Cass. com., 10 mars 1998, n° 96-12.054
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
JVC Vidéo France (SA)
Défendeur :
Concurrence (Sté), Ministre de l'Économie et des Finances, Conseil de la concurrence, Procureur général près la Cour d'appel de Paris
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bézard
Rapporteur :
M. Léonnet
Avocat général :
M. Lafortune
Avocats :
SCP Célice, Blancpain, Soltner, Mes Balat, Ricard.
LA COUR : - Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué rendu après cassation partielle (Paris, 19 janvier 1996) que la société Concurrence, spécialisée dans la vente des produits dits d'électronique de divertissement, a saisi en 1987 et 1988 le Conseil de la concurrence de pratiques qu'elle estimait discriminatoires à son égard émanant de la société JVC vidéo France (société JVC) ; que le conseil a décidé que les pratiques dénoncées sur le marché des magnétoscopes et des caméras vidéo entre le 1er janvier 1988 et le 30 juin 1988 n'étaient pas contraires aux dispositions des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que la cour d'appel saisie d'un recours en annulation et en réformation a rejeté ce recours sauf en ce qui concerne les clauses insérées dans les conditions générales de vente de la société JVC et dans les accords de coopération conclus avec des revendeurs du 1er janvier au 1er juillet 1988 subordonnant l'octroi de la totalité des remises et des primes aux revendeurs procédant à des commandes groupées sous une enseigne commune ; que la Chambre commerciale a rejeté le pourvoi formé par les sociétés JVC et Concurrence sauf en ce qui concerne les dispositions de l'arrêt relatives aux clauses concernant les commandes faites sous une enseigne commune ;
Sur le premier moyen, pris en ses trois branches : - Attendu que la société JVC fait grief à l'arrêt d'avoir annulé la décision du Conseil de la concurrence en ce qu'elle a estimé que les clauses insérées dans les conditions générales de vente de la société JVC et dans les accords de coopération subordonnant l'octroi de remises et de primes aux commandes groupées sous une même enseigne, alors, selon le pourvoi, d'une part, que s'agissant des conditions générales de vente, la remise quantitative différée, variable en fonction du chiffre d'affaires annuel, " s'applique pour les commandes payées et livrée à une seule enseigne ", de sorte que dénature en violation de l'article 1134 du Code civil cette clause l'arrêt attaqué qui en déduit qu'elle aurait pour effet d'exclure desdits avantages les distributeurs non regroupés sous une enseigne commune, l'exigence d' " une seule enseigne " pouvant parfaitement être satisfaite par tout distributeur même s'il procède à des reventes à d'autres revendeurs et n'impliquant aucunement un regroupement préalable de différents distributeurs sous une enseigne commune ; alors, d'autre part, que s'agissant des accords de coopération commerciale, les objectifs d'achat doivent être atteints par le revendeur en dehors de toute revente à un revendeur professionnel sauf les reventes consenties à des revendeurs appartenant à la même enseigne, de sorte que dénature également cette clause en violation de l'article 1134 du Code civil l'arrêt attaqué qui décide qu'elle ne pourrait bénéficier à des distributeurs non regroupés sous une enseigne commune mais pouvant réaliser des volumes de vente qui ouvraient droit aux remises et primes aux distributeurs sous enseigne commune, l'accord litigieux se bornant à prendre en compte l'appartenance à une même enseigne qu'en cas de revente entre distributeurs ; et alors, enfin, que prive sa décision de base légale au regard des articles 1134 du Code civil et 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, l'arrêt attaqué qui examine ensemble les clauses des conditions générales de vente relatives à l'existence d'une enseigne unique et les clauses de l'accord de coopération commerciale prévoyant une exception en faveur des distributeurs opérant sous une même enseigne, sans s'expliquer, comme elle y était invitée par la demanderesse, sur la nature et la finalité différentes de ces deux types d'accord, et par voie de conséquence sur les modalités d'octroi différentes d'avantages qui, dans le cas des conditions générales de vente concernaient tous les opérateurs, et dans le cas des accords de coopération commerciale visait particulièrement les détaillants, à l'exclusion des grossistes ;
Mais attendu que la cour d'appel s'est référée aux clauses claires et précises contenues dans les conditions générales de vente, rappelées dans son précédent arrêt du 13 juin 1991, subordonnant l'octroi de remises quantitatives aux commandes " payées et livrées à une seule enseigne " ou aux accords de coopération concernant les commandes tenant compte d'un objectif d'achat en nombre d'appareils... que le revendeur s'engage à réaliser...étant précisé que toute revente à un revendeur professionnel n'appartenant pas à la même enseigne ne (serait) pas prise en compte " ; que c'est dès lors, hors toute dénaturation et en justifiant légalement sa décision qu'elle a constaté que ces clauses avaient la même finalité visant à " rémunérer la réalisation de volumes importants de ventes " ou à " récompenser la programmation des commandes et le respect d'un engagement d'achat par les détaillants les plus performants " sans se préoccuper réellement de la promotion de la marque ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses deux branches : - Attendu que la société JVC fait encore grief à l'arrêt d'avoir annulé partiellement la décision du Conseil de la concurrence, alors, selon le pourvoi, d'une part, que toute contrepartie correspondant à une condition objective et vérifiable justifie, au regard des articles 7 et 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, l'octroi d'un avantage non discriminatoire, de sorte que l'arrêt attaqué qui refuse de prendre en considération le bénéfice que le producteur peut tirer de la politique de communication comme de ses distributeurs s'étant placés sous la même enseigne et qui, au-delà de cet apport immatériel, exige des " prestations concrètes " concernant la mise en œuvre d'une politique commerciale comme susceptible de donner lieu à des contrôles, viole les textes susvisés ; alors, d'autre part, que la novation des accords de coopération commerciale intervenue à compter du 1er juillet 1988 qui a autorisé la prise en compte des rétrocessions intervenant au sein d'un groupe dans le calcul des seuils quantitatifs pour pouvoir prétendre à la prime, n'a eu ni pour objet ni pour effet de rendre illicite l'accord antérieur, de sorte qu'en se déterminant par le motif inopérant tiré de l'extension " au groupe " des dérogations antérieurement réservées aux distributeurs exerçant sous une enseigne commune, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Mais attendu que la cour d'appel appréciant les éléments de preuve versés au débat relève que " la société JVC se contente de mettre en avant, de manière générale et abstraite, les avantages qu'il y a lieu d'attendre d'une distribution sous enseigne unique ; qu'aucune autre clause de ses conditions générales de vente ou de l'accord de coopération n'a pour objet de définir de quelque manière les prestations concrètes qui étaient ainsi rémunérées " concernant la valorisation de sa marque ou prévoyant les modalités qui permettaient de s'assurer de leur réalité ; que, n'ayant pas ainsi constaté que la société apportait la preuve que l'avantage consenti aux distributeurs regroupés sous une même enseigne avaient pour effet de valoriser une communication commune de ses distributeurs en vue de promouvoir l'enseigne, la cour d'appel n'encourt pas les griefs du moyen ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches;
Et sur le troisième moyen, pris en ses trois branches : - Attendu que la société JVC fait encore grief à l'arrêt d'avoir statué ainsi qu'il l'a fait, alors, selon le pourvoi, d'une part, que comme elle le faisait expressément valoir dans ses écritures d'appel aucun élément du dossier n'établissait l'existence d'une concertation entre JVC et les revendeurs regroupés sous des enseignes communes tendant à exclure des avantages les revendeurs isolés, ce dont il résultait que l'acceptation par les revendeurs des conditions générales de vente et accords de coopération commerciale de la demanderesse ne pouvait caractériser qu'une somme d'accords bilatéraux et non une entente au sens de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, de sorte qu'en prenant comme postulat que les clauses litigieuses entraient dans le champ d'application de ce texte, sans répondre au moyen péremptoire susvisé, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; qu'il en est d'autant plus ainsi que l'arrêt attaqué qui se borne à relever l'absence de "réelles prestations fournies par les distributeurs sous enseigne commune en contrepartie des remises et primes qui leur étaient réservées" laisse également sans réponse les écritures précitées de la demanderesse qui soulignait que les clauses litigieuses constituaient à la rigueur un manquement à l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 qui interdira d'obtenir d'une partenaire économique des prix ou des conditions de vente discriminatoires non justifiées par des contreparties et créant pour ce partenaire un avantage ou un désavantage dans la concurrence, mais nullement une infraction à l'article 7 de ladite ordonnance ; alors, d'autre part, qu'à supposer que les conditions générales de vente et accords de coopération commerciale soient susceptibles d'être visés par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, ils ne pouvaient être qualifiés au regard de ce texte que si les clauses de remises avaient pour objet ou pouvaient avoir pour effet de limiter la concurrence sur le marché des revendeurs, ce qui avait été exclu par le Conseil de la concurrence dès lors que tous " les distributeurs regroupés ont le choix d'adopter ou non une enseigne commune et restent libres de suivre des politiques de prix autonomes ", de sorte qu'en décidant que les clauses litigieuses ont pu avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence, sans écarter les motifs décisoires susvisés du Conseil de la concurrence et rappelés par la demanderesse dans des conclusions, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 7 précité ; qu'au surplus, la cour d'appel n'a pas répondu, en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile, aux conclusions de la demanderesse soulignant que pour qu'il y ait discrimination, il faut qu'il y ait des victimes de cette discrimination et que depuis l'origine de la procédure en 1987, ni le rapporteur du Conseil de la concurrence, ni le ministre de l'Economie n'avaient pu fournir un seul exemple concret de ces groupements fantomatiques prétendument discriminés qui, n'étant pas réunis sous une enseigne, auraient néanmoins essayé de regrouper des commandes et des engagements d'achats ; et alors, enfin, qu'en s'abstenant d'identifier, comme elle y était invitée, les opérateurs qui auraient été effectivement victimes de la prétendue pratique litigieuse sur le marché concerné, la cour d'appel n'a aucunement caractérisé un effet ensemble et a, par là-même, privé sa décision de base légale au regard de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; qu'il en est d'autant plus ainsi que la cour d'appel a laissé sans réponse, en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile, les écritures d'appel de la demanderesse, qui faisait valoir que seize revendeurs seulement avaient bénéficié de la clause 10-13 des conditions générales de vente pour l'exercice fiscal 1987-1988 et que l'accord de coopération commerciale n'avait été conclu qu'avec 31 revendeurs, et ce dans les deux cas sur 1 000 revendeurs de la marque JVC ;
Mais attendu que l'acceptation par les revendeurs appartenant à un réseau de distribution des conditions générales définies par ce distributeur constituent une entente au sens de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 si elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet de limiter la concurrence ; qu'ayant constaté que les clauses litigieuses ont pu "avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur le marché considéré puisqu'elles tendaient à exclure des avantages les distributeurs non regroupés sous une enseigne commune mais pouvant réaliser les volumes de vente qui ouvraient droit aux remises et primes aux distributeurs sous enseigne commune", ce dont il résultait qu'elles avaient un effet sensible sur le marché, la cour d'appel a pu statuer ainsi qu'elle l'a fait sans encourir les griefs du moyen ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Par ces motifs : rejette le pourvoi.