + implants " ; qu'elle en conclut que " le marché des substances viscoélastiques seules n'existe pas " ;

Mais considérant que, pour la période non couverte par la prescription, d'une part, il n'existait pas d'autres produits qui puissent se substituer aux substances viscoélastiques, d'autre part, de nombreuses substances viscoélastiques, substituables entre elles et avec Healonid, mais non substituables à d'autres produits, ont été introduites sur le marché, entre lesquelles les demandeurs ont rapidement pu arbitrer ; qu'il est constant que des substances viscoélastiques ont été commercialisées indépendamment des implants ; que, dès lors, il y a lieu de considérer que les pratiques constatées ont eu lieu sur deux marchés distincts, celui des implants et celui des substances viscoélastiques ;

Considérant, en second lieu, que la société Pharmacia & Upjhon soutient qu'il convient de distinguer selon le statut public ou privé des établissements hospitaliers demandeurs ; qu'en effet les modalités d'achat, tels par exemple le processus de négociation, le niveau de prix ainsi que la gamme de produits susceptibles d'être utilisés, permettraient de définir deux marchés distincts au sens du droit de la concurrence ;

Mais considérant que si les modalités d'achat, les gammes de produits et les niveaux de prix pratiqués diffèrent selon que les demandeurs appartiennent au secteur public ou au secteur privé, il est constant que les produits concernés et leur utilisation sont identiques dans les deux secteurs et que les offreurs sont les mêmes et d'ailleurs n'utilisent pas, ainsi qu'ils l'ont reconnu au cours de la séance, des méthodes de commercialisation différentes selon qu'ils vendent les substances viscoélastiques à l'un ou à l'autre secteur ; que les différences de prix constatées pour un même produit entre les ventes au secteur public et les ventes au secteur privé s'expliquent principalement par le fait que les quantités achetées par les hôpitaux publics sont plus importantes que celles achetées par les établissements du secteur privé ; qu'en l'état il ne peut être affirmé qu'il existe deux marchés de la vente des substances viscoélastiques selon qu'elle concerne le secteur public ou le secteur privé ;

Sur la position de la société Pharmacia & Upjhon sur le marché et sur ses pratiques :

Considérant que le premier acte de constatation des infractions étant constitué par le procès-verbal d'audition de MM. Zeller, d'Arras et Blachère du 21 janvier 1993, la prescription est acquise pour les faits antérieurs au 21 janvier 1990 ;

Considérant, en premier lieu, que, jusqu'à l'année 1988, la société Pharmacia & Upjhon était seule présente sur le marché français des substances viscoélastiques ; qu'en 1990 elle réalisait encore, en volume, 61,44 % des ventes ou des " dons " de substances viscoélastiques, quatre autres concurrents étant présents sur le marché, les sociétés Alcon, Iolab, ERCL et Domilens, avec des parts de marché en volume de, respectivement, 5 %, 10,8 %, 1,3% et 11,43 % ; qu'en 1991 la société Pharmacia & Upjhon distribuait en volume 46,58 % des substances viscoélastiques, les quatre sociétés précitées réalisant quant à elles des volumes de vente de, respectivement, 14,3 %, 7, 8%, 1 % 10 et 12 % du marché et une cinquième société, Cronéal, un volume de 6 % ; qu'en 1992 la part de la société Pharmacia était passée à 37 %, que celle des sociétés Alcon et Iolab représentait 18,36 % et 9,18 %, alors que sept autres compétiteurs identifiés étaient entrés sur le marché et que la part non identifiée des fournisseurs représentait 16 % de celui ci ; que la part en valeur des ventes de substances viscoélastiques, qui doit être regardée comme moins significative compte tenu, d'une part, de l'importance des dons dans la distribution de substances viscoélastiques et, d'autre part, de la circonstance que la société Pharmacia vendait plus qu'elle ne donnait de substances viscoélastiques, ce qui n'était pas le cas des autres producteurs, est passée pour la société Pharmacia de 94,2 % en 1990 à 72 % en 1992 alors que dans le même temps celle de ses concurrents augmentait de 2,25 % à 16 % pour la société Alcon et de 3,55 % à 6,6 % pour la société Iolab ; qu'ainsi, en dépit de la grande notoriété du Healonid et de la circonstance que ce produit était protégé par un brevet jusqu'en 1996, au cours de la période considérée, les parts détenues, en volume et en valeur, par la société Pharmacia & Upjhon sur le marché des substances viscoélastiques n'ont cessé de s'effriter et le nombre de nouveaux compétiteurs d'augmenter ;

Considérant que, si on examine le seul approvisionnement en substances viscoélastiques des établissements de soins privés, secteur où l'essentiel des pratiques a été constaté et qui réalise 70 % des opérations de la cataracte, on constate que la part en volume de la société Pharmacia & Upjhon pour l'année 1992, seule année pour laquelle cette indication a été fournie, est de 27,33 % seulement ;

Considérant, en second lieu, que les prix de vente du Healonid, après avoir fortement augmenté jusqu'au début de l'année 1991, se sont ensuite stabilisés ; que la même évolution a été enregistrée pour les prix des produits des deux principaux concurrents de la société Pharmacia, les sociétés Iolab et Alcon ; que cette hausse des prix peut s'expliquer par la pression croissante de la demande pour un produit particulièrement innovant et permettant une amélioration considérable des conditions d'opération de la cataracte ; que le quasi-alignement des prix de vente des substances viscoélastiques par les différents producteurs à partir de 1991 démontre que la société Pharmacia & Upjhon n'était pas en mesure de déterminer une politique de prix indépendante de celle suivie par ses concurrents ;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments qu'au cours de la période non couverte par la prescription la société Pharmacia & Upjhon ne détenait pas sur le marché des substances viscoélastiques en général, ni d'ailleurs sur celui de l'approvisionnement du seul secteur privé, de position dominante lui permettant de s'abstraire de la pression concurrentielle ; que, par suite, il ne peut lui être reproché de s'être livrée à des abus de position dominante prohibés par les dispositions de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Considérant, d'ailleurs, qu'aucun effet particulier résultant des pratiques reprochées à la société Pharmacia & Upjhon n'a pu être relevé ni sur le marché des implants sur lequel la part de cette société décroît régulièrement de 1987 à 1992 pour se stabiliser à 10 % ni, ainsi qu'il a été mentionné plus haut, sur celui des substances viscoélastiques ;

Sur l'accord passé entre les sociétés Pharmacia & Upjhon et Domilens concernant la fourniture de substances viscoélastiques :

Sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la régularité du procès-verbal d'audition de M. Bonabosch en date du 12 juillet 1993 ;

Considérant, d'une part, que, s'il résulte des pièces du dossier qu'à la suite d'accords verbaux la société Pharmacia a livré jusqu'en septembre 1990 certaines quantités d'Healonid à la société Domilens, il n'est pas établi que la société Domilens se soit associée ou ait participé d'une manière quelconque aux refus de vente opposés par la société Pharmacia aux demandes de livraison d'Healonid qui lui étaient faites par d'autres producteurs d'implants ; que, par suite, il ne peut être reproché aux sociétés Pharmacia & Upjhon et Domilens de s'être livrées à une action concertée au sens des dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Sur la concertation sur les prix des implants entre les sociétés Pharmacia & Upjhon et Domilens :

Considérant que le commissaire du Gouvernement soutient que l'entente tarifaire décrite dans le procès-verbal d'audition de M. Bonabosch, et qui visait à ce que la société Domilens pratique " les prix hauts du marché, soit 2 700 francs en 1984 " et s'interdise " de casser les prix ", valait du début de l'accord de fourniture, soit en 1989 et non en 1984 comme une erreur de plume pouvait le laisser penser, jusqu'à son terme ; qu'un nouveau grief pourrait être notifié aux deux entreprises ;

Considérant qu'en tout état de cause, il n'appartient pas au Conseil de décider de la notification d'un grief ; qu'il n'y a pas, par ailleurs, d'éléments suffisants pour justifier un renvoi dans l'attente d'un complément d'instruction,

Décide :

Article unique. - Il n'est établi ni que la société Pharmacia & Upjhon ait enfreint les dispositions de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, ni que les sociétés Pharmacia & Upjhon et Domilens aient enfreint les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.