Livv
Décisions

Conseil Conc., 22 juin 1999, n° 99-D-41

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Pratiques mise en œuvres par le Comité intersyndical du livre parisien et les syndicats composant cette coordination dans le secteur de l'imprimerie de publications

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré, sur le rapport de Mme Biolley-Coornaert, par Mme Hagelsteen, présidente, Mme Pasturel, vice-présidente, MM. Cortesse, Jenny, vice-présidents, Mme Boutard-Labarde, MM. Bargue, Nasse, Piot, Rocca, membres.

Conseil Conc. n° 99-D-41

22 juin 1999

Le Conseil de la concurrence (formation plénière),

Vu la lettre enregistrée le 31 août 1992 sous le numéro F 533 par laquelle la SA Les Meilleures Éditions a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par le Comité intersyndical du livre parisien et les syndicats qui le composent, qu'elle estime anticoncurrentielles ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application ; Vu les observations présentées par le Comité interprofessionnel du livre parisien (CILP), le Syndicat général du livre et de la communication écrite (SGLCE), le Syndicat national des cadres et techniciens du livre et de la communication (SNCTLC), le Syndicat des correcteurs, la Chambre syndicale typographique parisienne (CSTP), la SA Les Meilleures Éditions et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement entendus ; Le représentant de la société Offprint et le représentant du Syndicat de la presse parisienne entendus conformément aux dispositions de l'article 25 ; Les représentants du Comité interprofessionnel du livre parisien (CILP), du Syndicat général du livre et de la communication écrite (SGLCE), du Syndicat national des cadres et techniciens du livre et de la communication (SNCTLC), du Syndicat des correcteurs, de la Chambre syndicale typographique parisienne (CSTP), de la SA Les Meilleures Editions entendus ; Après en avoir délibéré hors la présence du rapporteur et du rapporteur général, Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et les motifs (II) ci-après exposés :

I. - Constatations

A. - Le secteur concerné

Le secteur de l'impression de publications englobe la fabrication matérielle des journaux quotidiens, des périodiques (news magazines, presse spécialisée, hebdomadaires...), mais également des catalogues, notamment pour la vente par correspondance, et des imprimés publicitaires. En 1996, le tirage de la presse écrite (périodiques, quotidiens) était de 3,7 milliards d'exemplaires, dont 864 millions d'exemplaires pour la presse quotidienne nationale.

1. Les offreurs :

L'impression de publications est réalisée par deux types d'imprimeries : l'imprimerie dite de " presse " et l'imprimerie de labeur.

a) L'imprimerie de presse

L'imprimerie de presse fabrique essentiellement les quotidiens. Elle peut néanmoins assurer le tirage de journaux édités plusieurs fois par semaine. Elle utilise la technique de l'offset.

L'imprimerie de presse se caractérise par l'irrégularité de son activité qui est liée au volume du tirage, lequel dépend de l'actualité, et par un impératif de distribution des quotidiens le plus tôt possible. Les quotidiens sont ainsi imprimés près de leur lectorat. Pour les neuf quotidiens nationaux, l'impression est réalisée en Ile-de-France, région qui représente 60 % de leurs ventes, par les imprimeries dite " de la presse parisienne ".

La plupart des quotidiens nationaux disposent de leur propre imprimerie. Sur les six imprimeries de presse d'Ile-de-France, quatre assurent des travaux d'impression pour des groupes de presse autres que ceux auxquels elles appartiennent. Ces imprimeries sont : l'Imprimerie de la Plaine (Les Échos), l'Imprimerie Bayard Presse (quotidien La Croix ), le Centre Impression Presse Parisienne (Libération, l'Humanité, Le Canard enchaîné), l'Imprimerie " Le Monde " et l'Imprimerie Offprint. Cette dernière appartient au groupe Hersant. Elle assure principalement l'impression de deux quotidiens n'appartenant pas à ce groupe : l'International Herald Tribune et Paris Turf. De juin 1990 à août 1992, elle a réalisé le tirage des journaux hippiques Le Meilleur et Spécial Dernière de la société Les Meilleures Éditions à l'origine de la présente saisine du Conseil de la concurrence. En 1991, l'impression de ces journaux a représenté un montant de 11,4 MF soit 22 % du chiffre d'affaires de la société Offprint (52 MF). En 1992, cette activité a représenté un montant de 6,9 MF soit 14,2 % du chiffres d'affaires de cette même société (47,3 MF).

Les relations entre employeurs et employés des imprimeries de presse parisiennes sont définies dans la " convention collective de travail des ouvriers des entreprises de presse de la région parisienne ", non étendue. En sont signataires aujourd'hui le Comité intersyndical du livre parisien (CILP), le Syndicat de la presse parisienne (SPP) et les Nouvelles messageries de la presse parisienne (NMPP). L'article 14 de cette convention donne au CILP un droit de regard sur l'embauche des salariés, qui ne peut avoir lieu qu'après accord du délégué syndical dans l'entreprise. En outre, les ouvriers de presse sont recrutés au sein du bureau de placement du CILP. En contrepartie de ce rôle spécifique du CILP, les salariés de la presse parisienne bénéficient d'avantages salariaux particuliers : le salaire minimum d'un ouvrier de la presse parisienne est de 15 000 francs net par mois pour une durée hebdomadaire de travail de 35 heures.

b) L'imprimerie de labeur

L'imprimerie de labeur fabrique tous les journaux autres que les quotidiens, c'est-à-dire les magazines, les " news " (ex : L'Express, Le Nouvel Observateur...) mais également les quotidiens spécialisés comme les journaux hippiques, ou différents journaux ou magazines imprimés sur papier journal (ex : Officiel des Spectacles). Elle réalise en outre les imprimés administratifs, commerciaux et publicitaires, les affiches, les catalogues de vente par correspondance (VPC).

Ce type d'imprimerie utilise principalement deux techniques d'impression : l'offset et l'héliogravure. Cette dernière technique nécessite un délai d'impression supérieur à l'offset mais assure une meilleure qualité graphique. L'essentiel de l'impression (78 % du tonnage imprimé) est toutefois réalisé par le procédé offset.

L'imprimerie de labeur, contrairement à l'imprimerie de presse, a un plan de charge régulier. En outre, elle est de plus en plus souvent équipée de puissantes rotatives, ce qui lui donne aujourd'hui la capacité technique d'assurer l'impression d'un quotidien.

Les imprimeries de labeur les plus importantes de l'Ile-de-France appartiennent aux groupes Québécor (deux unités qui appartenaient antérieurement au groupe Jean Didier), Hachette (société Hélio-Corbeil qui dispose de deux imprimeries) et à la société Segos.

Deux imprimeries de labeur de moindre importance ont été concernées par les pratiques dénoncées par la société Les Meilleures Éditions :

- La SA Méaulle : cette imprimerie a réalisé un chiffre d'affaires de 319 millions de francs en 1996 (264 MF en 1992). Elle réalise les travaux d'impression des titres de son groupe et d'un certain nombre de clients extérieurs (28 % de son CA). Au cours de la période 1992/1996 l'impression des journaux Le Meilleur et Spécial Dernière de la SA Les Meilleures Éditions a représenté de 3 à 7 % du chiffre d'affaires de cette entreprise qui est passé de 57 à 70 millions de francs de 1992 à 1996.

- La société Les Rotos de l'Ile-de-France : cette imprimerie, au capital de 50 000 francs et au chiffre d'affaires de 20 millions de francs en 1992, employait à cette date 30 salariés sous convention labeur. Elle est exclusivement équipée de rotatives offset et spécialisée dans l'impression de quotidiens tels que les journaux hippiques (Bilto, Tiercé Magazine...) et de périodiques imprimés sur papier journal comme l'Officiel des spectacles.

Les relations entre salariés et employeurs dans les imprimeries de labeur sont définies dans la " convention collective nationale du labeur ", étendue et applicable à tous les métiers liés au secteur de l'imprimerie, à l'exclusion de la presse quotidienne. La durée du travail pour un salarié d'une imprimerie de labeur est de 37 heures 30 minutes par semaine. Sa rémunération peut varier du SMIC à 12 ou 14 000 francs net par mois.

2. Le rôle spécifique du Comité intersyndical du livre parisien (CILP ) dans la presse parisienne :

Le Comité intersyndical du livre parisien (CILP) est une coordination de quatre syndicats : le Syndicat général du livre parisien et de la communication écrite (SGLCE), la Chambre syndicale typographique parisienne (CSTP), le Syndicat des correcteurs, le bureau parisien du Syndicat national des cadres et techniciens de la communication (SNCTLC). Cette coordination dispose d'un secrétaire général mais n'a pas de statut spécifique. Un règlement intérieur établit ses modalités de fonctionnement et ses frais éventuels sont répartis entre les quatre syndicats au prorata de leurs effectifs. L'article préliminaire du règlement intérieur du CILP précise l'objet de cette coordination :

" Les organisations syndicales parisiennes du Livre (SGL (secteur presse)), CSTP, Syndicat des correcteurs, BECTP) rattachées à la FILPAC-CGT, considérant l'identité de leur rôle dans tous les domaines de l'activité syndicale et partant de la nécessité impérieuse de présenter un front unique, sont regroupées dans le CILP (secteur presse), en vue de coordonner et décider des orientations, tant sur le plan revendicatif que sur le plan de l'action et des luttes. "

Le Comité intersyndical du livre parisien (CILP) fait donc partie de la Fédération des industries du livre et de la communication (FILPAC), qui est affiliée à la Confédération générale du travail (CGT).

Le CILP assure une double fonction : celle de défense des intérêts des salariés de la presse quotidienne nationale et celle de bureau de placement des ouvriers du livre dans les imprimeries de presse parisienne.

Le placement des ouvriers du livre dans les entreprises de presse parisienne résulte de " la convention collective de travail des ouvriers des entreprises de presse de la région parisienne " qui dispose dans son article 14 que : " l'embauchage s'effectue par le chef de l'entreprise ou son représentant en accord avec les délégués ou selon les usages qui seront précisés par chacune des Annexes techniques (...) ".

Le bureau de placement ne concerne que les ouvriers et fonctionne de la façon suivante : les ouvriers demandent à être inscrits sur une liste dressée par le bureau de placement ; une fois inscrits sur la liste, les ouvriers sont appelés au coup par coup par le bureau de placement et proposés aux imprimeurs en fonction de leurs besoins. Cette disponibilité des ouvriers inscrits au bureau de placement s'appelle " la permanence ".

M. Hartweg, directeur administratif et financier de la société Offprint, a confirmé, dans le procès-verbal du 28 janvier 1994, le mode de fonctionnement du bureau de placement du Syndicat du livre, en précisant que " les besoins en personnel sont assurés par " une permanence " tenue par le syndicat CGT du Livre ".

M. Légerot, secrétaire général du CILP a précisé l'origine du rôle de bureau de placement du CILP et son mode de fonctionnement dans le procès-verbal du 10 septembre 1997 :

" Le rôle de bureau de placement du syndicat du livre est lié au " label syndical ", technique américaine consistant pour une organisation syndicale à se porter garant de la valeur professionnelle des ouvriers qu'elle recommande aux dirigeants d'entreprises. En contrepartie de la garantie de la valeur professionnelle de ses salariés, l'employeur leur offre un salaire décent conforme au tarif syndical.

(...)

Concrètement la direction d'une imprimerie fait état chaque jour aux cadres techniques du nombre d'ouvriers nécessaires à l'impression du ou des quotidiens. Ces derniers informent alors le délégué du syndicat du Livre présent dans l'imprimerie qui appelle alors le bureau de placement et lui demande le nombre d'ouvriers correspondant aux besoins du jour. "

Le placement des ouvriers du livre dans les entreprises de presse parisienne se caractérise par le fait que l'imprimeur n'a pas la possibilité de choisir ses ouvriers temporaires ni même ses titulaires, l'effectif, c'est-à-dire le nombre de services nécessaire à l'impression d'un quotidien, étant défini par négociation avec le Syndicat du livre pour chaque machine, par type de métiers, en fonction notamment du tirage et de la pagination, comme l'ont précisé MM. Javelle et Hartweg de la société Offprint dans le procès-verbal du 15 septembre 1997.

Le bureau de placement assuré par le CILP est dit " gratuit ". La création de ce type de bureaux de placements a été interdite par l'ordonnance du 24 mai 1945. Toutefois, ceux qui existaient préalablement à ce texte, comme en l'espèce, ont été autorisés à poursuivre provisoirement leur activité jusqu'à l'élaboration des décrets d'application de ce texte (article L. 312-2 du Code du travail). Ces derniers n'ont jamais été pris.

Aujourd'hui, toutes les imprimeries de la presse parisienne à l'exception de celle du Parisien recrutent exclusivement leur personnel ouvrier par l'intermédiaire du bureau de placement du Syndicat du livre. Le CILP dispose donc d'un quasi-monopole de l'activité de placement des ouvriers du livre de la presse quotidienne parisienne, pour chacun des métiers liés à l'impression d'un quotidien.

3. Les demandeurs :

La demande émane des éditeurs de presse.

Les éditeurs de presse étaient en 1995 au nombre de 27 selon le magazine professionnel Union Presse de juillet-août 1996.

En règle générale les éditeurs sont spécialisés soit en presse quotidienne soit en presse magazine.

L'un de ces éditeurs, la société Les Meilleures Éditions, est à l'origine de la présente saisine du Conseil.

Ce groupe, créé en mars 1971 et dirigé par M. Alain Ayache qui en est le président-directeur général, a réalisé en 1995 un chiffre d'affaires de 547 millions de francs. Il assure la publication de sept titres : un hebdomadaire (La Lettre juridique du commerce et de l'industrie), trois mensuels (Questions de femmes, Réponses à tout, Réponse à tout santé), le journal La Gazette de la Bourse et deux journaux qui paraissent quatre fois par semaine (Le Meilleur et Spécial Dernière) et qui sont considérés par le journal professionnel Union Presse précité comme des quotidiens.

4. Les coûts de fabrication d'un journal :

Selon le Syndicat de la presse parisienne, la répartition moyenne des coûts d'un quotidien national est la suivante : rédaction : 23 % ; fabrication : 24 % ; papier : 10 % ; distribution : 30 % ; divers : 13 %.

Le coût de fabrication, c'est-à-dire d'impression, des journaux, se décompose en main d'œuvre, encre, plaques, amortissement, etc. Le coût de la main d'œuvre en représente une part essentielle ; ce coût est beaucoup plus élevé dans l'imprimerie de presse que dans l'imprimerie de labeur comme en témoigne une comparaison effectuée entre les coûts d'impression du journal Le Meilleur par l'imprimerie de presse parisienne Offprint et par l'imprimerie de labeur Méaulle :

EMPLACEMENT TABLEAU

B. - Les pratiques constatées

Par contrat du 16 mai 1990, la SA Les Meilleures Éditions, dont le président-directeur général est M. Alain Ayache, confie à la SARL Offprint à compter du 1er juin 1990, pour une durée de deux ans, l'impression de ses titres hippiques Le Meilleur et Spécial Dernière, chacun d'eux ayant quatre parutions hebdomadaires. Cette entreprise est une imprimerie de presse parisienne, dont les ouvriers sont exclusivement recrutés par l'imprimeur par l'intermédiaire du bureau de placement du Comité interprofessionnel du livre parisien (CILP).

Le 1er avril 1992, M. Ayache dénonce son contrat avec l'imprimerie Offprint en ces termes :

" J'ai le regret de vous informer de ma décision de quitter votre imprimerie.

En effet, malgré mes demandes sans cesse renouvelées, en votre présence, et celle de Jean Miot (1) et de Monsieur Bingler (2), je n'ai toujours aucune réponse définitive quant à la suppression des dix-huit services (3) nécessaires à la survie de mes titres.

Vous le savez, la situation de la presse quotidienne est catastrophique et la seule solution pour moi, c'est le tirage cumulé de mes titres sur vos machines à de nouvelles conditions.

Faute d'une telle solution, je prendrai le risque de me faire imprimer ailleurs, hors du syndicat du Livre ".

A la suite de cette annonce de départ de l'imprimerie Offprint, l'impression des journaux de M. Ayache connaît du retard. Le 6 avril 1992, à la requête de la SA Les Meilleures Éditions, un huissier de justice adresse à la société Offprint la sommation suivante :

" La société Les Meilleures Éditions a constaté que son quotidien, le journal Le Meilleur a connu le 3 avril 1992, un retard de plus de deux heures dans son processus d'impression causant en conséquence un retard important dans sa diffusion.

Il apparaît que ces retards sont dus à des arrêts de travail intempestifs.

Cette situation ne peut se reproduire en ce qu'elle entraîne un préjudice grave pour l'équilibre financier de l'entreprise Les Meilleures Éditions et met en péril l'existence même du journal Le Meilleur.

(...)

C'est dans ces conditions qu'il est fait sommation à la société Offprint d'avoir à assurer l'impression normale du journal Le Meilleur de telle manière que le préjudice ne soit pas davantage aggravé. "

Des négociations interviennent néanmoins entre les deux parties ainsi que l'ont précisé M. Javelle, gérant de la SA Offprint, et Hartweg, directeur administratif et financier de la même société, dans le procès-verbal du 15 septembre 1997 :

" Pour faire face à la demande de M. Ayache, nous avons négocié avec les représentant du syndicat du Livre dans l'entreprise une réduction du nombre de services nécessaires à la parution de son journal. Nous avons trouvé un accord pour une baisse de 14 % des services.

Cette réduction a été jugée insuffisante par M. Ayache. Une nouvelle négociation est alors intervenue qui a abouti à un accord pour une baisse de 25 % des services et par conséquent de nos prix. Cette nouvelle baisse n'a pas été jugée suffisante par M. Ayache ".

Le 21 juillet 1992, M. Alain Ayache adresse un courrier à la société Offprint dans lequel, d'une part, il constate l'absence d'accord entre les parties (" les prix qui m'ont été imposés étaient insupportables ") et, d'autre part, il relativise l'échec de ces négociations : " Je sais aussi que ce n'est pas seulement de votre fait ". Cette lettre précise également que " les derniers numéros du Meilleur (n° 2519) et de Spécial Dernière " (n° 2875) qui seront encore tirés par vos soins auront lieu le vendredi 31 juillet ".

Parallèlement, la société Les Meilleures Éditions contacte des imprimeries de labeur, indépendantes du CILP. Les sociétés Rotos de l'Ile-de-France et Méaulle lui adressent en effet chacune par courrier du 22 juillet un devis pour l'impression de ses journaux comportant des prix inférieurs de moitié à ceux de l'imprimerie Offprint. A titre d'exemple, la société Méaulle propose un prix de 8 000 francs pour 60 000 exemplaires d'une édition semaine de huit pages du journal Spéciale Dernière ou Le Meilleur, alors que, le 31 mars 1992, l'imprimerie Offprint avait adressé à la SA Les Meilleures Éditions une facture s'élevant à 17 383 F pour l'impression de 60 611 exemplaires de l'édition du journal Le Meilleur de huit pages, du 4 mars 1992.

Le départ des titres des Meilleures Editions de l'imprimerie Offprint étant désormais certain, le CILP organise et poursuit alors des actions visant à dissuader M. Ayache de faire imprimer ses journaux Le Meilleur et Spécial Dernière dans les imprimeries de labeur.

A cet effet le CILP, d'une part, exerce des actions directement auprès de cet éditeur : le 30 juillet 1992, veille de la dernière impression des journaux Le Meilleur et Spécial Dernière par l'imprimerie Offprint, le siège social de la société Les Meilleures Éditions est occupé par 200 personnes se réclamant du Syndicat du livre dont des ouvriers de l'imprimerie Offprint, M. Ayache est séquestré dans son bureau et des négociations sont exigées sous la contrainte, ainsi que cela ressort du procès-verbal de constat d'huissier du 30 juillet 1992 établi à la requête de M. Ayache et de sa plainte avec constitution de partie civile.

D'autre part, à l'initiative du CILP, l'impression des journaux Le Meilleur et Spécial Dernière dans les imprimeries de labeur Les Rotos de l'Ile-de-France et Méaulle est interrompue à deux reprises et les journaux sont détruits ; ces deux imprimeries renoncent immédiatement à imprimer les journaux de M. Ayache.

En effet, le 7 août 1992, l'imprimerie Rotos de l'Ile-de-France, qui imprime alors le journal Le Meilleur, est occupée par environ 200 personnes, parmi lesquelles sont présents de nombreux salariés de l'imprimerie Offprint, ainsi que l'a constaté Me Michel Donsimoni, huissier de justice. M. Jean-Claude Meurou, gérant de l'imprimerie Rotos de l'Ile-de-France, a déclaré à cet huissier que " compte tenu du nombre de personnes présentes dans l'entreprise, il s'est trouvé dans l'obligation de leur indiquer qu'il n'imprimerait pas le journal de tout le mois d'août. "

Le 11 août 1992, l'imprimerie Méaulle, qui assure à son tour l'impression des journaux Le Meilleur et Spécial Dernière, est investie par un groupe de 200 personnes environ se réclamant du Syndicat du livre, ainsi que le relève le constat de Me Brigitte Santucci, huissier de justice. Ces personnes, d'une part, empêchent la distribution des journaux Le Meilleur déjà imprimés et, d'autre part, neutralisent les rotatives servant à son impression ainsi qu'à celle des autres journaux imprimés par cette entreprise.

A la suite de ces événements, la compagnie de gendarmerie de Bernay établit, le 14 août 1992, un procès-verbal d'audition de M. Hamelin Jean-Claude, directeur général du groupe Méaulle, lequel précise notamment que :

" (...) Suite à cette intervention des membres du Syndicat du Livre CGT pour sa sécurité l'imprimerie Méaulle a décidé de suspendre l'impression des journaux Le Meilleur et Spécial Dernière ce qui représente un manque à gagner de l'entreprise. (...) Ces tirages devaient avoir lieu dans notre imprimerie pour une durée indéterminée ".

Dans un tract intitulé " Les véritables motivations de la croisade anti-GCT de M. Ayache ", le Comité intersyndical du livre parisien, d'une part, revendique l'intervention massive des ouvriers du livre dans l'imprimerie Méaulle de Bernay et, d'autre part, fait état de son opposition " au coup de force de M. Ayache ", consistant à quitter Paris c'est-à-dire une imprimerie de presse parisienne, et dénonce " les conceptions de ce dernier en matière de liberté ", c'est-à-dire " la course au moindre coût ".

Ce conflit a pris fin le 1er septembre 1992 à la suite d'un accord signé entre M. Alain Ayache et le CILP. Cet accord stipule :

" Le Comité Inter représenté par son secrétaire général Roland Bingler et Christian Guillaumie, et Alain Ayache, éditeur du Meilleur et de Spécial dernière rappellent et confirment " la liberté " pour les éditeurs d'hebdomadaires, et par conséquent pour Alain Ayache, de choisir librement leur imprimeur ".

Dans un souci de mettre fin au conflit qui les oppose, le Comité Intersyndical du Livre Parisien, et Alain Ayache sont convenus :

de mettre tout en œuvre pour régler définitivement sous 48 heures, les conséquences financières du conflit. Dans ce cadre, Alain Ayache n'exclut pas de confier à des conditions tarifaires, qualitatives et technologiques comparables à celles du marché et à celles dont il bénéficie par ailleurs, une partie du tirage de ses journaux, dans une imprimerie relevant de la presse parisienne. "

L'imprimerie Méaulle a alors repris l'impression des journaux de M. Ayache, qui étaient imprimés depuis le 11 août au Danemark et en Belgique.

C. - Les griefs notifiés par le rapporteur :

Sur la base des pratiques décrites ci-dessus, deux griefs ont été notifiés au Comité intersyndical du livre parisien (CILP) et aux quatre syndicats qui composent cette coordination : Syndicat général du livre (SGL), Chambre syndicale typographique parisienne (CSTP), Syndicat des correcteurs et Syndicat national des cadres et techniciens du livre et de la communication (SNCTLC) :

le premier, pour avoir organisé et poursuivi des actions concertées visant à dissuader la société Les Meilleures Éditions de faire imprimer ses journaux Le Meilleur et Spéciale Dernière, à moindre coût dans une imprimerie de labeur ;

le second, pour avoir empêché l'impression dans les imprimeries de labeur des titres hippiques de M. Ayache, afin de réserver cette activité aux entreprises employant des ouvriers du livre de la presse quotidienne parisienne dont le placement est assuré en exclusivité par le CILP, lequel avait ainsi abusé de sa position dominante sur le marché du placement des ouvriers du livre de la presse parisienne quotidienne.

II. - Sur la base des constatations qui précèdent, le Conseil,

En ce qui concerne la procédure,

Sur la valeur probatoire des constats d'huissiers

Considérant que le Comité interprofessionnel du livre parisien (CILP) et les syndicats qui le composent soutiennent que la plainte pénale déposée par M. Ayache, comme les constats d'huissier utilisés pour décrire les pratiques mises en œuvre par ces organisations professionnelles, ne sauraient constituer la preuve des infractions, objet de la procédure toujours en cours, mais vaudraient à titre de simples renseignements ;

Mais considérant que,si l'appréciation au regard du droit pénal des faits relatés dans la plainte avec constitution de partie civile déposée par M. Ayache à la suite de l'occupation des locaux du siège social de la société Les Meilleures Editions ne relève pas de la compétence du Conseil de la concurrence, le constat d'huissier joint à cette plainte, ainsi que les autres constats d'huissier établis à l'occasion des interventions des ouvriers du livre dans les entreprises Rotos de l'Ile-de-France et Imprimerie Méaulle constituent des éléments objectifs de preuve dont il appartient au Conseil d'apprécier la valeur ;

En ce qui concerne les marchés concernés,

Considérant que peuvent être considérés comme appartenant à un même marché les produits et les services dont on peut raisonnablement penser que les demandeurs, ou une partie suffisamment importante de ceux-ci, les considèrent comme des moyens substituables pour satisfaire une même demande ; que, parmi les éléments à prendre en considération pour définir les contours d'un marché pertinent, il y a lieu de retenir la nature de la prestation, l'environnement juridique, les conditions techniques d'utilisation, le coût d'usage ou de mise à disposition et la stratégie des offreurs ;

Considérant que, du point de vue de l'offre, les imprimeries de presse utilisent la technique d'impression de l'offset, tandis que les imprimeries de labeur mettent en œuvre à la fois la technique de l'offset et celle de l'héliogravure ; que l'imprimerie de presse en région parisienne dispose d'une convention collective qui entraîne un coût de la main d'œuvre deux fois plus élevé que celui qui résulte de l'application de la convention collective de l'imprimerie de labeur ;

Mais considérant que, du point de vue de la demande, les éditeurs de publication peuvent recourir soit aux imprimeries de presse soit aux imprimeries de labeur disposant d'équipements pour impression Offset ; que, si les éditeurs de publications quotidiennes ou hebdomadaires choisissent, dans la majorité des cas, de faire imprimer leurs publications dans des imprimeries de presse, dont les ouvriers sont régis par la convention collective des entreprises de presse de la région parisienne, certains d'entre eux peuvent avoir recours à des imprimeries de labeur dont les coûts salariaux et les coûts totaux d'impression sont moins élevés que ceux de la presse parisienne ; qu'ainsi, les imprimeries de presse et les imprimeries de labeur peuvent être en concurrence sur le marché de l'impression des publications périodiques qui constitue, en l'espèce, le marché pertinent ;

En ce qui concerne les pratiques,

Sur le grief d'entente

Considérant, d'une part, que l'article L. 411-1 du Code du travail dispose que " les syndicats professionnels ont exclusivement pour objet l'étude et la défense des droits ainsi que des intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu'individuels, des personnes visées par leurs statuts " ; que l'article L. 411-21 du même Code prévoit que " les syndicats professionnels régulièrement constitués ... peuvent librement se concerter pour l'étude et la défense de leurs intérêts matériels et moraux " ; que, si les syndicats professionnels peuvent, en vertu de ces dispositions d'ordre public, se concerter pour entreprendre toute action aux fins de remplir les missions qui leur sont ainsi assignées, aucune disposition ne les autorise à s'entendre pour empêcher, restreindre ou fausser le jeu de la concurrence sur un marché; que l'entente mise en œuvre dans de telles conditions, lorsqu'elle ne peut être rattachée à l'exercice par les syndicats de leur missions, tombe sous le coup des dispositions, également d'ordre public, de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986; que le Conseil de la concurrence est alors compétent pour statuer sur les infractions éventuelles à ces dispositions;

Considérant, d'autre part, qu'il résulte des termes mêmes de l'article 7 précité et notamment de la comparaison avec le libellé de l'article 8 de la même ordonnance et de l'article 81 (ex-85) du traité de Rome, qu'il n'est pas nécessaire que les actions concertées, les conventions, ententes expresses ou tacites, ou coalitions prohibées qu'il vise soient mises en œuvre par des entreprises au sens du droit de la concurrence; qu'il n'y a donc pas lieu de rechercher si les syndicats de salariés en cause ou leur coordination constituent une entreprise au sens du droit de la concurrence;

Considérant que le Syndicat général du livre et de la communication écrite (SGLCE), la Chambre syndicale typographique parisienne (CSTP), le Syndicat des correcteurs et le Syndicat national des cadres et techniciens du livre et de la communication (SNCTLC) ont constitué une coordination dénommée Comité intersyndical du livre parisien (CILP) ; qu'en l'espèce, le CILP constitue le support de l'entente constatée entre les quatre syndicats professionnels ;

Considérant que le ministre de l'Economie soutient qu'il ne peut exister d'entente, au sens de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, entre des syndicats de salariés appartenant à la même fédération (la FILPAC-CGT) et confédération (la CGT) ; que, selon lui, si le fait pour les quatre syndicats composant le CILP d'avoir des statuts différents leur permet d'avoir une autonomie financière et juridique, celle-ci ne peut se confondre avec une indépendance d'action ; qu'il ajoute que l'article 11 des statuts de la FILPAC-CGT précise que, si chaque organisation garde son autonomie, ses statuts et son action ne peuvent être en contradiction avec les statuts et les principes de la fédération ; que les pièces du dossier, et notamment l'article du journal L'Humanité du 13 août 1992, attesteraient d'ailleurs que l'action a été conçue et coordonnée par la FILPAC-CGT ;

Considérant que le CILP et les organisations syndicales qui le composent font également valoir qu'il ne saurait exister de concertation entre les différents syndicats en cause puisque le CILP n'est qu'un instrument de coordination de l'action des syndicats professionnels du livre, que certains appellent " le Livre CGT ", lesquels sont réunis au sein de la FILPAC-CGT, elle-même adhérente à la Confédération Générale du Travail (CGT) ; qu'il n'existe donc sur le plan syndical qu'une entité unique, la CGT ;

Mais considérant que le fait pour les quatre syndicats composant le CILP(Syndicat général du livre et de la communication écrite - SGLCE, Syndicat des correcteurs et des professions connexes de la correction, Chambre syndicale typographique parisienne - CSTP, Syndicat national des cadres et techniciens du livre et de la communication - SNCTLC) d'adhérer à une fédération et à une confédération ne saurait leur retirer toute autonomie d'action dans la mesure où il n'existe, en droit, aucune hiérarchie entre les syndicats et leur confédération; que l'article L. 411-22, alinéa 2, du Code du travail précise seulement, s'agissant des rapports entre le syndicat et l'union, que " leurs statuts (des unions) doivent déterminer les règles selon lesquelles les syndicats adhérents à l'union sont représentés dans le conseil d'administration et dans les assemblées générales " ; que la Cour de Cassation a jugé, dans un arrêt du 28 mai 1959, que la personnalité des unions ne fait pas disparaître celle des syndicats adhérents ; que si l'article 11 des statuts de la FILPAC dispose que " Chaque organisation adhérente garde son autonomie. Toutefois, ses statuts et son action ne peuvent être en contradicion avec les statuts et les principes de la fédération ", cet article n'interdit pas aux syndicats adhérents d'agir de façon autonome ; que l'article préliminaire du règlement intérieur du CILP, en indiquant que " les organisations syndicales (...) sont regroupées dans le CILP (secteur presse) en vue de coordonner et de décider des orientations, tant sur le plan revendicatif que sur le plan de l'action et des luttes. Cela ne peut mettre en cause l'existence des syndicats ayant leurs propres statuts et composant le comité inter (...) " confirme que chaque syndicat membre du CILP conserve son autonomie, ce que le CILP et les quatre syndicats qui le composent ont d'ailleurs reconnu, dans leurs observations en réponse au rapport du rapporteur, en précisant que " chaque syndicat de base est autonome dans la sphère professionnelle qu'il représente " ;

Considérant qu'il ressort des constatations figurant au § I B que l'autonomie d'action et de décision du CILP, par rapport à la FILPAC-CGT et par rapport à la CGT, est établie par le tract du CILP intitulé " Les véritables motivations de M. Ayache " dans lequel cette coordination revendique l'intervention dans l'Imprimerie Méaulle ; que l'article paru dans le journal L'Humanité du 13 août 1992 établit, contrairement à ce que fait valoir le ministre de l'Economie, que le CILP est bien à l'origine des interventions dans les imprimeries Les Rotos de l'Ile-de-France et Méaulle et non pas la FILPAC-CGT, puisque, dans cet article, il est seulement précisé que cette fédération apporte son soutien à ces actions, en ces termes : " La FILPAC-CGT tient à manifester son plein soutien à l'action engagée par les travailleurs de la presse parisienne pour préserver l'emploi et visant ainsi les travaux d'impression jusqu'alors réalisés à l'imprimerie Offprint. La Fédération appelle instamment ses militants à exercer la plus grande vigilance dans les régions, pour s'opposer, le cas échéant, à toute tentative de confection des titres contestés et appartenant à l'éditeur Ayache " ; que l'accord qui mettra fin au conflit avec M. Ayache a été signé par le CILP lui-même ;

Considérant qu'à la suite de l'échec des négociations entre la société Les Meilleures Editions et la SARL Offprint, les quatre syndicats composant le CILP qui, en application de la convention collective de travail des entreprises de presse de la région parisienne, donnent leur accord sur l'embauche des salariés dans les imprimeries de la presse mais non sur celle des employés des imprimeries de labeur dont les rapports avec les employeurs sont régis par une autre convention collective, ont exercé une action concertée tant sur cet éditeur de presse que sur des imprimeries de labeur qu'il avait contactées pour, d'une part, l'empêcher de faire jouer la concurrence entre imprimerie de presse et imprimerie de labeur, et, d'autre part, limiter l'accès des imprimeries de labeur au marché de l'impression des périodiques, alors même qu'aucune disposition législative ou réglementaire n'interdit à l'éditeur d'un quotidien de recourir aux services d'imprimeries de labeur ni à une imprimerie de labeur d'imprimer un quotidien; que l'objet anticoncurrentiel de cette action concertée, qui s'est traduite par la séquestration de l'éditeur, par des déprédations sur les équipements des imprimeries de labeur non soumises aux dispositions de la convention collective de la presse et par la destruction d'exemplaires de publications de la société Les Meilleures Editions, a été clairement revendiqué par le CILPqui a dénoncé les conceptions du responsable de la société Les Meilleures Editions, c'est-à-dire " la course aux moindres coûts " ; que, si les quatre syndicats professionnels composant le CILP pouvaient librement, en application des articles L. 411-1 et 411-21 du Code du travail, susmentionnés, négocier avec l'imprimerie de presse dans laquelle étaient imprimées les publications de M. Ayache les conditions de la continuation de cette impression, ils ne pouvaient, sans sortir des limites de leur mission de défense des intérêts matériels et moraux de leurs adhérents et sans contrevenir aux dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, mettre en œuvre, suite à l'échec de cette négociation, une entente ayant pour objet ou pour effet d'entraver le fonctionnement de la concurrence sur le marché de l'impression de périodiques en interdisant par la force à des imprimeries de labeur d'accéder à ce marché;

Sur le grief d'abus de position dominante

En ce qui concerne le rôle d'opérateur économique du CILP ;

Considérant que le Comité intersyndical du livre parisien (CILP) et les syndicats qui le composent, d'une part, le commissaire du Gouvernement, d'autre part, font valoir que le CILP n'est pas un opérateur économique dans la mesure où le placement qu'il effectue pour le compte des syndicats n'est qu'un aspect de sa mission syndicale ;

Considérant que l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 implique, tout d'abord, que les pratiques dénoncées soient mises en œuvre par une entreprise au sens du droit de la concurrence; que, si la notion d'entreprise dans le contexte du droit de la concurrence comprend toute entité exerçant une activité économique indépendamment de son statut juridique et de son mode de financement, cette entité doit jouir d'un certain degré d'autonomie de gestion et de décision, c'est-à-dire, d'une part, disposer d'un centre identifiable auquel des décisions à caractère économique puissent être imputées et, d'autre part, en assumer les risques financiers;

Considérant que le CILP détient le monopole du placement dans les imprimeries de la presse parisienne des ouvriers du livre adhérents des quatre syndicats qui composent cette coordination, en application de la convention collective de travail des ouvriers des entreprises de presse de la région parisienne ; que le nombre d'ouvriers placés chaque jour dans les entreprises de presse parisienne ne résulte pas d'une stratégie commerciale du CILP mais d'une négociation quotidienne entre le délégué syndical présent dans l'imprimerie de presse et l'imprimeur, qui est fonction du tirage et de la pagination des quotidiens à imprimer ; que le CILP se borne à désigner sur la liste qu'il tient à jour le ou les ouvriers qui devront être embauchés quotidiennement par les imprimeurs ; que ceux-ci sont tenus d'accepter les désignations qui leur sont faites par le CILP ; que ce dernier exerce cette activité à titre gratuit; qu'il ne peut en retirer directement ou indirectement aucun profit ni aucune perte; qu'il n'encourt donc aucun risque de ce chef ; que, dès lors, il ne peut être considéré comme une entreprise aux fins de l'application de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986; qu'en conséquence, le grief notifié au CILP en application de ces dispositions n'est pas fondé ;

Sur les suites à donner,

Considérant qu'aux termes de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : " Le Conseil de la concurrence peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières. Il peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement, soit en cas d'inexécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 5 p. 100 du montant du chiffre d'affaires hors taxes en France au cours du dernier exercice clos. Si le contrevenant n'est pas une entreprise, le montant maximum est de dix millions de francs. Le Conseil de la concurrence peut ordonner la publication de sa décision dans les journaux ou publications qu'il désigne, l'affichage dans les lieux qu'il indique et l'insertion de sa décision dans le rapport établi sur les opérations de l'exercice par les gérants, le conseil d'administration ou le directoire de l'entreprise. Les frais sont supportés par la personne intéressée ".

Considérant que, pour apprécier la gravité des faits, il y a lieu de relever que la volonté du CILP et des quatre syndicats qui composent cette coordination d'empêcher la SA Les Meilleures Éditions de choisir librement son imprimeur s'est traduite par des manœuvres d'intimidation et par la destruction des publications de la SA Les Meilleures Éditions qui avaient été imprimées dans le labeur ; que, par leur nature même, ces faits revêtent un caractère grave ;

Considérant que, pour apprécier l'importance du dommage causé à l'économie, il y a lieu de tenir compte du fait que les pratiques en cause, si elles ont empêché la SA Les Meilleures Éditions d'imprimer ses publications dans des imprimeries de labeur et l'ont conduite à faire réaliser ses journaux au Danemark et en Belgique, ont eu un effet limité dans le temps dès lors qu'un accord est intervenu le 2 septembre 1992 entre le responsable de la SA Les Meilleures Éditions et le CILP, soit un mois après le début des manœuvres d'intimidation entreprises par cette coordination de syndicats ; qu'aux termes de cet accord, le CILP a reconnu la liberté pour cet éditeur de faire imprimer ses publications dans l'imprimerie de son choix ; que l'impression des journaux de la SA Les Meilleures Éditions a repris dans l'imprimerie de labeur Méaulle postérieurement à cet accord ; que les pratiques en cause n'ont donc affecté le secteur de l'imprimerie de labeur que pendant une courte période ;

En ce qui concerne le CILP ;

Considérant que le CILP est le support de l'entente entre le Syndicat général du livre et de la communication écrite (SGLCE), le Syndicat des correcteurs, le Syndicat national des cadres et techniciens du livre et de la communication (SNCTLC), la Chambre syndicale typographique parisienne (CSTP), et est à l'origine des pratiques ayant eu pour objet et pour effet d'empêcher la société Les Meilleures Éditions d'imprimer ses journaux Le Meilleur et Spécial Dernière dans une imprimerie de labeur ;

Mais considérant que le CILP est une coordination de quatre syndicats professionnels sans statut juridique et dépourvue de la personnalité morale ; qu'en conséquence, il n'y a pas lieu de lui infliger une sanction pécuniaire ;

En ce qui concerne le Syndicat général du livre et de la communication écrite (SGLCE) ;

Considérant que le SGLCE, en tant que membre du CILP, a participé activement aux manœuvres et pressions exercées par le CILP à l'encontre de la SA Les Meilleures Editions pour l'empêcher de choisir librement son imprimeur ; que, néanmoins, ces pratiques n'ont duré qu'un mois ;

Considérant que le montant annuel des cotisations perçues par le SGLCE en 1997, dernier exercice clos, s'est élevé à 5 825 215 francs ; que le budget de l'année 1997 a enregistré un déficit de 266 743 francs ; qu'en fonction des éléments généraux et individuels, tels qu'appréciés ci-dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 10 000 francs ;

En ce qui concerne la Chambre syndicale typographique parisienne (CSTP) ;

Considérant que le CSTP, en tant que membre du CILP, a participé activement aux manœuvres et pressions exercées par cette coordination à l'encontre de la SA Les Meilleures Editions pour l'empêcher de choisir librement son imprimeur ; que, néanmoins, ces pratiques n'ont duré qu'un mois ;

Considérant que le montant annuel des cotisations perçues en 1998 par le CSTP s'est élevé à 2 015 176 francs ; qu'en fonction des éléments généraux et individuels, tels qu'appréciés ci-dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 10 000 francs ;

En ce qui concerne le Syndicat national des cadres et techniciens du livre et de la communication (SNCTLC) ;

Considérant que le SNCTLC, en tant que membre du CILP, a participé activement aux manœuvres et pressions exercées par cette coordination à l'encontre de la SA Les Meilleures Editions pour l'empêcher de choisir librement son imprimeur ; que, néanmoins, ces pratiques n'ont duré qu'un mois ;

Considérant que le montant annuel des cotisations perçues en 1998 par le SNCTLC s'est élevé à 2 127 423 francs ; que l'exercice 1998 s'est soldé par un déficit de 97 184 francs ; qu'en fonction des éléments généraux et individuels, tels qu'appréciés ci-dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 10 000 francs ;

En ce qui concerne le Syndicat des correcteurs ;

Considérant que le Syndicat des correcteurs, en tant que membre du CILP, a participé activement aux manœuvres et pressions exercées par cette coordination à l'encontre de la SA Les Meilleures Editions pour l'empêcher de choisir librement son imprimeur ; que, néanmoins, ces pratiques n'ont duré qu'un mois ;

Considérant que le montant annuel des cotisations perçues en 1998 par le Syndicat des correcteurs s'est élevé à 539 995 francs ; qu'en fonction des éléments généraux et individuels, tels qu'appréciés ci-dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 10 000 francs ;

Décide :

Article 1er : Il est établi que le Comité interprofessionnel du livre parisien et les quatre syndicats qui composent cette coordination syndicale, le Syndicat général du livre et de la communication écrite, le Syndicat des correcteurs et des professions connexes de la correction, la Chambre syndicale typographique parisienne, le Syndicat national des cadres et techniciens du livre et de la communication, ont enfreint les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Article 2 : Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :

au Syndicat général du livre et de la communication écrite : 10 000 francs ;

au Syndicat des correcteurs : 10 000 francs ;

à la Chambre syndicale typographique parisienne : 10 000 francs ;

au Syndicat national des cadres et techniciens du livre et de la communication : 10 000 francs.

(1) Président du syndicat de la presse parisienne.

(2) Secrétaire général du CILP en 1992.

(3) Un " service " correspond à un emploi posté.