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Décisions

Conseil Conc., 27 octobre 1998, n° 98-D-67

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution d'articles de prêt à porter féminin.

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport de M. Paul-Louis Albertini, par Mme Hagelsteen, présidente, Mme Pasturel, vice présidente, et, M. Cortesse, vice-président.

Conseil Conc. n° 98-D-67

27 octobre 1998

Le Conseil de la concurrence (commission permanente),

Vu la lettre enregistrée le 29 mars 1991 sous le n° F 402, par laquelle le ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et du budget a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques de la société en nom collectif Gaston Jaunet Diffusion dans le secteur de la distribution d'articles de prêt-à-porter féminin; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application; Vu les observations présentées par les sociétés Gaston Jaunet et Guy Laroche et par le commissaire du Gouvernement; Vu les autres pièces du dossier; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés Gaston Jaunet et Guy Laroche entendus; Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et sur les motifs (II) ci-après exposés :

I. - CONSTATATIONS

A. - Le secteur concerné

1. Le secteur du prêt-à-porter féminin

En 1990, à l'époque des faits, l'industrie française du prêt-à-porter féminin réalisait, selon des sources professionnelles, un chiffre d'affaires hors taxes de 23,9 milliards de francs. Les exportations s'élevaient à 10,9 milliards de francs et les importations à 9,3 milliards, dégageant ainsi un excédent commercial de 1,6 milliard soit un taux de couverture de 117,2 %.

Le chiffre d'affaires hors taxes de l'industrie française du prêt-à-porter féminin est estimé à 29,1 milliards de francs en 1996 et n'a pas progressé depuis 1992, année au cours de laquelle il a atteint 30 milliards de francs.

Les magasins spécialisés sont le circuit de distribution privilégié des articles de prêt-à-porter féminin. A côté de ce circuit spécialisé, la distribution est principalement assurée par la vente par correspondance (9,6 %), par les grands magasins et magasins populaires (6,6 %), par les foires et marchés (6,1 %) et par les supermarchés et hypermarchés (5 %). Au sein de la distribution spécialisée, il convient de distinguer les magasins traditionnels indépendants multimarques des réseaux de distribution à caractère réservataire (franchise et succursalistes). Avec près de 50 % des sommes dépensées, les boutiques traditionnelles dominent encore largement la distribution du prêt-à-porter féminin en France, selon une étude de la Fédération française du prêt-à-porter féminin.

2. Le groupe Gaston Jaunet

En 1963, M. Gaston Jaunet fonde la société Groupe équipe textile (GET). Dans les années suivantes, il lance sa propre ligne de prêt-à-porter féminin de grande diffusion. En 1974, cette entreprise dont le siège social est implanté à Cholet (Vendée) devient une filiale de la SA Guy Laroche (groupe BIC). Les collections évoluent alors vers la production de prêt-à-porter féminin haut de gamme.

Le capital de la SA Groupe industriel de mode (GIM) Gaston Jaunet est détenu en 1989 à 96,10 % par la SA Guy Laroche (groupe BIC) et 3,80 % par M. Rodes, gendre du fondateur. M. Rodes est à la fois le président-directeur général de la SA GIM Gaston Jaunet et le gérant de la société en nom collectif Gaston Jaunet diffusion, qui assure la diffusion des articles de prêt-à-porter féminin sous la marque Gaston Jaunet. L'effectif du groupe Gaston Jaunet au 31 décembre 1989 est de 609 personnes.

- Activité de production

La fabrication des collections est réalisée en Vendée dans quatre unités de production, dont la gestion relève de sociétés en nom collectif : SNC Belles roches, SNC GIM Bel air, SNC GIM St Amand et la SNC GIM Combrand ainsi que des façonniers situés en France et en Hongrie.

A l'origine, le groupe Gaston Jaunet ne fabriquait que sa propre marque. En passant en 1974 dans l'orbite du groupe Guy Laroche, le groupe Gaston Jaunet est transformé en " plate-forme " de fabrication d'une demi-douzaine de collections qu'il diffuse parfois également. Pour les collections printemps-été 90, le chiffre d'affaires (CA) apporté par l'activité production du groupe Gaston Jaunet se décompose de la manière suivante : marque Gaston Jaunet, 80 000 pièces pour un CA de 35 MF; marque C. Aujart, 10 000 pièces pour un CA de 5,5 MF; marque L. Lempicka, 14 000 pièces pour un CA de 6,5 MF; marque Tricosa, 40 000 pièces pour un CA de 35 MF; marque T. Mugler, 10 000 pièces pour un CA de 7,5 MF, marque G. Laroche diffusion : 70 000 pièces pour un CA de 60 MF, marque G. Laroche Sportswear : 40 000 pièces pour un CA de 24 MF, marque G. Laroche boutique, 6 000 pièces pour un CA de 8,5 MF.

- Activité de diffusion de prêt-à-porter

A l'époque des faits ayant donné lieu à la saisine, le groupe Gaston Jaunet conçoit, fabrique et diffuse sa propre marque. Il possède un bureau de style et un " show room " avenue de l'Opéra à Paris. L'activité de diffusion de la marque Gaston Jaunet connaît des difficultés, comme l'indiquent un certain nombre de responsables de points de vente lors de l'enquête administrative. Deux raisons principales sont invoquées : le style des collections Gaston Jaunet n'est pas assez moderne, les prix de vente aux détaillants des produits Gaston Jaunet seraient trop élevés. La société en nom collectif Gaston Jaunet enregistre un résultat déficitaire de 677 505 F et 132 123 F pour les exercices 1988 et 1989.

La diffusion des articles de prêt-à-porter féminin vendus sous la marque Gaston Jaunet est assurée par la SNC Gaston Jaunet diffusion tant pour les ventes sur le territoire national qu'à l'exportation. Seules les pratiques de cette entreprise sont examinées par les rapports administratifs joints à la lettre de saisine et dénoncées par celle-ci.

S'agissant de la diffusion des autres marques fabriquées par le groupe, elles sont le fait de diverses sociétés en nom collectif, filiales du groupe.

3. Le réseau de distribution de la griffe " Gaston Jaunet "

En 1990, le réseau de distribution des articles Gaston Jaunet en France se composait, outre les détaillants multimarques traditionnels, de cinq magasins succursales situés à Paris, Bordeaux, Cholet et Lille et de trois boutiques exploitées dans le cadre d'un contrat de franchise à Paris (rue Bonaparte), Nantes et Tours.

Les conditions générales de vente de la SNC Gaston Jaunet diffusion lui permettent de sélectionner ses revendeurs dans des boutiques " multimarques ", au regard de critères tels que la qualification du personnel, l'aménagement et la localisation du magasin ou les autres marques de prêt-à-porter mises en vente pour la collection printemps-été 1990. Ces points de vente, répartis sur toute la France, étaient au nombre de 228. Mais le nombre de points de vente varie sensiblement d'une collection à l'autre.

Globalement, pour la collection printemps-été 1993, Gaston Jaunet diffusion a disposé de 232 points de vente (nombre de magasins ayant passé une commande). La collection automne-hiver de la même année a enregistré les commandes de 218 magasins.Pour 1991, ces chiffres s'établissaient respectivement à 213 points de vente pour la collection automne hiver et 171 pour la collection printemps été. Selon M. Rodes, président du conseil d'administration de la SA Groupe industriel de mode Gaston Jaunet et de la SNC Gaston Jaunet diffusion, à l'époque de la saisine, une partie de la baisse du nombre des points de vente qui est observée depuis plusieurs années est imputable à une prudence accrue de la société Gaston Jaunet à l'égard des clients dont la situation financière est fragile : " Dans un certain nombre de cas, nous avons été amenés à cesser toute relation commerciale avec certaines boutiques par suite d'incidents de paiement et de solvabilité insuffisante " (cf. procès-verbal de déclaration en date du 2 décembre 1992 de M. Rodes). Les états établis par l'entreprise révèlent que le réseau de distribution de la marque Gaston Jaunet a perdu, depuis la saison de l'été 1990, 184 clients français et 194 clients étrangers. Ces pertes n'ont été que partiellement compensées par l'arrivée pour la même période de 52 nouveaux clients français et 63 nouveaux clients étrangers. En ce qui concerne la France, les points de vente sont répartis sur tout le territoire. A l'exception de Paris où douze points de vente sont recensés, aucun département ne compte plus de six points de vente. La plupart des départements (57) ne comptent qu'entre un et trois distributeurs.

4. Exportations des produits Gaston Jaunet

L'exportation représente environ 37 % du chiffre d'affaires total de la SNC Gaston Jaunet diffusion. Pour la collection printemps-été 90, les produits Gaston Jaunet sont présents dans environ 200 points de vente répartis dans le monde entier. Le groupe Gaston Jaunet possède des points de vente lui appartenant à New-York, Londres et Amsterdam.

5. Le marché concerné par la saisine

Les articles de prêt-à-porter féminin se classent traditionnellement en trois catégories. On distingue les produits bas de gamme diffusés essentiellement en super et hypermarchés, les produits de milieu de gamme représentés par des marques telles que Naf Naf ou Kookaï et enfin les produits haut de gamme. La marque Gaston Jaunet se situe, pour les responsables du groupe comme pour les professionnels interrogés lors de l'enquête administrative, dans cette dernière catégorie.

Le président de la SA GIM Gaston Jaunet, également gérant de la SNC Gaston Jaunet diffusion, considère que la marque Gaston Jaunet fait partie du haut de gamme du secteur textile habillement en prêt-à-porter féminin. Il estime, en outre, que le groupe Gaston Jaunet occupe une place moyenne sur ce créneau (cf. procès-verbal de déclaration en date du 2 décembre 1992 de M. Rodes).

Pour les responsables du groupe Gaston Jaunet, leurs principaux concurrents sont Synonyme et Jean Claude pour la France, Max Mara pour l'Italie, Laurel pour l'Allemagne. Les distributeurs entendus au cours de l'enquête administrative ont cité une dizaine de marques de prêts-à-porter féminin qu'ils considèrent comme pouvant correspondre à la même clientèle que celle achetant des vêtements de marque Gaston Jaunet.

Avec un chiffre d'affaires de 30,8 millions de francs en 1991, la SNC Gaston Jaunet diffusion représente 10,3 % du chiffre d'affaires total (299,5 millions) réalisé cette même année en France par l'intermédiaire de quatre marques considérées par les professionnels comme substituables entre elles (Synonyme : CA 102 millions, Jean Claude : CA 56 millions, Max Mara : CA 25 millions, Laurel : CA 85,7 millions).

Du point de vue des consommateurs, il existe autant de marchés que de villes où sont situés les détaillants susceptibles de vendre ces articles, chacun de ces marchés correspondant, selon les déclarations de M. Potel, directeur juridique de la SA Guy Laroche. à la zone d'attraction commerciale de la ville chef-lieu où peuvent, très généralement, être acquis ces types de vêtements.

B. - Les pratiques constatées

1. Le refus de vente opposé par la société VGS

Lors d'un salon professionnel de prêt-à-porter, les représentants de la société VGS, qui exploite trois magasins à l'enseigne Leclerc : Leclerc literie, Leclerc sports et Leclerc vêtements, passent, le 23 septembre 1988, une importante prise d'ordres à la SNC Gaston Jaunet diffusion.

La SNC Gaston Jaunet diffusion ne livre pas la société VGS et ne confirme même pas cette prise d'ordres. Le refus de vente concerne le magasin Leclerc vêtements. Par lettre et télex en date du 19 janvier 1989, la société VGS demande à la société Gaston Jaunet diffusion les raisons du refus de livraison des marchandises commandées. Par lettre en date du 20 mars 1989, M. Rodes, gérant de la société en nom collectif Gaston Jaunet diffusion, précise que sa société ne peut envisager de relation d'affaires avec la société VGS, dès lors que :

- le point de vente de la société VGS " distribue exclusivement des vêtements homme et dame sous l'enseigne Leclerc Vêtements ";

- les marques vendues par VGS ne correspondent pas " au standing et à l'image " de Gaston Jaunet et de ses produits;

- la présentation des produits exposés par VGS " ne correspond nullement à l'environnement de notre distribution habituelle ".

Il souligne en conclusion que " (sa) politique commerciale de distribution exclut en l'état la possibilité pour nos produits d'être distribués au sein d'un centre Leclerc, qui n'expose aucune marque correspondant à notre image et dont la présentation des produits est trop éloignée de nos impératifs ".

Le refus de vente s'appuie sur les stipulations de l'article 2 des conditions générales de vente de la société Gaston Jaunet diffusion :" Qualification des distributeurs de la griffe Gaston Jaunet Les distributeurs de produits de notoriété, griffés " Gaston Jaunet ", doivent répondre aux critères suivants :

a) Le distributeur doit être compétent et assisté d'un personnel qualifié pour vendre des produits représentatifs de la mode française. Le personnel en relation directe avec la clientèle (Direction et vendeuses) doit avoir un standing compatible avec le renom et le prestige international de la couture française. La technicité des retoucheuses doit permettre aux articles griffés " Gaston Jaunet " d'avoir une finition irréprochable.

b) Localisation du point de vente.

Tous les articles mis en vente dans le magasin doivent présenter un standing équivalent aux produits griffés Gaston Jaunet et ne doivent en aucun cas déprécier l'image internationale de la marque " Gaston Jaunet ".

c) L'installation du lieu de vente.

L'emplacement, l'installation, la surface de vente, son aménagement, la décoration, l'éclairage et la propriété du magasin doivent participer à la mise en valeur esthétique et promotionnelle des produits de la marque Gaston Jaunet ", pour lesquels il est nécessaire de disposer des rayons de présentation suffisants à l'intérieur du magasin. Les présentations et autres éléments de publicité doivent pouvoir être exposés en bonne place, et à la vue du public, dans les vitrines extérieures et intérieures du magasin.

d) Stock par point de vente.

Le stock " Gaston Jaunet" doit, au début de chaque saison, comporter suffisamment de modèles de la collection pour satisfaire la demande de la clientèle.

e) Maintien des relations commerciales.

La société Gaston Jaunet SA se réserve d'interrompre ses relations commerciales avec tout détaillant qui cesserait de remplir les conditions ci-dessus, ou qui manquerait à une quelconque de ses obligations définies à l'article 3 ci-dessous. "

Selon les constatations effectuées lors de l'enquête administrative, le magasin de la société VGS à Valence remplit ces conditions. En premier lieu, le directeur du magasin est un professionnel ayant exercé dans le groupe Thierry Sigrand; cinq vendeurs spécialisés sont affectés au rayon confection féminine, dont un chef de rayon, et cinq personnes, dont une employée ayant une expérience de tailleur en confection, sont affectées dans deux ateliers de retouche. En ce qui concerne l'environnement des autres marques, les marques vendues pour le prêt-à-porter féminin sont Pierre Cardin, Paul Mausner, Ray Majorie, Cacharel, El International, Verdosa, Norbert Nel, et celles du prêt-à-porter masculin sont Ted Lapidus, Guy Laroche, Cacharel, Pierre Balmain, Louis Féraud.

Le magasin a été restauré en mars 1989. Le rayon confection féminine, d'environ 400 m2 de superficie, constitue un îlot démarqué de l'ensemble du magasin, qui offre aussi à la vente des articles de confection pour hommes, de la lingerie féminine et des accessoires d'habillement. Le local comprend, sur une façade de 27 mètres, cinq vitrines extérieures, dont trois concernent la confection féminine. Une quarantaine de mannequins et de présentoirs de marque Vitra Shop mettent en valeur les articles exposés. Le magasin est situé en centre ville, dans un quartier commerçant, à proximité de la gare.

La société VGS a passé commande de près de 292 pièces dans 63 séries différentes.

2. L'application des clauses des conditions générales de vente concernant la sélection des magasins

Une enquête a été effectuée auprès de 48 points de vente, boutiques traditionnelles de prêt à porter. L'analyse de ses résultats, effectuée à partir des seuls procès-verbaux de déclaration et de constatation régulièrement établis, fait apparaître que les stipulations de l'article 2 des conditions générales de vente " Qualification des distributeurs de la griffe Gaston Jaunet ", qui constituent le fondement du refus de vente opposé à la société VGS, ne sont pas appliquées ou sont appliquées de façon aléatoire, pour sélectionner les points de vente. Les boutiques agréées ne respectant pas la totalité des exigences de l'article 2 sont nombreuses parmi les points de vente visités par les enquêteurs. Les principaux manquements concernent la qualification du personnel (article 2.a), le standing des autres marques mises en vente (article 2.b) et la mise en valeur esthétique et promotionnelle des produits Gaston Jaunet (article 2.c).

En ce qui concerne l'application des articles 2.a et 2.c susvisés, Mme Pierucci, gérante du point de vente de la SARL Carla Baldi , à l'enseigne " Signatures ", à Grenoble, a déclaré : " La marque n'était pas distribuée sur Grenoble au cours de l'année 1989. J'ai donc demandé en avril 1989 à la société Gaston Jaunet qui n'a fait aucune difficulté pour me référencer. J'ai ouvert une boutique avec un stock important de produits Gaston Jaunet ". Plusieurs magasins n'emploient pas de " personnel qualifié pour vendre des produits représentatifs de la mode française ". Ainsi, Mme Brinon, exploitant le magasin Borinni à Paris, a indiqué : " Je suis seule à vendre dans mon magasin et ce, depuis 17 ans. Je vends Gaston Jaunet depuis environ 10 ans, sur ma demande ". Mme Dessaigne, exploitant le magasin Liliana à Belleville-sur-Saône, a indiqué : " Le magasin n'emploie pas de salariés. Les travaux de retouche sont sous-traités ".

En ce qui concerne l'environnement des autres marques vendues (article 2.b), l'enquête a montré que ces dispositions ne sont pas strictement appliquées dans le cadre de la sélection des points de vente. Les marques recensées dans les points de vente sont multiples et très variables pour ce qui est de leur notoriété aussi bien que de leur qualité.

C'est ainsi que la boutique " Ann' Laur " à Saint Priest (Rhône) dispose d'un espace de 100 m2, dans lequel sont vendus des produits de grande marque, telles que Gaston Jaunet, Pierre Cardin, Yves Saint Laurent, Daniel D, Verdosa, Gérard Darel, mais aussi " quelques autres marques moins réputées ", selon les déclarations de la gérante qui indique proposer à la vente des articles achetés dans le quartier du Sentier à Paris.

La gérante de la boutique " Liliana " à Belleville-sur-Saône (Rhône) a indiqué : " Les marques vendues sont Gaston Jaunet, Infinitif, Boa ... et autres marques moins réputées ".

L'enquête a également révélé que les marques vendues par le magasin de la société VGS à Valence, à l'enseigne Leclerc vêtements, sont aussi présentes dans des points de vente agréés par Gaston Jaunet. Il s'agit de Pierre Cardin, Paul Mausner, Guy Laroche, Cacharel, El International et Verdosa. Seules les marques Ray Marjorie et Norbert Nel n'ont pas été retrouvées dans les points de vente diffusant la marque Gaston Jaunet.

3. L'application des clauses de l'article 3 (interdiction de mettre en vente à prix réduit) et de l'article 16 (interdiction d'une rétrocession entre revendeurs) des conditions générales de vente Gaston Jaunet

L'enquête a aussi porté sur l'application des clauses des conditions générales de vente contenues aux articles 3 et 16.

- Détermination des prix

Les responsables des points de vente visités ont indiqué qu'ils fixaient librement leurs prix de revente ainsi que le niveau de leurs soldes. La marge pratiquée dans l'ensemble des points de vente visités varie entre 2,1 et 2,5, à l'exception de la boutique " Lady M " à Avignon (Vaucluse) où le détaillant déclare pratiquer un coefficient 2 sur les articles griffés Gaston Jaunet, au lieu de 2,2 pour les autres marques, car " le produit est plus cher au départ ". Aucun ne pratique des promotions ou autres ventes à prix réduits à longueur d'année.

Mme Pierucci, gérante du magasin " Signatures " à Grenoble, a ainsi déclaré : " J'applique les coefficients multiplicateurs suivants : (...) Gaston Jaunet 2,10 à 2,30 (...) Anastasia 2,20 (...) Renato Nucci 2,30 ", M. Doux, président-directeur général de la SA Stylista, dont le magasin est à Tours, a déclaré : " Mon coefficient habituel est de l'ordre de 2,30 (...) pour la marque Gaston Jaunet. Cette saison (hiver 1990) j'applique le coefficient TTC 2,35 ".

Les marges pratiquées par les détaillants apparaissent comparables d'une marque à l'autre. En effet, les responsables des boutiques indépendantes multimarques qui représentent la grande majorité des détaillants des quatre marques précitées et de Gaston Jaunet déterminent généralement une marge moyenne qui varie plus ou moins selon l'article.

En revanche, même si la SNC Gaston Jaunet diffusion ne semble pas Etre intervenue auprès de ses distributeurs à propos de cette clause, l'article 3 des conditions générales de vente interdit au distributeur de " mettre en vente un produit à prix réduit, même défraîchi, et périmé, en dehors des périodes de soldes ".

- Rétrocession

En ce qui concerne les rétrocessions, expressément prohibées par les conditions générales de vente, un certain nombre de détaillants ont reconnu y avoir procédé avec ou sans l'accord des sociétés Gaston Jaunet. L'instruction n'a pas permis d'établir que ces sociétés seraient intervenues pour interdire aux distributeurs de le faire.

3. La position de Gaston Jaunet à l'égard de certaines formes de distribution

Les conditions générales de vente de la société en nom collectif Gaston Jaunet diffusion et notamment les articles 2, 3 et 16 " n'ont pas été modifiées depuis 1990 ", ainsi que cela ressort des pièces produites par M. Rodes le 2 décembre 1992, exception faite du dernier alinéa de l'article 4 " Conditions de modification d'une commande par un client ", qui a disparu des documents recueillis en 1992.

Les relations commerciales entre la SA VGS et les sociétés Gaston Jaunet n'ont, d'ailleurs, subi aucune évolution depuis le refus de vente formulé par la lettre en date du 20 mars 1989 de M. Rodes.

Par lettre en date du 4 avril 1996, la SNC Gaston Jaunet diffusion, a produit une copie des conditions générales de vente en précisant que ces conditions " ne sont pas différentes de celles qui étaient en vigueur en 1989 ", notamment en ce qui concerne les stipulations des articles 2 (qualification des distributeurs de la marque et obligations des distributeurs de la marque) et 16 (vente de marchandises par le distributeur). L'enquête effectuée auprès de dix-huit boutiques à l'enseigne Centre Leclerc vêtements les décrit comme des magasins traditionnels de prêt-à-porter, employant des vendeurs et retoucheuses qualifiés, disposant d'une installation intérieure mettant en valeur les produits exposés, et implantés dans une zone valorisante et commerçante. Ces établissements remplissent les conditions de sélection de Gaston Jaunet en ce qui concerne la qualification du personnel, la localisation et l'installation du lieu de vente. Ils sont exploités par des entreprises indépendantes, qui peuvent s'approvisionner par l'intermédiaire d'un groupement d'achat auprès des fournisseurs pour les articles de prêt-à-porter masculin ou féminin les plus courants, qui donnent lieu à référencement par des groupes de travail, ou directement auprès des fournisseurs de leur choix, pour les articles de marque.

Plusieurs des responsables des magasins précités ont indiqué n'avoir jamais réussi à s'approvisionner auprès de certaines grandes marques du prêt-à-porter féminin, cette opposition les ayant parfois conduits à y renoncer.

Ainsi, le responsable du centre de Saint-Etienne a déclaré expressément être intéressé par la commercialisation de la marque Gaston Jaunet : " J'ai vendu au cours de l'année 1981 des vêtements de marque Gaston Jaunet (...). Je me souviens bien avoir passé une commande au SEMH à Paris sous le nom de la société Loire Diffusion. Au terme d'une saison, la marque Gaston Jaunet a dû se rendre compte par elle-même ou être informée par nos concurrents que j'exploitais un centre Leclerc Vêtements et au salon suivant, nous n'avons même pas eu accès à la présentation de la communication de barème. A cette époque là, je pratiquais un coefficient multiplicateur moyen de 1,55 sur l'ensemble du prêt-à-porter. Actuellement, j'ai, pour ma part, le désir de vendre des articles de marque ".

II. - SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL,

Sur la prescription :

Considérant que les sociétés GIM Gaston Jaunet et Guy Laroche font valoir que le Conseil de la concurrence a été saisi des pratiques en cause par le ministre d'Etat, ministre de l'économie et des finances le 29 mars 1991, que divers procès-verbaux de déclaration ont été établis durant l'année 1992, qu'un dernier procès-verbal de déclaration a été établi le 21 janvier 1993 et que, faute d'accomplissement d'un acte tendant à la recherche, la constatation ou la sanction des faits ayant conduit à la saisine du conseil avant le 21 janvier 1996, aucun fait antérieur à cette date ne peut être examiné par le conseil, le rapporteur n'ayant mis en œuvre ses pouvoirs d'enquête que par courrier du 25 mars 1995, plus de deux mois après que la prescription a été acquise;

Mais considérant qu'aux termes de l'article 27 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : " Le Conseil de la concurrence ne peut être saisi de faits remontant à plus de trois ans, s'il n'a été fait aucun acte tendant à leur recherche, leur constatation ou leur sanction "; qu'à la suite de la saisine enregistrée le 29 mars 1991, le président du Conseil de la concurrence a, par lettre en date du 24 janvier 1992, interruptive de prescription, demandé la réalisation d'une enquête complémentaire qui a donné lieu à un rapport enregistré le 25 mars 1993; que l'enregistrement de ce rapport d'enquête, puis les deux lettres du rapporteur tendant à la recherche et à la constatation des faits en date du 27 février 1996, adressées au président du conseil d'administration de la SA GIM Gaston Jaunet, la lettre du rapporteur en date du 20 mars 1996 et enfin ses deux lettres en date du 25 mars 1996 adressées au dirigeant des sociétés Gaston Jaunet constituent des actes interruptifs de prescription à l'égard de toutes les parties en cause sur ce marché; que, par suite, le moyen tiré par les sociétés GIM Gaston Jaunet et Gaston Jaunet diffusion de l'acquisition de la prescription doit être écarté;

Sur l'imputabilité des pratiques et les modifications intervenues dans le statut des entreprises en cause :

Considérant que, lorsque entre le moment où l'infraction est commise et le moment où l'entreprise en cause doit en répondre la personne responsable de l'exploitation de cette entreprise a cessé d'exister juridiquement, il convient de rechercher, dans un premier temps, l'ensemble des éléments matériels et humains ayant concouru à la commission de l'infraction pour identifier, dans un second temps, la personne qui est devenue responsable de l'exploitation de cet ensemble, afin d'éviter que, en raison de la disparition de la personne responsable de son exploitation au moment de l'infraction, l'entreprise ne puisse pas répondre de la commission de celle-ci;

Considérant que la SNC Gaston Jaunet diffusion (RCS Angers B 334 667 375) a été radiée du registre du commerce et des sociétés à compter du 29 mai 1995, avec transmission de son patrimoine à l'associé unique, la société anonyme Groupe industriel de mode Gaston Jaunet (RCS Angers B 064 200 017); que, par application des principes ci-dessus rappelés, les pratiques en cause doivent être imputées à la société anonyme Groupe industriel de mode Gaston Jaunet, dont la dissolution annoncée par son actionnaire, la société anonyme Guy Laroche, n'est pas réalisée à la date de la présente décision;

Sur les pratiques constatées :

Considérant que, dès lors qu'ils préservent le jeu d'une certaine concurrence sur le marché, les systèmes de distribution sélective sont conformes aux dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, si les critères de choix des revendeurs ont un caractère objectif et ne sont pas appliqués de façon discriminatoire, s'ils n'ont ni pour objet ni pour effet d'exclure une ou des formes déterminées de distribution qui seraient aptes à distribuer les produits en cause ou de créer des barrières artificielles à l'entrée sur le marché de la distribution des produits concernés et s'ils maintiennent la liberté commerciale des revendeurs quant aux prix pratiqués vis-à-vis des consommateurs;

En ce qui concerne la sélection des revendeurs :

Considérant que le système de distribution mis en place par le groupe Gaston Jaunet associe la distribution sélective et la franchise; qu'à côté des cinq boutiques gérées par des filiales de la SA GIM Gaston Jaunet, il ne restait, en 1991, que trois boutiques franchisées sur le territoire national, la diffusion étant, pour le reste, assurée par le réseau de revendeurs multimarques;

Considérant que la sélection de ces revendeurs, en l'absence de contrat spécifique, repose sur les critères fixés à l'article 2 des conditions générales de vente de la société Gaston Jaunet diffusion, reproduit au I. B de la présente décision, visant la qualification professionnelle du revendeur et de ses employés, la localisation du point de vente et l'environnement des marques, la surface et l'aménagement du magasin; que la sélection des distributeurs requiert donc une visite régulière des points de vente tant des candidats à la diffusion de la marque que de ceux déjà sélectionnés ;

Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des constatations rapportées au I. B-2 de la présente décision que plusieurs des distributeurs multimarques agréés et diffusant des vêtements Gaston Jaunet ne remplissent pas l'ensemble des critères fixés par l'article 2 des conditions générales de vente; qu'ainsi, le nombre et la notoriété des marques vendues par les points de vente visités sont très diverses, le responsable de l'un d'entre eux ayant même reconnu vendre des produits " de marques moins réputées " que Gaston Jaunet; que certains n'emploient aucun personnel bénéficiant d'une qualification particulière; qu'enfin les conditions d'aménagement des lieux de vente sont très diverses, notamment en ce qui concerne la surface de vente ;

Considérant, en second lieu, que la société VGS, ainsi que plusieurs autres centres Leclerc vêtements, se sont vu opposer un refus de vente, alors même qu'ils remplissaient les critères de sélection ci-dessus rappelés; que M. Rodes, dans sa lettre du 20 mars 1989 adressée à la société VGS, a fondé son refus de vente sur le fait que celle-ci exploitait un magasin à l'enseigne Leclerc et lui a indiqué que : " Sa politique commerciale de distribution exclut en l'état la possibilité pour nos produits d'être distribués au sein d'un centre Leclerc, qui n'expose aucune marque correspondant à notre image et dont la présentation des produits est éloignée de nos impératifs ";

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société Gaston Jaunet diffusion, aux droits de laquelle vient la société GIM Gaston Jaunet, opère un traitement discriminatoire entre les revendeurs et exclut, a priori, toute forme de distribution par des magasins dont la politique commerciale s'appuie notamment sur des marges réduites ; que cette application discriminatoire des critères de sélection définis à l'article 2 des conditions générales de vente de la société Gaston Jaunet diffusion au détriment des détaillants multimarques Centre Leclerc vêtements ayant pour objet et pour effet de limiter la concurrence entre revendeurs en éliminant une forme de distribution est prohibée par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

En ce qui concerne la fixation des prix :

Considérant qu'aux termes de l'article 3 des conditions générales de vente : "Obligations des distributeurs de la griffe " Gaston Jaunet " : a) Le distributeur s'interdit de mettre en vente à prix réduit, un produit de la société Gaston Jaunet SA, même défraîchi et périmé, en dehors des périodes habituelles de soldes;

Considérant que les détaillants " multimarques ", qui distribuent des articles de prêt-à-porter féminin sous la marque Gaston Jaunet dans la même ville ou agglomération, ne bénéficient pas d'une exclusivité territoriale; que la clause fixée au a) de l'article 3 interdit à ces détaillants de pratiquer des remises ou rabais sur des articles défraîchis ou périmés hors des périodes de soldes; que, dès lors que les conditions générales de vente n'interdisent pas la vente d'articles défraîchis ou périmés, le fait de limiter la possibilité de les vendre avec un rabais pendant les seules périodes de soldes limite la liberté commerciale des revendeurs au-delà de ce qui est nécessaire pour la protection de la notoriété de la marque ; qu'une telle clause, ayant pour objet et pouvant avoir pour effet de restreindre le jeu de la concurrence entre distributeurs, est prohibée par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986;

En ce qui concerne la prohibition de la rétrocession :

Considérant que, si les accords de distribution sélective peuvent légitimement interdire aux distributeurs de vendre les produits contractuels auprès de grossistes ou de détaillants ne faisant pas partie du réseau du fournisseur, est, en revanche, prohibée par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 toute clause visant à limiter les rétrocessions entre les distributeurs agréés ; qu'aux termes de l'article 16 des conditions générales de vente diffusées par les sociétés Gaston Jaunet : " Les marchandises livrées doivent être exclusivement vendues aux consommateurs par le distributeur. Toute autre forme de vente, non soumise à l'approbation écrite de Gaston Jaunet SA, entraînerait une action en dommages et intérêts "; que cette clause interdit au détaillant " multimarques ", distributeur d'articles griffés Gaston Jaunet de procéder à la rétrocession d'articles vendus sous cette marque à un autre détaillant, même si celui-ci remplit les conditions exigées par les conditions générales de vente et a déjà fait l'acquisition d'articles de prêt-à-porter féminin auprès des sociétés Gaston Jaunet; qu'il n'est pas davantage envisageable pour les détaillants qui détiennent un stock d'articles griffés Gaston Jaunet de procéder à des livraisons croisées; qu'ainsi, l'article 16 des conditions générales de vente, qui a pour objet et peut avoir pour effet de restreindre la concurrence entre distributeurs, est contraire aux dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Sur les sanctions :

Considérant qu'aux termes de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : " Le Conseil de la concurrence peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières. Il peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement, soit en cas d'inexécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Si le contrevenant n'est pas une entreprise, le maximum est de dix millions de francs. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 5 % du montant du chiffres d'affaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos (...) ";

Considérant que la société anonyme GIM Gaston Jaunet, qui continue à exister en tant qu'entreprise ainsi qu'il a été indiqué ci-dessus, a réalisé en France en 1997, dernier exercice clos disponible, un chiffre d'affaires de 1 280 000 F; qu'eu égard aux éléments d'appréciation ci-dessus exposés, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 13 000 F,

Décide :

Article 1er : Il est établi que la SA Groupe industriel de mode Gaston Jaunet a enfreint les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Article 2 : Il est infligé une sanction pécuniaire de 13 000 F à la SA Groupe industriel de mode Gaston Jaunet.