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Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 16 février 1999, n° ECOC9910039X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Ligue nationale de football, Adidas Sarragan France (SARL)

Défendeur :

Reebok France (SA), ministre de l'Economie, DGCCRF, Nike France (SA), ASICS France (SA), Puma Frane (SA), ABM Sport France (SARL), Lotto France (SA), Le Roc Sport (SA), LJO International (SA), Mizuno France (SA), Noël France (SA), UHLSPORT France (SA), W Pabisch (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Premier président :

M. Canivet

Présidents :

Mmes Thin, Favre

Conseillers :

Mmes Guirimand, Bregeon

Avoués :

SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, SCP Valdelièvre-Garnier, SCP Duboscq-Pellerin, SCP Lagourgue

Avocats :

Mes Appietto, Voilemot, Choffel, Diricq, Elsen, Thibault, Anstett-Gardea.

CA Paris n° ECOC9910039X

16 février 1999

LA COUR est saisie du recours principal formé par la Ligue nationale de football, et des recours incidents du ministre de l'Economie, et de la société Adidas Sarragan France, contre la décision n° 97-D-71 du 7 octobre 1997 du Conseil de la concurrence, relative à des pratiques qui auraient été mises en œuvre par la Ligue nationale de football et la société Adidas Sarragan France, ayant infligé, sur le fondement des articles 85, alinéa 1, du traité de Rome, et 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, des sanctions pécuniaires de 16 millions de francs à la société Adidas Sarragan France, et de 800 000 F à la Ligue nationale de football.

Par lettres du 9 juin 1995, le Conseil de la concurrence a été saisi par plusieurs sociétés fabricantes de vêtements, et équipements sportifs, destinés à la pratique du football, de l'accord passé par la LNF avec la société Adidas, portant sur la fourniture par cette dernière d'équipements sportifs aux clubs de première et deuxième divisions, ainsi que le port de ces équipements par les joueurs. En application de cet accord, le directeur de la LNF avait adressé aux présidents des clubs de football concernés une lettre datée du 5 mai 1995, par laquelle il leur demandait de lui adresser la copie de leur contrat de fourniture d'équipements, afin de permettre la mise en œuvre de la décision du conseil d'administration de la ligue, d'imposer le port, dès la saison 1995/1996 par les joueurs de clubs disputant les championnats de première et deuxième division, d'équipements sportifs fournis par la Ligue nationale. Cet accord avait été arrêté le 28 avril 1995 par le conseil d'administration de la ligue, qui avait au cours de la même séance, décidé de modifier l'article 315 du règlement des championnats de première et deuxième divisions, pour disposer que " les clubs participant aux CF 1 et CF 2 seront tenus de faire porter à leurs joueurs les équipements fournis par la LNF ".

Les sociétés saisissantes ont indiqué qu'elles avaient été avisées par plusieurs clubs de leur intention de résilier les contrats de parrainage conclus avec elles, afin de se conformer à la décision de la ligue, et qu'elles se trouvaient ainsi privées, au bénéfice de la société Adidas, du bénéfice de la publicité liée au parrainage.

Par une décision n° 95-MC-10 du 12 juillet 1995, le Conseil de la Concurrence a enjoint à la Ligue nationale de football de suspendre l'application de l'article 315 du règlement, et l'accord relatif à la fourniture d'équipements aux clubs de première et deuxième division.

Cette décision, frappée de recours a été partiellement annulée par arrêt du 23 août 1995, en ce qu'elle avait ordonné la suspension de l'article 315 du règlement, la cour de céans ayant estimé que l'appréciation de la validité de cet acte administratif relevait de la seule compétence des juridictions de l'ordre administratif.

La Cour de cassation a cassé l'arrêt susvisé sur cette décision d'incompétence, et renvoyé la cause devant la cour de céans qui se prononce sur cette procédure, dans laquelle elle a été saisie d'un déclinatoire de compétence par le préfet de la région d'Ile-de-France, par arrêt distinct de ce jour.

Le 19 novembre 1997, le Conseil d'Etat a par ailleurs annulé pour excès de pouvoir la décision du conseil d'administration de la Ligue nationale de football, modifiant l'article 315 du règlement, en relevant qu'il n'était pas démontré que la décision de la ligue de s'accorder une exclusivité de fourniture des équipements aux joueurs des clubs, fut justifiée par un intérêt général au regard de la mission de service public dont elle est délégataire.

Le Conseil de la concurrence a estimé, par la décision entreprise qu'un accord avait bien été conclu entre la société Adidas et la ligue, au terme duquel celle-ci s'était engagée à faire jouer les membres des clubs dans toutes les rencontres de championnat de France et de coupe de la ligue, avec les équipements fournis par Adidas, et à autoriser cette société à faire état du titre de " fournisseur officiel et exclusif de la LNF ", en contrepartie, non pas tant de la fourniture de ces équipements, que de l'attribution d'une dotation globale de 60 000 000 F, destinée à constituer le parrainage des clubs participant au championnat, par l'intermédiaire de la ligue, association regroupant l'ensemble des clubs concernés, et agissant en tant que leur représentant commun.

Il s'est reconnu compétent pour apprécier les dispositions de cet accord, qu'il a qualifiées de détachables de celles de l'article 315 du nouveau règlement de la LNF, tant au regard de l'article 53 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, que de l'article 85, paragraphe 1, du traité de Rome, en vertu des principes de primauté et d'application directe du droit communautaire. Il n'a toutefois pas examiné la conformité à ces textes de l'article 315 du règlement, en tenant pour acquise la décision d'incompétence résultant de l'arrêt du 23 août 1995.

Il a retenu que l'accord conclu entre la Ligue nationale de football et la société Adidas ne constituait pas en lui-même une atteinte aux dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986, mais que les conditions dans lesquelles avait été conclu cet accord, et les clauses qu'il contient sont susceptibles de caractériser une telle atteinte.

A la suite du recours principal formé par les organismes sanctionnés, le ministre de l'Economie a formé un recours incident, tenant à la réformation des motifs de la décision du Conseil, pour voir dire que l'article 315 nouveau du règlement de la Ligue nationale de football, pris hors de toute prérogative de puissance publique, et la conclusion d'un contrat d'exclusivité entre la LNF et un équipementier sont contraires aux dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Compte tenu de la question ainsi posée de la compétence de la cour pour l'appréciation des décisions prises par la Ligue nationale de football, les débats ont été limités à l'examen de ce préalable.

Dans ses observations en réponse au recours du ministre, la Ligue nationale de football fait valoir qu'en raison de l'annulation par le Conseil d'Etat, le 19 novembre 1997, de la délibération du conseil d'administration de la ligue ayant modifié l'article 315 du règlement, l'appréciation de ce texte n'aurait plus d'objet, et l'intérêt à agir du ministre de l'Economie serait limité à la question de principe de la compétence d'attribution pour connaître de cet article.

Se référant à l'arrêt rendu le 4 novembre 1996 par le Tribunal des conflits, relativement au choix de la Ligue nationale de football du logiciel de gestion de la billetterie informatique, elle estime également que la délibération de son conseil d'administration et l'article 315 modifié qui en résulte sont des actes administratifs dont le Conseil d'Etat peut seul apprécier la légalité, ce qu'il a fait, en statuant pour annuler ces actes.

Elle conclut en conséquence à l'incompétence du Conseil de la concurrence et partant de la cour pour apprécier la conformité de l'article 315 nouveau du règlement de la ligue aux dispositions des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

La société Reebok France a déclaré s'associer à la position du ministre, tout en faisant remarquer que la décision du Conseil étant intervenue avant les arrêts de la Cour de cassation et du Conseil d'Etat, il convenait de relativiser la portée du motif incriminé de cette décision.

Les sociétés Nike France et ASICS France, tout en adoptant sur le fond la position du recours du ministre de l'Economie, concluent à son irrecevabilité, en ce qu'il est dirigé non pas contre un chef du dispositif de la décision, mais contre certains de ses motifs. Elles estiment également qu'à le supposer recevable ce recours serait dénué d'objet, en raison de l'annulation de l'article 315 nouveau par le Conseil d'Etat.

La société Adidas n'a présenté d'observations que sur le fond du recours incident, et non sur la question de la compétence.

Sur ce, LA COUR :

1° Sur la recevabilité du recours du ministre :

Considérant qu'il est constant que le ministre de l'Economie peut, comme toutes les parties, fonder son recours sur des faits, qui, compris dans la saisine du Conseil, n'ont pas fait l'objet de sanctions ou d'injonctions ; qu'en demandant que soient examinés l'article 315 nouveau du règlement de la ligue, et le contrat d'exclusivité conclu par celle-ci avec la société Adidas, le ministre de l'Economie qui agit dans le cadre de sa mission de protection de l'ordre public économique, est recevable à solliciter de la cour la qualification des faits au regard des textes applicables, sans pour autant être tenu de conclure à une modification des sanctions prononcées au dispositif ;

Considérant que par ailleurs, ainsi que le relève le ministre de l'Economie dans ses observations en réponse, l'annulation par le Conseil d'Etat de l'article 315 du règlement de la ligue ne met pas obstacle à l'examen au regard des règles de la concurrence de comportements et de pratiques mis en œuvre par des organes dotés de la personnalité morale ; que dès lors son intérêt à agir est caractérisé ;

Que le recours incident du ministre sera déclaré recevable ;

2° Sur la compétence du Conseil et de la cour :

A. - Au regard de l'ordonnance du 1er décembre 1986

Considérant qu'il résulte de l'arrêt rendu le 19 novembre 1997 par le Conseil d'Etat que la Ligue nationale de football en se créant une exclusivité de fourniture des équipements sportifs destinés aux clubs de première et deuxième divisions, a agi en dehors des pouvoirs conférés par la délégation de service public dont elle bénéficie ;que de même, la Cour de cassation a constaté dans son arrêt du 2 décembre 1997 que les activités de la LNF étaient à cet égard de nature commerciale et entraient en conséquence dans le champ d'application de l'article 53 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

B. - Au regard de l'article 85 du traité de Rome

Considérant que le Conseil de la concurrence dispose des pouvoirs qui lui sont reconnus par l'ordonnance du 1er décembre 1986 pour faire application des dispositions des articles 85 à 87 du traité de Rome, sous la réserve édictée par l'article 90 du traité à l'égard des entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général que l'application de ces textes ne fasse pas échec à l'accomplissement de la mission qui leur a été impartie;que cette compétence pour apprécier la conformité des pratiques qui lui sont déférées avec les règles communautaires de la concurrence implique le pouvoir de sanctionner les violations du traité;

Que dès lors, la cour est compétente pour examiner les pratiques incriminées, tant au regard des dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986, que de celles de l'article 85 du traité de Rome,

Par ces motifs : prononce la jonction des procédures inscrites sous les numéros 97-27703, 98-1932 et 98-1936 du rôle de la cour ; se déclare compétente ; renvoie l'affaire pour poursuite de la procédure et examen au fond à l'audience du 13 avril 1999 ; réserve les dépens.