CA Paris, 1re ch. H, 20 octobre 1998, n° ECOC9810340X
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Ad Valorem (Sté)
Défendeur :
Ministre de l'intérieur
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Pinot
Avocat général :
M. Woirhaye.
Saisi le 3 mars 1997 par la société Ad Valorem de pratiques mises en œuvre par le ministère de l'intérieur dans le domaine de la télétransmission des demandes d'immatriculation de véhicules, le Conseil de la concurrence, par décision n° 98-D-13 du 27 janvier 1998 :
- a relevé que, dans le cadre de la mise en place progressive, dans certaines préfectures, d'une procédure de télétransmission des demandes d'immatriculation de véhicules, les informations nécessaires étaient saisies sur informatique par les demandeurs puis télétransmises aux services du ministère de l'intérieur en vue de la délivrance des certificats d'immatriculation, dits " cartes grises " ;
- a constaté que la requérante, qui exploitait une activité de conseil en organisation et en formation, de gérance immobilière et de marchand de biens, contestait les pratiques mises en œuvre par le ministère de l'intérieur dans le domaine de télétransmission des demandes d'immatriculation de véhicules, n'ayant pas obtenu de ce ministère l'autorisation d'utiliser la procédure de télétransmission des demandes alors qu'elle souhaitait développer l'activité de mandataire chargé d'effectuer pour le compte de ses mandants les démarches administratives nécessaires à l'obtention des cartes grises ;
- a considéré, sur le fondement de l'article 19 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, que les décisions par lesquelles le ministre de l'intérieur avait mis en place dans certaines préfectures une procédure de télétransmission des demandes d'immatriculation de véhicules et avait choisi les utilisateurs de cette procédure ainsi que les entreprises chargées de gérer le système informatique permettant l'accès au fichier national des immatriculations (FNl) ne constituaient pas une activité de production, de distribution ou de services au sens de l'article 53 de l'ordonnance précitée et, qu'en outre, n'était pas alléguée en la circonstance l'existence de faits susceptibles de caractériser des pratiques prohibées par les articles 7 et 8 de la même ordonnance, et, en conséquence, a déclaré irrecevable la saisine enregistrée sous le numéro F 945.
Par déclaration en date du 23 février 1998, la société Ad Valorem a formé un recours en annulation et en indemnisation, à l'appui duquel elle fait valoir que :
- depuis le 1er juillet 1991, le ministre de l'intérieur, en collaboration avec la préfecture des Hauts-de-Seine, a mis en place une procédure spéciale de télétransmission des demandes d'immatriculation des véhicules neufs, et notamment le système " loueurs ", plus particulièrement destiné aux grands parcs de véhicules ;
- cette procédure consiste à transmettre, via un ou plusieurs centres serveurs, vers le fichier national des immatriculations, des demandes d'immatriculation élaborées hors des préfectures par diverses entités loueurs, constructeurs automobiles, sociétés de service, puis à éditer " en masse " des cartes grises, dans les préfectures ;
- à ce jour, le ministère de l'intérieur a accordé l'accès au système à quelques loueurs et constructeurs automobiles suivant des modalités non divulguées ; entre les organismes autorisés et le FNl, la société ARIS exerce le monopole de centre serveur, ayant reçu l'agrément du ministère de l'intérieur dans des conditions restées, elles aussi, secrètes ;
- elle-même n'a pu obtenir cet agrément ;
- il y a lieu de relever que la procédure permettant l'obtention de l'accord des préfectures afin d'exercer l'activité, de mandataire en vue de l'exécution de démarches pour le compte de personnes et de sociétés est publique et ouverte à tous, mais en revanche, tel n'est pas le cas des conditions d'accès fixées pour l'activité de centre serveur, à ce jour seules critiquées.
La société requérante, invoquant des vices de forme, expose que le Conseil de la concurrence n'a pas suffisamment motivé sa décision du 27 janvier 1998, que le conseil s'est contenté de procéder par voie d'affirmation en indiquant " que les entreprises chargées de gérer le système informatique permettant l'accès au fichier national des immatriculations ne constituaient pas une activité de production, de distribution ou de services au sens de l'article 53 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ", sans faire l'analyse de l'activité de centre serveur, ni opérer d'instruction sur les agissements du ministère de l'intérieur ; sur le fond, il est indiqué que l'autorisation de télétransmettre les fichiers de demandes d'immatriculation vers le FNI accordée à la société ARIS n'est pas conforme aux règles de la concurrence de l'activité de centre serveur ou de ses produits dérivés, et que cette société est placée dans une situation de monopole.
La société Ad Valorem sollicite, outre l'annulation de la décision déférée, la condamnation du ministère de l'intérieur et " des entités impliquées pour leurs agissements non conformes aux règles de la concurrence " au dédommagement des préjudices par elle subis.
Le ministre de l'économie demande la confirmation de la décision d'irrecevabilité prise par le Conseil de la concurrence en observant que :
1. Sur la procédure :
- le gérant de la société Ad Valorem a formé devant le Tribunal administratif de Paris un recours pour excès de pouvoir contre le refus, opposé du ministre de l'intérieur, de lui communiquer des documents relatifs à l'immatriculation de véhicules qui lui semblaient indispensables à l'exercice de son activité ;
- cette requête a été rejetée par la juridiction administrative le 10 juillet 1996, au motif qu'elle tendait, non pas à la communication de documents administratifs au sens de la loi du 17 juillet 1978, mais à la remise d'une documentation et de renseignements ne relevant pas de ce texte ;
- le Conseil de la concurrence a été saisi ensuite dans ce contexte ;
- contrairement aux allégations de la société requérante, la décision du Conseil de la concurrence est suffisamment motivée et explicite, l'ordonnance du 1er décembre, 1986 n'imposant pas au rapporteur désigné d'engager une phase d'enquête s'il estime la saisine du conseil irrecevable ;
2. Sur la recevabilité de la saisine :
- s'il est affirmé par la société requérante que l'autorisation accordée par le ministère de l'intérieur à la société ARIS a créé une situation de monopole en faveur de cet organisme, ce grief ne peut être accueilli dans la mesure où il est étranger à la question soumise à la cour, qui est celle de la recevabilité de la saisine du Conseil de la concurrence ;
- sur ce point, il doit être relevé que sont en discussion uniquement les décisions par lesquelles le ministre de l'intérieur a mis en place la procédure de télétransmission des demandes d'immatriculation et a choisi les utilisateurs de cette procédure, et que ces décisions, ne constituant pas une activité de production, de distribution ou de services, sont soumises au seul contrôle du juge administratif, à l'inverse de la fourniture de prestations de service en qualité d'intermédiaire pour l'obtention des certificats d'immatriculation, laquelle serait seule de nature à caractériser une prestation de nature économique rentrant dans le champ d'application de l'article 53 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
- en toute hypothèse, la société requérante n'apporte pas d'éléments suffisamment probants pour préciser quelles pratiques seraient contraires aux dispositions des articles 7 ou 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
- les demandes de dommages-intérêts présentées ne peuvent être accueillies devant la cour, mais devront être éventuellement portées devant le juge compétent pour en connaître.
Le Conseil de la concurrence n'a pas entendu user de la faculté de présenter des observations écrites.
Le ministère public a conclu oralement au rejet du recours.
Sur quoi, LA COUR :
I.- Sur la procédure :
Considérant que la société Ad Valorem, qui a reçu notification de la décision du Conseil de la concurrence en date du 27 janvier 1998, a déclaré son recours au greffe de la cour le 23 février 1998, avec les pièces annexes contenant ses moyens ;
Que le recours est recevable.
II.- Sur la recevabilité de la saisine :
Considérant qu'à partir de l'année 1990, les services du ministère de l'intérieur ont progressivement mis en place un dispositif de télétransmission des demandes de certificats d'immatriculation de véhicules neufs déposées par les propriétaires des véhicules ou leurs mandataires ; qu'une application spéciale de ce système a été envisagée en ce qui concerne les immatriculations de masse des véhicules de location (application dite " système loueurs "), pour lesquelles il a été recouru à une procédure de télétransmission directe, au fichier national des immatriculations, dit " FNl ", des demandes déposées dans les préfectures ou les sous-préfectures, en vue de la délivrance des certificats d'immatriculation, couramment appelés " cartes grises " ;
Considérant que la société Ad Valorem, qui exploite une activité de conseil en organisation et en formation, ainsi qu'une activité de gérance immobilière et de marchands de biens, a souhaité développer une activité de mandataire chargé pour le compte d'autrui d'effectuer des démarches administratives nécessaires à l'obtention des " cartes grises " de véhicules neufs ; que la société a indiqué devant le Conseil de la concurrence qu'elle n'avait pas obtenu l'autorisation d'utiliser la procédure de télétransmission et qu'elle avait été laissée dans l'ignorance des critères retenus par le ministère de l'intérieur pour la délivrance de telles autorisations, ainsi que pour le choix des entreprises chargées de gérer le système informatique permettant l'accès au fichier national des immatriculations ;
Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 53 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 que les règles de ladite ordonnance s'appliquent à toutes les activités de production, de distribution et de services, y compris celles qui sont le fait de personnes publiques, notamment, dans le cadre de conventions de délégation de service public ;
Considérant que la fourniture de services en qualité d'intermédiaire en vue de l'obtention de certificats d'immatriculation de véhicules constitue une prestation de nature économique au sens de l'article 53 précité ;
Qu'il en est de même de l'activité de centre serveur effectuant la télétransmission des demandes de cartes grises au fichier national des immatriculations de véhicules ;
Que, dans l'exercice de cette activité, le ministère de l'intérieur peut confier à des tiers, le télétraitement des demandes d'immatriculation des véhicules, habituellement déposées dans les préfectures ;
Considérant que les décisions par lesquelles le ministère de l'intérieur choisit les entreprises chargées de gérer le système informatique permettant l'accès au fichier national des immatriculations, et de fournir ainsi une prestation s'incorporant à sa propre activité ou à celle des services administratifs oeuvrant à sa demande, n'ont pas en elles-mêmes pour objet, ni pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur le marché spécifique concerné de la télétransmission des demandes d'immatriculation de véhicules adressées au FNI;
Que c'est donc à bon droit que le Conseil de la concurrence a estimé que la saisine était irrecevable, sans que puisse être invoquée à cet égard une absence d'instruction préalable à la décision du conseil, dès lors que l'ordonnance du 1er décembre 1986 n'impose pas au rapporteur désigné pour l'examen de l'affaire d'engager une phase d'enquête s'il estime la saisine du conseil irrecevable sur le fondement de l'article 19 de ladite ordonnance ;
Qu'en conséquence le recours aux fins d'annulation et d'indemnisation doit être rejeté,
Par ces motifs : Déclare la société Ad Valorem recevable en son recours visant la décision n° 98-D-13 du 27 juillet 1998 du Conseil de la concurrence ; Rejette ledit recours ; Condamne la société Ad Valorem aux dépens.