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Décisions

Conseil Conc., 6 juin 1989, n° 89-D-20

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Situation de la concurrence dans le secteur de la semoule de blé dur

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

M. Laurent, président; MM. Béteille, Pineau, vice-présidents; MM. Bon, Cabut, Cerruti, Flécheux, Mme Lorenceau, MM. Sargos, Schmidt, Urbain, membres.

Conseil Conc. n° 89-D-20

6 juin 1989

Le Conseil de la concurrence,

Vu la lettre en date du 8 mai 1988, enregistrée le 19 mai 1988 sous le numéro C 178, par laquelle le ministre d'Etat, ministre de l'Economie, des Finances et de la Privatisation, a saisi le Conseil de la concurrence d'un dossier relatif à la situation de la concurrence dans le secteur de la semoule de blé dur; Vu les ordonnances n° 45-1483 et n° 45-1484 du 30 juin 1945, modifiées, respectivement relatives aux prix et à la constatation, à la poursuite et à la répression des infractions à la législation économique; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, modifiée, ensemble le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986, modifié, pris pour son application;

I. - CONSTATATIONS

A. - Les marchés en cause

Trois marchés sont en cause, le marché des pâtes alimentaires, le marché du couscous et le marché de la semoule. Les pâtes alimentaires et le couscous résultent de la transformation d'une même matière première, la semoule de blé dur.

1. - Le marché de la semoule de blé dur

La semoule de blé dur est la matière première issue d'une première transformation du blé dur par les semouleries. Cette première transformation consiste en opérations de sassage, de nettoiement, d'humidification et d'écrasement des grains de blé.

La semoule ainsi extraite de l'albumem du grain de blé se partage en deux qualités distinctes: la "grosse semoule" (dite "en l'état": 1/10 du volume) destinée à la fabrication du couscous, d'entremets et de potages, et la "fine semoule" destinée à la fabrication de pâtes alimentaires (9/10 du volume).

La France partage avec l'Italie la particularité d'exiger, par voie réglementaire, que les pâtes alimentaires soient fabriquées exclusivement à partir de semoule de blé dur, en imposant des normes qualitatives notamment quant aux matières minérales.

Longtemps déficitaire par rapport aux besoins des semouleries françaises qui devaient importer du blé dur principalement des Etats-Unis et du Canada, la production française permet de satisfaire depuis 1984, tant en volume qu'en qualité, l'essentiel de la demande des semouliers.

L'industrie de la semoulerie a connu une forte concentration, le nombre d'usines passant de quinze en 1966, à dix en 1970, puis à six en 1986, lesquelles représentaient à cette date une capacité annuelle de trituration d'environ 550 000 tonnes: les semouleries de Bellevue - "Bellevue-Littoral", "Bellevue-Saint-Just" et "Bellevue-Gennevilliers" -, du groupe communément dénommé BSN; la "Semoulerie de Normandie", "Les Grands Moulins Maurel" du groupe communément dénommé Skalli, constitué par les familles Cohen et Cohen-Skalli; la grande Semoulerie de l'Ouest du groupe communément dénommé Grands Moulins de Paris et la Semoulerie de Chiron. Il y a lieu de noter qu'avant d'être achetée par le groupe BSN en octobre 1985, la Semoulerie de Bellevue-Gennevilliers était filiale de la Société générale des coopératives de consommation et se dénommait Société Bertrand.

Les groupes BSN et Skalli détiennent les 9/10 de la capacité de trituration de blé dur et assurent les 8/10 des livraisons de semoule pour un marché annuel de 326 000 tonnes.

Les autorités communautaires fixent en début de campagne deux niveaux de prix du blé, le prix de seuil, prix théorique indicatif dont le mode de fixation résulte du niveau de prix constaté dans la zone la plus déficitaire de la Communauté, et le prix d'intervention, qui est le prix minimum garanti aux agriculteurs céréaliers, égal au prix constaté dans la zone de production la plus excédentaire. Le prix d'intervention fixé en début de campagne fait l'objet d'actualisations mensuelles, ces majorations mensuelles représentant en fin de campagne un montant d'environ 8 p. 100 du prix indicatif de début de campagne.

Ces mécanismes de formation des prix limitent l'influence d'un acteur économique isolé - fut-il un opérateur important, comme le sont les groupes BSN ou Skalli - sur les prix d'achat de céréales, d'autant qu'intervient en France l'Office national interprofessionnel des céréales (ONIC), au sein duquel les producteurs céréaliers sont représentés et qui garantit depuis 1945 un niveau de prix et donc de revenus aux producteurs.

Par ailleurs, la concurrence italienne est un facteur déterminant du prix des semoules dans le commerce international, lesquelles sont vendues à bas prix en raison d'importantes aides communautaires.

Enfin, la semoule de blé dur produite par les groupes BSN et Skalli est essentiellement destinée à leurs filiales de fabrication de pâtes et de couscous; aussi les prix de vente qu'elles pratiquent doivent-ils s'analyser comme des prix de cession internes dont l'effet ne peut s'apprécier qu'au stade des produits finis, c'est-à-dire au niveau des marchés des pâtes alimentaires et du couscous.

2. - Le marché des pâtes alimentaires

La dénomination "pâtes alimentaires" s'applique, selon l'article 15 de la loi du 3 juillet 1934, aux produits prêts à l'emploi culinaire et préparés par pétrissage et mélange non fermenté de semoule de blé dur additionné d'eau.

On distingue les pâtes aux oeufs, (trois, cinq ou sept oeufs au kilo), qui représentent 20 p. 100 du marché, et les pâtes sans oeuf, qui concernent les 80 p. 100 restants et ont pour caractéristique d'être soit de qualité supérieure lorsqu'elles sont fabriquées à partir de semoules de blé dur issues essentiellement de l'albumen du grain de blé, soit de qualité courante lorsque la semoule extraite inclut d'autres matières que l'albumen. La quasi-totalité des pâtes sans oeuf commercialisées en France est de qualité supérieure.

La consommation des pâtes alimentaires a été en 1987 de 371 273 tonnes, soit 6,4 kg par habitant, et connaît une progression constante d'environ 1 p. 100 par an.

Le marché familial représente 80 à 85 p. 100 de la demande intérieure, les 15 à 20 p. 100 restants allant à des industries (potages en sachets, aliments pour animaux) et à la consommation hors foyer.

La concentration de l'offre est croissante, avec 115 fabricants en 1965, 23 en 1985 et 22 en 1987. En 1987, le groupe BSN a représenté sur ce marché 37 p. 100 environ des livraisons sous la marque Panzani, le groupe Skalli 27,12 p. 100 dont 19,5 p. 100 sous la marque Rivoire et Carret, et 7,7 p. 100 sous la marque Lustucru.

A eux deux, les groupes BSN et Skalli détiennent environ les deux tiers du marché des pâtes alimentaires, assurant, pour la semoule de blé dur, les trois quarts environ des débouchés des semouleries des deux groupes.

Le reste de l'offre provient d'autre fabricants français et des importations italiennes, dont le volume croît d'année en année et qui représentent une part du marché français de 26 p. 100.

Les importations d'origine italienne sont essentiellement destinées aux grandes surfaces qui revendent en grande partie sous des marques de distribution. Dans ces conditions, les fabricants français de pâtes alimentaires sont amenés à tenir compte de ce facteur de concurrence dans l'élaboration de leur stratégie commerciale.

3. - Le marché du couscous

La consommation de couscous en France a été, en 1987, de 45 000 tonnes. Les entreprises présentes sur ce marché sont:

- Ferico, filiale commune des sociétés Panzani Milliat Frères (groupe BSN) et Rivoire et Carret (groupe Skalli) qui détient 37,5 p. 100 du marché en 1987 avec la marque Ferero;

- Panzani Milliat Frères qui achète exclusivement le couscous à la société Férico, le conditionne et le revend sous sa marque Panzani et qui détient 28,8 p. 100 du marché;

- Rivoire et Carret qui a une unité propre de fabrication et qui détient 11,3 p. 100 du marché;

Enfin, les sociétés Chiron, Tipiak, Munoz avec respectivement 7,3 p. 100, 5,6 p. 100 et 5,9 p. 100 du marché.

B. - Les pratiques en cause

1. Les pratiques d'approvisionnement de blé dure en commun

L'enquête fait état d'importation en commun de blés américains et canadiens ainsi que d'achats de blés français auprès d'un même organisme stockeur et revendeur.

Les approvisionnements en commun de blé américains ont eu cours durant la période où les récoltes françaises dans les variétés recherchées par les semouleries étaient déficitaires.

Les importations par le moyen de navires affrétés en commun ont été organisés, d'une part, par des semouleries du Sud de la Loire, via le port de Marseille (les Semouleries de Bellevue et les Grands Moulins Maurel) et, d'autre part, par des semouleries situées au Nord de la Loire (la Semoulerie de Normandie, la société Bertrand, et les Grands Moulins de Strasbourg), qui ont acheminé ces importations par les ports du Havre et d'Anvers.

Pour les semouleries du Sud de la Loire, les importations de blé dur ont représenté durant la période non prescrite 53 652 tonnes pour 1983, 20 894 tonnes pour 1984, 35 727 tonnes pour 1985. Pour celles situées au Nord de la Loire, les importations ont été de 42 000 tonnes pour l'année 1983 et de 18 000 tonnes pour 1984; elles ont été nulles en 1985.

L'instruction a établi que le regroupement des achats de blés durs américains diminuait les coûts de fret et donc le prix de la tonne rendue au port de déchargement, de même qu'étaient réduits les coûts de déchargement et de stationnement des bateaux.

Les négociations pour ces achats ont été confiées pour les Semouleries de Bellevue et les Grands Moulins Maurel à un cabinet de courtage spécialisé, situé dans le Sud de la France, la société Giral, et pour la Semoulerie de Normandie, la société Bertrand et les Grands Moulins de Strasbourg à des sociétés de négoce international. Les intermédiaires ont ainsi proposé aux semouleries intéressées les prix des vendeurs américains (coût, assurances, fret inclus) et se sont rémunérés par une commission sur la valeur de ces transactions.

Les prix "CAF" résultant d'une même proposition de vente sont identiques pour toutes les semouleries intéressées à l'achat, mais les facturations sont évidemment fonction des quantités achetées par chacune d'elles; ensuite le prix de revient de la tonne varie suivant le coût du transport du blé du port à la semoulerie et selon les moyens de stockage utilisés. Ainsi, la Semoulerie de Bellevue reçoit le blé dans ses propres silos alors que les Grands Moulins Maurel, ne disposant pas de silos portuaires louent des cellules de stockage et paient le transport jusqu'à leur usine.

Il a encore été établi que, pour apprécier les disponibilités de stockage des semouleries, il convenait de tenir compte des contraintes relatives à la nécessité de ne pas mélanger les différentes variétés de blés stockées par cellules distinctes. De ce fait, les capacités théoriques doivent être corrigées par le taux réel d'occupation des cellules qui s'établissait au moment des faits à environ 70 p. 100. Ainsi, les Semouleries de Bellevue qui disposaient d'une capacité théorique de 32 000 tonnes détenaient une capacité réelle de 20 000 tonnes dont 13 000 tonnes au plus réservées aux blés américains; les Grands Moulins Maurel avec une capacité théorique de 20 000 tonnes avaient 14 000 tonnes de capacité réelle de stockage dont 7 000 destinées aux blés américains; la Semoulerie de Normandie avec 32 000 tonnes théoriques disposait d'une capacité réelle de stockage de 21 000 tonnes environ, dont 10 000 tonnes étaient réservées aux blés américains.

Il apparaît dont que l'importation par une seule de ces semouleries d'une cargaison par bateau complet - c'est-à-dire par 20 000 tonnes - ou bien, aurait été rendue impossible par manque de disponibilité de stockage, ou bien l'aurait contrainte à louer des silos supplémentaires et à supporter un accroissement des charges de logistique.

En ce qui concerne les achats de blé français, les Semouleries de Bellevue et les Grands Moulins Maurel ont procédé à l'achat de blés auprès d'un organisme stockeur et revendeur, le Sica Delta Céréales, aux termes de deux conventions identiques.

L'instruction a établi que ces deux conventions, qui ont lié les deux semouleries à un même fournisseur pendant la période d'avril 1979 à la fin de juillet 1985, ont été négociées par le même cabinet de courtage, la société Giral, et qu'elles portent sur le même volume de blé et les mêmes variétés.

2. Les correspondances entre la société Panzani Milliat Frères et la Semoulerie de Normandie au sujet des prix

Le rapport d'enquête fait état:

- d'un premier courrier daté du 15 février 1983 (pièce n° 21) de la société Panzani Milliat Frères, adressé à M. Pierre Skalli, dirigeant de la Semoulerie de Normandie, M. Levrat, signataire de cette lettre, fait observer que compte tenu de la difficulté de négociations en cours relatives à la fourniture de semoule de blé dur de la Semoulerie de Normandie à Panzani: "il serait plus facile de vous indiquer au préalable les bases de prix de revient... zone nord... qui serviront à nos négociations... que vous ne pourrez contester, vu l'importance de votre moulin et les sources d'approvisionnement similaires".

- d'un second courrier daté du 13 janvier 1984, émanant de la société Panzani Milliat Frères, qui indique à M. Skalli, dans la perspective d'une prochaine réunion de négociation de prix, des prix de revient au quintal pour les quatre trimestres de l'année 1983 (pièce n° 22).

MM. Levrat, directeur des sociétés Panzani Milliat Frères et Semouleries de Bellevue, et P. Skalli, gérant de la Semoulerie de Normandie, ont expliqué que jusqu'en 1986 la société Panzani Milliat Frères ne possédait pas de semoulerie dans le Nord de la France et s'approvisionnait pour la plus grande partie de ses besoins (50 000 tonnes par an environ) auprès de la société Bertrand avec laquelle elle avait signé en février 1973 un contrat d'approvisionnement fixant ses conditions d'achat au prix de revient industriel majoré d'un quota d'amortissement de frais fianciers et de frais fixes, et, pour un volume négligeable (1 000 tonnes par an), auprès de la Semoulerie de Normandie qui, antérieurement au contrat conclu avec la société Bertrand, avait été son principal fournisseur. Cette dernière fourniture était selon M. Levrat destinée à contrôler l'évolution de la qualité de la semoule fournie par la société Bertrand.

Il ressort de l'instruction que la société Panzani Milliat Frères a exigé de la Semoulerie de Normandie qu'elle lui fournisse les quantités achetées au prix résultant des conditions du contrat de fourniture de la société Bertrand et que les prix cités dans les courriers correspondent aux prix d'achat de la semoule de blé dur payés par la société Panzani Milliat Frères à la société Bertrand.

3. L'éventuelle entente entre la société Rivoire et Carret-Lustucru et la société Bertrand

Les pratiques décrites par le rapport administratif s'inscrivent dans un conflit qui a opposé la société Lustucru à la société Rivoire et Carret-Lustucru.

La famille Cartier-Milllon, actionnaire minoritaire de la société Lustucru, contestait la prise de contrôle de cette société par la holding Rivoire et Carret-Lustucru détenue majoritairement depuis 1971 par les sociétés Semoulerie de Normandie et Grands Moulins Maurel (lesquelles appartiennent aux familles Skalli et Cohen- Skalli). Elle reprochait à ses actionnaires majoritaires de lui vendre de la semoule de blé dur à des prix trop élevés et d'avoir conclu une entente avec le groupe BSN ayant pour objet de maintenir le prix de la semoule de blé dur à un prix artificiellement élevé. C'est dans ce contexte qu'elle décidait de s'approvisionner en semoule de blé dur auprès de fournisseurs concurrents du groupe Skalli, et notamment auprès de la société Bertrand.

L'instruction a révélé des échanges de courrier relatifs à une offre de fourniture de semoule de blé dur de la société Bertrand à la société Lustucru:

- une lettre d'offre de vente de semoule de blé de la société Bertrand datée du 5 juillet 1983 (pièce n° 26) au prix de 300 F le quintal départ de Gennevilliers pour la période de septembre à octobre 1983, et de 305 F pour novembre-décembre;

- une lettre du 26 mars 1984 (pièce n° 27) du président de la holding Rivoire et Carret-Lustucru, qui demande à la société Bertrand de lui communiquer les conditions d'approvisionnement faites à sa filiale Lustucru;

- une lettre du 27 mars 1984 (pièce n° 28) du directeur de la société Bertrand, faisant connaître en réponse à cette demande que, pour l'année 1984, le prix au quintal a été à titre exceptionnel de 310 F et qu'un réajustement est envisagé qui portera le prix à 340 F/345 F;

- une lettre du 2 mai 1984 par laquelle la société Bertrand informe la société Lustucru que le prix au quintal est porté à 340 F à partir de juillet (pièce n° 29).

A la suite de ce dernier relèvement de prix, la société Lustucru a cessé ses achats auprès de la société Bertrand.

4. Les pratiques de prix de vente concertés de la semoule de blé dur entre les Grands Moulins Maurel et la société Lustucru

La société Lustucru allègue que les Grands Moulins Maurel, actionnaires de sa société mère Rivoire et Carret-Lustucru, lui facturaient depuis 1980, pour la fourniture de semoule de blé dur, des prix qu'elle considère comme la manifestation d'un abus de dépendance économique. Elle estime, en outre, que ces prix résultaient d'une entente entre les groupes Skalli et BSN

L'essentiel de l'argumentation de la société Lustucru repose sur des comparaisons entre les prix qui lui ont été facturés par les Grands Moulins Maurel et les prix de semoules importées d'Italie. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que les semoules françaises peuvent très difficilement être comparées aux semoules d'origine italienne, qui, d'une part, ne sont pas soumises aux mêmes normes de qualité, et qui, d'autre part, sont régies par des mécanismes de formation des prix particuliers. En outre, les Grands Moulins Maurel ont précisé que les semoules de blés livrées à la société Lustucru et destinées à la production de pâtes aux oeufs étaient exclusivement de qualité extra et fabriquées à partir de blés américains.

5. L'adjudication de l'Office national interprofessionnel des céréales

Par règlements des 26 janvier et 9 février 1987, la Commission de la Communauté européenne a décidé de mettre à la disposition d'organisations caritatives, à titre gratuit, des produits céréaliers prélevés sur ses stocks. Ces produits devaient être transformés. Entendant limiter son concours financier, la Commission a prescrit de confier les céréales non transformées à des semouliers devant être rémunérés en nature. Les adjudicataires des lots devaient être les semouliers qui, pour une quantité de blé donnée, offriraient la plus grande quantité de semoule. La livraison des céréales devait avoir lieu au plus tard le 31 mars 1987.

Dès la 10 février, l'ONIC conviait le Comité français de la semoulerie industrielle (CFSI) ainsi que les trois organisations caritatives, Les Restaurants du Coeur, la Fédération nationale des banques alimentaires et le Secours populaire français, à une réunion fixée au 13 février et ayant pour objet de fixer les modalités d'exécution de la cession des produits au moindre coût.

Etaient présents à cette réunion outre les représentants des trois associations, M. Pierre Skalli, en tant que président du CFSI et M. Cruz, cadre de la semoulerie de Bellevue-Gennevilliers, en qualité de remplaçant du vice-président du CFSI empêché.

Au cours de cette réunion est apparue l'impossibilité de remettre aux organisations caritatives, comme le prévoyait le règlement communautaire, des semoules de blé dur normalement destinées à une deuxième transformation en pâtes alimentaires.

Le 23 février, l'avis d'adjudication du blé dur communautaire était adressé aux différents semouliers. Par ailleurs, aucune disposition des deux règlements communautaires n'ayant prévu la transformation de la semoule de blé dur en pâtes alimentaires, une deuxième réunion était organisée par l'ONIC le 2 mars 1987 pour trouver une solution à ce problème. Au cours de cette réunion l'ONIC a suggéré que les organisations caritatives négocient avec des fabricants de pâtes les modalités de cette transformation et que ceux-ci soient rémunérés en nature, solution qui était approuvée dans son principe par son ministre de tutelle, le ministre de l'Agriculture.

L'ONIC a fait connaître au CFSI le 4 mars 1987 les usines de pâtes alimentaires retenues par les organisations caritatives. Il s'agissait de Rivoire et Carret et de Panzani.

Le CFSI a donné le jour même cette information aux semouleries industrielles souhaitant soumissionner pour les céréales mises à disposition par la Communauté: les adjudicataires devaient tenir compte dans la présentation de leur offre de la modification ainsi apportée au cahier des charges initial; le lieu de destination de la semoule, qui était à l'origine les dépôts des organisations caritatives, devenait celui des usines de pâtes choisies pour effectuer la transformation de la semoule.

Les sociétés Grande Semoulerie de l'Ouest et Chiron ont protesté contre cette modification, et, estimant que l'organisation de l'adjudication avait été faussée par une entente mise en œuvre par les groupes BSN et Skalli en faveur de leurs filiales, ont renoncé à soumissionner.

Les titulaires de l'adjudication devaient finalement être, pour les lots de blé dur, les sociétés: Grands Moulins Maurel, Semoulerie de Normandie, et les Semouleries de Bellevue.

6. La situation de la filiale commune, la société Ferico, sur le marché du couscous

La société Ferico a été créée par les groupes BSN et Skalli, dont elle constitue une filiale commune. En 1987, avec 348 141 quintaux, sa fabrication représente, en quantité, 66,3 p. 100 du marché français du couscous.

Avec ses deux usines, l'une située à Liancourt, l'autre à Vitrolles, elle possède des lignes modernes de fabrication qui lui assurent la plus forte productivité en Europe; elle devance, en France, les sociétés Rivoire et Carret, également filiale du groupe Skalli, Chiron, Tipiak et Munoz.

Elle est approvisionnée en semoule de blé dur exclusivement par les semouleries des deux groupes et à des prix d'environ 30 p. 100 supérieurs aux prix de vente consentis à leurs autres filiales; son prix de revient est cependant inférieur à celui des autres fabricants français.

Il convient de noter que le coût de la semoule entre pour 70 à 80 p. 100 dans le prix de revient du couscous.

En 1987, les tonnages issus des usines de Ferico et destinés au marché français ont été, pour 56 p. 100, commercialisés sous sa marque Ferero, et, pour 44 p. 100, vendus à la société Panzani Milliat Frères qui les a conditionnés et revendus sous sa marque Panzani.

Les parts de marché sont, pour Ferico 37,5 p. 100, pour Panzani 28 p. 100, pour Rivoire et Carret 11,3 p. 100, pour Chiron 7,3 p. 100, pour Tipiak 5,6 p. 100, pour Munoz 5,9 p. 100.

I. - A LA LUMIERE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Sur les pratiques d'approvisionnement:

Considérant, en premier lieu, que les Semouleries de Bellevue du groupe BSN et les Grands Moulins Maurel, d'une part, la Semoulerie de Normandie, les Grands Moulins de Strasbourg et la société Bertrand, d'autre part, ont organisé par bateaux complets affrétés en commun l'importation de blés américains pour répondre à des besoins d'approvisionnement dans ces variétés de blés durant une période où les récoltes françaises dans des variétés analogues étaient déficitaires;

Considérant qu'aucun opérateur ne pouvait, à lui seul, sans exposer des frais plus élevés, importer des quantités correspondant à un bateau complet; que le groupement des commandes et la négociation par grandes quantités par l'entremise d'une société de courtage aboutissaient à un prix d'achat coût-assurance-fret (CAF) identique sans impliquer l'existence d'une entente à objet ou effet anticoncurrentiel;

Considérant, en second lieu, que la Semoulerie de Bellevue et les Grands Moulins Maurel ont été tous deux clients d'un même fournisseur de blé français, la Sico Delta Céréales, principal organisme stockeur et revendeur de céréales dans la région du Sud-Est de la France, durant la période d'avril 1979 à juillet 1985, et qu'ils ont été approvisionnés selon les termes d'une convention identique;

Considérant qu'il s'agissait de blés de même variétés, commandés en mêmes quantités, auprès du même fournisseur et par l'entremise du même courtier; que ces circonstances suffisent à expliquer l'identité des conditions consenties par l'offreur aux deux semouleries clientes;

Sur les correspondances entre la société Panzani Milliat Frères et la Semoulerie de Normandie au sujet des prix:

Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'en dépit des termes de la lettre adressée par la société Panzani Milliat Frères à la Semoulerie de Normandie, la communication des prix dont il est fait état portait sur des prix d'achat de semoule de blé dur résultant d'un contrat d'approvisionnement précédemment conclu entre la société Panzani Milliat Frères et la société Bertrand; qu'à l'époque des faits la société Bertrand n'était pas filiale du groupe BSN; que cette communication s'inscrivait dans le cadre d'une négociation de prix entre un client et son fournisseur;

Sur l'éventualité d'une entente entre les groupes Skalli et BSN au sujet des prix de la société Bertrand:

Considérant que le rapport administratif évoque l'éventualité d'une entente entre les groupes Skalli et BSN pour que la société Bertrand relève le prix de la semoule de blé dur que lui achetait la société Lustucru que, toutefois, il est observé, d'une part, qu'au moment des faits la société Bertrand était filiale de la Société générale des coopératives de consommation (SGCC) et non de BSN; que, d'autre part, le dossier n'apporte aucun élément laissant supposer l'existence d'une entente entre la SGCC et les deux groupes;

Sur les pratiques de prix de la société des Grands Moulins Maurel:

Considérant qu'il ressort du dossier que la société Lustucru a reproché en 1983 à la semoulerie des Grands Moulins Maurel appartenant au groupe Skalli et actionnaire de la société Rivoire et Carret-Lustucru, qui contrôle la société Lustucru, de lui avoir imposé des prix de vente abusifs qui constitueraient un "abus de dépendance économique" et qui résulteraient d'une entente entre le groupe BSN et le groupe Skalli;

Considérant, d'une part, qu'on ne saurait fonder des comparaisons de prix en prenant pour références des semoules d'origine italienne dont il n'est pas établi que les qualités soient équivalentes à celles des semoules issues de blés américains livrées par les Grands Moulins Maurel à la société Lustucru, alors qu'il est en revanche établi que le prix des blés américains était plus élevé que celui des blés italiens;

Considérant, d'autre part, que ces pratiques ne peuvent être qualifiées d'abus de dépendance économique au sens de l'ordonnance du 1er décembre 1986, laquelle ne peut s'appliquer à des pratiques qui remontent à l'année 1983;

Considérant enfin qu'aucun élément probant n'établit que les prix pratiqués par la semoulerie des Grands Moulins Maurel résultent d'une entente entre cette société et le groupe BSN;

Sur l'adjudication de l'Office national interprofessionnel des céréales:

Considérant que se pose la question de savoir si les groupes BSN et Skalli se sont entendus pour se partager l'adjudication de céréales organisée par l'ONIC;

Considérant que, dans les conditions rappelées au I de la présente décision, dans lesquelles l'ONIC a été finalement amené à organiser l'adjudication du blé et la fourniture de pâtes alimentaires aux organisations caritatives, le délai d'une journée et demie laissé à celles-ci pour choisir les fabricants de pâtes ne leur permettait pas de consulter l'ensemble des fabricants susceptibles de leur faire une offre; que dès lors ces organisations caritatives ont été conduites à s'adresser aux deux groupes les plus importants du marché; que le dossier ne révèle pas l'existence d'une entente entre les deux groupes à l'occasion de cette adjudication;

Sur la filiale commune Ferico:

Considérant que la création de la filiale commune Ferico ne constitue pas en soi une pratique visée par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986; qu'il importe cependant de rechercher si les groupes BSN et Skalli ont utilisé cette structure pour mettre en œuvre une pratique anticoncurrentielle concertée sur le marché du couscous en cédant à cette filiale la semoule à des prix supérieurs à ceux pratiqués vis-à-vis de la société Rivoire et Carret, filiale du groupe Skalli, elle-même productrice de couscous;

Considérant qu'une atteinte à la concurrence sur le marché du couscous pourrait résulter du fait que l'exploitation de cette filiale et notamment les conditions de son approvisionnement en semoule par les deux groupes auraient pour objet ou pourraient avoir pour effet d'assurer une protection commerciale à la société Rivoire et Carret;

Mais considérant qu'il résulte de l'instruction que les prix de vente du couscous des sociétés Panzani (client de Ferico et filiale de BSN), Ferico (pour la marque Ferero) et Rivoire et Carret (filiale de Skalli) ne sont pas identiques; que les prix minima pratiqués par Ferico sur le marché du couscous en paquet étaient entre 1984 et 1987 d'environ 12 p. 100 inférieurs à ceux de Rivoire et Carret; que pendant la même période les prix maxima pratiqués par Ferico pour la vente du couscous sous la marque Ferero étaient d'environ 24 p. 100 inférieurs à ceux pratiqués par Rivoire et Carret, les prix de Panzani étant intermédiaires;

Considérant qu'il résulte en outre de l'instruction que les parts de marché des différentes marques de couscous appartenant aux sociétés des groupes BSN et Skalli ne sont pas restées stables pendant les années 1984 à 1987; que les parts de marché des entreprises indépendantes de ces deux groupes ont également évolué; que la part de la société La Mauresque, qui a cessé ses activités en 1987, a décliné de 4,5 p. 100 en 1983 à 2,6 p. 100 en 1986; que la part de la société Chiron est passée de 6,3 p. 100 à 7,3 p. 100, celle de la société Tipiak de 5 p. 100 à 5,6 p. 100, celle de la société Munoz de 3 p. 100 à 5,9 p. 100; qu'enfin les importations qui représentaient 5 p. 100 du marché en 1984 ont été de 3,2 p. 100 en 1985 et de 3,6 p. 100 en 1987;

Considérant que dans les conditions ci-dessus décrites il ne peut être tenu pour établi que la filiale commune Ferico ait eu un objet ou ait pu avoir un effet anticoncurrentiel sur le marché du couscous;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que les faits rapportés au B du I de la présente décision ne peuvent être regardés comme constitutifs de l'une des pratiques prohibées par l'article 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945 et par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 susvisées,

Décide:

Article unique. - Il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure.